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Le Capharnaüm Éclairé
27 janvier 2021

"Leonid doit mourir" de Dmitri Lipskerov

L’histoire : En 1964, Léonid est un fœtus doué de conscience qui livre avec humour ses réflexions depuis le ventre de sa mère. Celle-ci morte en couches et son père disparu, le petit passera son enfance oublié de tous dans un orphelinat, où il se découvrira certains dons et un goût très personnel pour la vengeance.

 

En 2005, Angelina, 82 ans, sniper à la retraite capable de pressentir la mort des hommes, héroïne de la Grande Guerre patriotique, se lance dans une quête de jouvence. Son médecin est formel : si sa peau est ridée et détendue, ses cellules ont gardé la vitalité de ses vingt ans... Que peut-il advenir d'une rencontre entre Léonid et Angelina ?

 

La critique de Mr K : Je l’attendais avec impatience cet ouvrage. Je dois dire que Dmitri Lipskerov à travers ces deux précédents romans parus en France (Le Dernier Rêve de la raison et L’Outil et les Papillons) m’avaient à chaque fois épaté en proposant une histoire au départ souvent réaliste mais qui virent sans prévenir dans l’irréel, le fantastique avec une poésie des mots de tous les instants qui élève la lecture à un niveau bien souvent métaphysique et ceci avec un plaisir de lecture toujours intact et généreux. Leonid doit mourir emprunte la même voie même si l’auteur est plus sage dans ses décollages hors de la réalité. Pour autant, on retrouve sa plume si particulière et son attachement profond à des personnages charismatiques et torturés. La lecture fut une fois de plus un bonheur de tous les instants.

 

Dans ce roman, on se focalise alternativement sur les deux personnages principaux d’un chapitre à l’autre. D’un côté, il y a Leonid que l’on suit quasiment dès sa conception et qui n’est pas encore né lors du premier tiers de l’ouvrage. On suit ses pensées, son caractère bien trempé surtout car il porte déjà des jugements bien péremptoires sur sa génitrice. Devenu orphelin après un accouchement catastrophique, on suit son parcours dans les orphelinats d’État puis son évasion. En parallèle, on fait connaissance avec Gelia, petite vieille de 92 ans en apparence mais ex sniper d’élite de l’armée soviétique qui malgré sa peau bien fripée tient la forme et souhaiterait rajeunir. En faisant la connaissance d’un mystérieux médecin, elle pourrait peut-être parvenir à son but mais à quel prix... Ces deux là ne sont pas fait pour se rencontrer, rien ne semble les rapprocher et pourtant dans un acte final, le lien se fera avec pertes et fracas.

 

Comme dit précédemment, on aime tout d’abord les personnages proposés qui bien que repoussoirs (Leonid se pose là dans le genre !) attirent le lecteur. Complexes et caractérisés avec grand soin dans tous les aspects de leur personnalité, on les suit avec un plaisir non feint et l’on tombe bien souvent des nues. Pour Leonid, l’expérience d’approche est des plus originales car on est à ses côtés depuis ses tous débuts dans le ventre de sa mère. C’est fun, bien rendu et même si évidemment on est dans la fiction pure et simple, que c’est parfois délirant (comment il enquiquine sa mère pour la faire changer par exemple ou ses rapports avec le personnel de l’orphelinat lorsqu’il ne sait pas encore s’exprimer vu son statut de nourrisson), on se bidonne et l’on ne peut que s’incliner derrière cette jeune âme qui sait déjà ce qu’elle veut et qui ne tardera pas à s’émanciper et à faire les quatre cents coups.

 

Pour Gelia, le processus est différent. On suit ses efforts pour rencontrer le médecin et l’on finit par découvrir l’expérience qui en découle. Mais finalement l’intérêt réside plutôt dans les longs flashback que l’auteur disséminent ici et là pour nous tracer une existence vraiment riche. Elle en aura connu des hommes, des guerres et des mésaventures tout en gardant toujours foi en elle et en son destin. Truculente, femme de tête mais aussi être sensible et doué d’une intelligence hors norme, on s'attache très vite à Gelia et l’on va là aussi de surprise en surprise sans jamais se lasser. Dans son cas comme pour celui de Leonid, l’auteur se plaît aussi aux détours de leurs rencontres successives à décrire la trajectoire des autres personnages qui croisent leur route (dont un mystérieux lézard tout d’or vêtu au rôle central). Cela donne à l’ensemble une densité incroyable, toujours utile et jamais dans l’étalage et la surenchère.

 

Il est beaucoup question d’amour ici dans sa part sentimentale, morale mais aussi charnelle avec un érotisme puissant, jamais vulgaire et pénétrant comme une lame de fond. De chair et de sang, les êtres qui peuplent ses pages sont vivants dans tous les sens du terme. Un regard, un acte, un échange peut changer une existence, habiter l’âme des décennies durant et façonner à jamais une vie jusque là terne. C’est vraiment beau et puissant à la fois, volontiers pessimiste aussi avec une réflexion à peine voilée sur le sens de l’existence et parfois sa vacuité. Dmitri Lipskerov évoque l’humanité dans ces pages avec une rare justesse et une profondeur abyssale. Il y a des écrivains comme lui qui échappent à la classification ou au lissage littéraire, en cela Lipskerov est insaisissable, fascinant et totalement addictif.

 

Je l’ai trouvé avec cet ouvrage plus abordable que dans ses précédents. La langue reste tout autant poétique et chantante mais le rythme est plus soutenu, les personnages et péripéties décrits plus réalistes. On reste cependant dans une œuvre qui peut se lire à plusieurs niveaux et les amateurs de lectures inspirantes philosophiquement y trouveront aussi leur compte. Leonid doit mourir est donc une vraie et très belle réussite que je vous invite à découvrir au plus vite.

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