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Le Capharnaüm Éclairé

12 mai 2025

"Le club des vieilles contre-attaque" de Margaret Atwood

 

L’histoire : Trois retraitées, des gin tonics, un but commun : la vengeance.


Myrna, Leonie et Chrissy se réunissent tous les jeudis pour siroter des cocktails, déguster des fromages raffinés et, depuis peu, réfléchir à un meurtre.


Il y a plusieurs dizaines d'années, une vicieuse conjuration de poètes masculins s'est ingéniée - avec succès - à saper la carrière d'écrivaine, la confiance et la santé de leur cher ami Fern. Aujourd'hui, alors que l'état de Fern empire, les trois acolytes décident qu'il est enfin temps de riposter. En secret, bien sûr, car Fern est bien trop gentille pour approuver une vendetta. Tout ce dont elles ont besoin, c'est d'un plan.

 

La critique de Mr K : C’est par hasard que je suis tombé sur ce titre lors d’une sortie scolaire avec mes élèves dans une librairie indépendante du secteur. J’avais adoré ma lecture de La servante écarlate et c’était l’occasion pour moi de renouer avec Margaret Atwood, une auteure qui m’avait fasciné lors de ma lecture par sa maestria narrative et stylistique. On retrouve toutes ces qualités ici rassemblées dans un format court (une soixantaine de pages) donc incisif. Ce fut une lecture très rapide et globalement très satisfaisante.

 

Nous faisons connaissance avec une bande de vieilles copines qui se réunissent très régulièrement et s’occupent de Fern, celle dont la santé a le plus décliné et qui plus jeune s’est vu humiliée et ralentie considérablement dans sa carrière d’écrivain par une bande de jeunes poètes fats et frustrés. Bien que l’action se déroule bien avant l’émergence du tout internet et des réseaux sociaux, ils se sont employés à la démolir méthodiquement lors de la sortie d’une anthologie de poésie qu’elle dirigeait. Critiques saignantes et injustifiées, interview à charge, travail de sape et bouche à oreille médisant auprès du plus grand nombre font exploser en vol la trajectoire pourtant brillante d’une jeune poétesse à l’avenir radieux. L’heure de la vengeance a donc sonné et les trois amies Myrna, Léonie et Chrissy vont s’y employer. Mais comment s’y prendre ? Elles passent en revue un certain nombre de modus operandi et passer à l’acte, ou du moins essayer…

 

On se prend très vite d’affection pour ces vieilles canailles qui ont chacune eu une vie bien remplie. Toutes à la retraite, elles ne se sont jamais vraiment perdues de vue depuis l’université malgré les aléas de la vie, la construction de leurs familles respectives. Il se dégage de leurs réunions et discussions une franche amitié de celles où on se dit tout sans censure ni précautions multiples. Elles se connaissent par cœur et démarrent au quart de tour. C’est une vraie invitation à partager ces liens puissants qui nous est envoyée. Au gré des discussions, on aborde nombre de sujets dont certains sont chers à l’auteure notamment les femmes, leur condition d’existence, le patriarcat qui peut se révéler étouffant et destructeur. C’est fin, ça se déguste et le style d’écriture enveloppe le tout avec élégance.

 

Et puis, il y a l’élaboration de la vengeance en elle-même. Cela donne lieu à de sérieux débats sur la méthode, l’objectif en lui-même. On passe délicieusement du pratico-pratique aux questionnements moraux inhérents à ce genre de pulsions meurtrières. Les passages concernés sont une petite merveille de cynisme, de décalage. On sourit donc beaucoup, les petites vieilles ayant l’art de couper les cheveux en quatre et rien ne semble satisfaire leur envie d’en découdre avec les hommes incriminés. C’est d’ailleurs le seul bémol de cette lecture, la fin arrive bien vite et ne m’a pas satisfait à 100%. J’avoue qu’arrivé à la moitié de ma lecture, j’avais deviné le dénouement ce qui est toujours dommageable dans ce type d’ouvrage.

 

Pour autant, je garde un très bon souvenir de cette lecture aisée et très plaisante (ça se lit d’une traite), des personnages inoubliables et une charge bien sentie contre les virilistes de tout bord. A découvrir donc.

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9 mai 2025

"Kinderland" de Mawil

 

L’histoire : Berlin-Est, 1989. À l'ombre du Mur, la bataille fait rage. Mirco le trouillard et Torsten le rebelle affrontent les brutes du collège dans un match de ping-pong épique. Smashant les balles comme s'il y allait de leur vie, ils ne voient pas que le monde qui les entoure s'apprête à s'écrouler.

 

La critique de Mr K : Très très belle découverte que ce roman graphique de Mawil emprunté à la médiathèque du coin et dont l’auteur nous raconte l'Allemagne de l'Est de son enfance jusqu'à la chute du Mur. Dans Kinderland, on plonge dans l’Histoire à hauteur d’enfant et il se dégage de cette lecture une tendresse, une force et une universalité assez incroyable. Bonne pioche encore pour ma pomme !

 

Mirco est un jeune garçon timide et réservé aux portes de l’adolescence, c’est un solitaire qui gamberge beaucoup. À l’école, il a peu, voire pas d’amis, juste des connaissances et il passe pour un intello. Il est d’ailleurs régulièrement embêté, asticoté par une bande de gros durs. Un jour, il va rencontrer Torsten, un gamin rebelle et extraverti. Cela va changer la vie de Mirco et sous fond de compétition de tennis de table, se dessinent un véritable récit initiatique et une évocation fine et bien menée de la chute du mur de Berlin.

 

 

Au bout d’une cinquantaine de pages (sur un total d’environ 300), j’ai fait le parallèle avec Riad Sattouf dont j’ai récemment fini la lecture de son très bon Arabe du futur. L’évocation de l’enfance tout d’abord avec un portrait très touchant de ce jeune est-allemand qui n’a pas conscience réellement de ce qui se passe en arrière plan, les affaires à l’école sont bien plus importantes ainsi que ses découvertes physiques (l’album débute sur sa découverte d’une Réaction Physiologique Typiquement Masculine, RPTM pour les initiés -sic-). Les cours, les récrés, les confrontations, les moments où l’on glande avant de rentrer à la maison car rien de vraiment exceptionnel ne nous y attend... Autant de tranches de vie très bien croquées et retranscrites de manière dynamique. Spéciale dédicace dans le domaine aux cases consacrées aux matchs de ping pong plus virevoltants que jamais !

 

 

Autour de Mirco gravite une série de personnages secondaires tout aussi attachants que lui, à commencer par son comparse Torsten, son exact opposé qui va le pousser vers le haut malgré ses propres soucis. Les profs sont aussi bien représentés avec une nuance de tous les instants, les parents bien sûrs qui sont en train de vivre un moment unique de leur histoire qui débouchera sur quelques planches en fin d’album les montrant avec leur fils passer à l’ouest pour découvrir le monde à l’occidental. L’Histoire se mêle parfaitement au récit de Mirco, sans que jamais l’un des deux aspects ne prenne le pas sur l’autre.

 

 

Sensible, fun et parfois triste, ce roman graphique est aussi très bien réalisé. Certes les dessins sont simples mais toujours en totale adéquation avec le propos, des couleurs vives et un dynamisme de tous les instants. L’auteur m’a vraiment embarqué, enchanté par ses choix esthétiques en ne sacrifiant jamais la densité et la profondeur de ses protagoniste. On passe donc un merveilleux moment sur ce récit-témoignage qui se lit d’une traite tant il fascine et tient en haleine. À lire absolument.

7 mai 2025

"La tendresse des crocodiles" et "L’Ivresse du poulpe" de Fred Bernard

 

L’histoire : Début du 20ème siècle, Jeanne Picquigny passe une jeunesse formidable entre images d'Afrique et activités avec sa caméra, offerte par son scientifique et aventurier de père.

1921, alors qu'elle s'installait tranquillement avec son amoureux, un notaire fort épris, Jeanne est obligée de partir à la recherche de son père, perdu en Afrique.
Celui-ci s'est lancé à la poursuite du Mokélé Mbêmbé, un animal mythique auquel peu croient vraiment dans la communauté scientifique.

Le livre raconte les péripéties de Jeanne en Afrique, et ses rencontres, son parcours en compagnie de son guide, un baroudeur répondant au nom de Eugène Love Peacock, personnage peu banal et peu classique.


Retrouveront-ils le professeur ? Rentreront-ils sans séquelles ?

 

La critique de Mr K : C’est un pur hasard si j’ai lu ces deux volumes. J'errais dans le rayon romans graphiques d’une médiathèque de notre secteur quand mes yeux ont été attirés par le visuel de ces deux ouvrages mis en avant sur une étagère. Les couleurs, les traits et le charme incroyable de l’héroïne transparaissaient dès le premier regard et en feuilletant un peu, j’ai fini d’être convaincu et j’ai ramené les deux volumes à la maison. D’une lecture rapide et passionnante, La tendresse des crocodiles et L’Ivresse du poulpe sont de ces BD que l’on n’oublie pas !

 

1920, Jeanne Picquigny est une jeune femme de bonne famille qui a tout pour être heureuse : de l’argent, une belle propriété et un fiancé amoureux et ouvert d’esprit. En effet, Jeanne il ne faut pas lui conter, énergique, entière et surtout libre dans sa tête, elle dépote comme figure féminine pour l’époque. De plus, elle dégage une sensualité, une beauté assez confondante. J’avoue je suis tombé instantanément amoureux.

 

 

L’histoire débute au moment où elle va s’installer avec son amoureux de notaire. Tout était bien aiguillé mais la disparition de son père va venir tout bousculer. Ce dernier, explorateur émérite, est parti sur le continent africain à la recherche d’un animal mythique mais il n’a plus donné de nouvelles depuis quelques semaines. Ni une ni deux, Jeanne embarque dans un navire, direction le continent noir et ses mystères. Une fois sur place, il faut retrouver la trace de son géniteur et ce n’est pas chose facile. Jeanne va devoir compter sur elle-même mais aussi sur Eugène, un explorateur français qui vit sur place depuis de nombreuses années et qui est pour le moins perché et adepte de la dive bouteille. Ces deux là étaient faits pour se rencontrer…

 

 

On rentre directement dans le vif du sujet juste après quatre / cinq planches mettant en lumière un moment d’enfance important de l’héroïne. Très vite la voila en Afrique dans un univers pour le moins inhospitalier entre la machisme ambiant, le système colonial mais aussi la nature sauvage et imprévisible. Elle croise nombre de personnages interlopes, ambivalents et c’est cela qui accroche encore plus. Ces personnages sont à la fois drôles, attachants, extrêmes souvent, pitoyables parfois mais toujours finement croqués et finalement humains ! On est loin du balisé, de l’attendu, on se fait surprendre et de façon régulière. Pas le temps de s’ennuyer surtout que les péripéties se multiplient et que personne n’en sort vraiment indemne. À noter que l’on repart vers de nouvelles aventures avec le deuxième tome mais je n’en dirai pas plus pour ne pas déflorer le récit.

 

 

Le noir et blanc sied parfaitement au sujet. On lorgne vers l’expressionnisme, mouvement artistique que j’adore et les personnages sont donc très expressifs, bien caractérisés et pour Jeanne de toute beauté. Le récit est raconté à la première personne ce qui nous rapproche encore plus de l’héroïne et offre un ton décalé de bon aloi. Cet album est à fois subtil et dépaysant, il mêle habilement aventure, rêve et poésie. Un pur bonheur à découvrir.

4 mai 2025

"L'Autre loi" de Valerio Varesi

 

L’histoire : Il ne leur reste que la religion pour montrer qu'ils existent. Ce nouveau terrorisme est une forme dégénérée de la lutte de classes.

 

Pour la première fois depuis des années, Soneri se trouve vraiment désemparé. Ce n'est ni à cause du meurtre sur lequel il enquête, ni de l'hypocrisie des politiques ou de ses supérieurs. Pas même à cause de sa santé déclinante. Le vrai problème, c'est le monde dans lequel il est entré, qui ne ressemble en rien au sien. Tout a commencé avec le meurtre de Hamed, un jeune tunisien employé pour assister un vieil aveugle.


En revenant sur ses traces, Soneri tombe tête première dans le monde de la communauté musulmane de la banlieue de Parme, où la tension entre immigrés et locaux atteint son paroxysme. Quelle est la véritable raison de ce conflit ? S'agit-il de questions culturelles et de fondamentalisme religieux ? Ou d'une lutte pour le contrôle du trafic de stupéfiant ? La seule chose que tous semblent avoir en commun est une haine visible ...

 

La critique de Mr K : Voyage en Italie avec la chronique du jour avec le dernier né de Valerio Varesi tout juste paru chez Agullo. J’ai retrouvé avec grand plaisir le commissaire Soneri dans L’autre loi, une enquête à haut risque sur fond de racisme ambiant et un héros diminué physiquement qui se fait de moins en moins d’illusions sur le monde dans lequel il vit. L’ouvrage est très réussi une fois de plus et je l’ai lu d’une traite sans vraiment pouvoir m’arrêter de tourner les pages tant j’ai été happé par le récit.

 

Un jeune tunisien est retrouvé assassiné. Cet auxiliaire de vie n’a aucune ombre sur son casier judiciaire, il n’a jamais été arrêté par les forces de l’ordre. Quel mobile se cache derrière ce crime qui va bientôt être suivi d’autres disparitions tragiques ? Les investigations s’annoncent complexes surtout que Soneri est en deuil de gras car son taux de cholestérol est alarmant, le voila mis au régime de force par sa douce Angela, son avocate de compagne. Déjà qu’il est légèrement râleur en temps normal… Peu ou pas de scènes de dégustations au restaurant dans ce volume donc (marque de fabrique de la série) mais un personnage tout en fragilité, sur le fil du rasoir et au spleen palpable à travers les pages. Entre deux avancées de l’enquête et rendez-vous avec sa belle, il disserte sur la vie, le monde, la politique et l’incurie de l’être humain. Et il y a de quoi faire en la matière...

 

Sur fond de fascisme larvé, on colle au plus près de l’ambiance générale actuelle en France et en Italie. Soneri et les siens (il est bien aidé par les membres de sa brigade) se confrontent à l’univers des cités parmesanes, la communauté musulmane dont une frange qui tend dangereusement vers l’intégrisme radical et un trafic de drogue en pleine expansion. Difficile de faire parler les gens, on est à couteaux tirés surtout que des "milices citoyennes" se sont formées spontanément depuis quelques temps et que des heurts émaillent régulièrement les soirées de Parme. Cela brouille encore plus les cartes et il est difficile pour Soneri de faire le distinguo entre les uns, les autres et les responsabilités qui incombent à chacun. On voyage en tout cas dans des milieux peu recommandables, toute forme d’humanité semble avoir disparu chez certains protagonistes et il couve une ambiance de guerre civile qui fait froid dans le dos. 

 

On retrouve le rythme tranquille, habituel de la série. On prend son temps à l’image de Soneri, grand contemplatif par excellence, qui mûrit longuement ses inflexions et réflexions. Parme est un personnage à part entière une fois de plus et on l’explore plus profondément avec de nouveaux quartiers jamais visités lors des lectures précédentes. L’écriture est toujours une vraie merveille avec des descriptions poétiques et fines, des dialogues enlevés et une maîtrise parfaite du suspens.

 

Une bien belle lecture qui poursuit admirablement la série mettant en scène Soneri. À ne pas louper !

 

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Or, encens et poussière
- La Maison du commandant
- Nouvelles de Noël
- Ce n'est qu'un début, commissaire Soneri
- La Stratégie du lézard

1 mai 2025

"Pamoja !" de Jérôme Lafargue

 

L’histoire : Anton et son chien sauvent Nila, une petite réfugiée traquée pour une raison inconnue. Avec l’aide de Gustavo, rescapé d’une lointaine guerre anticolonialiste en Afrique de l’Est, et de Maïtena, guide énigmatique, ils partent à travers la montagne afin de rejoindre un campement clandestin, régi par les seuls impératifs de l’autogestion et de la solidarité. Mais les dangers sont multiples… Y parviendront-ils ?

 

La critique de Mr K : En 2019, je découvrais Jérôme Lafargue avec le très beau Le Temps est à l’orage, une œuvre marquante et décalée avec un personnage principal au charisme magnétique et une évocation sublime de la nature. L’occasion m’est faite aujourd’hui de vous parler de Pamoja !, le dernier né du même auteur et c’est une confirmation littéraire sans appel. Jérôme Lafargue est un auteur à suivre tant sa lecture s’avère encore une fois un plaisir de tous les instants avec des protagonistes attachants au possible, un récit initiatique universel et une langue toujours aussi belle.

 

Lors d’une balade comme ils ont l’habitude de le faire, Anton et son chien (Windy) tombent nez à nez avec Nila, une jeune réfugiée du centre Afrique poursuivie par de mystérieux hommes. Le jeune garçon ne réfléchit pas et emmène sa compagne d’infortune auprès de Gustavo, un vieil homme noir de son quartier au passé mystérieux. Ce dernier prend de suite les choses en main et sait qu’il faut qu’ils partent au plus vite, la menace est sérieuse, il s’agit sans doute d’hommes de main d’un réseau de passeurs et ils ne sont pas du genre à rigoler. Anton n’a qu’une heure de temps pour prendre le strict nécessaire chez sa famille accueil pour partir en quête d’un refuge.

 

Les voila partis dans la nature pour retrouver les traces d’Alberto, une vieille connaissance de Gustavo, qui a fondé une communauté en mode auto-gestion en plein cœur de la montagne, éloignée de tout. Ils finiront par atteindre leur objectif malgré quelques péripéties et un premier contact plutôt froid avec Maïtena, bras droit d’Alberto et garante de la sécurité de tous. Les deux jeunes gens vont devoir faire leur place mais peut-on rester éternellement caché et le souhaite-t-on réellement ?

 

Comptabilisant 190 pages, cet ouvrage se lit vraiment tout seul et d’une seule traite. Dès le premier chapitre, on est embarqué par l’histoire et notamment le personnage d’Anton qui étouffe dans son quotidien et s’évade en partant en vadrouille avec Windy. Il ne sait pas encore que sa vie va être irrémédiablement bouleversée par une rencontre hors du commun. Avec Nila, tout devient une évidence malgré un passif douloureux pour les deux personnages et la barrière langagière (ils se débrouillent comme ils peuvent dans un premier temps). Croqués avec justesse, finesse et beaucoup d’amour, ces deux-là étaient faits pour se rencontrer et l’on suit leur destinée peu commune et leur évolution. On se prend vraiment d‘affection pour eux deux mais aussi pour celles et ceux qui gravitent autour d’eux avec un Gustavo revenu de tout et râleur mais au cœur d’or, un Alberto vieillissant mais toujours engagé et d’autres personnages que je vous laisse le soin de découvrir par vous-même.

 

L’auteur instaure un climax bien particulier, il prend son temps sur certaines phases narratives, proposant de grandes ellipses pour d’autres. Cela pourrait désarçonner mais il n’en est rien car tout est millimétré ici, les attentes du lecteur sont régulièrement déjouées pour mener nos héros sur une autre piste et surprendre le lecteur prisonnier de ces pages. J’ai particulièrement apprécié ces changements de rythmes parfois sortis de nulle part et qui donnent à la trame générale un rythme décalé, différent et pour le moins efficace en terme de narration.

 

Et puis l’écriture reste toujours aussi somptueuse avec notamment de très belles pages descriptives sur la nature mêlant observation et ressenti des personnages dans une osmose parfaite, des passages plus dans l’action assez haletants et des discussion à bâtons rompus qui sortent souvent des simples préoccupations quotidiennes pour élargir le propos à des considérations plus générales sur de grandes thématiques qui nous touchent tous : le progrès et ses conséquences, la mort et le chagrin, la découverte et la construction de soi, les objectifs et sens que l’on donne à sa vie… la magie opère du début à la fin, un mot ou une phrase pouvant nous emmener loin, très loin dans la réflexion.

 

Très très bonne lecture donc que je ne peux que vous conseiller. C’est superbement maîtrisé, accrocheur et inspirant à la fois. Un beau coup de cœur pour ma part.

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29 avril 2025

"Une gourmandise" de Muriel Barbery

 

L’histoire : C'est le plus grand critique culinaire du monde, le Pape de la gastronomie, le Messie des agapes somptueuses. Demain, il va mourir. Il le sait et il n'en a cure : aux portes de la mort, il est en quête d'une saveur qui lui trotte dans le cœur, une saveur d'enfance ou d'adolescence, un mets original et merveilleux dont il pressent qu'il vaut bien plus que tous ses festins de gourmet accompli. Alors il se souvient. Silencieusement, parfois frénétiquement, il vogue au gré des méandres de sa mémoire gustative, il plonge dans les cocottes de son enfance, il en arpente les plages et les potagers, entre campagne et parfums, odeurs et saveurs, fragrances, fumets, gibiers, viandes, poissons et premiers alcools... Il se souvient - et il ne trouve pas. Pas encore.

 

La critique de Mr K : Depuis ma lecture enthousiaste de L’élégance du hérisson, je n’avais pas repratiqué l’écriture ensorcelante de Muriel Barbery, l’occasion ne s’étant pas présentée. C’est une fois de plus lors d’une séance de chinage fructueuse que je tombai inopinément sur Une Gourmandise. Format court pour une histoire à la portée universelle, cette lecture fut aussi rapide qu’intense.

 

Au cœur de l’intrigue, un homme qui va mourir… et pas n’importe qui. Il s’agit d’une sommité, d’un maître dans sa spécialité, sans doute le plus grand critique culinaire du monde. À l’heure de rejoindre Charon au bord du Styx, il recherche dans ses souvenirs une saveur unique qui l’obsède, une saveur sur laquelle il voudrait mettre un nom, une saveur qui s’apparente à la fameuse madeleine de Proust. Il cherche, il explore et retourne son passé mais n’arrive pas à mettre le doigt dessus jusqu’à ce que…

 

L’ouvrage est organisé autour de chapitres très courts n'excédant que rarement les cinq à six pages. Un sur deux voit le protagoniste principal convoquer un souvenir précis plus ou moins ancien toujours en rapport avec le goût, une première expérience ou des habitudes ancrées depuis longtemps. Nous assistons donc à des premières fois, à des rituels familiaux, parfois aussi à des surprises et des découvertes totalement impromptues. Viennent s’intercaler des fulgurances et autres souvenirs des gens qui l’entourent ou qu’il côtoie. Relations familiales ou de travail, on tourne cependant souvent autour de son métier et de sa personnalité.

 

Disons-le tout de go, l’homme est détestable au possible. Suffisant et rigide, il inspire des sentiments contrastés oscillant entre l’admiration parfois l’amour mais aussi le rejet voire la haine. À travers différentes scénettes qui nous sont données à lire, se profile un individu passionné, obnubilé par son travail et autocentré. Sa famille est la première à en faire les frais, à commencer par son épouse cantonnée au rôle de potiche d’ornement et des enfants dont il s’occupe peu. Il batifole à l’occasion, noue des relations de travail ambivalentes et voyage énormément. Son érudition est aussi impressionnante et louable que sa personnalité peut s’avérer prodigieusement agaçante ! C’est un étrange sentiment que l’on nourrit à son égard.

 

En effet, la fameuse quête qu’il mène nous fait forcément penser à notre propre recherche de nos impressions et souvenirs d’enfance, cette part de naïveté, de plaisir immédiat que l’on perd définitivement (ou presque) lors de notre passage à l’âge adulte. Au fil de ses pérégrinations mémorielles, le personnage arrive à nous toucher et on se retrouve même parfois avec les yeux humides, très émus. Quand arrive la conclusion, l’édifice global se révèle dans son entièreté, sa richesse et un ultime élément aussi surprenant qu’au final logique. Le dénouement est parfait.

 

Il faut, je l’avoue, un temps d’adaptation de deux à trois chapitres pour se mettre dans le bain, domestiquer l’écriture relevée et tortueuse. L’addiction m’a tout de même gagné très vite sans jamais plus retomber. On se délecte et on déguste ces pages aussi raffinées que délicates et parfois cruelles. Le plaisir de lire est ici poussé à son maximum et l’on referme l’ouvrage heureux d’avoir suivi cette quête existentielle au pouvoir d’évocation formidable. À lire absolument !

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