"Boom" de Julien Dufresne-Lamy
L’histoire : Étienne était l’ami fêtard, l’incorrigible. Timothée, le garçon bien éduqué aux drôles de tics – il disait boom tout le temps. Une belle aventure de trois ans jusqu’à ce voyage scolaire à Londres. Jusqu’à ce que Timothée soit fauché par un fou de Dieu sur le pont de Westminster. Depuis la tragédie, Étienne cherche les mots. Ceux du vide, de l’absence. Étienne parle à son ami disparu en ressassant les souvenirs, les éclats de rire.
La chronique de Mr K : J’avais découvert Julien Dufresne-Lamy avec un roman maîtrisé de bout en bout sur l’adolescence et ses dérives, le remarquable Les Indifférents lut récemment et publié chez Belfond. L’occasion fait le larron et l’on m’a adressé (ouais je sais j’ai de la chance) ce roman dédicacé à mon pseudo (re-la classe !) tout juste paru du même auteur chez Actes Sud Junior sur une thématique lourde mais pleine de promesses : le deuil impossible d’un ami très cher par un jeune homme de 17 ans. Boom a tout pour plaire et je peux déjà vous dire qu'il fait mouche et que la claque est magistrale à sa manière.
C’est l’histoire classique de deux adolescents qui se rencontrent et deviennent inséparables. À cet âge là, on vit rarement les choses à moitié, on dévore le monde avant qu’il dévore nos rêves et que l’on rentre dans l’âge adulte avec son cortège de responsabilités. Timothée et Étienne sont comme la glace et le feu, ils sont très différents mais c’est justement ce qui les attire l’un vers l’autre, les font s’apprécier, parfois se disputer et toujours se réconcilier. Trois ans que ça dure et toute la vie devant eux, voila ce que leur promet un futur où tout est ouvert. Malheureusement, leurs pas vont croiser celui d‘un fou de Dieu qui va faucher Timothée en pleine jeunesse et laisser un Étienne totalement déboussolé et seul face à son insondable chagrin.
Conçu comme un long monologue à lire d’un seul souffle, à respirer, à réfléchir. Typiquement le genre d’œuvre que je lirai à haute voix à mes jeunes pousses qui aiment qu’on leur raconte des histoires, que l’on mette en scène la vie dans toute sa complexité et son douloureux aspect parfois. À travers des flashbacks, l’exposition de sa souffrance présente et son œil aiguisé sur le monde qui l’entoure, Timothée nous livre un cri, un souffle d’une force incroyable, d’un réalisme aigu qui blesse et touche l’âme. Chronique d’une adolescence d’aujourd’hui brisée en plein vol par le mal à l’état pur et l’ignorance crasse, on suit ce chemin de croix très éprouvant qui lamine les certitudes et laisse l’endeuillé seul face à lui-même et un monde qu’il ne reconnaît plus.
Par petites touches impressionnistes, dans un style poétique moderne où les mots et les concepts se répondent les uns aux autres, Julien Dufresne-Lamy nous convie à un voyage intérieur d’une rare densité qui brosse le portrait d’un jeune frappé par le deuil et qui tente malgré tout d’exprimer sa souffrance pour l’atténuer. Il dresse au passage un portrait fort juste et vivant de son environnement, des parents dépassés par les événements, de l’indicible qu’on ne peut exprimer pour ne trahir personne ou aucun lien privilégié. C’est aussi l’occasion lors de flashbacks mémorables de se souvenir de Timothée, de qui il était vraiment, des fêtes entre amis, des week-end canap /écran et autres joies d’une jeune vie pleine d’insouciance et en quête de conquêtes diverses. C’est la chronique aussi d’une vie lycéenne que je n’ai jamais vraiment quitté, dans laquelle je baigne depuis toujours et qui est ici très bien retranscrite avec des ressentis d’élèves ciselés, naturels et vraiment accrocheurs.
N’en disons pas plus pour éviter de livrer toutes les clefs de lecture. Sachez que vous avez ici affaire à un objet littéraire de haute volée, à l’écriture poétique et tortueuse qui subjugue et fascine, accessible et imagée. Elle fera le bonheur de jeunes lecteurs sans aucun doute même les plus réfractaires à l’exercice tant on baigne dans la jeunesse d’aujourd’hui sans pour autant tomber dans la facilité ou le pathos. Car c’est là que l’auteur fait fort, loin de les prendre pour des imbéciles, il les invite à un voyage intérieur qui laissera des traces (personnellement, j’étais liquide en fin d‘ouvrage) et ouvre des portes qu’ils n’ont pas l’habitude d’ouvrir. Un très très bel ouvrage, déjà commandé par mon CDI et que j’invite tout le monde à découvrir, lire et partager.