lundi 20 mars 2023

"Paradox Hotel" de Rob Hart

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L’histoire : 2072. Imaginez pouvoir vous extraire de la réalité, côtoyer Mozart, Cléopâtre ou des dinosaures du Jurassique pendant quelques heures. Grâce au Paradox Hotel, voyager dans le passé est possible. Mais, faute de rentabilité, le lieu est menacé. L’annonce d’enchères privées sème le trouble. Car beaucoup discernent dans ce rachat une menace bien plus grande : et si un milliardaire décidait de changer le cours de l’Histoire ?

Responsable de la sécurité de l’hôtel, January Cole sait que se balader dans le temps a un coût qui n’est pas que financier. À chaque passage, le cerveau se dégrade ; elle en a elle-même fait les frais. Et surtout, January est désormais capable de dériver vers l’avenir. Elle seule peut empêcher un crime de se produire...

Au Paradox Hotel, les dimensions temporelles s’entrechoquent pour le plaisir de touristes fortunés. Ici, le temps vaut beaucoup d’argent, et certains sont prêts à tout pour se l’approprier...

La critique de Mr K : Chronique placée sous le sceau de la SF aujourd’hui avec Paradox Hotel de Rob Hart, deuxième ouvrage d’un auteur qui a fait parler de lui avec MotherCloud son précédent roman que je n’ai pour l’instant pas lu. M’est avis que ça va changer vu la claque que j’ai reçue en lisant celui-ci. Accro dès le premier chapitre, j’ai lu l’ouvrage quasiment d’une traite avec un plaisir sans borne.

Dans un futur pas si lointain, on peut désormais organiser des voyages dans le temps, proposer des excursions touristiques d’un nouveau genre, totalement immersives et réservées à une élite très friquée. Le Paradox Hotel les accueille et les loge en amont et après l’expérience. Tout y est luxe, calme et confort, le service d’étage est impeccable et l’on vous entoure d’égards. Des bruits courent cependant que l’hôtel est hanté par des images, des spectres errants dans les couloirs. Les affaires marchent moins bien, l’État veut se dégager de l’entreprise et va bientôt la vendre au plus offrant. On attend dans quelques jours l’arrivée de quatre à cinq acheteurs potentiels, tous plus riches et puissants les uns que les autres et aux aspirations bien différentes.

January Cole, l’héroïne, est la responsable de la sécurité de l’hôtel. Auparavant, elle voyageait énormément dans le temps pour vérifier que les visiteurs n’agissent pas sur le passé, changeant par là même l’avenir. Mais ces voyages ont fini par altérer le cerveau et elle est "décollée" (sa conscience est capable de dériver dans le passé et l’avenir). Elle doit désormais, à cause de cette tare dégénérative, se cantonner à exercer au Paradox Hotel, sa maison et deuxième famille. Dur dur pour cette solitaire au caractère bien trempé et parfois très garce envers ses collègues, notamment le drone à l’IA très développée qui l’accompagne partout.

L’histoire débute avec un crime impossible qui fait penser à un mystère à la Conan Doyle. January est la seule à pouvoir voir un cadavre dans une chambre. En parallèle, la vente de l’hôtel approche, les voyages sont annulés pour de mystérieuses causes, on observe des chutes de tension électrique et le temps ne semble plus suivre son rythme naturel... L’héroïne va tenter de résoudre cette enquête malgré les nombreux obstacles qui vont se dresser devant sa route : son esprit qui déraille de plus en plus et ses visions qui se multiplient, son chagrin insurmontable d’avoir perdu la seule personne qu’elle ait vraiment aimé, l’incurie des puissants et son caractère bien pourri qui ne l’aide pas. L’intrigue est très créative et réserve nombre de surprises à January et au lecteur.

Personnellement, j’ai été totalement emporté par le récit qui se révèle être un parfait huis clos. Ici on ne voyage pas dans le temps, on essaie avant tout de résoudre un crime dans une écriture page turner. On est face à un véritable thriller d’anticipation avec son lot de rebondissements, de personnages bien tordus et des scènes d’action bien tendues (le lâché de dinosaures est un modèle du genre!). Le background SF rajoute une densité folle à l’histoire, donnant à voir des implications nombreuses et un sous-texte passionnant et bien engagé. À l’image de l’héroïne, le cynisme est de mise dans l’écriture avec quelques punchlines bien senties à l’endroit des milliardaires et autres personnages s’écoutant beaucoup parler, ne suivant que leurs intérêts au détriment des autres, à commencer par les employés de l’hôtel. C’est assez jubilatoire, mordant et ça flatte les causes qui me sont chères à commencer par ma détestation du capitalisme ultralibéral qui ici en prend un coup (il semblerait que la charge est encore plus importante dans MotherCloud qu’il faut décidément que je lise au plus vite).

J’ai beaucoup aimé January et son caractère difficile. Elle est relou, traite tout le monde n’importe comment mais on sent bien que cela cache une grande souffrance. On aborde avec elle des thèmes douloureux comme le deuil, la mémoire, la difficile reconstruction de soi après un événement traumatique. Les choses sont en plus rendues impossibles par ses défaillances corticales, la prise de plus en plus importante de médocs qui n’arrangent rien et une pression de plus en plus forte de ses supérieurs. La trajectoire de January ressemble à ces comètes en flammes qui traversent le ciel et semblent vouées à disparaître. Là encore, le récit nous réserve des surprises... Tous les personnages qui gravitent autour d’elle sont réussis, bien croqués et apportent leur pierre à l’édifice. L’intérêt est que malgré une apparence parfois caricaturale, ils se révéleront tous surprenants à un moment ou un autre. L’auteur ne nous prend vraiment pas pour des buses.

Que dire de plus ? Ce roman est un bijou, une expérience de lecture tripante qui ne sacrifie jamais le plaisir de lire en proposant une trame riche, une écriture subtile et rythmée, et un message politique puissant. Tout ici est parfait, enveloppant et totalement enthousiasmant. À lire au plus vite !

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mardi 21 février 2023

"Le Fidèle Rouslan" de Gueorgui Vladimov

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L’histoire : Sommes-nous une nation de chuchoteurs, d'ordures et de mouchards, ou sommes-nous un grand peuple ? - Gueorgui Vladimov

À travers le portrait de Rouslan, chien de garde dans un goulag, Gueorgui Vladimov livrait un brûlot, description aussi fascinante que glaçante de l'enfer concentrationnaire et, au-delà, de l'atroce absurdité du système soviétique. Écrit au début des années 1960, publié clandestinement en Allemagne en 1973 par une maison d'édition fondée par des réfugiés russes, puis en France en 1978 au Seuil, Le Fidèle Rouslan ne paraîtra en URSS qu'après la perestroïka.

La critique de Mr K : Lecture d’une œuvre rééditée chez Belfond aujourd’hui dans leur collection Vintage. Attribué à tort pendant un moment à Soljenitsyne, Le Fidèle Rouslan est l’œuvre de Gueorgui Vladimov, un autre dissident soviétique, plus méconnu et que je découvrais par le présent ouvrage. Par le prisme de Rouslan, chien de garde du goulag, il nous offre un regard distancié et totalement novateur sur l’URSS de l’époque, dénonçant au passage son absurdité et l’aliénation de l’humain qui était monnaie courante dans l’appareil répressif du régime.

Le récit débute après la mort de Staline, dans un camp de travail de Sibérie qui vient d’être démantelé. L’auteur nous met dans la peau de Rouslan, un berger allemand chargé de garder, surveiller les prisonniers voire poursuivre les fugitifs, les mordre, les tuer. Il ne comprend rien à ce qui se passe, lui qui a toujours vécu dans ce lieu clos où il est né et où il a grandi. Quand un chien ne sert plus, son maître se doit de l’abattre... celui de Rouslan décide de l’abandonner et celui-ci ne comprend pas que l’être qu’il vénère le plus puisse faire cela. Totalement perdu, il se retrouve dans un univers qu’il ne connaît pas.

Le point fort de ce roman réside dans le fait que l’auteur ne prête aucun sentiment et réaction humaine à son protagoniste principal. Pas d’anthropomorphisme donc, seulement un chien fidèle, obéissant, programmé et conditionné pour être ce qu’il est. C’est très bien ficelé avec des flash-back bien pensés et une hauteur de vue toujours placée au niveau de l’animal. C’est un peu désarçonnant au départ mais on s’y fait très vite et l’effet est terrible quand on commence à se confronter aux horreurs perpétuées à l’époque au nom de la sainte cause.

Le point de vue adopté évite de tomber dans le déballage frontal, le listing d’horreur. Il se dégage un portrait bien sombre des hommes qui sont loin d'avoir la candeur naturelle de l’animal, trahissent et pervertissent les plus beaux idéaux. La critique est acide à commencer par le système communiste qui a condamné des centaine des milliers de personnes aux travaux forcés durant des décennies. Par petits bouts, quelques évocations, des scènes parfois froides et brutales, on replonge dans une réalité terrible qui malheureusement n’a pas totalement disparue...

Ce roman, bien qu’écrit il y a cinquante ans, n’a pas vieilli tant son écriture semble intemporelle, provoquant une empathie totale envers Rouslan et une immersion saisissante dans une URSS loin des clichés véhiculés en occident. L’expérience est belle quoique rude et source de malaise. Dans son genre, cet ouvrage est une référence et il serait vraiment dommage de passer à côté.

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mercredi 14 décembre 2022

"T" d'Haruki Murakami

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L’histoire : Lequel de mes T-shirts a le plus de prix pour moi ? Je crois que c’est le jaune, celui qui porte l’inscription Tony Takitani. Je l’ai déniché sur l’île Maui, dans une boutique de vêtements d’occasion et je l’ai payé un dollar ; après quoi, j’ai laissé vagabonder mon imagination : quel genre d’homme pouvait bien être ce Tony Takitani ? Puis j’ai écrit une nouvelle dont il était le protagoniste, nouvelle qui ensuite a même été adaptée en film.

La critique de Mr K : Une lecture farfelue aujourd’hui avec une autobiographie d’un genre un peu particulier. Avec T, Haruki Murakami (qu’on ne présente plus et que j’adore) se propose de raconter sa vie à travers sa collection de T-shirts. Si si c’est possible et c’est franchement très réussi, fun, futile et à la fois profond.

100 clichés de T-shirts regroupés par chapitres et une double interview du maître par un journaliste japonais constituent cet ouvrage sorti en novembre aux éditions Belfond. T-shirts de surf, américains, animaliers, jazzy, musicaux, promotionnels, littéraires et autres se succèdent avec un Murakami qui égraine des souvenirs, des goûts, des confidences même sur lui-même et sa façon de voir la vie. Si on pratique l’auteur depuis longtemps, on retrouve des choses récurrentes lues dans ses ouvrages et d’autres qui font écho à ses autres vies (rappelons qu’il a été professeur à l’université aux USA ou encore tenancier d’une boîte de jazz). L’ouvrage est un beau révélateur et un vrai plaisir de lecture pour les fans de l’auteur qui se livre avec facétie à ce jeu de piste décalé.

De ces objets du quotidien accumulés au fil des décennies, pour certains même jamais portés, Murakami balaie donc son existence et surtout revient sur ses passions. Le surf dans les années 80 sur la plage de Kugenuma sur le duo Michael Jackson / Paul McCartney, la vie américaine et sa "gastronomie" (aaaah les burgers !), l’amour du bon whisky et les rituels qui vont avec, le goût pour la bière, le chinage de livres et de disques qui peuvent durer des heures, les animaux kawaïs mis en scène de façon incongrues, le rock et le jazz qui accompagnent l’homme depuis tellement longtemps, les t-shirt liés à l’amour de Murakami pour la course à pied (il a participé à pas mal de compétitions et d’événements), des t-shirts universitaires... Beaucoup de variété donc et au passage de bons mots, des anecdotes croustillantes et en filigrane la philosophie de vie de Murakami que l’on retrouvait déjà dans toutes ses œuvres de manière plus ou moins prégnantes.

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Ce livre est plus léger qu’à l’habitude. C’est surprenant, parfois très drôle, et l’on rentre dans l’intimité de Murakami. L’ouvrage est beau avec des clichés bien mis en page, un papier épais et des espaces pour respirer, passer du coq à l’âne le sourire aux lèvres en se demandant bien ce que l’on va découvrir au chapitre suivant. La lecture est douce, très douce, enveloppante, on est bien dans l’univers de Murakami qui se met remarquablement en scène lors des achats et acquisitions de t-shirt, les raisons qui le poussent à aimer tel modèle plutôt qu’un autre, les personnes qu’il a pu croiser à cet occasion avec son lot d’échanges de paroles, de silences... Il se permet même de nous interpeller, de nous questionner même sur tel ou tel motif ou flocage. L’effet est garanti.

Bel ouvrage donc qui séduira avant tous les amateurs de Murakami qui trouveront l’occasion de l’aborder autrement, de découvrir des facettes de ce génie de la littérature que je ne désespère pas un jour de voir décrocher le Nobel en la matière. Il le mérite amplement pour l’ensemble de son œuvre.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
"Le Passage de la nuit"
- "Après le tremblement de terre"
- "Danse, danse, danse"
- "Saules aveugles, femme endormie"
- "Abandonner un chat"

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mardi 5 avril 2022

"Le vertige de la peur" de Linwood Barclay

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L’histoire : En chute libre.

Lundi, 8 heures. Plusieurs employés de Cromwell Entertainment empruntent un ascenseur pour rejoindre leurs bureaux situés aux 33e et 37e étages d'un gratte-ciel new-yorkais. Curieusement, la cabine ne s'arrête pas et poursuit sa montée. Avant de lâcher.

Un accident mécanique, tragique et banal. Mais le lendemain, un drame similaire se produit dans un autre building du quartier. Puis un autre le mercredi. La panique s'installe dans Big Apple. Qui peut bien menacer la ville la plus verticale du monde ?

Alors que la population n'ose plus sortir de chez elle, que les services de maintenance sont saturés, que la Bourse dégringole, deux flics désabusés et une journaliste tenace vont s'engager dans une course contre la montre pour résoudre ces affaires avant l'inauguration de la plus grande tour résidentielle de Manhattan, prévue pour la fin de la semaine...

La critique de Mr K : Chronique d’un thriller bien sympathique aujourd’hui avec le dernier né de Linwood Barclay, un auteur que j’aime fréquenter et qui s’avère toujours efficace dans son genre. Dans Le vertige de la peur, on se retrouve plongé dans une ville de New York totalement sous tension pour 500 pages de pur plaisir régressif où différentes trajectoires vont finir par se rejoindre et livrer des vérités pas si bonnes que cela à dire. OK c’est classique mais qu’est-ce que c’est bon !

La ville qui ne dort jamais a une bonne raison de plus de le faire... Un cinglé semble aimer que des ascenseurs tombent en chute libre avec des êtres humains à l’intérieur. Une fois, ça arrive. Deux fois, c’est une coïncidence tragique. Trois fois, le doute n’est plus permis, quelqu’un est caché derrière ces actes horribles et la panique va grandissante dans les médias et la population. Surtout qu’on signale aussi des explosions suspectes de taxis, qu’on a retrouvé un cadavre d’ascensoriste atrocement mutilé et que le maire de la ville semble totalement à la ramasse... Deux flics quelque peu désabusés et une journaliste d’investigation ne seront pas de trop pour mener une enquête par définition compliquée. Il y a plus de 50 000 ascenseurs à New York et le responsable des attentats semble très doué pour effacer ses traces...

On est clairement dans un chemin balisé avec cet ouvrage. Les surprises scénaristiques sont savamment dosées, la technique de narration éprouvée. La lecture est donc confortable et même si en soi, Linwood Barclay ne révolutionne pas le genre, il l’entretient à merveille et donne à lire une histoire addictive qui ne laisse aucune chance au lecteur de s’échapper. Le croisement des points de vue distille à merveille les révélations liées à des personnages torturés par leur passé et une psyché parfois borderline. Ainsi, j’ai beaucoup aimé le personnage du flic sous ventoline, aux idéaux intacts mais à la foi vacillante envers sa fonction, sa collègue qui doit conjuguer vie perso et enquête retorse, la journaliste quant à elle doit de front mener son métier et gérer la crise qui couve depuis si longtemps avec la fille qu’elle a abandonné à la naissance pour privilégier sa carrière. On s’attache beaucoup à eux, ils ont du corps, une âme bien remplie et l’on tremble bien souvent pour eux.

L’auteur suit aussi de près le maire de New York qui offre une personnalité bien plus complexe qu’elle n'y paraît au départ. Il y a le responsable sûr de lui (enfin pas pour longtemps...), l’animal politique expert en rouages communicationnels et électoraux et l’homme qui se cache derrière le costume bien taillé qui va révéler fêlures et souvenirs du passé qu’il aurait bien voulu effacer. Ses conseillers ne sont pas en reste notamment son fils qui vit dans son ombre et qui ne souhaite qu’une chose : se faire aimer et respecter. Et toujours en arrière plan, cette menace insidieuse, cette sécurité perdue et l’idée que tout peut arriver à n’importe quel moment...  L’acte final sera sans équivoque, terrible et logique à la fois, n’épargnant personne et laissant le lecteur sur son séant.

L’intrigue est bien ficelée, l’enquête tortueuse et les éléments apportés à priori sans liens les uns avec les autres. Lu et relu certes mais diablement efficace surtout que l’écrivain s’y entend pour alterner phases descriptives édifiantes sur le comportement des masses et confrontations parfois rudes entre les protagonistes. On finit le livre sans s’en rendre compte, bercé par une langue percutante, maligne et franchement saisissante par moment (les scènes dans les ascenseurs justement sont bien flippantes).

Les amateurs de thrillers et de page-turners peuvent foncer, ils ne seront pas déçus. On passe un bon moment et on en redemanderait presque !

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Cette nuit-là
- Crains le pire
- Les Voisins d'à côté
- Du bruit dans la nuit

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jeudi 17 février 2022

"Abandonner un chat" d'Haruki Murakami

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L’histoire : Je suis le fils ordinaire d'un homme ordinaire. Ceci est parfaitement évident. Mais au fur et à mesure que j'ai approfondi cette réalité, j'ai été convaincu que nous sommes tous le fruit du hasard, et que ce qui a eu lieu dans ma vie, dans celle de mon père, tout a été accidentel. Et pourtant, nous les humains, ne vivons-nous pas en considérant comme la seule réalité possible ce qui n'est après tout qu'un simple fait dû au hasard ?

La critique de Mr K : Deux ans que je n’avais plus pratiqué Haruki Murakami, sans conteste mon écrivain japonais favori ! Je reviens à lui avec cet ouvrage très particulier. En effet, Abandonner un chat n’est pas un roman mais un témoignage, celui d’un fils sur son père qu’il a mal connu. Très court car en plus illustré de fort belle manière par Emiliano Ponzi, cet ouvrage se lit avec délectation et nous livre un Murakami comme on ne l’a jamais vraiment lu.

Ces micro-mémoires s’ouvrent sur un épisode de l’enfance de l’écrivain qui donne son titre à l’ouvrage. Sans se rappeler des raisons, Murakami nous raconte comment son père et lui à vélo sont partis abandonner leur chatte pleine jusqu’aux yeux. Une fois de retour chez eux, elle les attend déjà et force l’admiration du paternel qui décide de la garder jusqu’à sa mort. De cette anecdote découle alors le portrait intime d’un père par son fils qui revient sur l’enfance de son géniteur, sa formation, les années de guerre (contre la Chine puis durant la Seconde Guerre mondiale). Homme complexe, professeur de japonais dans un lycée privé et grand amateur / auteur d’haïkus, plutôt froid mais amateur d’ivresse, ils cesseront de se voir très longtemps avant d’ultimes échanges avant la disparition du père suite à une longue et douloureuse maladie.

Mêlant biographie et impressions plus personnelles, il nous dresse un portrait de son père qui touche en plein cœur, plein de nuances et de contrastes. Les rapports évoluent avec le temps, l’enfant grandit, marque sa différence, des fractures apparaissent, l’éloignement est de mise. Il n’y pas vraiment de regrets exprimés par Murakami, il accepte les choses telles qu’elles arrivent, une forme de stoïcisme de l’évidence qui donne à l’ensemble une légèreté et une volupté alors que certains sujets abordés sont difficiles. Il nous apporte aussi par la même occasion son regard sur la famille, les liens humains et finalement le destin, l’essence même de la vie.

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Le livre se lit tout seul en à peine une heure. Les dessins de Emiliano Ponzi magnifient les textes et nous accompagnent dans cette culture lointaine qui est si fascinante. On ressort très heureux de cette lecture mélancolique et sublime à la fois. À découvrir si vous êtes fan de l’auteur, il vous surprendra et vous séduira une fois de plus.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
"Le Passage de la nuit"
- "Après le tremblement de terre"
- "Danse, danse, danse"
- "Saules aveugles, femme endormie"


mardi 4 janvier 2022

"Le Second sommeil" de Robert Harris

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L’histoire : 1468.

Le père Christopher Fairfax est envoyé dans un village isolé du bout de l’Angleterre pour célébrer les funérailles d’un prêtre décédé brutalement.

D’abord saisi par l’accueil glacial des habitants, Fairfax est bientôt effrayé lorsqu’il découvre dans la chambre du défunt toute une collection de livres et d’artéfacts anciens, témoins d’un temps préapocalyptique. Des objets qui auraient dû conduire l’homme de Dieu au bûcher.

N’y a-t-il pire péché que celui de la connaissance ? Alors qu’il enquête sur ce prêtre hérétique, Fairfax va s’approcher trop près d’une vérité tenue secrète depuis des siècles – le destin d’un monde englouti par le temps, une civilisation disparue que certains cherchent à raviver pour sortir du noir profond de la nuit...

La critique de Mr K : Aujourd’hui, petite plongée dans le thriller historique avec un maître du genre. De Robert Harris, j’avais déjà lu et adoré Fatherland et Enigma, deux romans audacieux et passionnants pour l’amateur d’Histoire que je suis. C’est donc avec plaisir que je débutais ma lecture de Le Second sommeil au pitch de départ accrocheur. Au final, malgré une légère déception sur la fin, j’ai passé un bon moment et j’ai lu l’ouvrage en un temps record.

Christopher Fairfax est un jeune prêtre que l’on a dépêché dans une paroisse reculée pour célébrer la cérémonie d’enterrement du pasteur local. Ce dernier a été découvert mort à proximité d’un lieu dénommé le fauteuil du Diable, un endroit que les superstitions locales désignent comme dangereux et source d’un mal insondable. Arrivé sur place, le père Christopher va découvrir des ouvrages hérétiques et des artefacts pour le moins étranges, témoins du monde d’avant, du monde avant l’Apocalypse... Dans cette région isolée de tout, où les villageois vivent dans une crainte diffuse, on entend de drôles de bruits sourds et malgré l’emprise de l’Église, une vérité ne demande qu’à sortir. Et si en 1488, on vivait dans l’illusion et le secret sans le savoir ?

Attention, débuter cet ouvrage provoque immédiatement l’addiction. Comme toujours avec Robert Harris, on boit du petit lait en terme d’écriture. Subtile et directe à la fois, il excelle dans l’évocation des lieux et les tourments qui habitent ses protagonistes. L’époque est très bien rendue, on se retrouve plongé en pleine période d’obscurité, la foi fait force de loi et gare à ceux qui contrediraient la ligne sacerdotale. L’ouvrage tourne beaucoup autour des questions de croyance et de science, il est pour cela source de nombreuses interrogations et réflexions qui ne manquent pas d’assaillir le lecteur qui voit naître en lui un fort désir d’enquêter et d’en savoir plus sur ce fameux apocalypse. En effet, on se rend compte assez vite que nombres d’éléments ne cadrent pas avec le contexte décrit. Légers anachronismes, référence obscure au monde précédent les événements... On se doute qu’une révélation n’est pas loin de surgir bouleversant les certitudes posées par une oligarchie étatique et religieuse.

En terme de caractérisation de personnages, l’auteur fait le job. On retrouve des figures établies, les forces en présence sont classiques mais l’ensemble fonctionne bien car Harris sait y faire en matière de densité psychologique et rebondissements nombreux. On est donc rarement surpris mais l’ensemble est fluide, cohérent et apporte un plaisir de lecture durable. J’ai beaucoup aimé les personnages principaux qui cristallisent des questions essentielles comme la condition de la femme (avec une expérience de vie recluse et solidaire), la notion de progrès et d’enrichissement (le colonel entrepreneur qui souffle le chaud et le froid dans l’esprit du lecteur) ou encore l’opposition entre devoir et désir (le prêtre partagé entre sa mission et les élans de son cœur).

Le roman retombe un petit peu sur la fin que j’ai trouvé trop rapide, elliptique presque. Je m'attendais à mieux et même si on a les principale réponse, on ne peut s’empêcher de penser que l’auteur a botté en touche, laissant ses lecteurs sur le bord de la route. Légère frustration donc, même si l’esprit battant la campagne, on s’imagine ce qui pourrait advenir par la suite. Bonne lecture donc, pas parfaite mais qui fait passer des moments bien sympathiques. Les amateurs apprécieront.

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jeudi 23 septembre 2021

"Au bord de la nuit" de Friedo Lampe

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L’histoire : Là-bas, à l’extrémité du jardin, sous les grandes feuilles de la tonnelle, monsieur Hennicke, le maître de géographie, et ses deux fils étaient assis. Une lampe à pétrole, placée au milieu de la table, répandait une chaude lueur jaune. De temps en temps elle filait et monsieur Hennicke, d’une main légère, diminuait alors la flamme. Il avait un livre ouvert devant lui et lisait à haute voix. La tête dans les mains, ses deux fils, collégiens de première année, blonds et dégingandés, aux visages moites et boutonneux, buvaient ses paroles. Leurs regards étaient fixes, perdus dans l’obscurité du jardin ou en une contrée plus lointaine encore.

La vie d’un quartier de Brême, celui du port, entre le crépuscule et la nuit. Une succession de tableaux intimistes, d’instants de vie brefs et attendrissants, de destins qui se croisent et se défont, se mêlent encore, en plein cœur d’une ville qui s’endort, enveloppée par les ténèbres.

La critique de Mr K : Chronique d’un rendez-vous manqué aujourd’hui avec ma lecture mitigée d’Au bord de la nuit de Friedo Lampe, ouvrage publié en 1933 en Allemagne et qui fut interdit par le régime nazi par la suite. Auteur oublié (c’est la première fois que j’entendais parler de lui), réputé culte, il me tardait de tâter de son style et de me faire ma propre idée. Plus grande fut donc ma déception...

On pénètre ici dans un quartier de Brème à la rencontre d’une myriade de personnages, passant de l’un à l’autre sans réelle logique à première vue. L’auteur se plaît à papillonner entre eux, à attraper des parcelles d’existences diverses et variées. C’est la fin de la journée au port de Brême et l’on surprend des conversations, des échanges, des rencontres entre quidam. Dans un décor changeant mais semblable, les fragments finissent par s’entrelacer et former un tout plus ou moins cohérent. Un vendeur de saucisses, une petite fille sujette à des cauchemars affreux, un douanier, un catcheur mélancolique sont entre autre les protagonistes d’un roman qui aime à multiplier les fausses pistes et les passages abrupts d’une existence à l’autre.

C’est le point fort de l'ouvrage qui m’a permis de m’accrocher malgré des défauts qui ont terni ma lecture. L’écriture est d’une rare élégance et le procédé de narration très novateur. Opérant par glissements successifs, la lecture est différente et joue sur les associations de personnages, associations que nous ne voyons parfois pas venir du tout. L’écriture limpide, aérienne et parfois poétique rajoute au charme de la forme.

Malheureusement cela n’a pas suffit à me convaincre. Je dois avouer que je me suis ennuyé ferme. L’empathie n’a pas réellement fonctionné, les personnages ne m’ont tout simplement pas séduit malgré un écrin rutilant. De plus, vu le background (les années 30 en Allemagne) et le titre allusif, je m’attendais à davantage de référence à la période sombre durant laquelle est sensée se dérouler ce récit. Malheureusement tout reste évasif et comme les trames poursuivies ne m’ont pas accroché, j’ai eu le sentiment en refermant l’ouvrage d’avoir perdu mon temps.

Bad mood, mauvais timing ? Je n’ai donc guère goûté cette lecture aux qualités reconnues pourtant par d’autres que moi. Des fois malheureusement ça ne passe pas et j’en suis le premier désolé. Espérons cependant que ce roman de  Friedo Lampe trouve ses lecteurs car son parcours atypique mérite bien qu’on s’y attarde. Si le cœur vous en dit...

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samedi 8 mai 2021

"Du bruit dans la nuit" de Linwood Barclay

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L’histoire : Paul Davis n'est que l'ombre de lui-même : huit mois plus tôt, ce professeur de littérature à l'existence sans relief a vu un assassin transporter des cadavres de femmes dans le coffre de sa voiture. Depuis, Paul subit les assauts d'un violent syndrome de stress post-traumatique. Comment se libérer de cette nuit d'horreur ?

Pour l'aider, son épouse l'encourage à coucher sur le papier les pensées qui le rongent et lui offre, pour ce faire, une vieille machine à écrire. Mais bientôt, aux images cauchemardesques de ses nuits viennent s'ajouter des bruits étranges, le tac tac tac frénétique des touches d'un clavier. Et plus inquiétants encore sont les messages cryptiques, tapés par la machine, que Paul découvre au petit matin.

Somnambulisme ? Machination ? Démence ? A moins que les victimes du tueur ne s'adressent à lui pour réclamer vengeance ? Avec le soutien d'Anna White, sa charmante psychiatre, Paul s'enfonce dans les méandres d'une enquête aux soubresauts meurtriers...

La critique de Mr K : Retour aujourd’hui sur ma lecture de Du bruit dans la nuit de Linwood Barclay, un auteur de thriller canadien que j’aime beaucoup et sait y faire pour maintenir le suspens. Cet ouvrage m’a laissé plutôt circonspect au départ car j’avais l’impression de tout deviner au fil des révélations et puis finalement, l’auteur a réussi à me cueillir en avançant d’ultimes pions que je n’avais pas vu venir. Si ça c’est pas la preuve qu’on a affaire à un bon thriller...

Paul est professeur de littérature dans une université où il dispense sa passion des livres et notamment des œuvres dites "grand public" auxquelles il prête de belles qualités. Un soir alors qu’il rentre chez lui, il aperçoit une voiture devant lui qui fait des embardées et reconnaît le véhicule de son mentor, professeur de sciences dans la même institution. Quelle n’est pas sa surprise quand l’ayant suivi puis approché lorsque ce dernier s’est arrêté sur le bord de la route de découvrir qu’il cherche à se débarrasser de deux cadavres de femmes égorgées ! Le temps de réaliser cela, l’assassin lui assène un terrible coup de pelle le laissant inconscient... Quand il se réveille le lendemain, son collègue a été arrêté, il sera ensuite condamné à une longue peine de prison.

L’action reprend après ce prologue huit mois plus tard. Paul, un homme plutôt discret et pas des plus sûrs de lui au départ est dans une mauvaise passe. Malgré une femme aimante qui a eu très peur pour lui suite à cet "accident" et qui depuis est aux petits soins pour lui, il sombre peu à peu dans la dépression et subit de plein fouet un violent stress post-traumatique avec notamment des cauchemars particulièrement éprouvants où il revit la fameuse scène où Kenneth (le tueur) apparaît régulièrement et le menace dans des flashs d’une horreur totale, fruit d’un inconscient qui travaille et mouline au maximum. Pour l’aider, sa femme lui offre une vieille machine à écrire pour qu’il écrive ses souvenirs et pensées qui lui viennent tout en continuant ses séances avec sa psychiatre. Loin de l’aider, ce don va devenir une vraie malédiction car figurez-vous que la machine tape des messages dans la nuit sans que personne ne soit derrière le clavier ! Paul déjà fragilisé s’enfonce dans l’obsession et la terreur avec des messages semblant venir d’outre-tombe adressés par les victimes non apaisées du tueur. Aïe aïe aïe...

Cette lecture a été très addictive immédiatement comme souvent avec cet auteur. Personnages bien troussés et multiples, ils révèlent leurs complexités petit à petit pour le plus grand plaisir du lecteur. Paul, sa femme, le meilleur pote toujours là en cas de coup dur, la psychiatre à la pratique professionnelle faillible par moment, le père de cette dernière atteint de sénilité, un patient plus qu’indélicat, une ex épouse soupçonneuse sur la santé mentale de Paul et pléthore de personnages secondaires s’entremêlent dans les pages de ce roman à tiroir où l’on soupçonne quasiment tout le monde à tour de rôle. Pour ma part, j’ai deviné assez vite ce qui se cachait derrière la trame principale et je dois avouer que je partais du coup sur une certaine déception. Quand on est un vieux briscard de la lecture, il est souvent difficile d’être surpris et clairement je ne m’attendais pas à la fin qui est venue retourner un certain nombre de certitudes après un événement assez fort intervenant au deux tiers du roman. Peu d’auteurs se permettent ce type de péripétie pour leur personnage principal et rien que pour ça ce thriller psychologique est une réussite car il emprunte alors des sentiers plus mystérieux et les révélations finissent par pleuvoir sans qu’on s’y attende.

À la manière d’un puzzle, les pièces nous sont livrées dans le désordre et même si le fil principal peut paraître faible pour les experts du thriller, le jeu en vaut la chandelle car sans qu’on le sache Linwood Barclay a déjà semé les indices qui vont permettre de densifier le récit et lui faire emprunter une route secrète bienvenue et franchement réussie. Certains personnages très peu esquissés ou abordés au détour d’une phrase ou d’un paragraphe vont s’avérer cruciaux pour la résolution finale, tout s’imbrique parfaitement comme un savant travail de construction entre minutie et liens secrets. C’est brillamment exécuté et c’est le sourire aux lèvres qu’on referme l’ouvrage.

Comme d’habitude avec Linwood Barclay, c’est très bien écrit. À la fois simple et efficace, il ne fait jamais l’économie de la caractérisation de ses personnages qui malgré quelques aspects caricaturaux fascinent et engagent le lecteur vers la voie de l’empathie. Ça se lit tout seul avec un plaisir renouvelé et franchement en tant qu’amateur de suspens je ne suis pas resté sur ma faim. Un beau titre que je vous invite à découvrir si vous êtes amateur du genre et des histoires tortueuses à souhait. Vous ne serez pas déçus !

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Cette nuit-là
- Crains le pire
- Les Voisins d'à côté

mercredi 7 avril 2021

"La sirène, le marchand et la courtisane" d'Imogen Hermes Gowar

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L’histoire : Un soir de septembre 1785, on frappe à la porte du logis du marchand Hancock. Sur le seuil, le capitaine d’un de ses navires. L’homme dit avoir vendu son bateau pour un trésor : une créature fabuleuse, pêchée en mer de Chine. Une sirène.

Entre effroi et fascination, le Tout-Londres se presse pour voir la chimère. Et ce trésor va permettre à Mr Hancock d’entrer dans un monde de faste et de mondanités qui lui était jusqu’ici inaccessible.

Lors d’une de ces fêtes somptueuses, il fait la connaissance d’Angelica Neal, la femme la plus désirable qu’il ait jamais vue... et courtisane de grand talent. Entre le timide marchand et la belle scandaleuse se noue une relation complexe, qui va les précipiter l’un et l’autre dans une spirale dangereuse.

Car les pouvoirs de la sirène ne sont pas que légende. Aveuglés par l’orgueil et la convoitise, tous ceux qui s’en approchent pourraient bien basculer dans la folie...

La critique de Mr K : Quelle belle lecture que celle-ci ! Cela faisait un petit temps que je n’avais pas lu ce type de livre, croisement entre le roman historique, romance et avec une petite touche de fantastique. La sirène, le marchand et la courtisane est le premier ouvrage de sa jeune auteure Imogen Hermes Gowar qui place déjà la barre très haut avec un récit foisonnant, fulgurant, remarquablement documenté et au suspens parfois insoutenable. Inutile de vous dire que j’ai adoré et que je l’ai lu en un temps record. Divisé en trois parties, correspondant quasiment à trois actes, on suit donc principalement deux personnages que la vie et le destin vont rapprocher irrémédiablement.

À ma gauche, je vous présente M. Hancock, un marchand qui a perdu sa femme et son nouveau-né lors d’un accouchement qui s’est plus que mal déroulé. Inconsolable, depuis il vit seul avec sa nièce et mène ses affaires du mieux qu’il peut. Timide et réservé, économe et prudent, légèrement empatté, il est typiquement le genre d’homme qu’on ne remarque pas. Tout va basculer pour lui lorsque le capitaine d’une de ses expéditions va revenir avec un être rare qui va attirer tous les regards et braquer les projecteurs sur un Hancock qui semble voir sa fortune faite.

À ma droite, je vous présente Angelica Neal, une courtisane au charme capiteux qui séduit tous les hommes de Londres et notamment les plus fortunés. Quasiment élevée par une mère maquerelle qui a pignon sur rue (on est en 1785, ce commerce est légal et même considéré comme un régulateur social efficace, autre époque autres mœurs), on la retrouve en fâcheuse position en tout début d’ouvrage car son "protecteur" est décédé et la voila quasiment à la rue. On suit alors son parcours, tantôt touchant le lecteur tantôt l'agaçant. Nourrit de rêves grandioses, la réalité est plus prosaïque et les difficultés s’enchaînent entre deux moments de pure grâce. Elle va finir par croiser la route de M. Hancock, un marchand dont tout Londres a entendu parler à propos d’une sirène qu’il expose en ville.

La rencontre ne fera pas d’étincelle au départ, tout les sépare. Lui est un homme droit et moralement chaste, tandis qu’elle représente le monde du stupre et du plaisir. Pour autant, une étrange relation se noue entre eux faite d’attirance, de méfiance et de complicité. La vie va les rapprocher mais les épreuves ne font que commencer, la roue du destin étant parfois impitoyable et l’on n'est pas au bout des rebondissements avec un ouvrage long de 528 pages qui ne connaît aucun temps mort ni coup de mou. Une fois pénétré par les premiers chapitres, je peux vous dire que le livre est difficile à refermer !

On est ainsi très vite séduit par les personnages auxquels Imogen Hermes Gowar donne vie avec brio et sensibilité. Chacun ici est un être de chair et de sang complexe, mu par des forces invisibles et dépendant d’un fatum, d’un ordre des choses qui semble parfois lui échapper. Torturés par ces vents contraires, des choix difficiles s’offrent à eux dans un tourbillon d’événements et un contexte sans cesse changeant. Le moindre protagoniste même le plus secondaire apporte sa pierre à l’édifice narratif et ajoute à la profondeur des trames entrelacées. Par petites touches parfois quasiment indéfinissables, l’auteure monte son histoire et l’engage dans des voies que l’on ne soupçonnait pas. La structure globale quoique classique s’affranchit parfois des rythmes narratifs convenus avec notamment un dernier acte que je n’ai pas vu venir et qui rajoute une couche de suspens qui prend au cœur.

L’époque est très bien rendue et l’amateur d’Histoire que je suis, a été comblé avec un sens du détail qui ne tombe jamais dans la lourdeur et permet une immersion totale dans le Londres de la fin du XVIIIème siècle. On côtoie toutes les couches sociales des bas-fonds aux palais dorés avec un plaisir renouvelé porté par une écriture brillante qui ne cède jamais à la facilité ni au voyeurisme (on nage souvent dans les milieux interlopes) et emprunte bien souvent des voies poétiques insoupçonnées avec une pointe fantastique qui prend possession des pages par moment et offre des passages bien borderlines comme je les aime.

La sirène, le marchand et la courtisane est un ouvrage rafraîchissant, passionnant et au final totalement réjouissant. Les amateurs ne doivent surtout pas passer à côté, on passe vraiment un excellent moment. Vivement son prochain ouvrage, pour une première c’est carton plein !

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mercredi 17 mars 2021

"Baiser ou faire des films" de Chris Kraus

baiser ou faire des filmsL’histoire : Étudiant berlinois, Jonas Rosen cherche dans le New York des années 1990 l’inspiration au film qui lui servira de projet d’études. Là, dans un quartier malfamé où résonnent encore les pas de Kerouac et Ginsberg, Jonas fait des rencontres : Jeremiah, ponte du cinéma, obèse et dépressif, qui l’introduit dans le milieu de l’art underground ; Nele, une étudiante allemande, "sirène" insaisissable qui deviendra un temps sa muse. Surtout, Jonas tente d’oublier : Mah, son amour mythomane et jalouse, restée à Berlin ; et enfin Paula, cette tante qui vit à New York et qu’il se refuse à voir, tant il cherche à échapper à son histoire ; une histoire familiale complexe et terrible, qui ferait pourtant un sujet idéal pour un film...

La critique de Mr K : Chronique d’une superbe lecture aujourd’hui avec Baiser ou faire des films de Chris Kraus paru aux éditions Belfond au mois de janvier. Derrière une quatrième de couverture intrigante et disons-le complètement barrée, on trouve effectivement une œuvre flamboyante, décalée mais aussi d’une extrême sensibilité qui m’a laissé totalement pantelant par moment. Accrochez-vous, voici un ouvrage à nul autre pareil qui m’a particulièrement séduit !

Jonas, jeune étudiant allemand en cinéma, part outre-Atlantique à New York pour réaliser son film de fin d’études. Le thème imposé par son prof : le sexe. Vaste sujet s’il en est dans lequel se plonge l’étudiant avec des hésitations, des interrogations d’artiste en devenir : un documentaire réaliste tirant vers un pensum pornographique ? Une enquête sociologique sur l’oreille et son potentiel érotique ? Ce récit est surtout l’occasion de montrer son immersion dans le New York de la deuxième partie des années 90 et dans la survivance de la beat génération, son refus d’affronter le passé sulfureux de certains membres de sa famille mais aussi une exploration sans fard des affres de l’humain face à son identité et sa quête éperdue d’amour et de reconnaissance. Le souffle est aussi délirant que puissant, emportant tout sur son passage.

Le héros, Jonas, est très attachant malgré ses atermoiements. Il est quand-même complètement largué le pauvre garçon. Bloqué artistiquement parlant, découvrant la ville qui ne dort jamais, amoureux de Mah sa copine asiatique bien cintrée et anxieuse au possible restée au pays, il se débat constamment avec lui-même. Refusant d’affronter le passé nazi de son grand-père en renouant avec sa tante, il opère une véritable fuite en avant en essayant d’oublier cette page noire du passé. Accueilli par un ex beatnik vivant dans un dépotoir, il va essayer de mener à bien son projet tout en rendant service à son professeur qui doit débarquer d’Europe quinze jours plus tard.

Cet ouvrage nous met donc aux prises avec des personnages hauts en couleur. C’est l’occasion de croiser nombre de personnalités interlopes gravitant autour de la fondation Goethe (association pour aider à l’intégration des artistes allemands expatriés ou de passage) et du milieu artistique avant-gardiste du New York de l’époque. On se souviendra longtemps du prof de cinéma américain, ex-beatnik vivant dans un taudis qui accueille Jonas et qui a des vues sur lui. La belle Nele aussi qui s’occupe de Jonas pour l’aider dans sa vie à New York et qui se révèle aussi séduisante que fantasque. Plus les innombrables excentriques qui gravitent autour de ce trio improbable... Ça parle fesse, amour, drogue et l’on assiste à des soirées bien branchées avec des passages bien délirants. J’ai aimé cette folie douce et cette ambiance de fin de règne de la beat génération, les affres de la création avec son lot de doutes, de remises en question. On rit beaucoup, on s’étonne, on peut même par moment se faire littéralement retourner tant les surprise abondent. C’est délectable.

Pour autant, ce n’est pas ce que j’ai préféré. Là où Chris Kraus fait fort, c’est dans l’aspect beaucoup plus intimiste de son roman, les rapports familiaux compliqués, les espoirs déçus et les aspirations de chacun des personnages. Une mélancolie profonde les habite. J’ai particulièrement apprécié le traitement plein de finesse et d’empathie pour les figures féminines qui hantent ces pages. Tante Paula bien évidemment avec l’horrible passé qui fut le sien mais qui ne l'a pas empêché par la suite de se faire une place au soleil dans le milieu arty, Mah est aussi très touchante malgré sa jalousie maladive, on la sent blessée dans sa nature de femme avec notamment son impossibilité d’enfanter et son amour inconditionnel mais pur pour Jonas. Nele est plus complexe, limite insaisissable mais derrière son aspect trublion se cache une fragilité non feinte, pénétrante et bouleversante. Les hommes ne sont pas en reste, derrière les apparences parfois repoussantes se dissimulent des âmes torturées et quelque peu perdues. C’est un brillant miroir de la nature humaine qui nous est livré ici.

Et puis, la forme en elle-même est d’une redoutable efficacité. Écrit à la manière d’un journal personnel, on se laisse prendre au jeu et l’on est immédiatement embarqué. Le style est d’une fausse simplicité mais d’une réelle profondeur, les pages se tournent toutes seules avec un plaisir qui ne se dément jamais. C’est bien simple, il est impossible de relâcher Baiser ou faire des films avant la fin et la tentation est grande d’arrêter tout le reste pour rester plonger dans l’odyssée de Jonas en Amérique. Un grand et beau roman que je vous invite à découvrir au plus vite.

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