"L'Ile des chamanes" de Kim Jay
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L’histoire : Kim Seong-ho est un profileur réputé de Séoul chargé d'une enquête sur un cyber-harcèlement. Très vite, les suspects se retournent contre lui, piratent ses comptes et exposent publiquement sa vie.
Pour le sortir de ce piège, son chef lui confie une nouvelle enquête loin de Séoul, sur l'île de Sambo. Dans ce haut lieu du chamanisme, trois femmes ont disparu, probablement victimes d'un serial killer. Kim Seong-ho est accompagné par Yeo Do-yun, conservateur de musée, spécialiste du folklore et des rites chamaniques, notamment du ssitgim-gut de Sambo.
Le ssitgim-gut est littéralement : " le rituel pour laver les sentiments d'amertume et de rancune éprouvés par le défunt ou la défunte au moment de son trépas ". Mais sur l'île, en ce mois de janvier, dans l'air glacial fouetté par la pluie et les vagues, les victimes ne sont pas encore prêtes au pardon.
De mystérieux conciliabules nocturnes ont lieu entre deux silhouettes, des chiots sont tués, une atmosphère de plus en plus lourde s'abat sur les épaules de Kim Song-ho qui commence à ressentir d'étranges maux de têtes à mesure que des souvenirs personnels viennent se mêler à son enquête...
La critique de Mr K : Retour en Corée du sud avec L’Ile des chamanes de Kim Jay, un thriller bien troussé en provenance du pays du matin calme. Trois femmes disparues, des mutilations d’animaux et une ambiance plombée attendent le héros profileur de ce roman sur une île isolée au sud du territoire continental coréen. Suspens et révélations sont au rendez-vous d’une lecture très plaisante et addictive à souhait.
Kim Seong-Ho est un jeune profileur très doué. Après de brillantes études en psychologie, le voila interrogeant les criminels de la pire espèce pour établir leur profil psychologique et parfois les confondre lors d’interrogatoires rudement menés. Très tôt, il rencontre le succès et est apprécié pour cela. Animal à sang froid, détaché et rigoureux, rien ne semble pouvoir l’atteindre, il présente une solidité à toute épreuve... du moins en apparence. Lors d’une enquête sur un crime lié à une vendetta sur les réseaux sociaux, il montre quelques signes de fragilité quand certaines informations confidentielles le concernant sont répandues sur la toile. Déchargé de l’affaire suite à un suspect qu’il aurait "malmené", le voici envoyé à Sambo.
Accompagné d’un professeur spécialiste en cultes anciens et croyances chamaniques, il débarque dans un univers qui vit en vase clos et où une enquête est en cours. Trois femmes ont disparues sans laisser de traces, pas de messages, pas de cadavres, les rumeurs les plus folles courent sur elles. Départ volontaire vers un avenir meilleur ? Fugue ? Mauvaise rencontre nocturne ? Meurtre sordide ? La police locale est dépassée pour ne pas dire totalement à la rue ! Il suffit d’ailleurs de lire la façon dont ils accueillent le héros avec force coups à boire et repas gargantuesques. Ici on aime la bonne chair, les filles faciles et il y a de la collusion entre les différents milieux sociaux, en fait tout le monde se connaît. L’irruption du profileur va donc mettre un coup de pied dans la fourmilière et révéler les failles de l’enquête débutée auparavant. Nouveaux faisceaux de présomptions, indices et révélations vont bientôt apparaître et remettre bien des choses en question.
En parallèle, des souvenirs ressurgissent du passé du héros, ce dernier passe de très mauvaises nuits et cette affaire pourrait bien le toucher davantage que les précédentes. Une curieuse impression se fait jour dans l’esprit du lecteur qui au fil de sa lecture touche du doigt une vérité qui prendra une ampleur considérable dans les ultimes chapitres. L’auteure se plaît à nous manipuler ainsi que ses personnages. On devine assez rapidement certaines choses, je me suis même dit que c’était trop évident. Mais c’est pour mieux nous piéger par la suite avec des ressorts jusque là invisibles qui vous scotchent littéralement. Avec peu de mots, Kim Jay caractérise ses personnages avec délicatesse et profondeur à la fois, elle nous embarque dans une valse étrange dans un rythme languissant qui peut s’accélérer à tout moment, notamment dans un dernier acte de toute beauté.
Au passage, on se promène dans des paysages magnifiques, la ville bondée de Séoul conserve toujours son charme exotique, on croise nombre de personnages très crûs à partir du moment où l’on se retrouve sur Sambo. On a aussi le droit à quelques moments intéressants en terme sociologiques et culturels avec des scènes de repas dantesques, des cérémonies ésotériques fascinantes ou tout simplement des scènes de la vie quotidienne dans les campagnes coréennes, le tout sans artifice, simplement et de manière très naturaliste. Cela donne du corps à cette enquête haletante qui repose sur un lieu unique où la culture traditionnelle reste prégnante malgré l’hyper connectivité de la Corée du sud.
L'Ile des chamanes se lit facilement avec une langue accessible, incisive et qui sert à merveille le suspens. La traditionnelle liste des personnages mise à disposition par la maison d'édition en fin d‘ouvrage aide beaucoup pour ne pas se perdre avec les patronymes coréens qui peuvent se ressembler. Au bout de vingt pages, on est déjà accro et il est impossible de se détacher de ces pages qui font remarquablement leur office. Une très bonne lecture qui ravira les amateurs de romans policiers asiatiques.