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Le Capharnaüm Éclairé
8 janvier 2024

"Mon nom dans le noir" de Jocelyn Nicole Johnson

L’histoire : Alors que l'Amérique est en proie au chaos, aux catastrophes climatiques et à des pannes massives, le quartier de First Street, à Charlottesville (Virginie), est attaqué par des suprémacistes blancs.
Un petit groupe hétéroclite parvient à fuir les enragés à bord d'un bus abandonné. Avec à sa tête une jeune femme noire, Da'Naisha Love, il trouve refuge à Monticello, la plantation historique de Thomas Jefferson, une terre désertée de tous, sauf de ses fantômes.


Malgré la violence alentour, la vie s'organise au cœur de cette petite communauté naissante, par-delà les barrières sociales et raciales. Mais après dix-neuf jours d'une paix fragile, la terreur se rapproche. Da'Naisha glisse alors le récit de leurs journées de lutte entre les pages d'un livre de la bibliothèque...

 

La critique de Mr K : C’est d’un premier roman foudroyant dont je vais vous parler ici, le dernier né de la superbe collection Terres d’Amérique de chez Albin Michel. Mon nom dans le noir de Jocelyn Nicole Johnson est un roman d’anticipation glaçant car terriblement d’actualité, réaliste donc, proposant un sous-texte universel et intimiste.

 

Les États-Unis semblent avoir sombré dans l’anarchie. Après une panne générale des réseaux, la violence se déchaîne. Dans le quartier populaire de First street à Charlottesville, les habitants déjà aux abois doivent faire face à une attaque de suprémacistes WASP qui chassent, tuent et détruisent tout sur leur passage au nom du retour aux origines et de leur idéologie raciste. Forcés de quitter leur maison, leur quartier, leurs vies, un groupe de personnes très hétéroclites s’enfuient en laissant tout ou presque derrière eux. Majoritairement noirs mais pas que, ils se connaissent pour certains depuis très longtemps et doivent trouver un refuge pour échapper à leur agresseurs et à la folie ambiante.

 

Ils vont finalement poser leurs valises à Monticello, une ex-plantation d’un des pères fondateurs de l’Amérique, lieu devenu musée. Ils ne sont pas forcément les bienvenus au départ, deux gardiens et une gestionnaire veulent les en dissuader mais finalement ils décampent face à l’inéluctabilité des événements et l’envie de rejoindre leurs proches. La communauté de First street va devoir s’installer, s’organiser et tenter de reconstruire une forme de civilisation, tout en sachant que le danger rode et qu’ils devront s’y confronter à nouveau un jour.

 

On suit le récit à travers les yeux de Da’Naisha, une jeune femme orpheline qui part sur la route avec sa grand-mère adorée à la santé précaire et son copain blanc qui la vénère. Son regard frais et sans concession emporte l’adhésion du lecteur progressiste immédiatement. Elle exprime parfaitement les souffrances et les attentes de reconnaissance qu’éprouvent toujours les afro-américains. La discrimination au quotidien, la généralisation et banalisation des discours haineux, la polarisation extrême de la vie politique américaine et tout ce qui en découle se retrouvent résumés par des flashback fort bien sentis et des rappels sur les difficultés parfois importantes d’être tout simplement noir aux USA.

 

C’est d’une grande ironie qu’ils se retrouvent à devoir se réfugier dans une ancienne plantation esclavagiste et cela permet à la narratrice (et donc à son auteure) de mettre les pieds dans le plat, de reconsidérer une partie de l’Histoire américaine notamment sur le sang versé que la construction du pays a nécessité. Un livre woke ? Le terme veut avant tout dire "réveiller", éveiller les consciences aux problèmes liés à la justice sociale et à l'égalité raciale et parfois savoir réécrire / retoucher l’Histoire si elle s’avère fallacieuse. Ici c’est très très léger, fait avec tact, justesse et de manière constructive dans un engagement louable. On est bien loin en tout cas des caricatures réacs que nous servent les médias et les politiques nous présentant les wokistes comme le mal absolu et les tenants du grand remplacement - sic -. Comme dans tout mouvement, il y a des nuances et celle représentée par l’auteure est essentielle à mes yeux. En 2024, les États-Unis semblent n'avoir pas beaucoup avancé sur la discrimnation raciale et sociale, ce roman le démontre avec force.

 

Les personnages sont très bien caractérisés et rien ne nous échappe de leurs états d’âme. Les émotions contradictoires sont à fleur de mots, les pages se tournent toutes seules avec une exploration sans fard des tiraillements de l’âme humaine. On est dans un ouvrage plutôt contemplatif, il ne se passe pas forcément grand-chose, on attend. On attend le jour d’après, on attend quelque chose. Quoi ? On ne sait pas vraiment. Quelque chose de bien ? Plus trop d’espoir de ce côté là mais la menace de se faire déloger est bien réelle et la toute fin d’ouvrage avec son ouverture laisse tout plein de possibilités à ce niveau là. Je dois avouer qu’elle m’a comblé même si elle risque de frustrer certains.

 

La langue est vive et retranscrit parfaitement un background angoissant et des protagonistes en perte de repères. Impossible de lâcher cet ouvrage avant la fin avec un questionnement très fin sur notre identité, notre humanité aussi et l’importance de se connaître et de se battre pour ses idées. Un beau premier roman de 2024 que je vous invite à découvrir à votre tour.

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Commentaires
M
Aaaaah Terre d'Amérique, ils sont souvent premiers dans les romans coup de poing ! La chronique donne bien bien envie de le lire très vite ! =D
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