mercredi 11 mai 2022

"Scarlett et Novak" d'Alain Damasio

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L’histoire : Novak court. Il est poursuivi et fuit pour sauver sa peau. Heureusement, il a Scarlett avec lui. Scarlett, l’intelligence artificielle de son brightphone. Celle qui connaît toute sa vie, tous ses secrets, qui le guide dans la ville, collecte chaque donnée, chaque information qui le concerne. Celle qui répond autant à ses demandes qu’aux battements de son cœur. Scarlett seule peut le mettre en sécurité. A moins que... Et si c’était elle, précisément, que pourchassaient ses deux assaillants ?

La critique de Mr K : Une nouvelle d’anticipation pour faire prendre conscience de certaines choses à nos jeunes zombies qui peuplent les couloirs de nos établissements scolaires ? Tel est le pari d’Alain Damasio avec Scarlett et Novak, très courte nouvelle qui aborde finement le sujet de l’addiction au numérique et notamment au portable. La lecture est rapide et efficace, il lui manque cependant, je trouve, un supplément d’âme pour qu’elle rentre dans le panthéon des ouvrages jeunesse incontournables.

Amateur de jogging, Novak court tous les jours. Il suit ses progrès quotidiennement grâce à son brightphone et Scarlett son IA personnelle qui l’encourage, le renseigne, l’oriente dans tous les domaines de son quotidien via une conduction osseuse. On n’arrête pas le progrès, plus besoin d’écouteurs ! L’histoire débute sur une course poursuite, Novak est suivi par deux individus. Le jeune homme compte sur son IA pour l’aider à se tirer de ce mauvais pas mais sans succès, la vie a aussi ses lois physiques. Dépouillé de son brightphone, de tout ce qui fait son identité, comment va réagir Novak ?

L’ouvrage se lit en vingt minutes maximum, autant vous dire que le texte est court et se doit d’être incisif. C’est une belle réussite à ce niveau là, le niveau d’intensité ne baisse jamais, on est littéralement pris par l’histoire et on ne peut fermer l’ouvrage qu’arrivé à la fin. Damasio maîtrise très bien le genre de la nouvelle, lui l’écrivain aux pavés sait aussi rentrer dans la caractérisation par l’économie de mots et Novak est "saisi" avec simplicité et profondeur. Il est la prolongation de notre jeunesse actuelle qui passe tellement de temps devant les écrans, visitant le monde à travers eux, se créant des amitiés, des réseaux qui forgent leur identité. C’est flippant mais c’est ainsi. Dans l’époque légèrement futuriste que nous propose Damasio, on passe systématiquement par son brightphone pour tout et n’importe quoi, on vit notre existence à travers lui. Tout cela nous est révélé par petites touches, des détails anodins de prime abord mais qui s’accumulant les uns aux autres donnent une vision inquiétante du futur.

Quid de l’humanité, de son empathie envers les autres, envers notre planète ? Il ne semble pas en rester grand-chose et le dernier acte livrera bien des vérités à un Novak changé pour longtemps. L’auteur rajoute en postface un poème type slam ("Une vie à caresser une vitre") qui assène des vérités terribles sur l’évolution de notre espèce, notre addiction au numérique accentuant notre nombrilisme, narcissisme larvé, l’individualisme, le culte de l’apparence et l’apathie. Le changement se sent déjà depuis quelques années avec mes promotions successives de 3PM, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur, une prise de conscience de tous me semble essentielle. Ce livre y contribuera à sa manière.

Je reste cependant mesuré dans mon enthousiasme car tout Dalmasio qu’il soit, l’auteur ne fait pas franchement preuve d’originalité. Au final, on n’est jamais surpris, tout est cousu de fil blanc et certains passages m’ont paru un peu moralisateur. Or, on sait comment réagi un rétif face à une leçon de ce type, il fait le contraire ou du moins s’y oppose. Bon, je ne boude pas pour autant mon plaisir, l’ouvrage est frais, bien fichu et reste important à faire partager. Je serai curieux d’avoir vos propres retours d’expériences.

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mercredi 27 avril 2022

"Gung Ho" de Benjamin Von Eckartsberg et Thomas Von Kummant

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L’histoire : Dans un futur proche, la "plaie blanche" a presque complètement décimé l’humanité, et la civilisation n’est plus qu’un doux souvenir. L’Europe toute entière est devenue une zone de danger, où la survie n’est plus possible qu’à l’intérieur de villes ou de villages fortifiés. Les règles sont importantes dans la zone de danger. Même un enfant sait cela. Jusqu’à ce qu’il devienne adolescent...

La critique de Mr K : Chronique d’une pentalogie d’anticipation aujourd’hui avec ce prêt de l’ami Franck. Pour le coup, la série de Benjamin Von Eckartsberg et Thomas Von Kummant ne m’a pas totalement convaincu. Certes, ça se lit tout seul mais le scénario est ultra-convenu et je n’ai pas adhéré au parti pris esthétique pour la représentation graphique des personnages. Je vous en dis un peu plus.

Zack et Archer, deux orphelins remuants débarquent à Fort Apache, un village retranché au bord d’un lac. Le temps est à la guerre, un conflit contre une menace sourde et insidieuse : la plaie blanche. Elle a décimé l’humanité, fait chuter le monde civilisé et les groupes humains se sont réfugiés dans des cités / villages forteresses où ils se terrent et survivent. Tout au niveau de l’organisation est bien huilé et organisé, les relations hiérarchiques bien installées et tout semble bien fonctionner dans la mesure où l’on est dans un univers post-apocalyptique. Le ver est cependant dans le fruit même avant l’arrivée des deux adolescents. Des tensions existent, des profiteurs agissent dans l’ombre, la menace du fléau est contenue mais à quel prix ! Comme des chiens dans un jeu de quilles, les deux ados rebelles vont faire exploser le fragile équilibre qui régnait sur Fort Apache et provoquer une mini-révolution.

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Pendant les deux premiers tomes, on en apprend peu sur le mystérieux fléau (ne cherchez pas, je n’en dirai pas plus -sic-), les auteurs s’attardent beaucoup sur les personnages principaux et notamment les plus jeunes. Car ne vous y trompez pas, cette saga se concentre surtout sur les adolescents et leur soif de liberté emprisonnée par les adultes au nom de la sacro-sainte sécurité. Plutôt bien menée au départ, j’ai trouvé que l’entreprise se révélait au final pas très fine, colportant des clichés superficiels notamment en matière d’obsession et de sexe (je précise que je suis loin d’être prude). J’ai aussi été beaucoup dérangé par la caractérisation des personnages féminins. Soit elles aguichent, soit ce sont des victimes, soit ce sont de formidables guerrières... Et puis, elles sont toutes super bien foutues, hypersexualisées par moments... Mouais, c’est sans doute une BD destinée aux ados décérébrés justement... Pour le coup, je ne me suis donc pas vraiment attaché à eux (sauf un peu à Zack), je trouvais qu’on avait affaire vraiment à des archétypes sans saveur, la chair est triste parfois. Je pense que nos jeunes méritent mieux que cela, qu’on leur propose davantage de finesse psychologique. Dans le genre en version littérature, Sa majesté des mouches de William Golding est décidément intouchable.

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L’aspect Walking dead / survival est bien rendu par contre. Certes on navigue là encore dans du déjà lu et vu, je n’ai jamais été surpris (sauf la forme de la fameuse menace) mais on se prend au jeu avec plaisir. Technique de survie, rondes, rationnement, réunions et affrontements, la tension est bien là avec suffisamment de mystères sur la personnalité des adultes responsables (la cheffe, le formateur de combat, l’épicier etc.). C’est assez jubilatoire de voir qu’un malheureux grain de sable peut tout faire exploser, les failles deviennent béantes et le final est bien ficelé malgré là encore un manque d’originalité. Les scènes des passages obligés impriment leur marque durablement, on frémit pas mal à certains moments et les pages se tournent toutes seules. N’attendez pas par contre toutes les réponses, les auteurs restent assez nébuleux sur le background, le pourquoi et le comment.

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Mais finalement ce n’est pas le manque d’originalité et les images d’Epinal qui m’ont le plus gêné dans cette lecture, il y a un choix esthétique qui ne m’a pas du tout plu. Autant les dessins sont globalement novateurs, colorés et proposent des décors et des scènes d’action parfois à couper le souffle, autant la représentation des personnages est catastrophique. On sent le travail par ordinateur, tout cela manque d’humanité, c’est lisse, creux et certaines cases donnent à voir des humanoïdes non expressifs. Plutôt gênant quand on traite de la révolte, de la guerre des générations et des sentiments ambivalents de l’adolescence entre Eros et Thanatos.

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Voilà, ce fut une lecture sympa mais sans plus. Sans originalité et sans réelle saveur, l’expérience se révèle décevante mais assez efficace en terme de détente-neurones. Avis aux amateurs.

mardi 15 mars 2022

"Afterland" de Lauren Beukes

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L'histoire : Plus de 99% des hommes sont morts.

Trois ans après la pandémie qui les a balayés, les gouvernements tiennent bon et la vie continue. Mais le monde d'après, dirigé par des femmes, exsangue d'un point de vue économique, n'est pas forcément meilleur que celui d'avant.

Miles, 12 ans, est un des rares garçons à avoir survécu. Sa mère, Cole, ne veut qu'une chose : élever son enfant en Afrique du Sud, chez elle, loin des États-Unis, dans un sanctuaire où il ne sera pas une source de sperme, un esclave sexuel ou un fils de substitution.

Traquée par Billie, son implacable sœur, Cole n'aura pas d'autre choix pour protéger son fils que de le travestir.

À l'autre bout des États-Unis, un bateau pour Le Cap les attend. Le temps est compté.

La critique de Mr K : Semi déception aujourd’hui avec un ouvrage qui était très prometteur à la lecture de sa quatrième de couverture. Pensez donc : un monde où les mâles ont disparu et qui connaît une inversion totale des rapports de force entre les deux sexes ! Afterland de Lauren Beukes a beau être "vendu" comme un thriller exceptionnel par le King lui-même (paie ton opération marketing), l’entreprise rate son but de capter le lecteur et ceci malgré une idée de départ formidable. Je suis allé au bout des quelques 500 pages de l’ouvrage mais mon Dieu que ce fut long par moment...

Trois ans se sont déroulés depuis qu’une pandémie a donc quasiment rayé tous les hommes de la surface de la planète. Féministe le fléau -sic-. Toujours est-il que le monde est ébranlé, changé à jamais. La civilisation perdure, les gouvernements continuent de conduire les affaires d’état, les femmes sont aux commandes et... ce n’est guère mieux qu’avant avec des autorités états-uniennes autoritaires qui ont proclamé une espèce d’état d’urgence permanent avec notamment les accords de Buenos Aires qui ont instauré la "reprohibition", une loi qui interdit de procréer pour éviter la propagation de la maladie qui n'a pas encore disparu. De nombreuses zones sont livrées à elles-même, des localités entières ont été désertées de leurs habitantes, le crime organisé a pignon sur rue avec un nouveau produit phare: l’homme comme objet de plaisir et sa si précieuse semence. L’ambiance est bonne...

Au milieu de tout cela, on suit donc Cole, mère désormais célibataire depuis la perte irréparable de son mari qui a succombé à la maladie. Par contre leur fils, Miles, a survécu et il semble immunisé. Cela attise les convoitises de l’État tout d’abord qui lui fait subir des batteries de tests pour essayer de trouver un remède et d'une mystérieuse acheteuse qui voudrait bien mettre la main dessus et a engagé pour se faire la propre tante du jeune adolescent, Billie. L’action démarre avec la fuite de Cole et Miles d’un camp gouvernemental et qui laissent derrière eux Billie gravement blessé à la tête... Que s’est-il passé ? Il faudra attendre un peu pour que le voile se déchire, par un savant mélange de road-movie, de pensées intérieures et de flashback, le background s’éclaire et la situation de chacun évolue avec en ligne de mire pour la mère et le fils, un hypothétique bateau qui pourrait les ramener en Afrique du sud, terre d’origine de la famille où les lois sont plus souples et l’avenir de Cole plus ensoleillé.

Ce qui marche le mieux dans ce roman, c’est la relation mère-fille qui est vraiment au centre de tout. On alterne leurs deux voix dans la narration et cela  donne une vision complète et touchante de cette relation à la fois tendre, enveloppante mais aussi compliquée par moment. Miles se transforme, l’adolescence est là, la puberté, et il doit se travestir en fille pour échapper à leurs poursuivants et ne pas attirer l’attention. Le choc est rude, les questions nombreuses à cet âge (la foi, le genre, le sexe, la liberté...) et tout est subtilement abordé dans cet ouvrage qui est un modèle de caractérisation dans ce domaine.

Dommage qu’il n’en soit pas ainsi pour tous les protagonistes. Ainsi, j’aime bien le côté badass de Billie mais parfois trop c’est trop. On perd en crédibilité tant elle tombe dans l’excès à tout crin, rendant un personnage pourtant pathétique au départ parfois ridicule. De manière globale, ça manque un peu de finesse chez les méchantes qui sont alors très très méchantes... Elles n’ont rien à envier à leurs alter-egos masculins et se révèlent pernicieuses et sadiques à souhait par moment. Bon c’est du déjà-vu mais la recette fonctionne avec quelques scènes d’anthologie. Le background est vraiment réussi par contre avec des révélations qui arrivent au compte-goutte et font leur petit effet.

Mais voila, au bout de 100 pages, la mayonnaise n’a toujours pas pris et il m’a fallu me faire violence pour aller au bout de l’ouvrage. La faute finalement à une trame plutôt classique et je trouve un certain délayage dans la narration. Il ne se passe pas grand-chose au final, on est souvent dans le descriptif gratuit, les observations futiles. Je n’ai rien contre si cela sert l’histoire mais ici j’ai trouvé que ça relevait du remplissage pur et simple. Je me suis donc ennuyé ferme à certains moments. Cependant certains passages dont une immersion dans une communauté religieuse itinérante, les flashback sur l’origine des événements et de beaux passages entre Cole et Miles m’ont raccroché et j’ai pu finir le livre.

Rien à redire sur la forme, c’est ma première lecture de cette auteure et elle possède une plume séduisante, évoque de manière assez bluffante un avenir désespérant. Reste que la gestion du rythme et le contenu m’ont paru imparfaits et n’ont pas réellement réussi à me faire chavirer et à me garder éveiller malgré le sommeil certaines soirées. Semi déception donc pour un livre qui divise les critiques à priori, à chacun de se faire son propre avis...

lundi 7 mars 2022

"Urban, intégrale" de Luc Brunschwig et Roberto Ricci

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L’histoire : Zacchary Buzz quitte sa famille de fermiers pour se rendre à Monplaisir, une immense cité dédiée aux loisirs, aux jeux, aux plaisirs... Avec pour modèle Overtime, le plus grand justicier de tous les temps, il rêve d’intégrer la meilleure police du monde : les Urban Interceptor.

Monplaisir est une société hyper contrôlée, dirigée par l’omniprésent Springy Fool. A grands renforts de caméras et d’écrans géants, toute la ville peut suivre en direct les moindres faits et gestes de ses habitants. Monplaisir est également sous le contrôle d’A.L.I.C.E., un système automatisé composé de robots nettoyeurs qui font la chasse aux voleurs, avec des méthodes plutôt musclées...

La critique de Mr K : Nouveau cycle de BD de science-fiction au menu d'aujourd'hui avec les cinq tomes de Urban de Luc Brunschwig et Roberto Ricci, nouveau prêt de l’ami Franck qui décidément a bon goût ! On est ici dans le haut du panier avec une saga crépusculaire et jusqu’au-boutiste qui ne sacrifie jamais au politiquement correct et propose un récit complexe remarquablement mis en image. Une claque !

Zacchary, un grand gaillard de la campagne a décidé de quitter la ferme familiale pour devenir agent de police à Monplaisir, une cité dédiée aux loisirs où il n’y a pas de limite à l’épanouissement personnel. Dans ce monde en vase clos, ultra contrôlé, il va découvrir avec sa naïveté tout d’abord confondante (la suite va lui faire prendre conscience de bien des choses...) la dureté de ce monde idyllique, l’envers du décor, les machinations à l’œuvre, un lieu où il croisera des âmes perdues et des dirigeants omnipotents qui ne reculent derrière rien pour s’enrichir et contrôler cet univers factice et profondément inhumain.

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En cinq volumes, les auteurs ont bien le temps d’installer l’intrigue, de peaufiner leurs personnages. Le premier ouvrage est tout entier consacré à l’exposition, décrivant Monplaisir avec un luxe de détails fascinants où les écrans sont partout, la propagande du maître des lieux constante (on ne peut éteindre les messages et écrans par exemple) et où les vices de chacun s’expriment sans honte et à la lumière du jour. Cité ultratechnologique, où l’Intelligence Artificielle applique les instructions et algorithmes conçus par les têtes pensantes, la plongée donne le tournis, horrifie bien souvent et donne à voir un futur délétère où la morale élémentaire semble inexistante et où l’exploitation des êtres ne connaît pas de limite. L’ensemble s’affine d’ailleurs encore au fil des tomes qui s’avalent à une vitesse folle tant on est happé par le récit.

Zacchary fait un peu figure de Candide au départ, il est pétri de bons sentiments et possède une haute estime de la fonction qu’il va désormais exercer (il a grandi en regardant une série animée policière qui a construit son caractère et nourri ses aspirations). La rencontre avec une jeune femme travaillant dans l’hôtel où il réside va ouvrir la boite de Pandore et briser les rêves que promettent Monplaisir. Il prend conscience alors de la marge, de ces êtres condamnés à errer de secteur en secteur, nuit après nuit sous peine d’exécution sommaire et il va surtout se rendre compte que le squad qu’il a intégré (les fameux Urban interceptor) ne sont finalement qu’un leurre pour amuser les foules et entretenir un semblant de paix sociale maintenue en fait d’une main de fer par un système totalement automatisé.

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Mais il en faudra du temps pour que la lumière se fasse. Les auteurs poussent la contextualisation en s’intéressant à une foultitude de personnages pas si secondaires que ça entre un flic du nord venu enquêter sur de mystérieux attentats, un jeune garçon qui s’échappe de son appartement et à sa nounou robotisée, au génie frustré qui a construit A.L.I.C.E (la fameuse I.A) et qui derrière son déguisement de lapin rigolard cache un véritable monstre lui-même sous influence, et même A.L.I.C.E en elle-même. Les flashback s’enchaînent, les pièces du puzzle concordent et donnent au final un récit très dense, sans pitié (un certain nombre de personnages auxquels on s’est attaché disparaissent et ceci de manière totalement imprévisible, j’adore !) et la fin nous est assénée et, bien que pas des plus originales, fait son petit effet.

Bien que le curseur soit assez extrême, on ne peut s’empêcher de penser que cette vision profondément pessimiste est crédible, pourrait se réaliser tant elle fait référence aux vices et déviances de nos contemporains. La fascination pour la technologie, l’omniprésence des écrans, l’individualisme forcené, la quête du plaisir à tout prix et la fissuration des barrières entre le Bien et le Mal sont au cœur de ce récit qui est une belle illustration aussi du pouvoir et des moyens mis en œuvre pour l’imposer sans que les masses asservies ne s’en rendent vraiment compte. C’est assez effrayant mais d’une lucidité ô combien nécessaire par les temps qui courent.

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L’œuvre est magnifique avec des planches de toute beauté, des traits fins, dynamiques et des dialogues léchés. La narration est subtile, tortueuse et diablement prenante. Les pages se tournent toutes seules et l’on prend un pied monstrueux si on est amateur du genre. Une sacrée découverte.

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dimanche 20 février 2022

"Ma'at" de Simon G. Phelipot

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L’histoire : En 2051, sur Terre, la notion de gouvernement a disparu. Un libéralisme sans limite a supplanté le capitalisme et l'ordre mondial est désormais entre les mains d'une poignée de sociétés commerciales ultra puissantes. A Bombay, Isis, une jeune fille orpheline, est recueillie par Wadi, un chercheur généticien ami de ses parents défunts. Ce dernier a un fils, Soh, et les deux enfants livrés à eux-mêmes tissent ensemble une relation fusionnelle qui va petit à petit se transformer en amour passionnel. A la mort de Wadi, Soh disparaît sans laisser de trace. Partie à sa recherche, Isis est enlevée et transportée dans un centre de recherche aux abords d'un cratère lunaire où elle subit diverses expériences génétiques. En 2093, au nord de l'Inde, les satellites détectent une forme de vie humaine au beau milieu d'une pluie de météorites. Isis ?

La critique de Mr K : Aujourd’hui, je vais essayer de vous rendre compte de ma lecture du diptyque Ma’at de Simon G. Phelipot, un cadeau de Noël de ma très chère Nelfe. J’ai bien dit "essayer" tant ce fut une expérience à nulle autre pareille, l’ouvrage combinant planches narratives pures et tableaux dantesques, proposant un voyage quasi subliminal par moment. On est ici dans de la SF visionnaire et intimiste qui fascine et décolle littéralement les rétines.

Le background décrit dans le résumé ci-dessus donne le ton. La Terre a été livrée à des entreprises privées dont le seul but est l’enrichissement et quelque part l’asservissement volontaire de la population. On suit Isis, une jeune fille sans attaches sur qui on va mener des expériences génétiques qui vont la transformer en quelque chose d’autre, un être hybride qui détient un pouvoir incommensurable dont elle n’a pas conscience de prime abord et dont elle ne mesure pas ensuite la portée et la puissance. Différents flashback, le rôle de Soh (ami fusionnel d’Isis) et d’autres personnages secondaires densifient le récit sans en livrer trop. Il faut accepter de ne pas tout comprendre, l’auteur semant les indices comme autant de petits cailloux que l’on se doit de relier entre eux pour saisir les tenants et aboutissants d’un récit complexe et alambiqué.

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L’ésotérisme de l’œuvre n’est aucunement un frein à la lecture tant on est émerveillé par les planches qui se succèdent et qui s’apparentent bien souvent à de véritables tableaux dans lesquels on s’immerge avec émotion. Beauté formelle des visages et des corps, scènes d’Apocalypse saisissantes, illustrations purement abstraites faisant appel à nos ressentis et nos émotions contradictoires, c’est un véritable voyage intérieur qui frappe autant qu’il interpelle. Les dessins explosent en couleur, contiennent une multitudes de détails et s’observent, se décortiquent avec un plaisir renouvelé. Il y a peu ou pas de texte bien souvent ce qui impose une lecture de l’image emplie de sens et de connotation.

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On navigue donc bien souvent à vue entre fantastique, science-fiction et récit initiatique. La trame se déroule tranquillement et la tension monte peu à peu, l’addiction est là. On ressort de cette lecture totalement conquis par une œuvre fascinante et différente. Décidément, Nelfe me connaît très bien, voila un ouvrage qui rentre directement dans mon top ten des meilleurs BD de SF que j’ai pu lire.

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jeudi 2 décembre 2021

"Les Jardins de Babylone" de Nicolas Presl

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L’histoire : La Terre paraît bien loin, vue de la Lune, et bien paisible. On n'y distingue pas les longs pipelines qui strient des sols arides et transportent son bien le plus précieux ; on ne devine pas la sécheresse qui sévit ni les malheurs qu'elle engendre ; on n'y entend pas les plaintes des moins fortunés, ni l'oppression que ces derniers subissent, même si la colère gronde, et enfle, inexorablement. Sur la Lune, on ne souffre pas de tout ça, même si on reste tributaire de la Terre et de son eau, que l'on fait importer dans d'énormes containers volants.

Il faut aussi, bien sûr, être plus riches et plus puissants que le reste de l'humanité pour mériter cette place de choix sur ce triste satellite, devenu refuge de l'élite mondiale.

La critique de Mr K : Belle découverte que je partage avec vous aujourd’hui, un ouvrage qui sort du lot par son parti pris esthétique et son caractère arachnéen dans sa manière d’aborder le récit. En effet, Les Jardins de Babylone de Nicolas Presle est un roman graphique muet à la bichromie fluctuante selon l’arc narratif ou le contexte décrit à travers ses 328 pages qui se dévorent littéralement. Ouvrage d’anticipation à la critique sociale féroce, cette lecture fut une expérience bluffante dans son genre et réjouissante à souhait.

Le récit débute par un gros plan sur un pipe-line que l’auteur s’amuse à remonter case après case. On découvre ainsi que dans un futur pas si lointain que cela, les élites ont quitté la Terre et se sont installées sur la Lune, vivant dans le luxe et l’oisiveté. Le fameux pipe-line est en fait une gigantesque ligne d’approvisionnement en eau, ressource cruciale cristallisant les tensions et les luttes de pouvoir. Passé cette première évocation, à travers de courtes parties, nous basculons d’une situation à une autre, partageant des instants du quotidien de personnes très différentes les unes des autres, issues de toutes les classes sociales avec en fil rouge un couple lambda qui doit affronter de terribles épreuves. D’autres parties sont plus contemplatives, explicitant sans langage écrit la situation par tout un jeu de suggestions et d’évocations brumeuses qui finissent par se compléter les unes les autres pour donner un corpus global saisissant.

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Une fois qu’on s’est habitué à la narration différenciée, la lecture se fait toute seule. Le processus se fait naturellement en se laissant porter par les couleurs et les astuces employées par Nicolas Presl pour construire un récit dense et puissant à la fois. Comme vous l’avez sans doute compris, cet ouvrage est loin d’être des plus optimistes. Il pointe du doigt nombre de problématiques effrayantes et déjà en cours. La course au pouvoir avec son lot d’exploitation et ses conséquences mortifères, le contrôle des masses par la sollicitation des plus bas instincts et une répression sévère, la lutte pour la survie des plus humbles avec son lot de conséquences effroyables et au final une planète qui se meurt à cause de notre impéritie et notre soif de profit. Le tout est abordé de manière subtile par petites touches au fil des existences et constations qui nous sont livrées dans une forme épurée et frappante.

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L’immersion est totale, nous côtoyons au plus près des êtres complexes qu’un regard ou une attitude suffit à comprendre. C’est le grand point de force de l’ouvrage qui reste toujours compréhensible malgré l’absence de mot. L’image, le jeu des couleurs, les personnages avec leur aspect quasi enfantin (évoquant même Pablo Picasso, période pré-cubiste parfois !), l’interpénétration des segments éveillent l’esprit, nourrissent l’imagination et la réflexion de manière novatrice et profonde. Difficile d’en dire plus, de mettre des mots là où il n’y en a pas. C’est osé, le pari est génial en soi, reste à savoir si vous adhérerez ou pas, pour ma part, j’ai été conquis.

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On est donc face à un très bon roman graphique. Muet mais diablement évocateur, voici une œuvre qui s'inscrit dans son temps et propose une lecture réaliste et sans fard de ce que l'avenir pourrait être sur notre planète bleue et au-delà. Un sacré moment de lecture que je vous invite à entreprendre à votre tour et qui vous surprendra.

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mercredi 13 octobre 2021

"Lorsque le dernier arbre" de Michael Christie

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L’histoire : Le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s'accumule, c'est tout - dans le corps, dans le monde -, comme le bois. Couche après couche. Claire, puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d'avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure.

D'un futur proche aux années 1930, Michael Christie bâtit, à la manière d'un architecte, la généalogie d'une famille au destin assombri par les secrets et intimement lié à celui des forêts.

2038. Les vagues épidémiques du Grand Dépérissement ont décimé tous les arbres et transformé la planète en désert de poussière. L'un des derniers refuges est une île boisée au large de la Colombie-Britannique, qui accueille des touristes fortunés venus admirer l'ultime forêt primaire. Jacinda y travaille comme de guide, sans véritable espoir d'un avenir meilleur. Jusqu'au jour où un ami lui apprend qu'elle serait la descendante de Harris Greenwood, un magnat du bois à la réputation sulfureuse. Commence alors un récit foisonnant et protéiforme dont les ramifications insoupçonnées font écho aux événements, aux drames et aux bouleversements qui ont façonné notre monde. Que nous restera-t-il lorsque le dernier arbre aura été abattu ?

La critique de Mr K : Chronique d’une expérience littéraire enthousiasmante comme jamais aujourd’hui avec ma lecture de Lorsque le dernier arbre de Michael Christie, un titre paru en août pour la rentrée littéraire dans la très belle collection Terres d’Amérique de chez Albin Michel. Ce roman s’avère magistral notamment par sa construction narrative novatrice et fort bien pensée. On est littéralement emporté par cette saga familiale teintée d'écologie et de critique sociale.

Par des bonds successifs dans le temps, d’abord à rebrousse poil puis dans le sens chronologique plus conventionnel, l’auteur nous invite à découvrir plusieurs générations de la même famille, à savoir les Greenwood à travers des dates et époques clefs : 2038, 2008, 1974, 1934, 1908 puis à nouveau 1934, 1974, 2008 et 2038. Chaque moment nous met en prise avec un ou plusieurs membres de cette famille que nous apprenons à connaître par petites touches comme un tableau qui se peint au fil des coups de pinceaux d’un peintre impressionniste. Le procédé est très astucieux, convaincant dans sa globalité et au final furieusement addictif. Les éléments apportés finissent par tous se répondre les uns aux autres, se complètent et donnent à voir un tout saisissant et cohérent.

Chaque génération façonne la suivante plus ou moins directement avec comme fil directeur les arbres dont l'existence omniprésente nourrit des métaphores éclairantes entre forêt, arbres, famille et racines. On croise énormément de personnages dans cet ouvrage, beaucoup de situations qui touchent en plein cœur et illustrent la variété et les constantes d’une destinées humaine avec une justesse de tous les instants. Deux jeunes frères que la vie réunit et va séparer, un marginal au grand cœur prêt à tout sacrifier pour l’amour d’un nourrisson abandonné de tous, une militante écolo confrontée à la perte de son père honni, une jeune guide de la dernière réserve mondiale d’arbres qui a un choix cornélien à effectuer et beaucoup d’autres personnages peuplent ces pages qui vous happent littéralement. Une des grandes forces de l’ouvrage réside dans la science de la caractérisation des personnages millimétrée et sensible employée par un auteur soucieux de nous plonger dans ces vies bousculées et évocatrices en diable. On ne peut que s’attacher à ces êtres même à ceux qui de prime abord peuvent rebuter, je pense notamment à l’employé peu recommandable chargé de récupérer le bébé soit disant kidnappé.

Michael Christie balaie large au niveau des thématiques qui recoupent quasiment tout ce qu’on peut connaître et éprouver dans une vie humaine bien remplie. Le propos est donc profond, provoque la réflexion et émerveille par son côté accessible. Rien ne nous est épargné des turpitudes de la condition humaine entre ambition, amour, trahison, vengeance, sens de la mission, prise de conscience politique et militante, filiation et transmission. Chaque embranchement de l’arbre généalogique conduit souvent à des choix moraux, cruciaux qui agissent sur la génération suivante mais aussi sur l’environnement. Ainsi certains membres vivront du commerce du bois et de la déforestation tandis que d’autres consacreront leur existence à tenter de protéger les arbres alors que dès le départ en 2038, l’ouvrage s’ouvre sur une dystopie glaçante : le monde est quasiment dépourvu d’arbres après une catastrophe écologique appelée le "Grand Dépérissement" et la disparition de la protection forestière a causé l’apparition d’une maladie mortelle pour l’homme engendrée par les nuages de poussières.

Comme vous voyez, la matière est riche et on est emporté par un tourbillon d’émotions, de réflexions dans une langue d’une inventivité et d’une beauté de tous les instants. J’ai pour ma part particulièrement apprécié la section traitant de 1934, pendant la grande dépression avec l’odyssée d’Everett sans aucun doute le personnage le plus touchant de l’ouvrage dont l’aventure m’a fait pensé aux plus beaux passages d’un John Steinbeck (un de mes auteurs américains préférés) au meilleur de sa forme. C’est dire la qualité narrative et stylistique de l’ouvrage de Michael Christie qui s’inscrit comme un excellent crû et un prétendant sérieux au titre de meilleur ouvrage de la rentrée littéraire (du moins dans ceux que j’ai pu lire). Un gros coup de cœur que je vous invite à découvrir au plus vite !

jeudi 26 août 2021

"La Riposte" de Jean-François Hardy

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L’histoire : Tu sais, Jonas, je ne vais pas passer mon existence à baiser tandis que le monde tombe en morceaux. Il est temps d’arrêter le carnage et de riposter.

Dans un Paris désagrégé par la crise écologique, la misère a définitivement pris ses quartiers. Au rationnement alimentaire s’ajoutent la violence de l’appareil d’État, la canicule et la maladie. Un mystérieux mouvement, Absolum, placarde ses affiches dans toute la ville et gagne du terrain. Son slogan : "Révolution pour la Terre".

Dans ce chaos, Jonas est infirmier à domicile. Quand il ne s’occupe pas de ses patients, il se réfugie dans les bras de la jeune Khadija, déterminée à sauver le monde. À 37 ans, Jonas est au contraire désabusé et s’apprête à fuir comme tant d’autres vers le Nord, en quête d’une vie meilleure. Mais peut-il partir si facilement sans se retourner ? Qu’est devenue sa sœur Natalia, sa seule famille, dans la campagne aride privée d’électricité ? Et s’il parvenait à convaincre Khadija de le suivre ?

Perdu entre deux âges, incapable de s’engager comme de rester loyal à un système dont il a su pourtant profiter, Jonas va devoir faire face au murmure d’une grande révolte. Alors qu’il a oublié la dignité de mourir, au cœur de son serment, d’autres, par leurs combats, vont lui réapprendre celle de vivre.

La critique de Mr K : Rentrée littéraire 2021 aujourd’hui encore avec ce roman d’anticipation aussi prenant que glaçant qui se lit d’une traite avec un plaisir renouvelé. Dans La Riposte de Jean-François Hardy, le récit nous offre une vision sans fard de ce que pourrait être la France d’ici dix / quinze ans, à travers le parcours de Jonas, un être déchiré entre sa volonté de fuir une réalité devenue insupportable et l’envie de renverser l’ordre établi. Nuancé et fort bien écrit, voici un roman qui fera date et que tout un chacun serait fort inspiré de lire pour appréhender les enjeux dramatiques en cours dans le monde d’aujourd’hui.

Jonas est infirmier à domicile et s’occupe de personnes en fin de vie. Sans véritables attaches, désabusé, il entretient une relation non exclusive avec Khadija, une jeune fille révoltée par la marche du monde. La France et le reste de la planète ont bien changé dans ce futur pas si lointain. La Terre est saccagée par des décennies d’ultra-libéralisme, le réchauffement climatique va crescendo avec des villes à l’atmosphère étouffante et des campagnes cramées pour la plupart, les épidémies galopent. Malgré tout cela, les mêmes oligarchies et puissants se maintiennent au devant de la scène et assoient leur pouvoir de manière autoritaire creusant les inégalités et divisant pour mieux régner. Toute ressemblance avec la Macronie est évidemment purement fortuite...

Jonas a décidé de partir, de fuir la France pour se réfugier dans le Nord de l’Europe où le climat est encore clément et où une certaine concorde sociale semble régler dans les territoires. Mais il a du mal à assumer son choix auprès de Khadija qui ne partage pas du tout cette manière de penser. Pour elle, la révolution gronde et il faut renverser l’ordre établi pour une société plus juste. Avant de partir définitivement de France, Jonas décide de passer voir Natalia, sa sœur restée au village natal et qu’il n’a pas vu depuis huit ans sans réelles raisons. Ces retrouvailles vont bouleverser Jonas, ébranler ses convictions et l’ouvrir à d’autres horizons.

On peut distinguer deux parties bien distinctes dans ce roman. La première prend cadre dans un Paris devenu particulièrement effroyable où ségrégation sociale rime avec inhumanité.Les morts se ramassent à la pelle, les restrictions sont nombreuses et les pénuries font exploser la délinquance et les actes délictueux. Il règne une ambiance de fin du monde, d’ultra-individualisme qui rend la ville dangereuse et inquiétante. L’ambiance générale est très bien rendue par un auteur soucieux d’aller à l’essentiel (l’œuvre en elle-même est relativement courte) avec ce qu’il faut de détails sans pour autant surcharger l’ensemble. On s’inscrit complètement dans les logiques comportementales et sociétales de ces dernières années ce qui rend le propos prémonitoire et foutrement flippant. Le pire c’est que ce n’est pas faute de prévenir le monde (rapport récent du GIEC notamment) mais malheureusement notre propension à nous diviser, nourris pas les cibles lâchées par les gouvernements successifs fait que l’on passe à côté de l’essentiel. La maison brûle mais l’on regarde ailleurs tout en nous complaisant dans de vaines et stériles polémiques...

Jonas va donc rejoindre sa sœur pour un séjour qui va se prolonger. C’est l’occasion d’explorer les fêlures et méandres d’un personnage très complexe. Natalia vivant à la campagne, ce jour s’apparente à une mise au vert. Jonas va renouer avec la seule famille qui lui reste et s’immerger totalement dans une vie rurale où l’essentiel est au cœur des vies de chacun. Communauté apaisée, solidarité locale rythment les jours et le désir de s’exiler s’effilochent au fil du temps passé. Mais la réalité des temps qui changent va finir par le rattraper et le précipiter dans un dernier acte douloureux.

La Riposte se lit d’une traite sans que l’on puisse le lâcher, l’écriture de l’auteur est alerte et volontiers cynique par moment. Quand on sait que Jean-François Hardy a été "plume" au ministère de l’écologie en Macronie, on se dit qu’il a du en avaler des couleuvres et prendre conscience de l’indigence environnementale du quinquennat de Micron Ier. La Riposte est une superbe lecture, pas rassurante mais terriblement bien menée et évocatrice en diable. À lire absolument !

mardi 18 mai 2021

"Marconi en personne" de Gilles Moraton

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L’histoire : Dans la merveilleuse nation, on danse la valse dans une salle clandestine, on cache ses livres sous le plancher, et on rampe sur le faux plafond d’un appartement pour épier un chanteur d’opéra.

Béla, le narrateur de ce roman à plusieurs temps, noue une relation avec Roxane, qui valse. Lorsqu'elle est arrêtée, ils savent qu’elle ne ressortira pas de prison, sinon morte. Mais pour quelle raison est-elle emprisonnée ? Parce qu’elle valse ou parce qu'elle vit dans un appartement duquel il est possible d'observer Marconi ? Avec humour, exploitant un style indirect très libre, l’auteur fait glisser nos repères comme ceux de Béla : dans la ville nouvelle, Marconi est-il un homme libre ou un leurre, placé là par le pouvoir pour maintenir vivant l’espoir d’un autre monde possible – et annihiler toute tentation de révolte ?

La critique de Mr K : C’est un excellent ouvrage que je vous présente aujourd’hui, le genre de lecture qui dérange et marque à la fois avec une réflexion puissante mais aussi glaçante sur le genre humain. Dans Marconi en personne de Gilles Moraton sorti en avril aux éditions Piranha, nous sommes dans une société pas si éloignée de la nôtre où la démocratie a cédé la place à une dictature dans l’indifférence générale. À l’heure où la loi sur la sécurité globale est passée à l’Assemblée Nationale, où les politiques et grands lobbies marchent main dans la main au grand jour et où la population est doucement entretenue dans l’apathie par les médias et les écrans, on se dit que les univers SF à la Orwell sont devenus réalité. Ce roman s’en fait l’écho avec brio et nuance, tout un programme, non ?

Le narrateur Bela au commencement nous relate l’arrestation de Roxane son amante. Arrêtée à son domicile pour avoir dansé la valse en cachette (cette danse est désormais interdite), la voila en prison et elle ne reviendra pas car c’est un lieu dont on ne sort pas et d’où on entend plus parler de vous. Au départ, on le sent quasiment indifférent au sort de sa compagne (une femme pleine de vie aux excès nombreux mais tellement "humaine"), il affiche un détachement troublant qui met mal à l’aise comme d’ailleurs les morceaux épars de background que l’auteur sème au fil des courts chapitres. Mais très vite, le masque tombe, les apparences cèdent la place aux sentiments réels , à cette histoire d’amour qui compte pour lui et une obsession qui se fait jour : que devient Roxane ?

En parallèle, il est question d’un certain Marconi qui vit seul dans son appartement et auquel tout le monde s’intéresse, une sorte de modèle de vie, de perfection issue de la société utopique que représente la Merveilleuse Nation. Le narrateur et sa compagne s’y intéressent beaucoup, voudraient savoir qui se cache derrière l’image de cet homme taciturne, adepte d’opéra passant de longues heures assis dans son fauteuil. La femme qui lui apporte ses courses tous les jours est intrigante elle aussi et c’est d’ailleurs par elle qu’il y a possibilité de se rapprocher de ce "mythe" Marconi. C’est le début d‘une enquête (en flaskback donc) qui s’intercale avec le présent où Roxane a été interpelé. On passe d’une époque à l’autre et se construit une trame plus générale avec une multitude de réflexions du narrateur sur le monde dans lequel il vit. Impossible de se détacher et de ne pas faire l’analogie avec notre propre monde contemporain qui part à vau l’eau...

Mélangeant avec habilité une relation très sensuelle et un monde froid, on est très vite happé par un contexte saisissant. Dans cette société uniformisée basée sur l’ordre, certains livres ont été mis à l’index, des pratiques sont interdites (focus sur la valse dans ce récit) et la répression est féroce. Le héros en sait quelque chose lui qui a été sévèrement interrogé dans la foulée de l’arrestation de Roxane. Des catégories de populations ont été supprimées, recyclées en fait dans d’autres métiers, il n’y a plus ni historiens, ni philosophes, ni psychologues... Ben oui, à quoi ça sert sinon embrouiller les esprits et révéler des vérités pas forcément bonnes à dire. On doit être productif ! Jamais frontalement mais par petites touches disséminées ici ou là, l’auteur plante un décor terrible, une vision d’un futur proche possible, réaliste et désespérant. Cet ouvrage est loin d'être un roman feel good et tant mieux !

À travers la quête de Bela, de Roxanne et des autres personnages (tous très bien croqués et caractérisés), Gilles Moraton nous interroge sur des notions comme la légitimité et la légalité, nous livre des clefs sur le fonctionnement et le déroulé d’une bonne manipulation de masse (plus c’est gros plus ça passe disait Goebbels) et au final propose une lecture prospective d’une singularité qui peut parfois désarçonner dans le croisement des trames qui se fait d’un paragraphe à l’autre sans prévenir. Ça surprend au départ mais une fois qu’on a pris le pli, la lecture devient jubilatoire et on lit Marconi en personne avec un plaisir incroyable même si son propos est sombre. Une très bonne lecture donc, à recommander à tous les amateurs de récits profonds d’anticipation, celui-ci sort du lot et vous ravira sans aucun doute.

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mardi 13 avril 2021

"Limbo" de Bernard Wolfe

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L’histoire : Ceci est l'histoire d'un monde pacifique. Après une guerre presque absolue, les hommes ont choisi de perdre leurs membres plutôt que de reprendre les armes.

Ils ont choisi l'IMMOB, suivant les idées qu'ils ont cru lire dans le journal intime d'un jeune chirurgien, le docteur Martine, devenu ainsi une sorte de messie. Mais les cybernétistes veillent.

Ils ont une autre solution. Des membres artificiels, plus résistants, plus fiables, capables de tout. Même de reprendre le combat, les armes.

C'est dans cet "entre-deux-guerres" du futur que réapparaît le docteur Martine, brutalement promu au rôle d'arbitre dans un conflit tragique dont il ignore les origines...

La critique de Mr K : Incursion en science-fiction aujourd’hui avec cet ouvrage qu'un ami m’a offert pour mon anniversaire, livre qu’il avait lui-même lu et adoré il y a déjà quelques temps. Je ne connaissais avant ni l’auteur ni le titre, ce qui est un grand tort. Quand on creuse un peu, on se rend vite compte que Limbo de Bernard Wolfe est considéré comme un classique du genre par les amateurs. L’erreur est désormais réparée et je confirme tout le bien que j’ai pu lire ici ou là sur cet ouvrage. C’est 768 pages de pur plaisir littéraire entre SF et essai philosophique, à la fois passionnant et immersif.

Tout débute sur une île de l’Océan Indien qu’aucune carte ne mentionne. On y fait connaissance avec le Docteur Martine, le héros de ce récit. Naufragé plus ou moins volontaire, cela fait 18 ans qu’il vit avec la peuplade du crû avec laquelle il entretient de bons liens et pratique la suite de ses travaux scientifiques sur le cerveau. On est plus ou moins plongé dans l’univers du bon sauvage cher à Rousseau, du moins la recherche de l’homme à l’état naturel sans velléité agressive ni possession terrestre. C’est l’occasion de commencer un voyage métaphysique sur la nature de l’être humain mais aussi sur ce qui s’oppose à elle : la Culture et notre propension à vouloir transformer la Nature selon notre volonté et nos désirs. Dès le départ, vous l’avez compris, on sait qu’on a affaire à une œuvre ambitieuse à l’universalité qui va aller crescendo.

Tout va se voir bouleverser avec l’arrivée d’intrus sur ce pseudo paradis terrestre. Venus de Limbo, territoire situé en Amérique du Nord (partie des États-Unis que nous connaissons), ces humains présentent la particularité d’être amputés de plusieurs membres remplacés par des prothèses aux capacités diverses (pales d’hélicoptère, scies, lance-flamme…). Le choc est forcément profond même s’il se déroule pacifiquement. Cependant cela agit comme un révélateur chez le Docteur Martine qui prend la décision de retourner chez lui pour voir ce que son monde est devenu et partir à la recherche de lui-même.

Parti en 1972, à la veille d’un conflit majeur, en 1990 (année de déroulement du présent récit), la Terre a subi une troisième guerre mondiale où les bombes atomiques ont ravagé une bonne partie du monde. Ainsi l’Europe n’a plus d’existence viable, les grandes villes du continent ont été rasées. Reste deux blocs antagonistes qui s’épient en chiens de faïence, un peu à la manière des tensions liées à la Guerre Froide dans notre propre réalité. Les deux camps ont adopté la mystérieuse idéologie de l’IMMOB au nom de la paix mondiale et de l’apaisement de l’être humain. Ils s’affrontent désormais via une nouvelle version améliorée des jeux olympiques et une paix durable semble s’être installée.

Tout en suivant Martine dans sa redécouverte de son pays et de ses racines (très beau passage dans les lieux de son enfance), on explore les contradictions de l’être humain et notamment sa volonté de poursuivre une utopie qui par essence n’est pas atteignable à partir du moment où des règles sont mises en place et dépassent l’idéal poursuivi. Par leur sacrifice ultime, celui de leurs membres représentant l’agressivité et l’idée de déplacement et donc de violence (je schématise à fond, le livre est beaucoup plus disert et rigoureux que moi), les êtres de cette civilisation nouvelle vivent dans une grande rigidité, une absence totale d’humour (au contraire du héros qui bien malgré lui a concouru à cet état de fait mais je vous laisse la surprise) et une volonté de contrôle total de soi y compris lors du moindre acte quotidien. Pour se rapprocher des machines qui ont finalement guidé le feu nucléaire, les hommes sont devenus des posthumains, alliant chair et cybernétique dans un mélange qui condamne la moindre nuance ou morale humaine élémentaire. Le manichéisme est de mise avec au final une société discriminatoire, où la liberté n’est qu’un leurre, où le sexe est dirigé, le libre-arbitre finalement absent à cause d’une propagande très bien huilée, un contrôle des foules total.

Limbo n’est pas pour autant un ouvrage très prospectif en terme de technologie pure. Il y a quelques détails sur les voitures automatiques, on y parle de cyborgs et de transhumanisme. L’intérêt est surtout dans l’aspect philosophique et psychologique qui est développé dans cette anti-utopie grinçante et finalement lorgnant vers la farce quand on apprend l’origine de la révolution à l’œuvre pour créer le mouvement IMMOB. Bien moins connu que 1984 ou encore Le Meilleur du monde, on navigue ici dans les mêmes eaux avec une partie théorique encore plus poussée qui vous rappellera avec joies quelques grands questionnements abordés en philosophie : Nature et Culture comme dit plus haut, la notion de Bien et de Mal, la Liberté, le Temps, la notion de progrès scientifique, de Bonheur... Finalement si on devait résumer les parties narratives, il ne se passe pas grand chose, par contre nombre de réflexions sont menées et apportent une densité incroyable à une histoire très prenante.

Bien que pointu par moment, le roman se lit d’une traite avec un plaisir renouvelé. Dense, complexe à l’occasion, la langue sert remarquablement la trame et les apports divers que nous propose l’auteur. Le personnage principal est un modèle de caractérisation, les révélations pleuvent sur lui mais aussi sur les personnages secondaires dont les destins prennent un tour parfois étonnant avec des rapports changeants et ambigus qui raviront les amateurs de récits à tiroir aux multiples surprises. L’auteur en plus d’être romancier fait montre d’une culture scientifique dans de multiples domaines ce qui donne à l’ensemble une gageure incroyable. J’ai beaucoup apprécié l’aspect psychanalytique de l’odyssée de Martine, ses réflexions sur l’Homme et le progrès. Il cite d’ailleurs bien souvent ses sources ce qui nourrit des idées de lectures futures fort intéressantes.

Je n’en dirai pas plus car on pourrait écrire des pages et des pages sur cet ouvrage qui s’apparente à un authentique chef d’œuvre qui va rejoindre dans ma bibliothèque les deux classiques de Huxley et Orwell suscités. Les fans de SF ne doivent absolument pas passer à côté. Quant aux autres, ils seraient bien inspirés de tenter l’aventure car au-delà d’une critique sans fard des déviances d’une utopie, il nous parle de nous et de manière fort juste. Un must read et un énorme coup de cœur.

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