Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Disparue
- Sauver sa peau
- La maison d'à côté
- Tu ne m'échapperas pas
- Arrêtez-moi
- Les Morsures du passé
- Le saut de l'ange
- Derniers adieux
- À même la peau
- Retrouve-moi
- N'avoue jamais
"Nous aurions pu être des princes" d'Anthony Veasna So
L’histoire : À Stockton, Californie, les temples bouddhistes et les épiceries cambodgiennes ont fleuri depuis l'arrivée massive de familles ayant fui leur pays et le régime génocidaire des Khmers rouges. Dans cette ville entre Asie et Amérique, on croise ainsi des bonzes, de vieilles tantes intrusives et des adolescents mortifiés par l'ennui, tout un monde d'histoires passées sous silence, de désirs naissants, de tiraillements identitaires et sexuels, où l'avenir tente de se construire sur les fondations d'un traumatisme profond et en dépit du poids des traditions.
La critique de Mr K : Escale en Terres d’Amérique aujourd’hui avec ce recueil de nouvelles doux-amer proposant un focus sur la diaspora cambodgienne de la côte ouest US. Neuf récits composent Nous aurions pu être des princes d’Anthony Veasna So, neuf récits qui font la part belle à cette communauté méconnue, réfugiée aux USA suite aux méfaits des khmers rouges et qui tente de se faire sa place au soleil en courant à son tour après le rêve américain. L’ouvrage se lit très bien, avec un plaisir renouvelé et ne nous épargne pas dans son évocation des affres de l’existence.
Les neuf récits nous font donc partagé le quotidien à priori banal de cambos (nom donné aux membres de la communauté par les narrateurs) : une femme et ses deux filles tiennent un bar à donuts et voient un mystérieux homme venir commander sans le manger un donut aux pommes, on fait la connaissance de l’entraîneur d’une équipe de badminton ancienne gloire reconvertie dans le commerce de détail de produits cambodgiens, deux cousins en pleine adolescence qui glandent et fument tout en refaisant le monde, un fils surdiplômé qui bosse au garage de son paternel, un jeune homme qui fait une retraite d’une semaine au wat du secteur en hommage à son père décédé, un after de mariage complètement débridé où les langues se lâchent, une relation intense entre deux hommes que tout semble opposer, la fin de vie douloureuse d’une vieille dame que son infirmière de petite nièce tente d’accompagner au mieux ou encore le témoignage d’une mère à son fils sur son arrivée sur le sol américain.
L’ouvrage met en lumière les relations intergénérationnelles avec en toile de fond, souvent évoqué, le génocide perpétré au pays par les khmers rouges. La plaie est encore béante, le chagrin immense et chacun baigne dedans entre les souvenirs des anciens, le devoir de mémoire, la transmission aux plus jeunes. C’est aussi durant ces pages de nombreuses références aux us et coutumes allant de la nourriture aux rites ancestraux que l’on continue à suivre, les croyances que l’on a transposées aux USA notamment en matière de vie après la mort avec la notion essentielle de réincarnation, le rôle central des moines, le devoir moral qui incombe aux vivants pour perpétuer le souvenir des défunts. Tout est abordé avec finesse, sans lourdeur par un auteur très moderne dans son approche de l’écriture de ses origines.
Gay et fêtard (il mourra d’ailleurs à 28 ans d’une overdose), Anthony Veasna So met beaucoup de lui dans ces nouvelles avec des personnages jeunes en roue libre. Ça jointe pas mal, ça glande, ça drague, ça couche beaucoup... mais aussi les protagonistes se questionnent sur leurs origines, la place que l’on doit se faire dans la famille, la société et le décalage parfois énorme entre les origines cambos et l’Amérique. L’homosexualité masculine est abordée frontalement avec des scènes explicites nombreuses, une quête des limites aussi dans son rapport à l’autre, à son corps, au bonheur… La mélancolie est prégnante globalement, on sent bien que la vie n’a pas été facile pour lui à travers ces pages. Je tablerais plus sur des difficultés à se définir, à s’engager plutôt que dans le fait de se faire accepter, il n’y a pas des traces d’homophobie dans ces textes, de rejet des proches. Il y a souvent un aspect initiatique dans ces nouvelles, des rites de passages plus ou moins forts qui vont amener le protagoniste principal à faire des choix, à s’engager d’une manière ou d’une autre sans que le résultat soit garanti.
Ces textes indépendants les uns des autres où l’on retrouve cependant certains personnages croisés ici ou là sont d’une sincérité à toute épreuve, cashs, sans concession. L’écriture très moderne, immersive à souhait nous offre une vision large d’une jeunesse qui se cherche entre traditions, identité et aspirations en devenir. Ce fut vraiment une très belle lecture que je conseille à tous les amateurs de nouvelles américaines magnifiées ici par un style vif et incisif.
"Au premier regard" de Lisa Gardner
L’histoire : L'agent du FBI Kimberly Quincy, le commandant D. D. Warren et Flora Dane, les trois héroïnes de Lisa Gardner de nouveau réunies.
Macabre découverte dans un petite ville de Géorgie. Les restes d'un corps humain, puis bientôt un charnier, révélés au grand jour... Est-ce le testament de Jacob Ness, le tueur en série qui a défrayé la chronique pendant des années avant d'être abattu ? Ou l’œuvre d'un complice ?
Aux côtés de la courageuse Flora Dane, survivante de Jacob Ness devenue justicière, les enquêtrices vont unir leurs forces dans une affaire sans précédent, dont une jeune fille, témoin impuissante de l'horreur, détient la vérité. Mais comment la protéger ?
La critique de Mr K : Qui dit mois de janvier dit sortie d’un nouveau thriller de Lisa Gardner, une auteure que j’adore et qui ne me déçoit jamais dans le domaine du suspense bien dosé et du page-turner addictif. Au Premier regard ne déroge pas à cela, c’est un très bon cru avec les trois enquêtrices de choc de l’auteure qui pour l’occasion les réunit autour d’une enquête qui révélera les pires vicissitudes humaines.
Un couple de randonneurs tombe nez à nez avec des ossements humains dans un trou paumé, une localité touristique de Géorgie dans une vallée forestière. Très vite, on retrouve une partie du squelette et une enquête du FBI conduite par Kimberly Quincy est dépêchée sur place. Comme on y trouve certaines similitudes avec les meurtres commis par le terrible Jacob Ness (voir les volumes précédents), D.D. Warren est aussi de la partie ainsi que Flora ex-victime de Ness devenue chasseuse de prédateurs. L’enquête va très vite s’emballer avec la découverte d’autres corps datant de plusieurs décennies, des cadavres plus frais vont aussi venir s’accumuler avec un déchaînement de violence qui va réveiller les vieux démons de cette ville à priori sans histoire.
Une fois de plus, je me suis fait embarqué dès les premiers chapitres. Lisa Gardner a le don de décrire avec concision ses personnages et situations, de distiller un intérêt à chaque scène qu’elle écrit et de créer l’attente. Le roman débute sur un chapitre écrit en italique où une petite latino nous raconte le meurtre atroce de sa mère tuée par un mystérieux méchant comme elle l'appelle. Lors de l’exécution, la balle la touche à la tempe la rendant muette et infirme. Qui est-elle ? Quel rôle joue-t-elle dans la trame générale ? C’est le fil rouge de la première partie du roman qui, une fois coupé, va libérer le récit et le rendre encore plus débridé avec des événements qui vont se précipiter et laisser le lecteur KO.
S’entremêlent à cette ligne directrice des chapitres mettant en scène les trois autres grandes protagonistes citées plus haut et c’est un vrai plaisir de les retrouver. C’est comme une espèce de réunion de famille où l’on retrouve des personnes que l’on n’a pas vu depuis trop longtemps. On prend des nouvelles, on en apprend de belles sur l’évolution de chacune notamment leur vie familiale, les affres qui l’accompagne et pour Flora la toujours difficile reconstruction. Clairement, il y a quelques longueurs, des redites qui sont là essentiellement pour les lectrices et lecteurs qui prendraient le chemin en route mais rien de rédhibitoire pour le fan que je suis. Ces trois là sont vraiment charismatiques avec pour ma part une préférence pour D.D. au caractère tempétueux à souhait mais qui s’est assagie après sa maternité. L’aspect féministe est ici indéniable, sans en faire trop, des clins d’œil réguliers sont faits envers les souffrances et épreuves que peuvent endurer nombre de femmes. Certaines d’entre elles sont aussi d’ailleurs peu recommandables dans le roman, notamment une que je n’ai pas vu venir et qui s’avère être un véritable monstre.
L’enquête en elle-même est bien menée, Lisa Gardner aime nous amener sur des chemins inconnus. Les hypothèses varient beaucoup au fil de la lecture, certaines fausse pistes par contre n’ont pas fonctionné avec moi et j’ai deviné assez vite la nature réelle des terribles événements qui se déroulent là-bas. Cela n’enlève rien à l’accroche durable du roman, sa qualité de page-turner implacable, chaque chapitre conduisant à une dernière phrase qui provoque l’excitation (et il faut attendre deux / trois chapitres pour savoir ce qu’il en est). Le procédé est classique mais d’une efficacité redoutable. Bon, on a affaire à un Lisa Gardner et dans ce domaine, elle assure toujours. Le microcosme des lieux, la paranoïa ambiante qui s’installe, les personnage du crû tantôt rassurants tantôt inquiétants, les esprits qui s’échauffent, les morts inattendues, les punchlines de la mort qui tue... Franchement, on ne s’ennuie jamais, niveau thriller c’est du haut niveau et la machinerie est bien huilée.
Ce fut donc un grand plaisir de lecture une fois de plus, le genre de roman qu'on ne relâche qu'à sa toute fin, le sourire aux lèvres. C’est efficace, très plaisant à lire et on en redemande. Vivement janvier 2024 !
"Cérémonie" de Leslie Marmon Silko
L’histoire : Tayo, un jeune Indien du Nouveau-Mexique, revient de la Seconde Guerre mondiale en état de choc. Les horreurs de la guerre, celles de sa captivité alors qu'il était prisonnier des Japonais, l'ont traumatisé.
Son retour parmi les siens, sur la réserve des Pueblos de Laguna, ne fait qu'augmenter ce sentiment d'aliénation. Tayo s'interroge sur le véritable sens de son mal : sa quête le ramène au passé de son peuple, aux croyances traditionnelles et aux vieilles légendes.
Elle devient en elle-même un rituel, une cérémonie destinée à le guérir du plus sombre des maux : le désespoir
La critique de Mr K : Quelle bonne idée que cette réédition de Cérémonie de Leslie Marmon Silko parue chez Albin Michel dans la collection de haute qualité Terres d’Amérique ! Datant de 1977 (quelle très belle année que celle-là !), ce titre est considéré comme le premier ouvrage de la "renaissance indienne" en matière littéraire au côté d’auteurs majeurs comme Louise Erdrich que nous aimons beaucoup au Capharnaüm éclairé. Livre sur l’identité, sur l’errance personnelle et la quête de rédemption, ce fut une sacrée révélation qui plus est à cheval sur deux années car cette lecture fut entamée en 2022 et terminée deux jours plus tard en 2023 !
Tayo, un jeune indien rentre de la guerre, de la Seconde Guerre mondiale pour être plus précis, dans le théâtre des opérations du Pacifique où il a connu l’horreur du conflit et la mort d’un être très proche. Il revient donc complètement traumatisé de cette expérience qui l’a profondément marqué dans son esprit. Ébranlé, étranger à lui-même et aux siens, le retour aux sources se révèle très compliqué. Difficultés de réadaptation se mêlent à des questions existentielles sur sa place, le passé de son peuple et son aliénation par les Blancs. Seule une mystérieuse cérémonie ésotérique pourrait le guérir de cette grave dépression, mais peut-on revenir indemne d’une telle expérience ? Quel être nouveau ressortira de tout cela ? Les 400 pages de cet ouvrage vous donnent toutes les réponses avec brio et passion.
On est pris immédiatement d’affection pour Tayo dont on partage l’immense désespoir qui désormais l’habite. Son état est décrit avec une finesse inégalée, une justesse de tous les instants avec un sens profond de la description, une lenteur envoûtante qui nous immerge complètement dans la peau de cet homme brisé. Nous partageons vraiment tous ses états d’âmes, ses douleurs physiques aussi qui y sont liées, ses somatisations qui traduisent un mal-être bouleversant. Tel un zombie, on le suit dans ses virées alcoolisés avec ses connaissances (dont une sacrée crapule) et amis, ses tâches quotidiennes de ranching (dans sa famille, on élève des bovins sur de grandes surfaces terrestres), il chasse aussi à l’occasion. Mais tout cela est vide de sens, il pleure régulièrement et a perdu son chemin.
Entrecoupé de textes poétiques, incantations, histoires et pensées tribales, le roman emprunte une trajectoire initiatique à partir de son deuxième tiers. La rencontre avec un homme-médecine, puis avec une mystérieuse femme vont peu à peu sortir Tayo de sa torpeur, lui faire à nouveau ressentir des sentiments pleins et entiers. C’est le début d’une certaines renaissance qui va cependant s’accompagner de nouvelles tensions au sein de sa communauté. On baigne constamment entre récit intimisme et principes de vie hérités d’un glorieux passé, la culture amérindienne étant millénaire. C’est beau, profond, inspirant même et les histoires orales qui se racontent au coin du feu sont bien plus que des histoires, elles sont une matière éducative édifiante et prégnante. Le tout baigne dans des descriptions tout bonnement magnifiques de la nature environnante dont font intégralement partie les hommes, qui était là avant eux et qui perdurera quand ils disparaîtront.
Il y a beaucoup de mélancolie dans ces pages qui touchent en plein cœur. La tristesse d’un peuple dépossédé de ses terres qu’il aimait tant, la lente disparition des traditions aussi, le métissage des corps et des us qui amènent une aube nouvelle. Tayo en cela est à la croisée des chemins, à la frontière de deux réalités car il est né du fruit d’un amour interracial. Longtemps mis au ban de la société indienne, il doit cependant trouver sa place. Long sera son chemin… Le récit est à la fois puissant et délicat, la langue est merveilleuse, hypnotisante même. Rien n'est linéaire ici, on fait de constants allers-retours entre passé et présent, on s’accroche à ce qu’on peut, on se laisse guider et tout finit par s’éclairer, les trames s’entremêlent et l’on termine dans une certaine forme d’éblouissement dont on se rappelle longtemps après lecture.
Gros coup de cœur que cet ouvrage, un indispensable dans son genre que je vous invite à découvrir à votre tour le plus vite possible. Vous ne serez pas déçus !
"Bones and all" de Camille Deangelis
L’histoire: États-Unis.
Contrainte de fuir à cause de ce qu'elle est, Maren, seize ans, sillonne les routes américaines en quête de nouvelles attaches. Et lorsqu'elle rencontre l'énigmatique Lee, elle se prend à rêver d'une vie à ses côtés... Une vie de bohème et de liberté. Car Lee lui ressemble : comme elle, il ressent le besoin irrésistible de dévorer les êtres humains... Et si Maren n'était finalement pas aussi seule qu'elle le pensait ?
La critique de Mr K : Bones and all de Camille Deangelis est un roman assez malin dont l’adaptation cinématographique (signé Luca Guadagnino tout de même !) est sortie fin novembre. Mélange de road-movie, de quête de soi et de ses origines, roman d’horreur aussi (mais vraiment à petites doses), voila un ouvrage qui m’a bien plu, totalement addictif et bien mené. Certes l’originalité n’est pas forcément au rendez-vous mais on passe vraiment un très bon moment.
Maren vit seule avec sa mère et change très souvent de domicile et de région. Il faut dire qu’elle a d’étranges pulsions cannibales qui la poussent à dévorer les personnes qui lui témoignent de l’affection. Avouez que c’est ballot et surtout difficile à gérer... La mère un jour n’en pouvant plus, l’abandonne à son sort et part loin de cette fille dont elle n’accepte plus la nature. Maren va devoir se débrouiller seule, se lancer sur les routes pour retrouver un père qu’elle n’a jamais connu. Peut-être lui, pourra-t-il lui fournir des explications sur ce qu’elle est ? Sur la route, elle fera des rencontres qui vont transformer le voyage en une ode initiatique qui va voir la jeune fille se confronter à sa nature et à ses racines.
Ce roman, une fois débuté, ne peut être relâché. Sa grande force réside dans sa protagoniste principale et dans le rythme global que l’auteure a su imprimer à son récit. Écrit à la première personne, on s’immerge littéralement dans l’esprit perturbé de Maren qui au-delà de sa tare se révèle être une jeune fille comme toutes les autres, pétrie de doutes et d’interrogations sur elle-même et sur le monde. La dimension psychologique est très bien rendue, très crédible et donne à voir une trajectoire bien borderline pour une Maren attachante qui cherche avant tout à se comprendre mieux et à trouver quelqu’un qui pourrait l’accepter telle qu’elle est. Vous imaginez bien qu’elle va finir par croiser des créatures semblables avec quelques nuances qui m’ont surpris et apportent une valeur ajoutée au postulat de base.
De l’horreur, il y en a mais les scènes sont habilement conduites, quasiment en hors champs, évoquées mais jamais dévoilées totalement laissant le lecteur imaginer ces repas d’un genre particulier. L’horrible est indicible en soi et l’imagination fait le reste, l’effet est garanti, le morbide présent mais pas envahissant. Cette subtilité participe à l’instauration d’un climax ambigu tout au long du roman, l’impression qu’on ne peut vraiment s’appuyer sur quelque chose de solide, de durable, tout peut basculer d’une ligne à l’autre. La fin en la matière est un très bel exercice de style qui m’a cueilli et convaincu.
Tous les personnages sont merveilleusement ciselés, leurs interactions remarquablement mises en mots participent à une ambiance unique faite de contemplation, d’attirance et de répulsion. Le désir est au cœur du récit : le désir d’affection, d’amour, de mort aussi, Eros et Thanatos se donnent rendez-vous à la lumière d’une sortie d’adolescence compliquée si je puis m’exprimer ainsi. La langue accompagne bien le propos. Visant les adolescents, roman pour les jeunes lecteurs, ce n'est certes de la grande littérature mais ce n'est pas ce qu'on lui demande véritablement et ça fait le job ! Les pages s’enchaînent rapidement, sans lassitude et au final, on ressort content d‘une lecture parfois prévisible mais vraiment rafraîchissante et à la portée plus lointaine qu’on ne pouvait le penser au début.
"La Révolte au coeur" de Maïa Brami
L’histoire : Un été incandescent dans la vie de la future Gisèle Halimi.
Juillet 1945. Chaque matin, sous un soleil brûlant, Gisèle piétine devant la Résidence générale de Tunis, déterminée à obtenir le papier qui lui donnera des ailes : un ordre de mission avec Paris pour horizon. Car Gisèle veut étudier à la Sorbonne et devenir avocate. Elle veut lutter contre l'injustice, elle veut se battre pour le droit des femmes - deux combats qui s'enracinent dans son enfance.
Face à la mer, l'été de ses 18 ans, Gisèle navigue dans ses souvenirs, le regard tourné vers l'avenir.
La critique de Mr K : Très belle lecture à nouveau dans la collection Litt’ d’Albin Michel, une collection qui s’adresse à un public plus jeune et dans laquelle j’avais beaucoup aimé Alice, 15 ans, résistante de Sophie Carquain. Dans La Révolte au cœur, Maïa Brami s’attaque à une figure majeure du combat des femmes, Gisèle Halimi ni plus ni moins, une femme disparue récemment (2020 déjà) et que j’admire au plus haut point. Cet ouvrage revient sur un moment clef de sa jeunesse, lorsqu’elle s’apprête à réaliser son rêve, partir pour Paris pour étudier le droit, devenir avocate pour pouvoir combattre les injustices.
C’est que Gisèle a déjà une forte personnalité dès son plus jeune âge. Brillante, persévérante et engagée, elle sait depuis petite qu’elle veut devenir avocate avec un e comme elle le dit souvent. Dans le milieu juif tunisien de l’époque, les filles ne sont pas vouées à faire de longues études et à s’émanciper. Bien au contraire, elles restent dans l’ombre du père, pater familias tout puissant (quoique dans ce domaine, le paternel est ici plus progressiste qu’il n’en a l’air), les filles doivent se marier, but ultime d’une existence où la famille, les enfants, la descendance sont au cœur des projets de la communauté. Gisèle n’en a cure, elle veut exister pour elle-même et ne se retrouve pas dans ce projet de vie tout tracé qu’elle trouve avilissant et passéiste.
En cela, elle s’oppose constamment et assez violemment à sa mère qui s’apparente à la tradition, l’icône que l’on doit renverser pour se révéler à soi (voir chronique sur À l’est d’Eden de Steinbeck). Cela donne des scènes fortes, très émouvantes, remuantes, où la jeune fille à l’esprit vif se heurte frontalement aux attentes de son milieu social qui ne correspond pas à sa quête d’épanouissement personnel, à ses convictions profondes. Dès sa jeunesse et plus particulièrement son adolescence et son existence de jeune adulte, la vie de Gisèle Halimi fut un combat. C’est très bien retranscrit ici avec une finesse et une justesse des mots qui font écho aux romans autobiographiques d’Halimi dont s’est inspirée l’auteure en imaginant les scènes d’interactions familiales qui nous sont ici proposées.
J’ai aimé suivre la lente maturation de la femme en devenir à travers les stratagèmes déployés pour pouvoir lire des livres en cachette, les échanges de haute volée avec sa mère et leurs rapports complexes, la relation unique qu’elle noue avec son père partagé entre deux mondes (la tradition et l’émergence de la femme libérée), les scénettes du quotidien, les petites incartades culturelles et sociales qui permettent de mieux saisir les protagonistes et le contexte particulier de l’époque (la colonisation française, la fin de la guerre et les américains, les rituels sociétaux notamment). C’est bien simple, l’immersion est totale, l’addiction quasi immédiate avec un style accessible et exigeant à la fois.
On s’attache immédiatement à cette jeune Gisèle qui fait bouger les lignes dès son plus jeune âge et qui va faire progresser la lutte féministe bien plus tard. Cette évocation des racines de ses combat est vraiment remarquable sans pour autant tomber dans la démonstration factice ou lénifiante. On est ici dans l’humain, l’intrinsèque, la volonté pure. Cette lecture fut vraiment très plaisante, envoûtante et finalement très enthousiasmante. Une vraie et grande réussite qu’il faut partager, discuter et faire découvrir aux jeunes générations car comme chacun sait, le combat doit continuer tant la cause des femmes mérite qu’on l’entretienne et qu’on la perpétue.
"Le Chant d'Haïganouch" de Ian Manook
L’histoire : On leur avait promis une terre qu’ils ne quitteraient plus. Et c’est à un nouvel exil qu’ils sont contraints... ?
Ils en rêvaient : reconstruire leur pays et leur histoire. Comme des milliers d’Arméniens, Agop, répondant à l’appel de Staline, du Parti Communiste français et des principales organisations arméniennes de France, quitte sa famille et embarque en 1947 à bord du Rossia dans le port de Marseille. Mais au bout du voyage, c’est l’enfer soviétique qu’il découvre et non la terre promise.
Sur les bords du lac Baïkal, Haïganouch, une poétesse aveugle, séparée de sa sœur lors du génocide de 1915, aujourd’hui traquée par la police politique, affronte, elle aussi, les tourments de l’Histoire.
Des camps de travail d’Erevan aux goulags d’Iakoutsk, leurs routes se croiseront plus d’une fois, au fil d’une odyssée où la peur rencontre l’espoir, le courage et l’entraide. Agop et Haïganouch parviendront-ils à vaincre, une fois de plus, les ennemis de la liberté, pour s’enfuir et retrouver ceux qu’ils aiment ?
La critique de Mr K : Très belle lecture que cette fresque familiale aussi prenante qu’enrichissante sur le sort peu enviable du peuple arménien à travers un XXème siècle qui ne les a pas épargnés, loin de là. Dans Le Chant d’Haïganouch, Ian Manook propose un récit polyphonique entre destins contrariés, évocation sans fard de l’URSS, moments de joie et à travers tout cela, la force de résistance d’un peuple malmené par l’Histoire. Addictif !
Ainsi, on suit le parcours d’un arménien séduit par la promesse de Staline d’accueillir les membres de la diaspora dans une République soviétique arménienne qui n’attend qu’eux. Il découvrira l’enfer soviétique... Agop s’est laissé bercer d’illusion, lui dont la famille a déjà connu le terrible génocide arménien perpétré par la Turquie à leur encontre à partir de 1915 et qui croit dur comme fer qu’il peut aller en Arménie, s’installer puis faire venir sa petite famille. Très vite, il va voir l’envers du décor, il perd sa nationalité française, devient soviétique de fait et est enfermé dans son nouveau "pays". C’est le début d’une longue descente aux enfers qui le verra envoyé en camp de travail, puis au goulag dans un pays où la liberté n’existe tout simplement pas et où tous ont peur d’une mort suspendue aux décisions iniques des hommes de pouvoir, à commencer par Staline et son âme damnée Beria. En parallèle, on suit les affres de sa famille restée en France, qui vivent dans l’incertitude et guettent la moindre nouvelle.
D’autres chapitres mettent en scène Haïganouch, une poétesse aveugle, d’origine arménienne elle aussi, qui est poursuivie par la police politique soviétique en URSS. Elle y a refait sa vie suite au traumatisme lié à sa séparation d’avec sa famille victime du génocide. Son histoire démarre avec l’exécution sommaire de son mari et son viol en début d’ouvrage, un passage terrifiant. Elle va tout mettre en œuvre pour retrouver son fils perdu (déporté lui aussi) et va rencontrer divers personnes qui vont l’aider dans son périple qui très vite se mue en un récit quasi initiatique avec la nécessaire métamorphose de tout être détruit pour dépasser sa peine et réussir à survivre. L’auteur ne nous épargne pas là non plus et son destin est passionnant quoique douloureux.
Ian Manook nous plonge vraiment dans l’URSS stalinienne. Sans exagération, ni manichéisme, il décrit avec justesse le fonctionnement de cette dictature qui a enfermé littéralement ses citoyens et a fait des millions de morts. C’est la peur qui domine tout, la peur de mourir de faim, la peur du froid, la peur de l’occident, la peur de se faire dénoncer, la peur de se faire arrêter, la peur de mourir ou de faire mourir sa famille car le chantage est l’une des armes favorite du régime. Les pages transpirent de ce sentiment aliénant qui change les vertueux en fourbes et amène la méfiance dans le cœur de tous. Tous les personnages sont traités avec humanité et complexité, y compris chez les êtres les plus vils. Cela renforce le roman, lui donne un aspect réaliste qui prend aux tripes et donne à voir les vicissitudes des humains. Le devoir, le pouvoir, l’amour, la haine, l’amitié, la famille, le tout perturbé et perverti par un régime qui nie toute moralité et humanité.
On passe vraiment par tous les états, les espoirs se succèdent aux crises, aux remises en question, à la perte de repères. L’écriture limpide, fluide, donne vie à tout cela avec maestria, distillant un charme fou à cette histoire pourtant terrible. Ian Manook est un excellent conteur d’histoire, un écrivain engagé soucieux de l’exactitude historique, un maître de la plume que je découvre plus intime ici vu qu’il s’inspire de ce que sa propre famille a pu vivre. Une très belle expérience, éprouvante et enivrante à la fois. À lire absolument !
"L'Âme de l'Amérique" de Sylvie Brieu
L’histoire : Terre d’aventures et de liberté, l’Ouest américain fascine avec ses grands espaces, les traditions de ses tribus emblématiques, son mythe éternel du cow-boy. C’est le lieu où l’Amérique a forgé sa légende. Une légende ravivée par le cinéma, la télévision, la littérature, et dont le Montana offre la quintessence.
Des Rocheuses aux Grandes Plaines, des coulisses du parc de Yellowstone à celles du champ de bataille de Little Bighorn, Sylvie Brieu, grand reporter et écrivaine, nous entraîne dans un road-trip captivant à la rencontre d’Indiens, de champions de rodéo, d’auteurs, d’artistes et de spécialistes de la faune sauvage. Leur amour inconditionnel pour un environnement exceptionnel, aujourd’hui menacé, nourrit leur sens très profond de la communauté et leur résistance.
Loin des clichés d’une nation individualiste, de truculentes personnalités s'unissent dans des alliances redoutables pour dessiner un "Nouvel Âge environnemental". L’avenir des Etats-Unis se jouerait-il dans les marges ?
La critique de Mr K : Une lecture différente aujourd’hui avec un ouvrage documentaire écrit par une journaliste française que l’Amérique fascine depuis l’enfance. Dans L’âme de l’Amérique, Sylvie Brieu nous invite à plonger dans ce pays incontournable qui nourrit les fantasmes, les caricatures mais aussi les rêves les plus fous. À travers ses observations, ses rencontres et échanges, elle nous propose un voyage ébouriffant, d’une richesse inouïe et offre par là même une lecture riche de sens et de plaisir. Quel beau voyage !
C’est donc au Montana que nous posons nos valises pendant plus de 350 pages, un des États les plus vastes des États-Unis (le 4ème plus grand pour être exact) mais aussi un des moins peuplés. À nous les grands espaces avec les montagnes sauvages, les rivières fugueuses et les parcs naturels préservés dont le célèbre Yellowstone. Cela donne dans cet ouvrage de belles pages contemplatives, où l’on observe la faune et la flore au plus près, des descriptions qui procurent une évasion immédiate, une envie de décoller et de partir outre-atlantique pour suivre les pas de l’auteure. C’est d’ailleurs un de mes rêves de voyage et j’espère que ça pourra se réaliser. On retrouve cette aura majestueuse et fascinante qui m’avait tant marquée lors de mes visionnage de Jeremiah Johnson ou encore Et au milieu coule une rivière.
Cet ouvrage aborde aussi la question douloureuse des amérindiens, des cicatrices encore à vif du génocide dont ils ont été victimes par des blancs sans scrupules et sûrs de leur supériorité. Le Montana est chargé de cette Histoire et leurs descendants sont toujours à la marge, parqués dans des réserves, assommés par le chômage, la misère et les ravages de l’alcool et des drogues. Pour autant cet ouvrage ne nous livre pas une version pessimiste, il surfe plus sur les initiatives mises en place pour lutter contre cet état de fait, contre les magnats de l’énergie qui par leurs appétits capitalistes démesurés pourraient mettre en danger les hommes et les écosystèmes. On croise quelques unes de ses figures de résistance qui forcent le respect et représentent vraiment l’Amérique dans son combat pour la liberté.
On est donc bien loin des idées reçues et du miroir déformant que renvoient les médias sur les USA en 2022. Certes c’est un pays fracturé par l’expérience Trump, par les tensions raciales vieilles de plusieurs décennies mais c’est aussi une perle naturelle et une terre d’entraide et de combats nobles. L'Âme de l'Amérique résume tout cela à travers un road-trip passionnant, mêlant ressenti personnel et travail journalistique sans faille. Une belle expérience de lecture que je vous convie à tenter à votre tour.
"Les Chants de Nüying" d'Émilie Querbalec
L’histoire : La planète Nüying, située à vingt-quatre années-lumière du Système solaire, partage de nombreux traits avec la Terre d’il y a trois milliards d’années. On y trouve de l’eau à l’état liquide. Son activité volcanique est importante. Ses fonds marins sont parcourus de failles et comportent quantités de sources hydrothermales. Elle possède une magnétosphère et une atmosphère dense, protectrice. Tout cela en fait une bonne candidate pour héberger la vie.
La sonde Mariner a transmis des enregistrements sonores de Nüying : des chants qui évoquent par analogie ceux des baleines.
Quand elle était enfant, Brume a entendu cet appel. Désormais adulte, spécialisée dans le domaine de la bioacoustique marine, elle s’apprête à participer à la plus grande aventure dans laquelle se soit jamais lancée l’Humanité : rejoindre Nüying au terme d’un voyage spatial de vingt-sept années.
Que va-t-elle découvrir là-bas ? Une civilisation extraterrestre ou une remise en cause totale de ses certitudes ?
La critique de Mr K : Un très bon roman de science-fiction au programme de la chronique du jour avec Les Chants de Nüying d’Émilie Querbalec, une auteure que je découvrais pour l’occasion et dont j’avais entendu parler sur la blogosphère et les réseaux sociaux. Force est de constater qu’elle est douée, qu’elle sait emballer un récit, construire du neuf à partir d’idées à priori basiques et propose un voyage littéraire à couper le souffle entre anticipation réaliste et voyages intérieurs source d’inspiration et de réflexion.
Ne vous laissez pas berner par la quatrième de couverture officielle, le roman ne se résume pas au parcours de Brume qui n’occupe finalement qu’un tiers du roman car en filigrane, on la suit elle certes mais aussi d’autres personnages qui vont participer à ce voyage à nul autre pareil, aux confins du cosmos, vers un monde source d’espoir. Il y a Brume et cette fascination qu’elle a depuis l’enfance pour les acoustiques marines et qui veut savoir quels sont les fameux sons qu’une sonde à réussi à capter sur Nüying. On suit aussi Jonathan le patron de Space O’ richissime homme d’affaire qui rêve d’immortalité grâce à un procédé révolutionnaire de transplantation de l’esprit dans un clône de lui-même, Dana et Williams des scientifiques qui embarquent pour justement le suivre sur cette expérimentation aussi lourde de promesses que de menaces... Et toute une série de personnages plus ou moins secondaires qui vont tous avoir leur importance à un moment ou un autre de l’aventure.
Divisé en trois grandes parties, les préparatifs, le voyage et l’arrivée sur Nüying, on navigue d’un personnage à un autre, explorant les ressorts de leurs psychés, leurs motivations intimes et les choix qu’ils doivent faire. C’est très poussé dans le domaine, l’auteur prend son temps pour poser ses bases avant de mieux les bousculer par la suite. On se prend au jeu et malgré le côté repoussoir de certains, on s’attache à tous car chacun apporte sa pierre à l’édifice abordant au passage des questions clefs de notre humanité : le poids de l’hérédité et notre rapport avec nos ascendants, le progrès avec ce qu’il apporte et retire, l’amour qui rompt la solitude mais apporte de grandes responsabilités parfois et modifie notre perception des choses, la question de notre mortalité aussi et du sens que l’on donne à notre existence, le fondamentalisme religieux, la foi et ce qu’elle implique... C’est très profond et très abordable à la fois. Côtoyer tous ces personnages a été un plaisir de chaque ligne, l’auteure d’ailleurs ne nous ménage pas et nombreuses sont les circonvolutions du récit.
L’aspect SF est lui aussi très réussi. Technique sans jamais perdre ou égarer, on est dans quelque chose de plutôt réaliste, qui essaie toujours de rendre l’équipée crédible. Que ce soit le vaisseau en lui-même, les équipements qui le composent, l’évolution des êtres humains avec leurs néo-connectiques directement implantées sur le corps (des post-humains en quelque sorte), l’IA que l’on croise à l’occasion, le fameux procédé qu’expérimente le grand patron... tout est remarquablement amené créant un ensemble assez bluffant, complet dans lequel on aime se perdre, fenêtre vers un futur que j’ai trouvé pour ma part plutôt inquiétant avec un recul du réel, de la nature au profit de l’artificiel et du virtuel. Cela donne lieu à de nombreuses réflexions, de celles que l’on mène déjà avec les dernières innovations qui ont fait irruption dans notre quotidien depuis déjà 20 ans et modifient clairement nos habitudes et nos comportements.
Le récit finit par prendre une trajectoire déroutante et quasi mystique dans le dernier quart lorsque l’on retrouve sur Nüying... Je n’en dirai pas plus mais quand on dit que le plus important est souvent la route plutôt que l’objectif final, c’est tout à fait cela ici. Non que la fin soit décevante, elle est très réussie même, mais tout a une logique et j’ai trouvé le dénouement en parfaite adéquation avec l’évolution de chacun des personnages. Quant à l’écriture c’est limpide, rythmé, exigeant, tout ce que j’aime dans le genre SF.
Cette lecture fut vraiment un grand moment, les amateurs ne doivent pas passer à côté.
"Les Promises" de Jean-Christophe Grangé
L'histoire : Les Promises, ce sont ces grandes Dames du Reich, belles et insouciantes, qui se retrouvent chaque après-midi à l'hôtel Adlon de Berlin, pour bavarder et boire du Champagne, alors que l'Europe, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, est au bord d'imploser. Ce sont aussi les victimes d'un tueur mystérieux, qui les surprend sur les rives de la Sprée ou près des lacs, les soumettant à d'horribles mutilations...
Dans un Berlin incandescent, frémissant comme le cratère d'un volcan, trois êtres singuliers vont s'atteler à l'enquête. Simon Kraus, psychanalyste surdoué, gigolo sur les bords, toujours prêt à faire chanter ses patientes. Franz Beewen, colosse de la Gestapo, brutal et sans pitié, parti en guerre contre le monde. Mina von Hassel, riche héritière et psychiatre dévouée, s'efforçant de sauver les oubliés du Reich.
Ces enquêteurs que tout oppose vont suivre les traces du Monstre et découvrir une vérité stupéfiante. Le Mal n'est pas toujours là où on l'attend.
La critique Nelfesque : Grangé est un auteur que j'aime beaucoup. Je ne peux pas m'empêcher de sauter sur ses romans dès leurs sorties (je n'essaye même pas à vrai dire). Il y a du bon, du très bon, du très très bon et puis parfois des flops tellement gros qu'ils donnent envie de les mettre au feu. Avec "Les Promises", on renoue avec le talent du maître du thriller français. Rythme, rebondissement et maîtrise de l'histoire de bout en bout. Voilà un grand Grangé autant par la personnalité de ses personnages principaux, salauds enquêteurs, que par son travail de recherche ! Haletant !
La grande force de cet auteur réside dans le suspens qu'il maîtrise diablement bien et ses fins de chapitres qui nous donnent sans cesse envie de poursuivre notre lecture. C'est le genre de bouquin où l'on se dit "allez, encore un chapitre et j'éteins" et où on se retrouve à 3h du mat' les yeux grands ouverts et dépités devant le peu d'heures de sommeil qu'il nous reste avant que le réveil ne sonne... "Les Promises" est fait de ce bois là, celui des page-turner efficaces, prenants et addictifs. D'autant plus que pour écrire ce présent roman, Grangé a abattu un travail phénoménal de recherches sur la seconde guerre mondiale et le IIIème Reich. Plus de 650 pages, c'est une sacré brique qui s'avale en un temps record !
L'histoire se déroule avant la guerre. Le régime nazi se met en place, s'ancre auprès de la population allemande. La terreur est déjà un ingrédient majeur de sa force qui ne cesse de monter en puissance et de sa folie qui s'affichera à la face du monde quelques années plus tard. C'est une immersion dans le Berlin de cette époque que nous propose l'auteur, cotoyant les berlinois, les bourgeois, les membres de la Gestapo, les familles de soldats mais aussi les oubliés, les pauvres, les fous bientôt exterminés... Les descriptions sont nombreuses, on prend vraiment le temps de comprendre le fonctionnement, on s'installe dans une ambiance et on admire le talent de Grangé pour étendre sa toile et nous y piéger.
Le danger est palpable à chaque page. L'auteur joue avec nos nerfs grâce à des personnages que l'on peut détester viscéralement tout en louant leur travail d'enquête. Il n'y a pas ici véritablement de "gentils" qui aident et de "méchants" à abattre, contexte mis à part, chacun faisant avancer l'enquête avec ses propres techiques. Cela installe un certain malaise, ce n'est pas non plus sans passages gores mais c'est tellement bien vu qu'on ne peut que se lever et applaudir ! De mémoire, je n'ai jamais ressenti autant d'ambivalence à l'égard de personnages de roman ces 10 dernières années. Le contexte historique y est sans doute pour beaucoup. Les 3 personnages principaux de ce roman sont tous différents, avec des métiers, des valeurs, des façons de vivre diamétralement opposés. Le lecteur apprend à les connaître petit à petit et à aller au delà des apparences. C'est un des points forts ici. Simon Krauss est psychanaliste, spécialisé dans le suivi (plus ou moins rapproché) de Dames du Reich. Mina von Hassel est psychiatre dans un hôpital en décrépitude. Franz Beewen est à la Gestapo et enquête directement sur les disparitions. Vous entrevoyez un peu le topo quand je parlais d'ambivalence ? Rien n'est tout noir ou tout blanc, Grangé joue sur les nuances et l'empathie pour ses personnages, quel qu'ils soient et quoi qu'ils fassent. Chacun d'eux nous émeut autant qu'il nous révulse.
Quant à la fin, elle est magistrale. Autant je déplore parfois des fins de romans trop rapides chez cet auteur, autant là on en a pour son argent. De bout en bout, "Les Promises" est un grand Grangé ! A lire si vous êtes fan du mec mais aussi si vous aimez les romans historiques. Vous m'en direz des nouvelles !
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- "La Dernière chasse"
- "La Terre des morts"
- "Congo Requiem"
- "Lontano"
- "Kaïken"
- "Le Passager"
- "La Forêt des Mânes"
- "Le Serment des limbes"
- "Miserere"
"Alice, 15 ans, résistante" de Sophie Carquain
L’histoire : Une sirène retentit dans la nuit. Puis ce sont les cris, les aboiements, le martèlement des bottes sur la terre gelée...
En septembre 1939, quand la guerre éclate, Alice a 15 ans et des rêves plein la tête. Elle se confie dans son journal, écrit des lettres à sa grand-mère, au garçon qu’elle aime en secret, à sa meilleure amie de confession juive. Elle aimerait qu’Hitler disparaisse. Plus tard, face à l’occupant allemand, Alice ressent le besoin d’agir : avec ses parents, elle brave un à un les interdits, distribuant des tracts, hébergeant des aviateurs alliés... Mais un jour, tous les trois sont arrêtés. Alice est déportée au camp de Ravensbrück, où commence pour elle une nouvelle forme de résistance.
La critique de Mr K : Une sacrée claque que cette lecture jeunesse qui aborde une période terrible de notre Histoire commune avec tact, pédagogie et justesse avec ce récit à la première personne qui touche en plein cœur. Alice, 15 ans, résistante de Sophie Carquain évite les écueils du genre en ne tombant pas dans le pathos ni l’accumulation indigeste. On suit avec admiration puis appréhension le destin d’Alice dans la tourmente des années 40...
Alice est une adolescente comme les autres. Elle va au lycée, elle a ses copines, un amoureux secret à qui elle n’a jamais avoué son tendre attachement, un jeune frère un peu relou et des parents attentionnés. Elle aime rire, passer du temps avec ses amies, lire, écouter de la musique et l’école lui plaît bien. Elle a pour projet de devenir vulcanologue. Seule ombre au tableau, un contexte international de plus en plus tendu avec notamment les gesticulations d’un moustachu en colère ayant pris le pouvoir en Allemagne en 1933. La guerre se rapproche et chacun craint le pire quand le conflit éclate.
C’est alors l’invasion de la Pologne et l’entrée en guerre de la France. Alice nous raconte sa traversée de la guerre. L’étonnement face à la Drôle de guerre puis l’occupation. Sa famille rentre en résistance en distribuant des tracts, elle participe activement sans se poser de questions. Il faut défendre son pays et aider comme on peut. Puis d’autres besoins se font sentir pour la cause, ils cachent des aviateurs anglais dans la maison familiale et aident à la fabrication de faux papiers. Malheureusement trahis, ils vont être arrêtés et c’est le départ pour le camp de travail de Ravensbrück où Alice va désormais apprendre à survivre pour une fois de plus résister.
Écrit à la première personne, ce roman se lit d’une traite. Très accessible, réaliste au possible, on se prend d’emblée d’affection pour Alice dès les premiers chapitres. Elle nous raconte par le détail ce qu’elle traverse et l’on explore à hauteur d’ado un conflit qui la dépasse et qui va la forcer à mûrir avant l’âge. Le portrait est touchant, émotions et sentiments se mêlent dans ces pages hantées par une situation générale épouvantable qui a balayé toutes les certitudes et espoirs que les personnages nourrissaient. Alice doit traverser cela, sa famille aussi. Vous imaginez bien que le sort sera funeste pour un certain nombre de ses membres...
Le background est fidèlement retranscrit et aucun aspect du conflit n’est oublié : de l’attente insoutenable face aux incertitudes d'un conflit qu'on sent imminent, l’exode, l’occupation entre résistance mais aussi collaboration, les arrestations arbitraires, le sort réservé aux juifs (sa meilleure amie est de cette confession), la clandestinité, le rationnement, les rafles, la déportation en train dans les conditions que l’on connaît, la vie dans un camp de concentration, le retour au foyer et le déchirement intérieur qu’on ne réparera jamais. Ce roman respecte parfaitement l’Histoire, facilitera sans doute sa compréhension pour nos jeunes à qui cette matière peut faire peur (et à raison souvent...).
On arrive à la fin du livre sans vraiment s’en rendre compte même si la tension s’accumule et provoque un serrement de cœur terrible et durable. On referme alors Alice, 15 ans, résistante heureux de cette lecture brillante, forçant la réflexion et nourrissant la mémoire collective. Un indispensable.