"Mon ami Frédéric" de Hans Peter Richter

L’histoire : En Allemagne, avant la guerre, deux enfants sont inséparables. L'un d'eux s'appelle Frédéric. Il est Juif. Mais lorsque Hitler prend le pouvoir, en 1933, il a décidé que les Juifs n'ont pas le droit de vivre : on les insulte, on les chasse, et bientôt Frédéric est renvoyé de l'école...

La critique de Mr K : C’est une lecture à la saveur toute particulière que je vous présente aujourd’hui, un livre que m’avait fait découvrir ma professeur de français en 5ème et qui m’avait beaucoup marqué à l’époque. Je suis retombé sur Mon ami Frédéric lors d’un chinage chez notre Emmaüs et tous mes souvenirs sont remontés d’un coup. Du haut de mes 46 balais, j’ai revécu une superbe expérience littéraire avec ce roman unique et essentiel. Il n’a rien perdu de sa percussion et j’ai encore plus apprécié le process et la langue. Vive l’expérience !

Le narrateur vit avec ses parents au premier étage d’une maison louée aussi à une famille juive qui habite au dessus. Très vite, il se lie d’amitié avec Frédéric le fils du couple et ils deviennent inséparables. L’amitié pour les enfants est sacrée, les liens sont forts et ils partagent tout. Mais l’époque est sombre, Hitler arrive au pouvoir et débute alors une politique insidieuse et implacable envers la communauté juive : tracasseries administratives, ségrégation, violences morales et physiques, pogroms puis après le déclenchement de la guerre bien pire encore...

Cet ouvrage est paru en Allemagne en 1963, il faudra attendre 1992 pour qu’il soit édité en France... Cela laisse songeur quand on voit la qualité du récit de Hans Peter Richter, auteur allemand né en 1925 et qui a donc vécu de l’intérieur la montée du nazisme dans son pays. Avec cette amitié particulière dans un contexte historique lourd, on oscille entre le récit intimiste narrant une amitié pure et l’immersion historique insistant sur la progression des mesures anti-juives menées par l’État nazi en matière d’éducation, d’emploi, de vie sociale et amoureuse, la répression la plus féroce s’appuyant sur les clichés véhiculés et les frustrations d’une population allemande manipulée. La narration chronologique est une modèle du genre et permet à chacun d’éprouver la manière dont les familles juives ont pu vivre ces moments terribles où l’étau se resserrait sur elles et les questions existentielles qu’elles ont pu se poser.

L’ouvrage est marquant parce que vu à travers les yeux d’un enfant qui oscille entre son amitié indéfectible pour Frédéric, le camarade de classe et de jeu et en parallèle la montée du nazisme et son aspect aventureux. Il rentre d’ailleurs à un moment dans les jeunesses hitlériennes et ressent une forme d’adhésion non pas à l’antisémitisme mais à l’esprit de corps, de groupe uni poursuivant les mêmes aspirations. Cette ambivalence est notable et appréciable, elle rend le récit crédible malgré l’aspect fictionnel et explique en partie les logiques en œuvre dans le glissement vers la barbarie d’une société sensée être civilisée.

Les deux amis sont finalement dans deux camps opposés et même s’ils ne feront pas le choix de se séparer, le destin le fera à leur place. Plus on avance dans le temps plus Frédéric et les siens souffrent, s’approchent de l’abyme. Le narrateur fait tout pour soutenir son ami mais des forces bien plus importantes sont en œuvre. Cela rend l’ensemble extrêmement touchant et donne à réfléchir sur l’incurie humaine à travers les temps. On ressort rincé de cette lecture addictive et fortement émouvante avec en bonus une chronologie ajoutée en fin d’ouvrage qui revient sur les différentes lois mis en place par Hitler et sa clique après son accession au pouvoir en 1932.

La lecture de cet ouvrage devrait être obligatoire tant elle transpire d’intelligence, de grâce et de pédagogie. Dans son domaine c’est un trésor de sagesse et d’accessibilité en terme langagier. À lire absolument si ce n’est déjà fait.