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Le Capharnaüm Éclairé
11 janvier 2024

"Place du Paradis" de Xavier-Marie Bonnot

 

L’histoire : Place du Paradis est le roman cruel de l'actualité, l'histoire croisée de deux êtres que tout oppose et que la guerre réunit. Un récit incisif sur une dérive terroriste, ponctué par les témoignages réels des accusés et des victimes des attentats du 13 novembre.



Raqqa, Syrie, 2017. Pierre Déjean, célèbre photographe de guerre, suit des Français enrôlés dans les YPG, les unités de protection du peuple kurde. Leur mission : libérer la place du Paradis, lieu hautement symbolique que Daesh a désigné comme la place des supplices...

 

La critique de Mr K : Lire un Xavier-Marie Bonnot s’est toujours révélé être une expérience à part, un bonheur de lecture mêlant langue subtile, protagonistes nuancés et bien souvent réalité historique immersive à souhait. Le dernier né de l’auteur, Place du Paradis, tout juste sorti aux éditions Récamier ne déroge pas à ce triptyque vertueux. Malgré une sujet fort et difficile, on passe un excellent moment.

 

La place du Paradis est un lieu emblématique de la ville de Raqqa en Syrie. Lieu de combats acharnés, elle a été prise par Daesh et l’histoire débute quand elle est libérée par les combattants kurdes avec le soutien de la coalition internationale. Au milieu des ruines, des bombardements intensifs, de la poussière et des cris, une femme d’origine française : Marie. Elle a suivi son mec devenu djihadiste, l’a épousé et s’est convertie elle-aussi. La voila prisonnière et c’est à cette occasion qu’elle va rencontrer Pierre, photographe-reporter de guerre avec qui elle va échanger avant son départ vers un camp de prisonniers pour être jugée.

 

Entre la jeune femme jusqu’au-boutiste qui s’est fourvoyée et commence à s’en rendre compte sans vraiment se renier et ce vieux de la vieille qui a bien roulé sa bosse et appréhende bien mieux qu’elle le monde de par son expérience, un lien se crée, inexplicable. Quelques mois plus tard, après son retour clandestin en France, elle est arrêtée et incarcérée. On lui propose d’alléger sa peine en échange d’informations sur le réseau auquel elle appartenait et notamment sur les relations qu’entretenait Fabien (son mari) avec certains membres de Daesh. Elle donne son accord et exige de rencontrer Pierre. Ce dernier va lui rendre visite.

 

Le roman alterne les chassés-croisés entre le présent et l’évocation forte en émotion du procès des attentats de novembre 2015, le passé de Marie et sa lente radicalisation et la propre existence de Pierre notamment la tradition de Résistance fortement ancrée chez lui, son père ayant combattu contre l’occupant auprès du poète René Char. La chronologie n’est pas respectée, l’auteur pioche là où bon lui semble pour construire des portraits nuancés, complexes et profondément humains. Car oui, derrière certains monstres, se cachent des êtres plutôt banals au départ, aux fêlures infinitésimales qui vont progressivement s’élargir et les mener dans le gouffre de l’intolérance et de la violence. Le cas Fabien est particulièrement intéressant dans ce domaine.

 

La tension monte au fil des développements. Qui est vraiment Marie ? Cette jeune fille bonne en classe, socialisée, issu d’une famille lambda, sans problèmes particuliers. Qui a manipulé qui ? Les rouages de la radicalisation, un phénomène inquiétant, quasiment invisible pour les plus proches parfois, est remarquablement décrit, cerné et explicité sans tomber dans la démagogie. On n’excuse rien ici évidemment mais on explique, on explore, on dissèque, on éclaire ce que l’humanité peut parfois produire de pire. Les deux personnages se répondent parfaitement et leurs trajectoires bien que très différentes laissent apparaître un très large spectre de ce que peut être une destinée humaine.

 

On retrouve cette finesse et ce sens de la nuance, ô tellement précieuse par les temps qui courent, dans la caractérisation du background avec des focus passionnants sur les combattants kurdes, l’organisation de Daesh et le parcours des djihadistes étrangers, les relations internationales mais aussi le suivi des radicalisés et ce qui leur arrive après leur capture. Les mises aux point sont claires, sans recherche d’effet de manche ou d’exagération. On colle aux faits, à la réalité, tout en restant dans la fiction qui est ici, vous l’avez compris, très très inspirée de la réalité et de certains parcours qui ont été exposés lors des procès pour terrorisme de ces dernières années.

 

L’ensemble est bluffant, à ranger auprès de la trilogie Benlazar de Frédéric Paulin qui sur le même sujet avait livré une œuvre colossale aussi mais plus étendue sur la temporalité. Xavier-Marie Bonnot est un grand auteur lui-aussi, un maître de la plume qui sublime tous les sujets qu’il touche. Place du Paradis est vraiment un roman à ne pas rater. Malgré son sujet difficile, il procure une lecture exaltante et éclairante.

 

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Berlin Requiem
- Le Tombeau d'Apollinaire

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