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Le Capharnaüm Éclairé
2 janvier 2023

"La Brigade de l'Oeil" de Guillaume Guéraud

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L’histoire : Rush Island, 2037. La loi Bradbury interdit toutes les images depuis vingt ans sur l'ensemble du territoire. La propagande matraque : Les photographies sont nocives. Le cinéma rend fou. La télévision est l'opium du peuple.
Les agents de la Brigade de l’Oeil, les yeux armés du gouvernement, traquent les terroristes opposés à cette dictature. Brûlent les images encore en circulation et les pupilles de ceux qui en possèdent. Parce qu'un bon citoyen est un citoyen aveugle.

La critique de Mr K : Voilà un ouvrage dont j’avais beaucoup entendu parler et que je voulais lire depuis un sacré bail. En effet, La Brigade de l’Oeil de Guillaume Guéraud était souvent cité lors de diverses conférences auxquelles j’ai pu assister aux Utopiales et j’avais lu des critiques élogieuses à son sujet sur divers blogs amis. C’est une fois de plus le hasard qui a mis cet ouvrage sur mon chemin lors d’un chinage de plus. Le moins que je puisse dire c’est que cette lecture fut top, une dystopie glaçante pour une écriture novatrice et très séduisante à la fois.

Cela fait vingt ans maintenant qu’à Rush Island, toutes les images sont interdites sur le territoire. La loi Bradbury (sic) interdit à quiconque d’en voir, d’en posséder, d’en conserver, d’en produire, d’en importer et d’en diffuser. Toute personne qui enfreindrait l’une de ces interdictions est immédiatement condamnée à perdre la vue, la sentence étant appliquée sur le champ par la Brigade de l’Oeil, un corps de Police dépendant directement du ministère de la sécurité qui possède toute latitude pour faire respecter et appliquer la loi.

Dans cette ouvrage, on alterne entre deux personnages principaux qui se partagent successivement les chapitres qui s’égrainent. Il y a Falk, un membre haut placé de la fameuse brigade dont on suite les interventions et les pensées. Il vit avec un passé douloureux, il a perdu sa femme et ne s’en remet pas vraiment. Ex de la criminelle, il est rentré dans cette nouvelle brigade suite à la Révolution qui a mis en place l’impératrice Harmony qui possède tous les pouvoirs. Pur produit du pouvoir mais aussi être humain tourmenté, le lecteur suit entre peur et curiosité les actions de ce personnage qui réserve son lot de surprises. Kao, est quant à lui un jeune lycéen qui deale à l’occasion des images et qui n’accepte pas tous ces interdits. Son propre grand-père a fait partie des premiers sacrifiés au cours des purges qui ont suivi l’installation du pouvoir, il était projectionniste de cinéma. Peu à peu, Kao va davantage s’impliquer dans la lutte menée par la Résistance contre ce pouvoir dictatorial qui efface progressivement toute forme de pensées et de souvenirs.

L’hommage à Bradbury et son fameux Fahrenheit 451 est évident, la filiation totale et la réussite exemplaire. Certes les vieux briscards de la SF dystopique seront rarement surpris en terme de péripéties mais c’est mené de main de maître avec pour commencer un background fouillé et flippant sans pour autant surcharger le récit. On apprend au fur et à mesure les origines des cette loi inique avec la volonté au départ de sauver les gens des images pernicieuses (le net, le cinéma, les dessins, l’art). L’utopie devient vite dystopie avec une société totalement encadrée et contrôlée par un pouvoir dictatorial strict et injuste. On se concentre beaucoup ici sur la fameuse brigade, ses méthodes musclées (les passages sur les exécutions de sentence sont terribles) puis vers le milieu du volume, on fait connaissance de plus près avec la cheffe suprême et l’idéologie qu’elle prône. Mais c’est résistant un homme et très vite en suivant Kao, sa relation suivie avec le vieil aveugle du cimetière et bientôt la Résistance, on rentre dans l’envers du décor avec son lot d’abominations subies et ses espoirs bien vivaces de tout renverser.

Les personnages sont très bien caractérisés. Là encore, on est dans du classique. Les archétypes fonctionnent pourtant à plein, on est dans le confortable, le plaisant, on se laisse totalement guider et embarquer. Les zones d’ombre se dévoilant au fil de l’intrigue, on se plaît à partager les affres du doute de chacun, leurs atermoiements et hésitations, leur folie parfois (il y a des passages vraiment bien barrés). D’ailleurs, tous les protagonistes sont logés à la même enseigne, les seconds couteaux se révèlent bien souvent savoureux même si la tonalité globale de l’ouvrage est dramatique et la fin sans concession. Elle m’a laissé totalement KO, il y a de l’audace à proposer un dénouement pareil par les temps qui courent où l’on distille du faux optimisme à tout va pour nous faire oublier la triste réalité des choses.

Au delà d’un roman d’aventure anticipation saisissant, l’ouvrage aborde aussi de vraies questions existentielles pour ne pas dire métaphysiques. Il est question ici de notre rapport à l’image évidemment, aux souvenirs et à la mémoire mais aussi à la réalité telle qu’on nous la représente. Certaines situations ou échanges entre protagonistes fournissent des réflexions intéressantes sur nos liens intimes avec le passé, la construction de soi et le besoin intrinsèque de notre espèce à se sentir libre. Grâce à son écriture brute de décoffrage, hachée, coupée où les idées ricochent entre elles, parfois violentes (la fin est vraiment apocalyptique), on est vraiment pris aux tripes et l’addiction est immédiate.

Un très bon roman donc, classé en jeunesse pour certains, que je ne peux que vous conseiller tant il résonne tout particulièrement à notre époque et son accessibilité conviendra à tous. Gare à la chute : ce voyage est terrifiant mais tellement salvateur ! Un beau coup de cœur pour ma part.

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Commentaires
T
Jamais entendu parler... <br /> <br /> Brrrr! <br /> <br /> Je vais me précipiter pour le lire, en pensant au dicton cité dans le film "La scoumoune" (appelle [au secours] tant que tu as encore la langue...).<br /> <br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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