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Le Capharnaüm Éclairé
4 janvier 2023

"17 piges, récit d'une année en prison" de Bast et Isabelle Dautresme

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L’histoire : Ben N'Kante, 17 ans, est au lycée en terminale lorsque deux policiers viennent le chercher pour l'emmener directement à la prison de Fleury-Mérogis où il est incarcéré dans le quartier pour mineurs. Il ne sait alors pas qu'il va y rester toute l'année suivante jusqu'à ses 18 ans. Sa vie bascule alors.

À son arrivée, Ben est un lycéen comme il en existe tant "à l'extérieur". Bon élève, il se rend tous les matins au centre scolaire de la prison avec la ferme intention de réussir son bac. Il se montre coopératif avec le médiateur de la protection judiciaire de la jeunesse et l'administration pénitentiaire.

Il ne faut que quelques mois du régime de détention et la perspective d'une sortie prochaine qui s'éloigne pour que le comportement de Ben se dégrade. Lui, le détenu exemplaire ne va plus en cours ou presque, se bagarre, insulte les surveillants... Lui, le jeune homme si soigné se néglige : la coupe de cheveux, les vêtements, plus rien n'a d'importance ! À quoi bon !

La critique de Mr K : Super bande dessinée que 17 piges, récit d’une année en prison de Bast et Isabelle Dautresme emprunté au CDI de mon établissement juste avant mon départ en vacances. Je vous l’accorde ce n’est pas la lecture la plus joyeuse en période de Noël mais quelle claque ! Le sujet des mineurs en prison n’est pas un des sujets les plus traités et pourtant, il y a matière et moi qui travaille régulièrement en centre pénitentiaire, la thématique m’intéresse au plus haut point. Ici on conjugue destin individuel et balayage très crédible de la vie carcérale dans un ouvrage qui fera date à mes yeux.

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Ben, 17 ans, se voit extrait de son lycée par les policiers et conduit directement en prison, à Fleury-Mérogis dans le quartier des mineurs. Pendant la première partie de l’ouvrage, on ne sait pas pourquoi il se retrouve là. Lui clame à qui veut l’entendre qu’il n’a rien fait et il a bon espoir de sortir vite de ce qui se révèle assez vite un enfer. Il joue le jeu, suit les conseils des éducateurs, de son avocat, va en cours pour préparer les épreuves anticipées de Première, mais au bout de quelques mois, on lui annonce que l’affaire se corse et que l’instruction prend une nouvelle tournure plus grave pour lui. Il commence à glisser du mauvais côté, son comportement change, il se renferme sur lui-même, devient agressif, ses 18 ans approchent et il pourrait bien se retrouver dans le grand bain avec les détenus adultes...

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Le portrait de Ben est très bien dressé. De suite, on s’attache à lui malgré ses zones d’ombre. Plongé dans un univers interlope, il subit littéralement la situation avec une privation totale de liberté, le bruit omniprésent, les engueulades et les coups de pression entre détenus, les surveillants parfois trop zélés, les fouilles régulières, la bouffe dégueulasse... Tout le révulse mais il tient au départ, persuadé qu’il est innocent et qu’il finira par sortir assez rapidement. Il apprend la débrouille, à filer droit, à cantiner... Malheureusement, ce milieu clos vient toujours à bout des hommes qui y errent, y compris les plus endurcis, les plus volontaires pour se réinsérer. Ses gardes fous vont finir par céder, le glissement est tout d’abord imperceptible, c’est un regard, une réflexion, une attitude de refus puis cela prend des proportions plus graves, le gamin (car c’en est un) va de plus en plus mal...

Autour, on côtoie d’autres personnes très bien croquées elles aussi. Les parents totalement bouleversés et perdus, les éducateurs et profs bien démunis qui travaillent avec des bouts de chandelles et doivent user d’une psychologie sans faille pour relever ces gamins qui se sont perdus en chemin, les surveillants aux conditions de travail difficiles avec son lot de bons professionnels et d’autres qui ne travaillent là que pour l’argent (et c’est le seul poste disponible vu leur cursus scolaire). On croise évidemment d’autres détenus aussi avec son lot de caïds, de propagandistes, de fous aussi, le tout dans une ambiance sombre et surpeuplée. Ça vous saute à la gorge et l’on retrouve vraiment l’ambiance d’une prison comme celle où je travaille. C’est assez bluffant dans son genre.

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En sous-texte, le message est sans ambiguïté, la prison démolit ces mineurs et loin de les mener à le rédemption, souvent amplifie leur glissement vers le banditisme voire pire. École de la délinquance, radicalisation, logique de violence mais aussi destruction de l’estime de soi posent les bases d’un dysfonctionnement à venir encore pire que la condamnation première. De fait, l’incarcération des mineurs s’avère être une aberration et un échec, selon les chiffres du Ministère de la Justice donnés en fin d'ouvrage, trois jeunes sur quatre deviendront des délinquants récidivistes : on est bien loin d'une justice qui répare et qui éduque...

Le récit est dense, efficace, très bien documenté. L’esthétique choisit en bichromie colle remarquablement bien au sujet et l’ensemble se lit vite et bien. Il s'agit vraiment d'un excellent ouvrage, à découvrir et à mettre entre toutes les mains.

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Commentaires
D
Voilà un article très complet :)
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