"Sauvages" de Nathalie Bernard
L’histoire : Jonas vient d'avoir 16 ans, ce qui signifie qu'il n'a plus que deux mois à tenir avant de retrouver sa liberté. Deux mois, soixante jours, mille quatre cent quarante heures. D'ici là, surtout, ne pas craquer. Continuer d'être exactement ce qu'ils lui demandent d'être. Un simple numéro, obéissant, productif et discipliné. En un mot, leur faire croire qu'ils sont parvenus à accomplir leur mission : tuer l'Indien dans l'enfant qu'il était en arrivant dans ce lieu de malheur, six années plus tôt.
La critique de Mr K : Belle claque que cet ouvrage qui m’a été conseillé par la professeur documentaliste de mon établissement. Sauvages de Nathalie Bernard traite d’un sujet hautement douloureux de l’histoire récente du Canada : l’acculturation des jeunes autochtones dans des pensions ressemblant à s’y méprendre à des camps de travail. En 2021-2022 des milliers de tombes anonymes de jeunes amérindiens avaient été découvertes provoquant l’effroi chez nombre d’entre nous. L’auteure nous propose de nous immerger dans cet univers concentrationnaire et de suivre le parcours de Jonas qui ne veut pas être un numéro et veut reconquérir sa liberté. Un voyage aussi brillant que glaçant.
Comme tous ses camarades du camp, Jonas n’est plus qu’un numéro. Il ne s’appelle pas Jonas d’ailleurs, son nom a été christianisé. Le but est simple, il faut tuer l’indien qui est en lui, briser ses liens avec son identité d’origine, lui interdire de parler sa langue, de pratiquer ses rites. Les journées s’apparentent à une routine infernale entre prière envers un Dieu soit disant miséricordieux, travail éreintant, cours propagandistes et repas insipides, le tout sous l’autorité drastique de sœurs et de frères dont la froideur n’a d’égal que la cruauté. L’espoir est bien mince voire inexistant pour ces enfants arrachés à leur famille, perdus au milieu de nulle part, dans une forêt glacée inhospitalière où les dangers sont nombreux à commencer par les chasseurs du crû d’une bêtise et d’une sauvagerie inouïe.
Dans la première partie du récit, Jonas nous raconte ses journées placées sous le sceau d’un compte à rebours devant le mener à sa "libération" (jour de ses seize ans). Le garçon est immédiatement attachant, il fait le dos rond mais intérieurement il bout. Révolté mais prudent, il attend patiemment son heure. Il faut dire que des choses étranges arrivent dans ce camp. Des jeunes disparaissent, d’autres subissent des mauvais traitements et les tombes s’accumulent dans la cour. La vie est difficile, les rapports biaisés par le système mis en place entre les jeunes prisonniers. On se méfie de tous, on pèse ses mots et parfois on se prend à se rapprocher, à partager, à se serrer les coudes mais gare à la chute... Les sentiments exacerbés, les convoitises, jalousies et faux semblants mènent une valse bien funèbre avec en milieu de volume un événement qui va précipiter la trame vers une fuite et une chasse à l’homme impitoyable.
La complexité des émotions et sentiments humains sont remarquablement traités dans cet ouvrage. On n’est jamais dans la surenchère, la facilité, le pathos. Jonas nous touche par sa justesse, son courage, son amour de la liberté. On croise présent et passé avec des scènes de flash-back touchantes au possible, sur sa vie d’avant, si proche et si lointaine à la fois. Une famille perdue, une amie chère, des instants de bonheur fugace brisés par cette incarcération inique et destructrice. Quand on pense que ça a pu exister jusqu’à encore très récemment (fin du XXème siècle)...
Pour contrebalancer l’horreur, il y a les rêves éveillés d’échappatoire et il y a surtout la Nature. Magnifiée, décrite dans toute sa beauté, son aspect sauvage, elle est omniprésente dans ce lieu reculé et dans le cœur de Jonas. On ressent les odeurs, le froid, la pureté de ces lieux magiques et parfois effrayants. Un torrent glacé, des arbres à perte de vue, des animaux invisibles dont on devine la présence… autant d’éléments qui densifient le récit, lui donnent une touche unique et contribuent à un climax des plus immersifs.
L’écriture est un petit bijou. Cette fausse simplicité qui rend l’ensemble accessible cache des trésors de finesse et explore à merveille la psyché des personnages tout en décrivant les charmes profonds de la nature environnante. On se laisse prendre par le récit qui nous porte, nous accompagne et nous émeut au plus profond. Qu’il est bon d’être ainsi transportés et enrichis ! Un pur bonheur de lecture que je vous invite à découvrir au plus vite et ceci quel que soit votre âge. Vous n’en sortirez pas indemne et il vous marquera pour longtemps.
"Le Vent dans les Saules - Intégrale" de Michel Plessix et Keneth Grahame
L’histoire : Le printemps est enfin là, avec toutes ses couleurs et ses saveurs. Taupe ne peut résister à son appel et abandonne ses tâches ménagères pour une promenade au bord de l’eau. Il rencontre Rat qui devient son compagnon d’aventures. Les deux amis se rendent chez le vaniteux Crapaud, spécialiste des lubies catastrophiques, qui leur propose d’entreprendre un voyage en roulotte...
La critique de Mr K : Lecture très sympathique, fraîche et totalement bucolique que cette intégrale de Le Vent dans les saules de Michel Plessix et Keneth Grahame (auteur du roman originel). Cette plongée au cœur de la nature en compagnie de personnages très attachants fait un bien fou et fera le bonheur de tous, quelque soit l’âge tant il se dégage de cet ouvrage du fun, de la nostalgie et une sagesse intemporelle.
Nous suivons principalement durant ces quatre tomes, les pérégrinations de cinq personnages principaux, cinq individus très différents d’espèce et de caractère mais surtout cinq amis à qui il arrive plein de choses. Il y a Taupe, le naïf, le discret, le maladroit qui est d’une bonté extrême. On se prend immédiatement d’affection pour lui, il est celui qui va le plus changer durant l’histoire. Il va rencontrer Rat, un bon vivant, qui n’aime rien de plus que de faire bonne chair et canoter sur la rivière. Il est fidèle, travailleur et se révèle être un soutien de tous les instants. Il y a aussi Blaireau, l’ermite sage et bourru qui a le cœur sur la main et va les aider à des moments périlleux. On croise à l’occasion Loutre, un brin vantard, père de famille dévoué à la force brute qui se révélera lui aussi très utile. Et puis, il y a Crapaud, le baron têtard par qui la plupart des ennuis arrivent. Suffisant, pédant, inconséquent et surtout très ridicule, adepte de nouveauté technologique vivant dans son manoir de parvenu.
L’amitié est ici le maître mot, on partage avec eux des moments du quotidien où reviennent régulièrement les scènes de repas (d’ailleurs souvent ça met en appétit durant la lecture), la contemplation et l’observation de nature qui se renouvelle au fil des saisons avec un narrateur s’exprimant avec humour et malice. On se laisse bercer par le doux rythme contemplatif des débuts. Les dessins sont tout bonnement magnifiques, recèlent de multiples détails touchants et rigolos. On se plaît à tout scruter, à dénicher ici ou là des références, des éléments qui enrichissent la trame principale. Je dois avouer que je me suis bien amusé et que l’émerveillement était de mise durant toute ma lecture avec des traits précis, des animaux délicieusement croqués (aaah leurs expressions !) et des couleurs harmonieuses et douces.
Puis grâce (à cause) de Crapaud, les choses s’accélèrent par la suite, l’action démarre et les aventures deviennent plus échevelées avec comme point d’orgue la prise du manoir par une mystérieuse menace et un Crapaud désespéré. Les personnages gagnent alors en densité, toutes les relations exposées précédemment prennent leur importance et l’on se prend au jeu avec un plaisir renouvelé. Même si on n’est pas dupe du dénouement, on se délecte des ressorts scénaristiques déployés et l’on ne s’ennuie pas une seconde. Et puis, les échanges entre personnages sont vifs entre rires, critiques et bons mots dispensés à l’occasion, c’est lettré et fun sans en faire trop, le dosage est parfait.
"Le Vent dans les Saules" fut donc une excellente lecture, une bouffée d’optimisme qui fait du bien dans notre monde de brut. La nature est douce, il y fait bon vivre et malgré des dangers parfois importants, l’amitié surmonte tout et tout se finit toujours devant un bon repas. C’est le genre de pitch qui a tout pour plaire et quand c’est réalisé avec autant de brio, on ne peut dire que bravo !
"L'enfant papillon" de Marc Majewski
L'histoire : Un jeune garçon aime les taches et les motifs trouvés sur les papillons et façonne des ailes audacieuses pour devenir un enfant papillon. Mais quand d'autres enfants intimident le garçon pour les vêtements qu'ils ne comprennent pas, il faut l'encouragement d'un père pour que l’enfant reste fidèle à ce qu'il aime.
La critique Nelfesque : Décidément, la maison d'édition québécoise La Pastèque recèle de trésors ! Preuve en est cet album de Marc Majewski qui passait tout son temps à dessiner et se déguiser lorsqu'il était enfant et qui a décidé d'en faire de même pour le jeune garçon de son ouvrage. Inspirée de son enfance, il nous livre ici une histoire aux illustrations absolument somptueuses et à l'ouverture d'esprit indispensable.
Au détour des pages, on en prend plein les yeux avec cet enfant amoureux de la nature, de la beauté et désireux de vivre ses rêves. Accompagné de son papa qui le soutient dans ses choix, il apprend à s'assumer et à faire face aux obstacles qui se dressent sur son chemin. Un soutien tout en bienveillance et un propos fort avec un traitement subtil où l'on ressent plus qu'on ne dit.
Malgré les difficultés auxquelles il se heurte, la bêtise et l'ignorance des gens, c'est un sentiment joyeux et lumineux qui prédomine dans cet album. "L'enfant papillon", c'est avant tout une célébration de la créativité, de la confiance en soi et de la famille comme base solide pour une vie épanouie. A partir de 6 ans, c'est un très bon support pour dédramatiser certaines situations et mettre des étoiles dans les yeux des petits enfants en manque de confiance. Tout est possible pour un enfant papillon !
"Stalkeuse" de Lygia Day Peñaflor
L’histoire : Rafi sait que sa vie aura enfin du sens lorsqu’elle sera devenue amie avec Laney et Nico, le couple le plus populaire du lycée. C’est la seule chose qui compte pour elle. Qu’ils l’acceptent. Qu’ils l’aiment. Elle va tout faire pour que cette année soit la leur, à tous les trois. Les photographier pour l’album de promo, arranger leur emploi du temps pour qu’ils se retrouvent plus souvent, faire connaissance avec leur famille... Rafi veut juste une petite part de Laney et Nico. Une toute petite part...
La critique de Mr K : Je vais vous parler aujourd’hui d’un livre qui m’a fait un sacré petit effet alors qu’au départ ce n’était pas gagné. Dans Stalkeuse, titre dérivé d’un terme que je ne connaissais pas du tout avant cette lecture, Lygia Day Peñaflor nous plonge dans l’esprit dérangé d’une jeune fille qui éprouve une obsession croissante pour un couple de son lycée. Les débuts sont timides, frustrants même pour le lecteur mais tout monte crescendo au fil de révélations qui émaillent le récit et au final, on ressort heureux de cette lecture bien dérangeante.
Rafi cherche un sens à sa vie comme tous les adolescents. Lycéenne, elle bosse au bureau central d’une institution scolaire privée où ça marche droit. Elle flashe littéralement pour Laney et Nico, un tout jeune couple qui exerce sur elle une fascination dévorante. Elle est belle, intelligente, il est beau et sportif. Elle veut se rapprocher d’eux, se faire admettre dans le cercle de leurs proches, elle va tout faire pour cela. Cela commence par des indiscrétions, de l’espionnage de bas étage, des coups de main indirects pour leur faciliter la vie. Puis peu à peu, Rafi va aller plus loin, s’immiscer dans leur vie sans pour autant qu’ils ne s’en rendent compte. Du moins au début...
Écrit à la première personne du singulier pour faciliter l’identification du lecteur, les débuts m’ont un peu refroidi. Il y a beaucoup de détails des lubies de Rafi, on se noie dans une matière qui ne semble pas faire corps. L’écriture passable n’est pas transcendante et j’avais vraiment peur de me retrouver face à un titre jeunesse lambda sans supplément d’âme malgré une héroïne que l’on devine déjà bien perchée. Comme je suis du genre persévérant en lecture, je me suis accroché et j’ai bien fait !
La névrose de Rafi gagne en profondeur, elle imagine des choses qui n’existent pas, sur-interprète les réactions de chacun, monte des stratagèmes de plus en plus élaborés et donc de plus en plus flippants. C’est très bien emmené, toujours avec un souci de réalisme avec des adolescents plus vrais que nature. En parallèle, on devine qu’elle n’est pas à son coup d’essai, que ses troubles cachent des difficultés familiales lourdes et des problèmes d’insertion sociale forts. Par petites touches, l’auteure nous emmène vers des territoires intimes délabrés par les années, au cœur d’une psyché en perdition alors que cet age si complexe est celui de la construction de soi. C’est malin, fin et intelligent.
Tout prend donc sens à la fin du premier quart, la pression peut monter d’un cran et croyez-moi, elle le fait. Au gré du quotidien du lycée entre cours, moments de liberté, exercice du Culte, fêtes improvisées, premières expériences, Rafi est partout et tisse sa toile. Je dois avouer que la gamine insupportable du début s’avère touchante malgré un comportement plus que limite. Touchants aussi Laney et Nico dont on suit aussi l’existence à travers les observations et diverses traques de Rafi. Ce trio marche à la perfection, est très bien caractérisé et la fin est parfaite dans son genre.
Stalkeuse est donc un ouvrage réussi, à qui il ne faut pas hésiter à laisser sa chance pour en goûter toute la profondeur. Certes, ce n’est pas le plus bel ouvrage en terme stylistique mais il est accessible à partir de 13 ans, très bien construit et aborde un sujet (le stalking) de manière intelligente. À découvrir.
"La Chambre de Warren" de Jérémie Moreau
L'histoire : Le dieu Pan, le dieu de la Nature, est en rage : plus personne n'écoute sa mélodie. Sa colère risque d'être terrible !
Et si la chambre de Warren devenait le dernier refuge ?
La critique Nelfesque : "La Chambre de Warren" de Jérémie Moreau est un ouvrage qui entre dans la nouvelle collection "Ronces" d'Albin Michel Jeunesse, une toute jeune collection qui met en lumière des livres pour enfants où l'écologie prend une place importante. Une écologie qui pense la cohabitation des vivants et non une écologie qui est bien souvent réduite à la protection de la nature. Le leitmotiv de Jérémie Moreau, auteur de "La Chambre de Warren" mais aussi directeur de cette nouvelle collection, est de faire entrer le jardin dans notre maison et non plus "juste" protéger le jardin devant cette maison. Une démarche qui se veut plus inclusive et impliquée.
"La Chambre de Warren" est un magnifique album. Ce qui saute aux yeux, c'est la beauté des illustrations où des notes d'orange fluo apparaissent pleines de peps dans des tableaux où l'on sent bien, au demeurant, la volonté de simplicité dans le détail. La nature, les animaux et aussi l'Homme forment ici un tout et sont au centre de cet ouvrage qui résonne au plus profond de nous, jeunes et moins jeunes lecteurs.
Jérémie Moreau imagine ici l'arche de Noé du XXIème siècle dans un album entre le conte philosophique spectaculaire et le ton des grands classiques. Nous faisons la connaissance de Warren, petit garçon qui va croiser, lors d'une balade en forêt, un animal étrange jouant de la flûte de Pan. Cet animal ainsi démasqué va disparaître en un éclair et le jeune garçon ne cessera d'y penser, d'en rêver... Ses rêves, à la limite du cauchemar, montrent l'animal se transformant et crachant du feu. Insectes et animaux vont alors venir au contact de Warren pour le prévenir que cet animal mystérieux n'est autre que le dieu Pan, dieu de la Nature, en colère devant l'indifférence des hommes. Plus personne n'écoute sa mélodie et sans sa musique il n'y a plus de saisons. La nature va peu à peu se déchaîner, un grand désastre est imminent. Spontanément, il tente alors de sauver les animaux dans sa chambre qui va peu à peu devenir un refuge, un sanctuaire, un espace d'harmonie et un îlot de résistance pour apaiser Pan et contrer la future catastrophe.
"La Chambre de Warren" est le premier album jeunesse d'un auteur illustrateur plusieurs fois primé à Angoulême (Prix des lycéens en 2005, Prix Jeunes talents en 2012 et Fauve d'or en 2018). Pour ma part, je le découvre lors du lancement de "Ronces" et j'en suis doublement heureuse. Quelle première ! Quel lancement pour cette nouvelle collection ! Ne passez pas à côté !
"La véritable histoire du Lapin de Pâques" de Violaine Troffigué et Béatrice Rodriguez
L'histoire : Certains racontent qu'un lapin distribue les œufs en chocolat de Pâques. Connaissez-vous son histoire ?
La critique Nelfesque : C'est bientôt Pâques et voici un album tout trouvé pour accompagner ce moment festif dans nos foyers ! "La véritable histoire du Lapin de Pâques" nous raconte celle d'un lapin qui, se promenant dans un jardin, tombe sur une brouette retournée. Pourquoi est-elle là ? Qu'y a-t-il en dessous ? Pourquoi ne pas aller voir ce qui s'y trouve ?
Une histoire de répétitions amusante et surprenante qui fait entrer en scène écureuils, hérissons, blaireaux, renards, cigognes et cerfs, tous curieux et prêts à donner un coup de main à ce jeune lapin. Malgré tous les efforts et ruses déployés, la brouette ne bouge pas d'un centimètre ! Vont-ils réussir à se glisser sous cette objet de malheur !? La solidarité et l'unité vont repousser les difficultés et le matin de Pâques, une interrogation va naître chez les enfants : "sont-ce les lapins qui distribuent les œufs de Pâques !?"
Parce qu'il n'y a pas que les cloches et les poules qui déposent les œufs le jour J, les petits lapins nous dévoilent ici leur secret de fabrication pour le plus grand plaisir des petits émerveillés devant de telles révélations. Quiproquos et coups du sort jonchent ces pages de cet album drôle et dynamique.
Proposé dès 4 ans, Little K l'aime déjà beaucoup à 3 ans et il convient également pour les plus grands. On rit, on s'interroge, on échafaude des issues possibles et on apprécie la mignonnerie des dessins plein de douceur et d'espièglerie qui illustrent à merveille cette histoire un peu folle et gaie.
"Mon enfant chéri" de Nina Laden et Melissa Castrillon
En 2021, je vous avais déjà présenté "Si j'avais un petit rêve", album coup de coeur poétique et sincère. Nina Laden et Melissa Castrillon ont depuis collaboré de nouveau, accouchant de cette pépite que je vous fait découvrir aujourd'hui.
L'histoire : Mon enfant chéri, tu es au tout début de ta vie. Savoure les mélodies. Savoure les paysages. Savoure les parfums et le vent sur ton visage.
La critique Nelfesque : Quelle beauté une fois de plus que cet album plein de poésie et superbement illustré mettant la nature et tout ceux qui la composent sur le devant de la scène. Du trésor des fleurs au mystère des insectes, il encourage les enfants à aller à la rencontre de ce qui les entoure, d'apprendre à connaître la nature, l'aimer et la respecter et d'être reconnaissants de ce qu'elle nous offre chaque jour.
C'est dès le plus jeune âge que nous devons sensibiliser nos enfants à la préservation de la nature et au respect du vivant. Dans les enjeux écologiques que nous connaissons aujourd'hui, il est d'autant plus crucial de leur inculquer les choses simples de la vie, les petits gestes naturels pour vivre en harmonie avec le monde qui nous entoure. C'est un cadeau de pouvoir entendre le chant des oiseaux chaque matin, de pouvoir s'émerveiller face à un beau paysage, de goûter les milles saveurs que la nature nous offre... Chérissons-le et faisons de nos enfants les futurs adultes de demain qui sauront que la course à la possession n'est qu'une fuite en avant et que l'essentiel est là, sous nos yeux. Il en va de l'avenir de notre planète.
Nous suivons ici une petite fille à la découverte du monde, la caresse du vent, les abeilles, les arbres fruitiers, les jeunes pousses, les marches en forêt, les animaux en liberté, la douceur du soleil sur la peau... Il y a une telle tendresse dans ces pages, un tel désir de vivre en harmonie, un tel besoin de transmettre, une telle confiance en l'autre ! C'est beau, tout simplement. Dans la plus simple définition du mot. Beauté et sincérité, c'est vraiment ce qui se dégage de ce présent album.
Les illustrations de Melissa Castrillon sont une nouvelle fois sublimes et en totale adéquation avec le propos. Avec des tons tirant ici davantage vers le violet et le vert, il ne ressemble à aucun autre. Il y a un vrai travail sur les couleurs, les dessins, tout en courbes, rajoutent de la douceur à l'ensemble et subliment les valeurs véhiculées par les mots.
"Mon enfant chéri" s'adresse tout autant aux adultes qui auraient tendance à oublier le monde qui les entoure qu'aux enfants qui le découvre. Merci à Nina Laden et Melissa Castrillon pour cette très belle piqûre de rappel et cette entrée en matière si douce et poétique.
"Ma lumière" de Franck Bouysse et Mélodie Baschet
L'histoire : Si j'étais peintre, je peindrais des tableaux invisibles.
Si j'étais sculpteur, je sculpterais le vide.
Maman dit qu'on a tous un talent, qu'il faut le découvrir et le faire grandir. Un jour viendra.
En attendant, j'écris des livres dans ma tête.
La critique Nelfesque : C'est un album particulier que je vous propose de découvrir aujourd'hui. C'est principalement parce que Franck Bouysse en est l'auteur que j'ai souhaité le lire. Auteur d'une quinzaine de romans contemporains, notamment "Né d'aucune femme" bouleversant et à l'écriture magnifique, ou encore "Buveurs de vent" ou "Grossir le ciel", chacun de ses ouvrages marque profondément. Tout naturellement, j'ai donc voulu voir ce que sa plume donnerait avec un album jeunesse. Ma curiosité l'a emporté...
Voici donc le premier album jeunesse de Franck Bouysse ! La plume est douce et mélancolique à la fois. On éprouve émerveillement et mélancolie en parcourant ces pages. Qui est cet enfant qui vit seul avec sa maman dans une chambre d'hôtel ? Pourquoi ne va-t-il pas à l'école comme tous les enfants ? Que cache sa sensibilité si particulière au monde qui l'entoure ? Nous sommes ici dans la tête de ce jeune garçon, dans son imaginaire foisonnant, lui mis à l'écart du monde par une mère protectrice. Pourquoi est-il ainsi protégé ? Le texte est puissant, poétique, intime.
Les illustrations de Mélodie Baschet, que je découvrais pour l'occasion, répondent parfaitement au texte. Elles sont elles aussi foisonnantes, luxuriantes, colorées. Elles sont le reflet de l'âme du petit garçon dont la vie tourne autour de sa mère mais qui a aussi accès à un monde dont lui seul connait l'existence grâce à elle.
"Ma lumière" parle avant tout d'amour, de différence, de l'attente. C'est un album à part, profondément humain et attachant, à découvrir à partir de 6 ans.
"L'enfant et la rivière" d'Henri Bosco
L’histoire : Ce qui attire Pascalet plus que tout, dans ce pays de Provence où il vit, c'est la rivière. Il ne l'a encore jamais vue. Mais souvent il en rêve, surtout lorsque le braconnier Bargabot apporte à la maison les poissons qu'il y a pêchés. Un jour, pendant une absence de ses parents, Pascalet découvre la fascinante rivière et devient l'ami de Gatzo, un jeune garçon à l'histoire mystérieuse. Ensemble ils vont vivre sur l'eau des journées extraordinaires et sauvages et combler leur soif d'aventures.
La critique de Mr K : Superbe lecture que celle que je vais vous présenter aujourd’hui avec L’Enfant et la rivière d’Henri Bosco, un auteur qui me rappelle mes premières lectures, mes premiers émois face aux mots et notamment son roman L’âne culotte que j’avais dévoré très jeune (mon premier Folio dans ma bibliothèque perso d’ailleurs). Le charme opère toujours des décennies plus tard avec la découverte de ce roman dégoté lors de notre passage au Salon du livre jeunesse de Lorient où cet ouvrage me tendait ses petites pages. Roman initiatique véritablement magique, entre mots poétiques et illustrations évocatrices, on retourne véritablement en enfance et l’on est totalement transporté.
Pascalet est un jeune garçon qui vit dans le mas de ses parents en Lubéron. La nature environne la propriété éloignée de la ville et la rivière le fascine tout particulièrement. Cependant ses parents lui ont interdit de s’en approcher car elle est jugée dangereuse et il est encore bien jeune. Profitant de leur absence pendant quelques jours, seulement gardé par sa tante Martine qui est plus laxiste et l’adore, il part en exploration du côté de la rivière. Entre observations de la nature et rencontres déterminantes, le jeune Pascalet va quitter les rives de l’enfance...
Ce roman est avant tout une gigantesque métaphore du passage de l’enfance vers l’adolescence puis l’âge adulte. L’acte fondateur est la transgression de l’interdit parental, en désobéissant, il quitte quelque part le monde de l’enfance, s’affranchit de l’autorité des adultes pour acquérir une forme de liberté. Il découvre alors un monde (celui de la rivière) qui lui est étranger, une fenêtre sur tout un pan de son environnement proche qu’il ne connaît pas. C’est la fin de l’innocence.
C’est aussi une belle rencontre avec Gatzo, alter ego négatif de Pascalet. Tout les oppose dans leur caractère, leur appréhension des choses, seuls leurs silences respectifs les rapprochent. Mais très vite, ces deux là vivent en communion, partagent l’expérience d’une cavale qui va les attacher l’un à l’autre de manière irrémédiable. Leur relation est subtile, douce et enrichissante tant pour l’un que pour l’autre. Le bouleversement final retourne littéralement le lecteur, lui faisant voir un lendemain qui chante, sans pathos, tout simplement humain et logique.
Cet ouvrage est aussi une ode à la nature, sa beauté, sa perfection, son aspect sauvage aussi et les dangers qu’elle peut receler. Les descriptions sont d’une beauté à couper le souffle : un brin de vent, le courant impétueux de la rivière, les vols d’insectes, les déplacements des poissons, l’obscurité mystérieuse et le grand soleil du sud nous accompagnent merveilleusement, faisant appel à nos cinq sens grâce à la science langagière d’un Henri Bosco orfèvre en la matière. C’est beau, puissant, enchanteur.
Ce voyage initiatique est donc un bonheur de lecture de tous les instants, une expérience assez unique au charme désuet mais tellement envoûtant surtout en cette période où le climat déréglé fait peser de lourdes menaces. Ici, on fait une pause, on découvre et on respecte la nature et l’on se plaît à oublier tout ça. Un livre magistral à lire absolument.
"Les fins de moi sont difficiles" d'Hubert Ben Kemoun
L’histoire : Mathilde est prête à tout pour s'intégrer dans son nouveau lycée. Á tout. Quitte à dépasser les limites. Un jour la rumeur se répand, l'accusant d'avoir trahi un de ses amis. Mathilde lutte mais seule, elle ne tiendra pas bien longtemps...
La critique de Mr K : Il y a d’abord cette couverture sublime à sa manière, qui attire irrémédiablement l’œil sur l’étagère des nouveautés du CDI de mon établissement, ce visage enfoui dans le néant, ce regard qui interpelle, qui interroge. Puis il y a un nom, Hubert Ben Kemoun, un auteur jeunesse reconnu et que j’ai déjà lu par deux fois avec un plaisir certain. Il n’en fallait pas moins pour que j’emporte Les fins de moi sont difficiles à la maison pour une lecture express et émouvante.
Mathilde vient d’arriver dans un nouveau lycée et comme tout le monde dans cette situation, il faut faire son trou. On choisit son masque, on se calque sur les autres pour pouvoir se sentir reconnu, intégré voire aimé. Très vite, elle s’est rapprochée de Camille et Selma, deux filles de sa classe fort en gueule, "populaires" et surtout qui n’ont pas froid aux yeux. Le roman débute par une scène de "fauche" dans un magasin de fringues, Mathilde fait diversion pendant que ses deux copines enlèvent des antivols et piquent tout ce qu’elles peuvent dans les cabines d’essayage. C’est l’hybris, le sentiment d’invulnérabilité, l’insouciance et le frisson qui les guident. Ce n’est pas un coup d’essai, cela dure déjà depuis un certain temps. Vous imaginez bien que tout cela va être bouleversé lorsqu’elles vont finir par se faire chopper, que certains camarades vont dépasser les bornes et qu’une rumeur d’abord insidieuse puis teintée de menaces et d’actes terribles va faire redescendre Mathilde sur terre et la voir affronter une véritable meute...
On s’attache immédiatement à Mathilde. Très bien croquée, j’ai aimé son franc parlé, son goût pour les bons mots, les beaux textes, sa relation particulière avec sa professeur de français, ses incertitudes et ses doutes. Elle glisse dans le n’importe quoi pour se sentir entourée, elle a bien conscience des limites entre le bien et le mal mais l’attirance est trop grande et son nouveau statut la presse d’imiter ses copines. Mais tout est éphémère, les illusions vont tomber, livrer des vérités sur la nature humaine qu’elle va prendre en pleine face. On a vraiment le ventre noué tout du long, l’évolution du récit laisse peu d’espoir et pourtant...
De manière générale, la reconstitution du microcosme scolaire et familial sont très réalistes. Pas d’effets de manche, de caricature trop poussée des personnages, de futilité stylistique, on va à l’essentiel, dans le vrai et ça touche en plein cœur. Les erreurs d’appréciations des adultes, les incompréhensions qui en résultent, l’adolescence et ses contradictions, le lien parent-enfant, la bêtise, le désespoir face à l’adversité sont décrits avec finesse, une justesse de tous les instants. C’est rude à encaisser par moments, la cruauté se dispute parfois à la stupidité mais à cet âge, la conscience paraît bien enfouie sous des couches d’apparat, de posture et de logiques binaires.
La lecture de cet ouvrage s’est donc révélée un plaisir de tous les instants, un one-shot efficace, édifiant et prenant que l’on relâche uniquement au mot fin. À mettre entre toutes mains, y compris celles de lecteurs moins aguerris, Mathilde devrait les toucher et les emporter avec elle.