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Le Capharnaüm Éclairé
3 décembre 2018

"La Religion" de Tim Willocks

la religion

L'histoire : Mai 1565. Malte. Le conflit entre islam et chrétienté bat son plein. Soliman le Magnifique, sultan des Ottomans, a déclaré la guerre sainte à ses ennemis jurés, les chevaliers de l'ordre de Malte. Militaires aguerris, proches des Templiers, ceux-ci désignent leur communauté sous le vocable de "la Religion". Alors qu'un inquisiteur arrive à Malte afin de restaurer le contrôle papal sur l'ordre, l'armada ottomane s'approche de l'archipel. C'est le début d'un des sièges les plus spectaculaires et les plus durs de toute l'histoire militaire.

Dans ce contexte mouvementé, Matthias Tanhauser, mercenaire et marchand d'armes, d'épices et d'opium, accepte d'aider une comtesse française, Caria La Penautier, dans une quête périlleuse. Pour la mener à bien, ils devront affronter les intégrismes de tous bords, dénouer des intrigues politiques et religieuses, et percer des secrets bien gardés.

La critique de Mr K : Lors de la rentrée littéraire 2018, j'étais littéralement tombé sous le charme de Tim Willocks et de son ouvrage coup de poing La Mort selon Turner. Personnages charismatiques, noirceur pénétrante de l'intrigue et une langue virevoltante m'avaient convaincu que j'avais affaire à un auteur hors-norme. Beaucoup d'entre vous m'ont conseillé alors de lire La Religion via IG notamment en me vantant un ouvrage épique qui renouvelle le genre. L'occasion s'est présentée pour que je puisse le lire et le chroniquer. C'est désormais chose faite et quelle claque mes amis !

L'action se déroule en 1565 pendant le siège de Malte par les Ottomans. Tenue par les chevaliers hospitaliers (La Religion c'est eux), l'île va devoir résister aux assauts incessants des hordes orientales qui comptent bien prendre cette place convoitée tant au niveau géostratégique (l'Italie et le Pape ne sont pas loin) que commercial (au milieu de la Méditerranée). Au cœur du conflit, on suit le destin tourmenté de Matthias Tanhauser, aventurier sans attache qui cherche avant tout à s'enrichir et profiter de la vie en compagnie de ses deux associés et amis. Mais voilà qu'à Messine en Sicile, il rencontre Carla, une belle noble et sa dame de compagnie étrange au charme sauvage nommée Amparo. À partir de là, il est embarqué dans une série d'événements qui lui échappent et vont l'obliger à changer ses plans. Amour, foi, rivalité, vengeance, lutte de pouvoir sont au rendez-vous et mèneront la vie dure aux protagonistes principaux de ce pavé de plus de 850 pages !

Ce furent cinq jours de lecture-plaisir total ! Franchement, je suis devenu accro dès le prélude qui place la barre très haut et indique clairement la direction que l'auteur va prendre pour la suite de l'ouvrage. C'est sans concession, d'une érudition rare et l'écriture est d'une splendeur renouvelée à chaque chapitre. L'immersion est totale, n'offrant aucun espoir de retour possible dans la réalité (si si, ce bouquin rend dingue !) et l'ascenseur émotionnel fonctionne à plein régime laissant régulièrement le lecteur sur les genoux. J'ai lu ici ou là que certains lecteurs et lectrices ont été horrifiés par le contenu et trouvaient les procédés narratifs parfois gratuits. Je pense avant tout que ce roman n'était pas fait pour eux, qu'à époque violente et obscurantiste se doit de correspondre un récit à son image pour qui veut la dépeindre avec réalisme. Âmes sensibles, abstenez-vous de lire cet ouvrage ! On trouve dans ce livre des trésors de cruauté comme seul l'homme est capable d'en commettre mais on décèle aussi à l'occasion de purs moments de bonté, de tolérance et une nuance bienvenue qui parsème cette œuvre d'éclats de génie qui réchauffent le cœur et l'âme. C'est ce contraste étrange qui fait toute la force de La Religion de Tim Willocks.

Car dans cet ouvrage, il n'y a pas de manichéisme. Chacun, chaque représentant d'une religion, d'un clan, d'une caste ou d'une classe sociale a sa part de lumière et d'ombre. Y compris le héros... surtout lui ! C'est un modèle de construction complexe qui livre ses secrets au compte-gouttes au fil des péripéties et qui s'avère au final avare en révélations (cultivez le mystère est souvent gage de qualité et surtout de suspens insoutenable). Mais quand celles-ci tombent, l'auteur nous assène autant de coups imparables qui s'emparent de nos certitudes, les broient et changent nos jugements sur les forces en présence (et ceci à de multiples reprises). Quand on sait que le procédé se répète pour tous les personnages principaux (et il y en a !), vous pouvez imaginer la densité de l'ensemble et l'envergure de la construction dramatique de l’œuvre. Ainsi, on éprouve à l'occasion de l'empathie pour la pire des crevures et du dégoût pour des personnages que l'on adorait quelques pages auparavant. Moi qui aime être bousculé dans mes certitudes, j'ai été diablement servi !

Et puis, il y a le background. La narration se met au service de l'Histoire décrite ici avec un luxe de détails épatants et toujours justes. Le ton épique sert remarquablement les scènes de bataille qui en dégoûteraient plus d'un et qui m'ont marqué au fer rouge. Ce roman est aussi une belle évocation des mœurs et croyances de l'époque, un bon point de vue sur les forces en présence, la place de la foi dans la vie de tous les jours et une fenêtre implacable sur les luttes de pouvoir en jeu qui se moquent du commun des mortels qui est bien souvent réduit au rôle de pion sur un échiquier qui le dépasse. L'ensemble est fluide, jamais roboratif et s'insère parfaitement dans la narration vive et sans temps morts.

En parallèle des atrocités décrites, on a aussi de très belles pages sur l'amour naissant avec l'évocation des premiers émois amoureux et des scènes érotiques saisissantes (j'avoue, j'en suis amateur à mes heures). Des passages s'apparentant à des rites initiatiques sont aussi insérés au gré des flashback et moments clef de l'intrigue donnant une dimension supplémentaire au récit avec son lot de mentors / guides spirituels, de relations filiales en devenir et de traversées du désert éprouvantes dont on ressort changé et raffermi. Tout cela s'entremêle à merveille et nous livre un titre-somme d'une profondeur et d'une force incroyable. C'est typiquement le genre de lecture qui emporte tout sur son passage et laisse une trace indélébile dans l'esprit du lecteur.

Bon, je n'en dirai pas beaucoup plus... dans le genre roman historique, on fait difficilement mieux (avec le diptyque des Piliers de la Terre de Ken Follett) : action, réflexion, Histoire respectée, personnages charismatiques, langue incroyable... tout est réuni pour passer des heures d'évasion totale. C'est un petit bijou qui trônera fièrement dans ma bibliothèque! Et dire, qu'à priori, le personnage principal revient dans une suite aussi talentueuse selon les premiers avis que je suis allé lire... Il va falloir que je me penche sérieusement sur la question...

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Commentaires
M
Incroyable ! Je viens de lire le prologue qui m'a déjà scotchée 😳 je sens la claque arrivé et des nuits courtes 😁
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V
Je suis d'accord, c'est un roman particulier avec son atmosphère et son univers. Je m'en souviendrai longtemps mais que de violences tout de même…
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M
Quel enthousiasme ! Ça donne envie de se ruer dessus et de faire l'autiste quelques jours... Merci pour ces chroniques à Nelfe et toi ! Duo percutant qui rallonge ma liste de livres à lire déjà kilométrique 😉😂 bravo !
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I
:)<br /> <br /> ahlala si je n'avais déjà lu ce roman, tu m'aurais convaincue de le lire fissa.<br /> <br /> <br /> <br /> Inutile d'ajouter que je partage amplement ton avis hein? <br /> <br /> Un souffle épique à souffler sur cette histoire et moi, elle m'a totalement emportée. Je crois que j'avais mis un bon petit moment à redescendre sur terre après une telle envolée.<br /> <br /> Et en plus, ce saligaud a fait saigner mon 'tit coeur... :p<br /> <br /> <br /> <br /> Les 12 enfants de Paris est dans ma PAL numérique, qu'attends-je pour le lire?!!!
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I
Tout à fait d'accord, un roman qui a du souffle et des tripes (dans tous les sens du terme). Green River et Bad city blues, de cet auteur, sont aussi très sombres, très violents, et très bons...
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