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Le Capharnaüm Éclairé
25 septembre 2017

"Courir au clair de lune avec un chien volé" de Callan Wink

Le contenu : Toutes les nouvelles réunies dans ce recueil se passent dans le Montana ou le Wyoming. Plus qu'un décor, l'Ouest américain, la Nature et les grands espaces prennent vie dans ces récits, et les hommes que Callan Wink met en scène dans son univers si riche et singulier sont seuls de bien des façons ; pourtant, ça ne les empêche pas d'être drôles, courageux ou insoumis.

 

On rencontre ainsi un ouvrier du bâtiment poursuivi par deux types un peu louches qu'on appelle Charlie Chaplin et Montana Bob, à qui il a volé leur chien ; un homme marié qui entretient une liaison avec une Indienne alors que sa femme se bat contre un cancer du sein ; ou encore un jeune homme amoureux d'une femme bien plus âgée que lui.

 

La critique de Mr K : La collection Terres d'Amérique de chez Albin Michel frappe un grand coup avec la parution pour la rentrée littéraire de ce recueil de nouvelles d'un jeune auteur US plus que prometteur, Courir au clair de lune avec un chien volé. Cette lecture s'est révélée extraordinaire dans son genre tant on touche à l’émotion à l’état pure et une forme de naturalisme moderne à la sauce américaine qui prend aux tripes et fait réfléchir longtemps après la lecture.

 

Liberté et/ou responsabilité sont les deux termes annoncés en quatrième de couverture et qui résument assez bien les morceaux d’existences qui nous sont livrées à travers neuf nouvelles. Collant au plus près de ses personnages, Callan Wink nous invite à partager des vies bien différentes mais qui finalement se rejoignent autour de l’idée de construire sa vie, mais aussi de ces moments d’échappée que l’on décide ou non de prendre par rapport à la réalité ou à sa situation.

 

On croise ainsi un adolescent exterminateur de chats (mon Dieu moi qui adore ces petites bêtes…) partagé entre ses deux parents qui se déchirent et qui essaie de se faire sa place, un couple illégitime à la différence d’âge importante, un homme courant nu dans la nuit poursuivi par les propriétaires du chien qu’il a embarqué, un homme marié qui trompe sa femme cancéreuse durant ses périodes de travail loin de chez lui, un professeur un peu paumé qui décide de partir à la campagne pour faire un break avec son existence qui ne l’épanouit plus, un homme rongé par le remord suite à la mort d’ouvriers travaillant pour lui, la vie d’une famille pendant que le fils aîné purge deux ans de prison pour homicide involontaire lors d’une altercation alcoolisée, les souvenirs filés d’un père et son fils et enfin, la dernière nouvelle (la plus bouleversante, la plus belle à mes yeux) qui suit Lauren une veuve qui se débat avec sa vie et ses souvenirs.

 

Seulement 33 ans et déjà l’auteur, Callan Wink, fait montre d’un talent d’orfèvre pour capter les cœurs et les esprits. Ses nouvelles dissèquent avec douceur, franchise et vérité l’âme humaine. Magnifiant le quotidien et ses personnages, il donne à voir une humanité versatile, riche et complexe. C’est aussi des personnages qui évoluent énormément, réfléchissent beaucoup à leur vie, leur destin. Sans chichis, sans pédanterie mais avec une simplicité et une poésie des mots, ces hommes, ces femmes se découvrent, souffrent, rebondissent, tombent, se relèvent et prennent conscience à leur manière de la condition qui est la nôtre. Loin des strass et des paillettes, on gagne beaucoup à rencontrer et explorer ses existences à l’apparence simple et sans reliefs mais qui au final dégagent une humanité brute et pure.

 

On passe donc par nombre de sentiments lors de cette lecture. L’auteur aime éprouver ses personnages et par là même ses lecteurs. Chaque récit se lit, se dénoue et s’ingère avec une facilité déconcertante. On passe constamment de la routine à la surprise, laissant parfois en suspens des situations que le lecteur essaiera à son tour de démêler par son imagination. C’est une des marques de fabrique des nouvelles US contemporaines, le style volontiers contemplatif par moment peut s’accélérer et fournir des émotions fortes sans pour autant partir dans les effets de manche. La vie en elle-même est parfois un miracle ou une épreuve, ces nouvelles en sont les meilleurs exemples. Vous y croiserez des victimes et des bourreaux, des abîmés de la vie, d’autres que la vie semble avoir comblés : bonheur, malheur, cruauté, altruisme et pléthore de sentiments et réactions humaines se mêlent pour habiter longtemps un lecteur prisonnier d’une œuvre magistralement maîtrisée. C’est aussi de très beaux passages sur les rapports humains dont la filiation, l’amour marital et le rapport difficile à l’autre avec les dysfonctionnements qui peuvent apparaître au fil d’une vie. Vraiment tripant dans son genre, la cible est atteinte à chaque fois.

 

Et puis, il y a les décors, l’espace américain : l’auteur aime le Montana où il réside désormais (il est aussi guide de pêche à la mouche et a partagé plusieurs parties de pêche avec un certain Jim Harrisson, excusez du peu !) et il le lui rend bien à travers des tableaux magnifiques où le moindre bruissement de vent, le murmure de l’eau ou la faune en effervescence prennent une part importante dans le récit. Sans compter aussi au détour de certaines nouvelles, l'imposition d'un regard sensible sur les sociétés humaines avec notamment de très belles évocations des traditions indiennes ou de scènes familiales loin des clichés véhiculés dans les séries et films américain standardisés. Poésie et sensibilité accompagnent tous les éléments constitutifs de ces nouvelles qui touchent au cœur de manière mesurée, juste et intemporelle.

 

D’approche aisée et plaisante, l’écriture est ici en apparence simple et directe mais elle cache une générosité et une justesse de tous les instants. Une nouvelle terminée, on est immédiatement conquis par la suivante et l’ensemble dégage une cohérence, une force peu commune et au final ces historiettes peuplent notre esprit bien des jours après avoir refermé cet ouvrage. Une lecture formidable et émouvante qui me hérisse encore les poils du dos au moment où j’écris ces lignes. Un must dans le genre, incontournable pour les amateurs mais aussi pour les autres.

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Commentaires
N
Et le genre de la nouvelle ne gène pas ? Je dis cela car ce que j'aime dans les récits américains c'est l'étirement du temps, les grands espaces et leurs descriptions, une ambiance particulière qui prend le temps de s'installer.. Est-ce que le format de la nouvelle permet d'entrer dans cet univers ? Bon en même temps ton billet m'a convaincue et votre enthousiasme à tous les trois aussi ;)
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M
Idem pour moi. J'ai refermé le recueil à regret. Un nouvel auteur est né!
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E
Je suis contente de voir que tu as autant aimé que moi ! quel talent et quelle compassion envers ses personnages. J'ai vraiment eu un pincement au cœur en refermant ce recueil !
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