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Le Capharnaüm Éclairé
24 octobre 2023

"Merle, merle, mûre" de Tamta Mélachvili

L’histoire : Étéri, quinquagénaire célibataire, s’occupe depuis toujours de sa petite parfumerie dans un quotidien monotone. Jusqu’au jour où un incident vient bouleverser sa vie bien rangée... En partant à la cueillette de mûres, Étéri manque tomber dans le fleuve Rioni !

 

Prise soudain d’une peur bleue de la mort, elle se met à prendre des décisions qu’elle n’aurait jusque-là jamais envisagées. Elle regarde alors son entourage avec un œil nouveau, notamment le livreur de lessive qui semble l’observer avec un drôle d'intérêt... Ignorant les conventions et les ragots du voisinage, Étéri va se noyer dans une relation amoureuse passionnelle qu’elle n’espérait plus.

 

La critique de Mr K : Une nouvelle très belle découverte littéraire à mon actif grâce aux éditions Tropismes et cette superbe parution venue tout droit de Géorgie. Merle, merle, mûre de Tamta Mélachvili nous propose une histoire universelle, le temps qui passe qu’on ne rattrape plus et les belles surprises que peut nous réserver l’existence. Une chose est sûre : Étéri est le genre de personnage qu’on n’oublie pas !

 

Très proche des cinquante ans, Étéri vit seule depuis toujours. Ayant vécu une jeunesse difficile après la mort de sa mère peu de temps après l’accouchement, elle a du s’occuper très tôt de son grand frère et de son père dans la logique patriarcale ambiante de la société géorgienne. C’est seulement à la mort de ces derniers qu’elle se libère enfin et acquiert un magasin de produits de nettoyage et de parfumerie. La vie s’écoule tranquillement, dans une certaine morosité mais sans mélancolie, entre horaires d’ouverture, tâches du quotidien et échanges avec ses amies.

 

Des hommes, elle ne connaît rien, si ce n’est donc les rouages réactionnaires de sa famille où une femme n’a qu’à se taire et se contenter d’obéir. Tout change un jour où elle réchappe à la mort lors d’une expédition cueillette de mûres. Elle manque de peu de tomber dans le fleuve local, véritable torrent qui voue à une mort certaine toute personne imprudente. Avec l’énergie du désespoir, elle se raccroche à de la végétation et réussit à s’en sortir. Traumatisée par cette expérience, elle va à sa boutique et essaie de se remettre de ses émotions.

 

C’est alors qu’elle tombe littéralement dans les bras du livreur, un homme qui la regarde autrement que comme une simple cliente et qui lui tourne autour depuis un petit temps. L’éveil des sens est immédiat, la première fois est très réussie (à la grande surprise de la première intéressée) et le cœur se laisse emporter par les tourments d’une passion naissante. C’est qu’Étéri n’est pas sûre d’elle-même, de grand-chose en fait. On suit alors ses atermoiements, ses réflexions et questionnements tout au long de cette aventure qui se prolonge et va déboucher sur une surprise qui changera bien des choses dans la vie de notre cinquantenaire.

 

L’addiction est immédiate. Étéri est très attachante, c’est un sacré bout de femme qui se livre toute entière à notre curiosité. Il y a évidemment la découverte de l’amour charnel, l‘apprentissage des affres du manque et l’évolution des sentiments amoureux. L’évocation est très juste et inhabituelle à la vue de l’âge du personnage principal. C’est très touchant, enveloppant et l’on vit littéralement ses tiraillements intérieurs. Mais cette rencontre et ce qui s’ensuit est un prétexte pour se redécouvrir aussi et les flash-back pleuvent avec notamment les passages concernant sa vie commune avec son père et son frère toxico. Le paternel ne s’est jamais vraiment remis de la mort de sa femme, il se fane et se mure dans un silence quasi total, les rapports avec sa fille sont distants alors qu’elle ne demande qu’un peu d’affection. Le frère se comporte en despote que le manque rend violent. Étéri va passer des années difficiles, véritable esclave à domicile qui doit exécuter toutes les tâches domestiques. Cela forge son caractère pour la suite et la poussera à toujours poursuivre une certaine forme de liberté et d’émancipation loin de la gente masculine.

 

Par delà ce focus sur elle, l’auteure évoque clairement la condition féminine en Géorgie, de manière fine et remarquablement pédagogique au détour d’allusions ou de mésaventures passées d’Étéri. Tamta Mélachvili est une militante féministe dans son pays et cela se sent à travers ce portrait de femme mais aussi celui en filigrane de ses amies qui ne le sont finalement que de nom. On s’interroge sur le devenir d’Étéri dans le village. Pourquoi n’est-elle pas mariée ? Pourquoi n’a-t-elle jamais eu d’enfant ? Pourquoi finalement est-elle si libre ? On sent la jalousie et l’incompréhension chez elles, c’est pour cela qu’Étéri passe son temps à masquer ses sentiments et ne leur parle pas de sa révolution intérieure. Je dois avouer qu’on enrage un peu lors de certains passages où l’on sent les tensions interne de l’héroïne qui ne s’exprime finalement qu’en elle-même et ne libère jamais vraiment les fauves.

 

Le rythme est lent, posé et enveloppe le lecteur. Entre rencontres, échanges et monologues intérieurs, on se laisse séduire par Étéri. On lui souhaite le meilleur, de briser les chaînes invisibles que la société lui impose. On rit, on pleure, on s’émeut souvent et c’est le cœur au bord des lèvres que l’on referme Merle, merle, mûre, un ouvrage qui fera date dans ma mémoire. À découvrir absolument.

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Commentaires
D
A priori, pas pour moi mais la lecture de ton avis me fait changer d'avis, surtout dans les thèmes abordés comme dans l'impression qu'il te reste de cette lecture une fois terminée. Merci pour ce partage
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