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Le Capharnaüm Éclairé
29 avril 2024

"Devenir nombreux" de Pierre Terzian

 

L’histoire : Tout le monde doit s'en aller. Je sais que c'est un projet insensé, mais je l'accepte. Il y aura de mauvaises surprises. Des gens voudront notre place. Coûte que coûte. Un combat sans merci, voilà. Mais toi, Betty, le sais-tu ? L'as-tu bien compris ? Sais-tu que nous devrons être plus souples que le vent, plus tenaces qu'une tique, pour surmonter les démesures qui nous séparent de la terre prospère ?


Dans une France déchirée entre la Coalition et les forces locales de la Salamandre, Samuel et sa soeur Betty décident de quitter leur Seine-et-Marne natale pour le Québec.
La route est longue et périlleuse, et ils ne sont pas seuls.

 

La critique de Mr K : Balade en utopie aujourd’hui avec l’un des derniers nés paru aux éditions Quidam, maison où il est bon de se faire accueillir avec bien souvent des lectures fascinantes et marquantes. Ce fut le cas pour moi à nouveau avec Devenir nombreux de Pierre Terzian où l’on suit le parcours initiatique de Samuel depuis sa fuite du vieux monde déliquescent à son arrivée et et son installation dans une communauté utopique au Québec. Entre visions sublimes et langue poétique, cette lecture s’est révélée unique en son genre, procurant un plaisir à nul autre pareil.

 

Le récit démarre en France dans un proche avenir. L’État central s’écroule peu à peu et des groupes séditieux occupent désormais certaines portions de territoires. Le radicalisme dans toutes ses variétés livre la population au chaos, à la loi du plus fort, la terre est devenue stérile ou presque, la vie est devenue plus que difficile. Dans ce contexte, Samuel 18 ans sous les conseils d’un interlocuteur virtuel passant par le kwish, une étrange machine qui tient dans la main en possession du héros, va partir du foyer avec sa petite sœur Betty. L’idée est de traverser le pays puis de rejoindre la côte pour embarquer vers l’Amérique du Nord, au Québec plus précisément, avec la promesse d’une vie meilleure à la clef. Le voyage et les épreuves seront longs et rudes avant la révélation qui leur sera faite et changera à jamais leur existence.

 

Divisé en trois parties distinctes, cet ouvrage hypnotise littéralement son lecteur. L’évocation de ce futur inquiétant est remarquable, décrit à la hauteur d’un jeune homme un peu perdu mais pétri d’espoir. L’action démarre quasi instantanément et l’errance peut débuter avec son lot d’évocation de paysages désertifiés, de menaces humaines réelles ou paranoïaques avec ces gangs et factions qui contrôlent les allers et venues de chacun, se servent en essence ou en diverses ressources. Dans des rapports sociétaux minés, mués en rapports de force constants, nos deux personnages principaux doivent éviter bien des écueils pour échapper au pire et se rapprocher de leur destination. C’est l’occasion de faire plus ample connaissance avec Samuel et Betty, d’approcher leur psyché, leur caractère et leur rapport plein d’innocence en contraste total avec le monde environnant dans lequel ils évoluent.

 

On embraie sans vraiment de transition et de manière très tranchée avec un deuxième acte bien perché et déstabilisant. Samuel se retrouve seul, isolé dans un milieu hostile, sans autre présence humaine que la sienne et les quelques ressources diverses qui semblent tomber du ciel régulièrement. Il va devoir se réinventer pour survivre, il ne le sait pas encore mais la mutation est en cours chez lui et le transformera à jamais. Ce passage est assez hors-norme dans sa narration, on tend clairement vers la poésie en vers libre et l’immersion est totale. L’esprit borderline de Samuel soumis à l’inconnu est exposé avec fracas, brutalité et une sensibilité extrême. Tout va se finir avec la découverte de la fameuse communauté, ses principes directeurs, les rencontres et échanges que Samuel va faire le menant vers une redéfinition totale de soi et de ses aspirations.

 

Au cœur du récit, il y a l’homme bien sûr, l’empreinte qu’il laisse sur le monde et sur ses semblables. Partant du principe que le monde tel qu’on le connaît court à sa perte, les utopiens proposent un grand reset, un grand recommencement en quelque sorte. Je ne lèverai pas le voile sur leurs grands principes mais il est question de partage, de retisser de vrais liens, de revenir à l’essentiel / aux besoins et de réprimer les désirs futiles et individualistes bien souvent source de discorde et de violence. Le tout se faisant via le truchement d’une forme de biotechnologie révolutionnaire et pour le coup innovante, jamais lu ou vu où que ce soit ! Quelle fraîcheur et quelle expérience pour le lecteur ! Un vrai changement nécessite de vrais choix, parfois radicaux et cet ouvrage en est la preuve parfaite, offrant une vision, un process, une porte de sortie assez incroyable pour ne pas dire improbable. Mais on se prend à rêver, à se dire que des idées il y en a et que si l’on devient nombreux -sic-, tout est possible. Ce roman est donc une ode à l’utopie, aux champs des possibles, à la quête de bonté, de perfection dans tout ce que cela implique et ça fait un bien fou !

 

L’aspect littéraire est à l’image du propos : hallucinant, novateur et d’une richesse inouïe. Multiforme, se jouant bien souvent des conventions du genre, d’une poésie jonglant avec la disposition même des paragraphes / chapitres, l’auteur se réinvente sans cesse en réponse aux bouleversements importants que vit Samuel. Pierre Terzian joue avec lui et avec nous, nous perd, nous égare pour mieux nous rattraper, nous proposant une lecture viscérale, sensuelle et au final bouleversante. Il est tellement bon de sortir des sentiers battus pour nous enfoncer dans les méandres de la langue et du style. C’est ici jubilatoire et plaisant au possible.

 

Devenir nombreux est une lecture qui fera date, un livre rare et précieux, un OLNI incandescent, sans concession et profondément humaniste, un ouvrage écrit par un amoureux des mots, une lecture définitive. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !

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Commentaires
D
Coucou, <br /> OLNI le mot est lâché ^^ le mot qui fait peur et pourtant vous le vendez si bien ce livre. Bonne soirée
Répondre
M
Il ne faut pas avoir peur, au contraire. Ce livre est un bijou d'orchestration narrative et de beauté formelle. Il faut y aller sans crainte et l'esprit ouvert, c'est la garantie d'une expérience à nulle autre pareille. :)
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