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Le Capharnaüm Éclairé
6 août 2020

"Vous n'aurez pas ma haine" d'Antoine Leiris

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L’histoire : Antoine Leiris a perdu sa femme, Hélène Muyal-Leiris, le 13 novembre 2015 assassinée au Bataclan. Alors que le pays était endeuillé, à la recherche de mots pour dire l'horreur, il publiait sur les réseaux sociaux une lettre destinée aux terroristes intitulée Vous n'aurez pas ma haine. Dans celle-ci, il promettait à ces "âmes mortes" de ne pas leur accorder sa haine ni celle de leur fils de dix-sept mois, Melvil. Son message fait le tour du monde. Accablé par la perte, Antoine Leiris, journaliste de 34 ans, n'a qu'une arme : sa plume. L'horreur, le manque et le deuil ont bouleversé sa vie. Mais, à l'image de la lueur d'espoir et de douceur que fut sa lettre, il nous dit que malgré tout, la vie doit continuer. C'est ce quotidien, meurtri mais tendre, entre un père et son fils, qu'il nous offre dans ce témoignage poignant.

La critique de Mr K : Un ami nous a prêté cet ouvrage juste avant le confinement. Nelfe l’a lu très vite et n’a pas tari d’éloge à son sujet (sans pour autant en faire la chronique, la vilaine !). À la faveur de la fin de l’année scolaire, je me décidai à me lancer dans cette lecture malgré la peur d’être pris par l’émotion et d’avoir le moral en berne pendant un certain temps. Et bien finalement, ce ne fut pas le cas ! Comme après ma lecture de Le Lambeau de Philippe Lançon, malgré des passages très rudes, on retient surtout le parcours personnel de l’auteur et sa soif de vivre malgré tout.

Antoine, jeune journaliste parisien perd du jour au lendemain la femme de sa vie et son fils Melvil sa maman adorée. C’est la sidération, le choc, l’incompréhension et le désarroi le plus total qui s’installe dans la vie de ces deux là qui vont devoir apprendre à vivre à deux avec le souvenir de la chère disparue, une amatrice de Rock and roll qui croquait la vie à pleines dents, trop tôt fauchée par la barbarie. L’auteur égraine les jours, nous faisant partager son quotidien et ses pensées durant les douze jours qui suivirent le drame.

Long d’à peine 140 pages, le livre se lit d’une traite. Il est tout bonnement impossible de le reposer une fois débuté. Débutant le soir du drame alors que le narrateur attend que sa femme revienne de concert, on plonge avec lui dans sa vie qui bascule avec tout d’abord le doute et l’incertitude puis la terrible confirmation. Hélène ne reviendra plus... Le choc est rude y compris pour le lecteur, c’est la manière de raconter très terre à terre d’Antoine Leiris qui force l’empathie et le partage de cette expérience traumatisante. Puis très vite, le récit des jours se mue en quelque chose d’autre.

C’est une merveilleuse déclaration d’amour que nous offre l’auteur, une déclaration d’amour envers sa femme disparue qu’il continue d’aimer plus que tout, une déclaration d’amour pour nos droits, nos libertés et nos valeurs, la haine ne l’emportera jamais car l’amour que se porte ces trois là est indestructible malgré le crachat des kalach et la disparition du soleil de la famille. C’est fort et juste, écrit avec des mots simples mais d’une profondeur confondante. Voici à mes yeux, le passage emblématique qui emporte tout sur son passage :

Vendredi soir vous avez volé la vie d’un être d’exception, l’amour de ma vie, la mère de mon fils mais vous n’aurez pas ma haine. Je ne sais pas qui vous êtes et je ne veux pas le savoir, vous êtes des âmes mortes. Si ce Dieu pour lequel vous tuez aveuglément nous a fait à son image, chaque balle dans le corps de ma femme aura été une blessure dans son cœur. Alors non je ne vous ferai pas ce cadeau de vous haïr. Vous l’avez bien cherché pourtant mais répondre à la haine par la colère ce serait céder à la même ignorance qui a fait de vous ce que vous êtes. Vous voulez que j’aie peur, que je regarde mes concitoyens avec un œil méfiant, que je sacrifie ma liberté pour la sécurité. Perdu. Même joueur joue encore.

C’est beau, pur, on admire ce papa qui se débrouille comme il peut, qui reçoit soutien et entraide mais reste cependant endeuillé et dans sa bulle pour essayer d’assimiler la nouvelle et surtout de l’accepter. On sourit aussi à l’occasion avec le passage des petits plats qu’il reçoit des mamans des compagnons de crèche de Melvil ou encore la première fois qu’il doit donner son bain à son fils. Que dire de plus, ce témoignage est assez unique en son genre et me paraît essentiel à lire pour encore et toujours combattre l’obscurantisme et cultiver notre part d’humanité.

Le petit grain de sel Nelfesque : Euh... Oui c'est vrai... J'avoue... Je l'ai lu en tout premier, je l'ai adoré et je ne l'ai pas chroniqué. Je profite du post de Mr K (l'opportuniste !) pour dire deux ou trois mots sur cette lecture qui bien que datant un peu maintenant m'a laissé une marque indélébile.

On s'attend à un témoignage dur. Il l'est en partie mais pas dans le sens que l'on aurait pu penser. Il n'y a pas ici de détails sordides. Voyeurs passez votre chemin. Quel serait l'intérêt de décrire l'indescriptible ? Antoine Leiris se penche sur sa douleur mais de façon pudique et sans misérabilisme. Point de victimisation entre ces lignes. Alors qu'il vient de vivre un évènement traumatique, il pose sa douleur avec beaucoup de douceur. Les phrases sont simples, les scènes de la vie quotidienne et la banalité de l'absence nous émeuvent. Parce qu'il s'agit de cela. Oui, sa femme, la mère de son fils, vient d'être assassinée sauvagement par des hommes qui ne méritent même pas que l'on parle d'eux mais ce n'est pas là le plus important. Elle n'est plus là et c'est le vide dans leur vie qui nous serre la gorge.

La vie à 3, si courte, est et restera à jamais dorénavant une vie à 2. Le passage du bain avec Melvil m'a déchiré le coeur. Parce que j'étais maman d'un bébé d'1 mois à peine quand je l'ai lu ? Possible mais pas seulement. Parce que si on a un minimum d'empathie on ne peut que compatir à cette peine immense. Ce n'est pas de la pitié, c'est de la compassion. Maladroite sûrement comme celle des mamans de la crèche de leur fils qui confectionnent à la pelle des petits plats qui ne seront jamais mangés mais un sentiment qui fait de nous des êtres humains.

"Vous n'aurez pas ma haine" est une lecture que l'on peut entamer sans appréhension tant il est lumineux et bienveillant. Un exercice difficile et réussi.

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Commentaires
G
Ça fait une éternité que je veux lire ce témoignage et votre sentiment à tous les deux ne fait que confirmer qu'il faut que je le fasse... Merci pour votre billet, dont la simple lecture a suffi à me serrer le cœur.
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L
A priori pas trop ma came mais vous le vendez bien quand même et il est disponible à la bibli, je pense que je vais me laisser tenter !
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