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Le Capharnaüm Éclairé
4 octobre 2023

"Grâce à ma mère" de Schoschana Rabinovici

Document special produit unique (visuel

L’histoire : Susie Weksler n’a que 9 ans quand, avec une brutalité inouïe, les nazis font irruption dans son monde, à Vilnius "la Jérusalem du Nord". Si les récits et les noms de Jorge Semprun, Simone Veil, Charlotte Delbo ou Primo Lévi résonnent familièrement à nos oreilles, beaucoup plus rares sont les récits émanant de témoins qui ont survécu enfants à l’enfer de la Shoah.

Et c’est grâce à sa mère, qui a très vite l’intuition qu’il faut la faire passer pour une adulte, en la déguisant, avec la complicité d’autres femmes, grâce à son courage, son incroyable détermination à sauver sa fille, que Suzie va survivre au ghetto, aux camps de Stutthof et Kaiserwald, aux terribles marches de la mort et, finalement, nous livrer l’un des plus incroyables témoignages d’un survivant de la "solution finale".

La critique de Mr K : Chronique d’un ouvrage unique en son genre aujourd’hui avec ce témoignage rarissime d’une enfant qui a échappé à la Shoah. Dans Grâce à ma mère, Schoschana Rabinovici nous raconte comment elle a traversé cette période si trouble de l’Histoire grâce au courage et à la détermination de sa mère. Ce document coup de poing est terrible et nécessaire à la fois, il faut se donner le temps de le digérer avant de pouvoir en parler et inciter les gens à le découvrir. À noter qu’il faudra attendre 1964 pour que paraisse ce témoignage. Il vient d’être réédité cette année par les éditions du Félin, accompagné d'annexes fort instructives.

La petite Susie a neuf ans quand son quotidien est bouleversé par la guerre. La Lituanie se voit envahie par les nazis qui ratissent les villages et villes, les juifs sont confinés dans des ghettos. Le témoignage débute sur la disparition du père, pris par les nouveaux occupants et envoyé en prison, personne n’aura plus jamais de ses nouvelles tout comme les centaines des milliers de personnes arrêtées au début de l’invasion. Par le menu, l’auteure nous raconte le "déménagement forcé" et son arrivée dans le ghetto avec la promiscuité, la faim, le froid et la peur. Bon gré mal gré, la famille survit comme elle peut grâce notamment au tempérament de feu de la maman qui ne baisse jamais les bras malgré des moments de doute et d’abattement.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là, va venir le temps de la déportation dans deux camps de concentration dans des conditions de détention inhumaines et effrayantes que Susie nous raconte avec un luxe de détails, nous plongeant dans un quotidien déshumanisé où à cause de leur confession, certains êtres humains ne sont plus que des objets, du bétail destiné à être abattu, rasé, tatoué, numéroté et voué à une mort certaine. Dans ces conditions extrêmes, Susie ne doit sa survie qu’à l’amour inconditionnel de sa maman et aussi la solidarité des autres détenues qui elles-mêmes ont perdu leurs enfants et voient dans Susie un proche qu’ils ont pu perdre.

Récit poignant, bouleversant qui rajoute sa pierre à l’édifice essentiel du Devoir de mémoire, on ne sort pas indemne de ce témoignage d’une enfant confrontée à l’horreur. Sa candeur, sa naïveté mais aussi ses prises de conscience successives font de son parcours une expérience unique qui éprouve fortement son lecteur malgré des lectures passées déjà fortes dans le domaine. Je pense notamment à Si c’est un homme de Primo Levi qui m’a marqué à vie.

À la présente édition, se trouvent accolées des annexes des plus intéressantes densifiant un récit déjà riche. Le fils de l’auteure nous raconte ainsi comment lui et ses parents sont allés à Vilnius pour marcher sur les pas de la jeune fille qui a survécu. On trouve aussi un arbre généalogique décimé à cause de la Seconde Guerre mondiale, un plan du ghetto de Wilno où se déroule une partie du témoignage. Très touchante aussi l’interview que l’auteure a donné en 2013 et le texte de son fils concernant le procès d’un des gardiens du camp de Stutthof.

Décédée en 2019, Schoschana Rabinovici livre ici un ouvrage essentiel dans la construction de notre mémoire collective car "nul ne doit l'ignorer nul ne doit l'oublier". En ces temps incertains où l’on aime douter de tout, de la science, de la mémoire, de la notion de justice, il est bon de compulser de tels témoignages, de regarder l’Histoire en face et de se dire "plus jamais ça" !

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