Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Capharnaüm Éclairé
26 octobre 2015

"Journal d'un caméléon" de Didier Goupil

51iO1Pb7n9L

L'histoire: Le XXIème siècle sera bipolaire Après une rupture amoureuse, Cosme Estève, peintre de son état, se retrouve pour un délai indéterminé dans un établissement spécialisé. Armé de sa seule boussole, il erre dans les couloirs labyrinthiques à la recherche du fumoir pour se griller une énième cigarette. Le dédale n’est pas seulement géographique il est aussi mental. Au fil du périple, qui le replonge dans son passé et la genèse de sa vocation, il aura la confirmation de ce qu’il pressentait : ils sont nombreux à cohabiter à l’intérieur de lui-même. Pour endosser les différentes identités qui s’agitent en lui, il n’aura d’autre solution que de devenir caméléon.

La critique de Mr K: L'occasion m'a été donné de découvrir Journal d'un caméléon paru au Serpent à plumes qui m'a de suite intrigué par le pitch de sa quatrième de couverture: artiste maudit, hôpital psychiatrique, l'amour et encore l'amour… Autant de thèmes qui m’interpellent et qui m'intéressent réunis dans la même œuvre! Ce n'est pas beau ça? J'avais adoré la lecture de Vol au dessus d'un nid de coucou (et sa géniale adaptation par Milos Forman au cinéma) et apprécié le film de Maurice Pialat sur Van Gogh, vous en avez un croisement littéraire de fort belle facture ici avec un court roman original dans sa construction et diablement addictif une fois que l'on a pénétré dedans.

Le récit commence dans un hôpital psychiatrique. Cosme Esteve, peintre d'origine catalane y est interné suite à une rupture amoureuse très douloureuse avec sa maîtresse du moment. Artiste multi-forme, homme à femme, voyageur, amateur de cuisine et de fête, à travers des flashback et des errances dans les couloirs de sa prison du moment, Didier Goupil dresse le portrait d'un homme complexe qui se révèle être bien vivant et proche de l'auteur (c'est un ami à lui). Étrange mélange de fiction et de réalité, l'ouvrage possède un charme certain entre portrait intimiste et une certaine vision du monde qui transparaît ici ou là.

Ce livre, c'est donc avant tout le portrait d'un homme amoureux de la vie et de l'Art. L'auteur balaie large et rentre même dans les alcôves de la vie privée de son ami. Rien ne nous est épargné par exemple sur ses atermoiements amoureux avec ses deux femmes officielles successives et ses nombreuses aventures. Ce côté "artiste" branchouille n'est pas ce qui m'a le plus plu chez lui, bien au contraire, je ressentais de l'agacement face à ces marivaudages incessants. Instable, bipolaire surtout, Cosme Esteve traverse la vie par périodes allant de la félicité la plus totale à des moments bien plus sombres qui culminent avec son internement. C'est l'occasion pour l'auteur de dresser en filigrane un état des lieux des institutions psychiatriques et des pratiques en vogue en la matière dans notre pays (vous verrez ce n'est pas très reluisant). Clairement, ces passages sont l'occasion pour le héros de réfléchir à sa vie, à l'existence humaine de manière générale ("Le Siècle des Lumières avait voulu l'individu, le XXIème siècle l'avait fait. À la perfection. Nous étions tellement des individus que nous étions désormais seuls au monde" page 96). J'ai été profondément touché par certains passages, une émotion palpable à chaque page entre richesse du propos, originalité provoquée par le point de vue de l'interné et quelques touches plus décalées de bon aloi qui permettent de redescendre la pression pour quelques pages.

Journal d'un Caméléon s'est aussi cela: des passages plus drôles, plus tendres aussi, reflet d'une vie aux multiples facettes qui donne son titre à l'ouvrage. Pour traverser cette vie, le peintre s'est mué en caméléon. Pour ses pannes de créativité, ses dévissages psy, ses problèmes de cœur, ses voyages, Cosmo Esteve change de personnage, d'identité et continue son petit bonhomme de chemin bon gré mal gré. Il se dégage alors une folie douce, un destin hors du commun qui se joue des conventions et des règles comme on peut s'y attendre de la part d'un artiste d'ailleurs. On s'accroche donc à ce personnage et à tous ceux qui gravitent autour de lui notamment ses deux femmes, alchimies mêlées de la figure de la mère et de l'amante. Loin des clichés, les relations entre personnages sont ici très réalistes, fidèle à la réalité même si cette dernière est quelques peu altérée par la maladie mentale dont souffre le héros.

Il faut un certain temps pour rentrer dans l'ouvrage. Il m'a fallu une trentaine de pages pour me faire une idée nette du personnage et des principes d'écriture mis en œuvre par Didier Goupil. Loin d'être linéaire, la trame s'apparente à un gigantesque puzzle entre carte mentale du personnage et déroulé plus classique de sa vie. Le style de l'auteur est à la fois alerte et exigeant, sans lourdeurs inutiles et par là même très accessible. Les interrogations de départ laissent peu à peu la place alors à la curiosité et à l'empathie. On passe un très bon moment et on s'étonne d'en être arrivé si vite à la fin tant le temps s'écoule rapidement. Une belle et profonde expérience de lecture que je ne peux que vous conseiller.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Suivez-moi
Archives
Publicité