"Le temps n'efface rien" de Stephen Orr
L'histoire: A neuf ans, Henry est un garçon solitaire ; son pied bot l’empêche de partager les jeux des enfants de son âge. Cet été-là, comme à son habitude, il reste dans sa chambre, lit beaucoup et ne fréquente que sa jeune voisine, Janice. Le jour de la fête nationale, elle lui propose de l’accompagner à la plage avec son frère et sa sœur. Henry, complexé, refuse. Les quatre enfants ne se reverront jamais.
La critique Nelfesque: "Le temps n'efface rien" est le second roman de la rentrée littéraire que j'ai pu découvrir en tant que membre du Comité de lecture pour l'élection des Coups de cœur des Lecteurs d'Entrée Livre. C'est le troisième roman de Stephen Orr mais le premier a être traduit en français. Et bien je vous le dis tout de suite: j'ai bien hâte que les autres le soient également car "Le temps n'efface rien" a été un coup de coeur!
Je ne parle pas souvent de "coup de coeur". J'aime les romans, un peu, beaucoup, passionnément, mais de vrais coups de coeur je n'en ai pas 100 dans une année. On se retrouve ici à la frontière de tout ce que j'aime en littérature: des personnages attachants, une époque superbement dépeinte sous une plume mélancolique, un mélange de contemporain et d'enquête policière et surtout une histoire vue à travers les yeux d'un enfant. Dans l'ambiance, on pourrait rapprocher ce roman d'oeuvres telles que "Le petit copain" de Donna Tartt ou encore "Le prince des marées" de Pat Conroy. Des romans qui prennent aux tripes parce que l'auteur porte un soin particulier à la construction des personnages et leurs psychologies, ainsi qu'à l'ambiance dans laquelle le lecteur s'enfonce sans possibilité de sortie.
Toute la première moitié du roman nous présente la vie à Adélaïde, petite ville australienne, et plus particulièrement celle de Thomas Street, rue où vivent Henry et ses parents, entourés de nombreuses familles, voisins et amis. Ce roman est une vraie immersion dans l'Australie des années 60. Une époque où amitié, fraternité et entraide voulaient vraiment dire quelque chose. Une époque également où les premiers immigrés grecques et italiens s'installent dans le pays. L'écriture de Stephen Orr, simple et douce, emporte littéralement le lecteur qui finit par faire partie intégrante de Thomas Street, jusqu'à avoir presque l'impression de vivre dans une des maisons de cette rue et fréquenter Bob et Ellen, les parents de Henry, ainsi que Bill et Liz leurs voisins. Les jeux de Henry, Janice, Anna et Gavin dans le jardin familial et dans le square du quartier deviennent ceux de nos enfants.
La disparition de ces trois derniers à la moitié du roman fait basculer l'histoire. La sérénité, la douceur de vivre et les bons moments vont devenir espoir déchu, angoisse, larmes et douleur. Nous nous sommes attachés à ces enfants et leur perte est d'autant plus douloureuse. S'en suivent des jours et des jours de recherche où Bill, officier de police, mène les opérations avec les moyens des 60's (autant dire très peu), où toute la ville se rend disponible pour essayer de les retrouver, où l'espoir devient de plus en plus mince mais où il faut continuer de vivre. Cela parait impossible pour les parents et pour le petit Henry c'est un vrai déchirement. Lui qui a très peu d'amis et voyait en Janice, Anna et Gavin, des frères et soeurs, va observer les réactions des adultes et se retrancher dans un monde imaginaire où ses amis sont toujours présents. Pour autant Stephen Orr ne fait pas dans le pathos et nous livre ici un roman proche du témoignage à travers les yeux de ce jeune garçon.
"Le temps n'efface rien" est un magnifique roman sur l'amitié, sur les années 60 et sur la difficulté de continuer à vivre après un drame. Inspiré d’un fait divers, il est d'autant plus marquant. Je vous le conseille vivement mais préparez-vous à ne pas pouvoir le reposer avant la fin tant tout y est attachant.