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Le Capharnaüm Éclairé
18 janvier 2024

"Les masques du temps" de Robert Silverberg

ldp70001-1977

L’histoire : Par hasard, il se matérialisa au soir du 25 décembre 1998 à Rome. Il descendit du ciel couleur d'acier sur un ruban de lumière et il y eut quatre-vingt-dix-neuf témoins pour le voir sauter par-dessus l'église Trinita dei Monti.

Quand le premier policier surgit et le somma de monter dans le car, il dit : "Je ne ferai pas ce que vous dites." Et il ajouta : "Je suis Vornan-19. Je viens de la Centralité. C'est à mille ans d'ici. Comprenez-vous ?"

Le monde entier fut alors partagé en deux camps. L'un tenait un nouveau prophète. L'autre faisait connaissance avec le premier voyageur venu du futur. Un touriste sans grande culture qui désirait visiter ce XXe siècle finissant avec l'intention d'y passer quelques bons moments...

Non, Vornan-19 ne cherchait pas les histoires, mais ce fut pourtant le début, malgré lui, d'une sacrée histoire...

La critique de Mr K : Cet ouvrage attendait depuis longtemps que je jette mon dévolu sur lui. J’ai eu comme une envie de SF bien vintage début décembre et avec Robert Silverberg, on ne se trompe jamais. Un sens inné de l’écriture, une trame bien troussée, un sous-texte souvent passionnant, ça faisait bien trop longtemps que je ne l’avais pas fréquenté. Les masques du temps ne m’ont pas détrompé, j’ai passé un excellent moment avec cette histoire d’homme venu du futur visitant notre monde en touriste et provoquant quelques dégâts collatéraux non sans égratigner nos certitudes. Pourtant écrit en 1969, le propos est plus que jamais d’actualité.

Vornan 19 est un être bien étrange arrivé un soir de Noël en cette fin de XXème siècle, en 1998. Clamant venir du futur, il semble avoir la propension de créer le chaos et la confusion autour de lui, entraînant des mouvements de foules de plus en plus importants. Alors, quand il a fini de visiter l’Europe, les États-Unis qui s’apprêtent à l’accueillir à leur tour décident de l’entourer d’une équipe de spécialistes d’horizons divers (un physicien, une anthropologue, un philologue notamment) pour l’accompagner et essayer de lui tirer les vers du nez. Le visiteur est-il vraiment ce qu’il prétend être ou ne serait-il qu’un affabulateur très talentueux ?

Le récit est raconté à travers les propos relatés par un des membres de l’équipe de superviseurs, Léo Gardfield. Au début des faits, il a 42 ans, c’est un indécrottable célibataire et jouit d’une excellente santé. Californien, ses travaux portent sur la réversibilité du mouvement des particules subatomiques. Si ses recherches finissaient par aboutir, l’homme pourrait dans l’absolu voyager dans le temps ! Pendant les cinquante premières pages, il est beaucoup question de lui, de ses espoirs d’aboutir à quelque chose de concret et d’applicable dans le quotidien de l’humanité. Il est aussi beaucoup question d’un ex collègue à lui, Jack qui suite à sa rencontre avec Shirley a abandonné ses recherches et est parti avec elle s’isoler en plein désert. Pourtant ses travaux à lui aussi étaient prometteurs...

C’était écrit, Le physicien devait rencontrer Vornan 19, un être venu du futur à l’aide d’une mystérieuse technologie. Léo en est-il à l’origine avec son travail ou celui de Jack ? Il n’aura de cesse d’essayer d’en savoir plus auprès du principal intéressé, peu bavard sur le sujet ou sur tout ce qui touche son monde d’origine. Être androgyne au charme fascinant, maniant à merveille le langage du corps et de l’esprit, Vornan semble de plus en plus jouer un double jeu, oscillant entre le Candide découvrant les coulisses d’un monde disparu à son époque et une propension claire à manipuler les gens et la foule. Avec Léo comme témoin privilégié, on reste très souvent dans l’expectative, nous demandant bien (comme tous les principaux protagonistes de l’ouvrage) quelles peuvent bien être les raisons de la présence de Vornan.

Les visites vont s’enchaîner pour cet être venu d’après et chacune d’entre elles se termine par une forme de faillite intellectuelle, idéologique voir civilisationnelle. Tour à tour, il va faire la fête chez l’homme le plus riche des USA, visiter la bourse de New York, expérimenter une maison-close, s’adresser à des foules de fanatiques électrisés par cet être hors norme et c’est l’occasion pour l’auteur de critiquer ouvertement le modèle consumériste et capitaliste de son pays (en 1969, c’était osé quand on connaît la chasse aux sorcières dont ont été victimes tous les sympathisants socialistes ou communistes de la décennie précédente...) avec ses objectifs vains et la misère humaine qu’il peut engendrer, l’exploitation des femmes pour assouvir notamment les désirs des hommes qui le heurte frontalement (le passage dans le bordel est absolument génial et détourne totalement le concept, se révélant être un passage très féministe à sa manière), la bêtise humaine encore notamment dans la traduction très réaliste du fanatisme religieux avec ces hordes de prêcheur d’apocalypse s’opposant aux suivants de Vornan voyant en lui le nouveau messie. L’ouvrage est vraiment très malin, livre des clefs de réflexions inépuisables, tout cela en ne sacrifiant jamais le plaisir de lire.

Œuvre très sensuelle aussi, Les masques du temps fait la part belle à l’érotisme, au plaisir de la chair et à la volupté. Jamais gratuit, le parti pris était nouveau pour moi dans l’univers de cet auteur qui a toujours été attaché à la dimension psychologique de ses personnages. Clairement, ce livre est aussi un roman sur le désir, son assouvissement et la recherche de l'accord parfait. Cela paraît étonnant par rapport à ce que j’ai pu en dire ci-dessus mais les deux s’interpénètrent si je puis me permettre et donnent une œuvre originale et profonde comme seule la SF des seventies pouvait en produire. L’âge d’or du genre diront beaucoup et ce romany est définitivement attaché.

Quelle belle lecture vraiment ! Certes, il y a quelques longueurs, l’intrigue met du temps à démarrer mais tous les détails et descriptions trouvent leurs justifications, livrent des personnages de chair et de sang que l’on se plaît à aimer, parfois aussi à détester, et le dénouement vient nous cueillir avec une pointe d’onirisme qui n’est pas pour me déplaire. Lecture plaisir et lecture source de réflexion profonde sur notre espèce, Les masques du temps m’a conquis et devrait en faire autant pour tous les amateurs du genre.

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Commentaires
C
J'ai bien aimé de cet auteur "L'homme programmé", j'en ai encore d'autres de lui à lire. Merci pour découverte de celui-ci.
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