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Le Capharnaüm Éclairé
3 mars 2024

"The zone of interest" de Jonathan Glazer

L’histoire : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

 

La critique de Mr K : 6/6. Une sacrée claque cinématographique prise lors d’une session en solo il y a une quinzaine de jours. The zone of interest a fait grand bruit lors de sa présentation à Cannes l’année dernière, obtenant le Grand Prix du jury. Mais ce qui m’a le plus attiré, c’est le nom du réalisateur. En effet, Jonathan Glazer est le réalisateur de Under the skin, un film culte à mes yeux tout comme l’œuvre écrite dont il est tiré. Il récidive ici en proposant un film très réussi, provocant un malaise grandissant et une expérience totale pour faire ressortir la contradiction infâme entre ce qui est regardé et ce qui est hors du champ de vision. Je m’en souviendrai longtemps.

 

On suit donc le quotidien de Rudolf Höss et de sa petite famille. Le commandant d’Auschwitz possède une très belle propriété avec jardin juste à côté du camp et la vie s’écoule tranquille et dans un certain luxe. Jardin luxuriant avec piscine, garden parties régulières avec les proches, domestiques et confort à tous les étages. Seule ombre au tableau, les détonations qui se font à l’occasion entendre de l’autre côté du mur, des cris, des ordres aboyés, le passage régulier de trains ou encore ces fumées qui relâchent une poussière âcre à l’horizon. Mais la vie est belle, on mange bien, on dort bien, les enfants sont heureux ainsi que la maîtresse de maison. Rudolf en bon fonctionnaire zélé est dans les petits papiers du führer et les Höss mènent grand train malgré la guerre.

 

 

Le point de vue est détonant et joue sur tout ce que nous connaissons de l’horreur en cours de l’autre côté de la rue. Du génocide en lui-même nous ne verrons rien même si parfois Rudolf rapporte du boulot à la maison notamment deux ingénieurs qui lui proposent un nouveau modèle de four crématoire qui permettrait de gagner en productivité. Le réalisateur joue entièrement sur le hors champ et le sous entendu pour dénoncer cette banalité du mal théorisée par Hannah Arendt, ce mal ne résidant pas dans l’extraordinaire mais dans les petites choses, une quotidienneté à commettre les crimes les plus graves. La maîtresse de maison se voit offrir une belle fourrure d’une cantatrice juive qui n’en aura plus besoin (petit sourire odieux au visage d’une Sandra Müller épatante dans son rôle), les enfants qui adorent jouer dans la neige alors qu’à quelques dizaine de mètres on doit ramasser les cadavres par dizaines dans le camp, le travelling de présentation du jardin par Hedwig à sa mère en visite et à contre-sens la fumée de la cheminée d’une locomotive apportant son lot de déportés… Le mal est présent partout sous les oripeaux les plus banals et donc les plus cruels.

 

 

La pression monte, le spectacle prend littéralement à la gorge car l’horreur se cache derrière cette famille plutôt banale avec un père aimant et attentionné envers sa femme et ses enfants (quoique…), une épouse dévouée qui tient sa maison, les sorties en famille au bord de la rivière, les promenades en barque, les soirées en famille ou entre amis. Il ne se passe pas grand-chose et pourtant tout est en jeu, tout est sujet à distorsion dans l’esprit du spectateur quand on sait ce qui se déroule pas loin. L’auteur est un orfèvre du métier et la réalisation est parfaite. La beauté des images, la symbolique forte de certaines scènes avec des fondus en couleur remarquablement choisis, le sens du rythme et de la rupture, le déplacement de la caméra, le positionnement de chacun, les détails légers sur la réalité des camps et une ultime pirouette temporelle font de cet objet cinématographique un pur chef d’œuvre servi par des acteurs parfaits et une reconstitution historique millimétrée et fouillée.

 

 

Le film est vraiment magistral. Puissant, esthétiquement parfait, c’est une plongée sans concession dans la banalité du Mal et une fenêtre inédite et essentielle sur le génocide mais aussi la nature humaine. À voir absolument.

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Commentaires
S
Excellente chronique, que je partage totalement. J'ajouterais que tout est extrêmement étudié, notamment les détails (le livre lu aux enfants, la bande son etc.) et les scènes en "négatif photo" sont extraordinaires.
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M
Merci pour ce beau compliment. Tout est perfection dans ce film comme à chaque fois avec ce réalisateur trop rare mais qui soigne chacune de ses productions. :)
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