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Le Capharnaüm Éclairé
26 février 2024

"Qui a fait le tour de quoi ?" de Romain Bertrand

 

L’histoire : Imaginez une histoire, une belle histoire, avec des héros et des traîtres, des îles lointaines où gîtent le doute et le danger. Imaginez une épopée, une épopée terrible, avec deux océans où s’abîment les nefs et les rêves, et entre les deux un détroit peuplé de gloire et de géants. Imaginez un conte, un conte cruel, avec des Indiens, quelques sultans et une sorcière brandissant un couteau ensanglanté. Un conte, oui, mais un conte de faits ?: une histoire où tout est vrai. De l’histoire, donc.

 

Cette histoire – celle de l’expédition de Fernand de Magellan et de Juan Sebastián Elcano –, on nous l’a toujours racontée tambour battant et sabre au clair, comme celle de l’entrée triomphale de l’Europe, et de l’Europe seule, dans la modernité.

 

Et si l’on changeait de ton ?

 

Et si l’on poussait à son extrême limite, jusqu’à le faire craquer, le genre du récit d’aventures ? Et si l’on se tenait sur la plage de Cebu et dans les mangroves de Bornéo, et non plus sur le gaillard d’arrière de la Victoria ? Et si l’on faisait peser plus lourd, dans la balance du récit, ces mondes que les Espagnols n’ont fait qu’effleurer ? Et si l’on accordait à l’ensemble des êtres et des choses en présence une égale dignité narrative ? Et si les Indiens avaient un nom et endossaient, le temps d’un esclandre, le premier rôle ? Et si l’Asie une fois n’est pas coutume tenait aussi la plume ? Que resterait-il, alors, du conte dont nous nous sommes si longtemps bercés ?

 

La vérité, peut-être, tout simplement.

 

La critique de Mr K : Depuis gamin, je suis passionné par les voyages des grandes découvertes qui sont, avec les mythes anciens, à l’origine de ma passion pour la matière historique. Je me rappelle encore des ouvrages offerts lors de ma jeunesse où je feuilletais avec les yeux pleins d’étoiles des pages emplies de cartes, monographies et autres documents reprenant les trajets de Colomb, Gama, Cartier ou encore Magellan, mon préféré. Préparatifs, aventures de mer avec son lot d’avaries, de mutinerie et de quotidien difficile, la découverte de nouveaux horizons et de nouveaux peuples avec à l’occasion quelques querelles bien senties. Oui, j’ai toujours adoré cet univers, cette époque, ces mœurs avec son lot d’images d’Épinal et de raccourcis propre à la vulgarisation et soyons clairs à visée propagandiste pro-occidentale. Puis vint le temps béni de la faculté avec la rencontre de professeurs émérites qui ont brisé le vernis, complété ma formation historique et m’ont ouvert les yeux sur des réalités bien plus complexes.

 

L’occasion fait le larron et c’est avec un plaisir certain que j’abordais Qui a fait le tour de quoi ? De Romain Bertrand, un ouvrage qui ressort ces semaines-ci en version poche chez Verdier. L’idée est d’aborder Magellan en croisant davantage de sources, notamment celles plus méconnues venant d’orient, d’extrême orient et de sources moins officielles mais tout autant importantes pour cerner au mieux ce personnage historique incontournable et les réalités de son époque. Croisée des regards, apport historique et contextualisation régulière permettent de se faire une idée encore plus précise de l’aventure Magellan et lèvent le voile sur des vérités et des logiques passées bien trop sous silence. Au final, la lecture s’est révélée excellente et extrêmement rapide tant j’ai été pris par ce récit historique au souffle romanesque certain.

 

Cinq chapitres, cinq étapes pour un destin hors du commun. Magellan n’a pas d’origine noble et c’est avant tout un vétéran de guerre qui va réussir à convaincre de l’utilité de son projet le monarque espagnol après avoir été éconduit par le roi portugais de l’époque. La vengeance est donc une des raisons de son engagement ainsi que la quête de richesses. Il devait en effet hériter de plusieurs îles s’il en découvrait beaucoup. On savait déjà que la Terre était ronde depuis quelques décennies mais restait à vérifier cela par une circumnavigation avec à la clef la nécessité de trouver un passage par l’Ouest pour rejoindre l’Inde, les côtes africaines étant parsemées de comptoirs portugais. Après un premier chapitre très éclairant consacré aux origines sociales de Magellan, ses premiers faits d’armes, on suit le montage de l’expédition et c’est le départ !

 

Les difficultés de la descente de l’Atlantique, les tensions qui montent et les rivalités entre capitaines, les avaries puis le passage du fameux détroit à qui il va donner son nom et l’entrée dans le grand Océan Pacifique. Puis, c’est le drame et la mort de Magellan, conséquence directe de son hybris et de sa pédanterie d’occidental et le retour éprouvant de ce qu’il reste de l’expédition. Des cinq vaisseaux et 270 hommes qui ont pris le départ, il ne restera qu’un seul navire, 18 hommes d’équipage à l’arrivée et que d’événements entre temps !

 

Le livre se lit comme un bon roman d’aventure à la documentation plus que conséquente. Lettres intimes, documents de navigation, témoignages divers ont été compulsés par l’auteur pour fournir un ouvrage à la démarche historique rigoureuse et sans faille. La nouveauté réside dans l’exploitation de sources non occidentales qui croisées aux récits hagiographiques classiques permettent de tout remettre en perspective et d’avoir un tableau plus juste de l’expédition. La cuirasse de Magellan s’en trouve quelque peu ternie et même si on s’en doutait, ça fait son petit effet et offre une image plus réaliste, plus humaine aussi de l’aventurier et de tous les protagonistes principaux.

 

À l’occasion des différentes phases, c’est aussi l’occasion pour Romain Bertrand de revenir sur cette époque de première mondialisation, de faire l’état des lieux des forces en présence et briser le cou à certaines idées reçues. Ainsi nombre de routes maritimes inconnues de nous autres européens ne l’étaient pas par les japonais, chinois, indiens ou malais. Les échanges sont nombreux et d’ailleurs portugais et espagnols notamment apprendront beaucoup à leur contact. J’ai aussi beaucoup aimé les focus sur la vie d’équipage, les préparatifs et les rencontres avec les autres. Multiplicité des sources oblige, on revisite avec une certaines jubilations les principaux éléments en désacralisant toujours dans le but d’être objectif et le plus proche de la vérité historique.

 

Loin de démolir le mythe, Romain Bertrand nous offre un Magellan bien plus humain, crédible et brosse un tableau assez saisissant de l’époque pour le plus grand plaisir de l’amateur d’Histoire que je suis. À lire absolument !

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