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Le Capharnaüm Éclairé
6 mars 2023

"La Vallée des Lazhars" de Soufiane Khaloua

La Vallée des Lazhars

L’histoire : La Vallée des Lazhars est l'histoire d'une jeunesse qui se heurte à des frontières de toutes sortes et qui tente de s'en affranchir, par la verve, le panache, la désobéissance – par une solution qui lui est une seconde nature, l'exil.

Un grand camion blanc parcourt une piste qui serpente au creux d'une vallée, à la frontière Est du Maroc. À son bord, Amir et son père. Cet été, ils rendent visite à leur famille après six ans d'absence. Amir est né en France, mais son père, ici, dans la vallée des Lazhars. Ils sont membres du clan Ayami. Le jeune homme a tout l'été pour retrouver une identité qui lui est un droit de naissance et dont il a pourtant du mal à s'emparer.

Une Renault 18 gravit une pente et fait une arrivée tonitruante dans la nuit. À son bord, Haroun, "cousin préféré" d'Amir, revient d'un exil de trois ans. Il vient assister au mariage de sa sœur Farah, fiancée à un membre du clan d'en face, les Hokbani, qui vouent aux Ayami une haine réciproque et immémoriale. Haroun apporte avec lui les histoires haletantes de ses aventures dans tout le Maghreb. Mais petit à petit, derrière ses récits luxuriants, Amir découvre une autre version, une réalité différente, intimement liée à la vallée et à ses secrets.

La critique de Mr K : Gros coup de cœur que cette lecture de La Vallée des Lazhars de Soufiane Khaloua, sorti en librairie début février aux éditions Agullo. Il est de ces romans qu’on ne peut relâcher avant la fin tant on est happé par l’histoire et sous le charme des protagonistes qui hantent ses pages. C’est beau, puissant et profond à la fois, le tout enveloppé dans une langue subtile et envoûtante.

Tout débute par un grand-père qui s’adresse à sa petite fille à qui il va raconter un passage de sa jeunesse, un été dans la vallée des Lazhars où réside sa famille restée au pays. Amir (c’est son nom) est né en France, il est de la deuxième génération d’immigrés, son père étant venu s’installer sur place. C’est à l’occasion du mariage de sa cousine qu’il va passer quelques semaines au bled avec son père. Il a dix neuf ans et ça fait un petit temps qu’il n’est pas descendu. Il a notamment hâte de retrouver son cousin Haroun avec qui il a fait les 400 coups. Une fois sur place, il va se rendre compte que tout ce qu’il percevait, imaginait sur les lieux, les personnes, la famille, est biaisé y compris l’image qu’il s’est faite d’Haroun.

Le personnage principal est de suite attachant par son décalage. Il ne se sent pas à sa place dans cette vallée où certains le considère comme un étranger. Il vit en France et n’est pas du pays malgré le sang qui coule dans ses veines. J’ai forcément pensé à mes anciens élèves du 93 à qui je demandais régulièrement en septembre comment s’était passé leur séjour au bled. Souvent ils revenaient blessés, déçus de l’accueil, ils me parlaient aussi de décalage. Dans ce roman, cela prend la forme de difficultés d’échanges avec la langue, des coutumes méconnues (comment dire bonjour lors d’une cérémonie, dans quel sens salue-t-on...), des comportements et réactions à adopter... Amir se prend plus d’une fois les pieds dans le tapis, se sent mis à l’écart, pas à sa place. Et pourtant, il l’aime cet endroit, il aime cet oncle râleur et cyclothymique, les paysages grandioses, les discussions passionnées avec Haroun et ses aventures picaresques dans l’Algérie voisine. Il y trouve les fondements de son identité d’Ayumi, cette haine immémoriale avec leurs voisins du versant d’en face, les Hokbani. Et puis, il y a cette jeune fille dont il tombe profondément amoureux et qui semble lui échapper. Elle est du clan d’en face et feint de l’ignorer.

L’immersion est totale, on accompagne Amir dans cette quête de soi. Véritable récit initiatique, le roman se fixe autour des notions de filiation, de la transmission des valeurs, des choses essentielles de l’existence. Loin d‘être parfait malgré une certaine naïveté, Amir en fera à plusieurs reprises l’amère expérience, lui qui n’appréhende que partiellement les réalités auxquelles il est confronté. Il est beaucoup question de frontières que l’on franchit ou pas, à commencer par la figure d’Haroun qualifié à de nombreuses reprises de démon. Né dans des conditions terribles, il porte sur ses épaules un poids, il représente aussi la jeunesse et sa fougue, une rupture avec les traditions. Après un exil de trois ans suite à une brouille dont on nous livrera les secrets en cours de roman, quand il revient les cartes sont rebattues, les certitudes fragiles s’écroulent et mettent en lumière l’animosité entre les deux clans malgré un mariage d’amour devant sceller leur rapprochement. Amir et Haroun entre confidences, expéditions et balades, jalousies nous invitent à découvrir les ressorts en jeu dans les relations familiales et à suivre leur propre construction. Chacun repartira en fin de roman irrémédiablement changé.

La Vallée des Lazhars nous embarque immédiatement, étendant son emprise au fil des pages qui se tournent toutes seules. On fait véritablement partie de la famille, on partage les conditions de vie difficiles dans la vallée, on ressent les tensions, les espoirs et l’on éprouve vraiment des sentiments mêlés au fil des révélations et péripéties contées par Amir. Et il s’en passe de belles durant cet été sous le soleil aride de l’est marocain : un mariage perturbé, un enterrement, une virée en roue libre en Algérie, des amours secrets, des pulsions incontrôlables et des écueils dans la tradition avec un conflit générationnel et des désobéissances qui vont changer à jamais certaines destinées. Le roman se termine avec le sentiment qu’on aurait bien continué encore un peu tant on se passionne pour ses trajectoires et qu’on s’attache à tous les personnages.

Porté par une écriture solaire, souple, accessible et enveloppante, on passe un vrai moment de lecture exceptionnel et magnétique. À découvrir absolument.

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Commentaires
R
En réponse à Monsieur K votre commentaire décrit parfaitement mon ressenti!!! Un bijou!! Je recommande!!
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M
Noté #OneMoreTime ! Superbe chronique ! Merci
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D
Tiens, j'avoue vu ce livre mais il me disait moyen ; en lisant cet avis lecture, je me dis pourquoi pas ! Alors merci pour ce retour :)
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