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Le Capharnaüm Éclairé
6 septembre 2022

"Notre royaume n'est pas de ce monde" de Jennifer Richard

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L’histoire : Deux hommes venant de chemins différents se retrouvent au même moment au même endroit, incarnant sans le savoir – mais peut-être que si – la convergence des luttes. L’un blanc, l’autre noir.

Ota Benga, Pygmée d’Afrique centrale, attraction majeure de l’Exposition universelle de Saint-Louis, puis du zoo du Bronx, se donne la mort en 1916. Prenant enfin la parole, il convoque les fantômes de l’histoire et de la littérature ? Jean Jaurès, Che Guevara, Martin Luther King, Rosa Luxemburg, Pier Paolo Pasolini, Patrice Lumumba, et bien d’autres... tous assassinés pour leurs idées et tous liés à son destin. Au fil d’une épopée effroyable, ils revisitent ensemble passé et présent.

La critique de Mr K : Quelle claque mais quelle claque que cet ouvrage! Avec Notre royaume n’est pas de ce monde, je découvrais donc l’écrivaine Jennifer Richard dont j’avais entendu parler mais dont je n’avais toujours pas lu la prose. Le mal est désormais réparé et franchement j’ai été subjugué par la profondeur du propos et la puissance stylistique. Ce pavé de plus de 700 pages se lit avec un plaisir sans faille, nourrissant le lecteur curieux et féru d’Histoire que je suis, proposant une vision sans fard du colonialisme et rayant définitivement toute idée d’une colonisation paternaliste visant soit disant à "civiliser" les populations autochtones.

Comme vous avez pu le lire dans la quatrième de couverture reproduite ci-dessus, la méthode de narration est très originale et permet de balayer tous les champs propres à la thématique abordée. Dans un ailleurs indéfini, toute une troupe d’individus connus disparates, assassinés pour leurs idées et leurs actions, se retrouvent pour assister à une sorte de conférence tenue par un pygmée qui s’est donné la mort en 1916. Celui-ci va leur raconter son histoire et celle d’autres personnages qui lui sont liés de près ou de loin avec en toile de fond, la colonisation de l’Afrique et plus particulièrement du Congo par la Belgique (sous l’égide de Léopold II).

On suit donc de nombreux personnages sur un espace temps restreint de 1896 à 1916, 20 ans donc et l’on navigue dans les différentes sphères de la société de l’époque. On côtoie ainsi des indigènes dont le principal intéressé et narrateur, Ota Benga, qui a une existence incroyable et tragique à la fois. Différents explorateurs et envoyés de l’Europe en Afrique entre ceux qui cautionnent le système et ceux qui tentent de le combattre tels des Don Quichotte face à des moulins. On rentre dans l’intimité du roi belge, notamment auprès de sa maîtresse Blanche Delacroix, une roturière retorse et ambitieuse. On va même en Amérique en même temps que certains personnages et l’on observe la condition noire, les différents mouvements qui composent cette communauté et les modestes évolutions possibles. Le lien entre tous, c’est une superbe réflexion sur la condition humaine et la cause de l’égalité bien malmenée par les pratiques en cours, les lois ségrégationnistes et le racisme moral dans lequel baigne toutes les civilisations occidentales de l’époque.

Rien ne nous est donc épargné à commencer par les conditions de travail épouvantables dont sont victimes les congolais. Prise en otage des familles pour obliger les hommes à travailler au maximum, impôt inique qui réduit la paie à peau de chagrin, mutilations épouvantables (pieds et main coupés notamment), alcoolisation, épidémies et autres calamités font de ces territoires perdus des enfers sur terres où l’homme blanc civilisateur n’est qu’un bourreau et un exploitant infâme. On est bien loin des images vendues par certains groupes politiques malheureusement très actifs en France au jour où j’écris. Tous les Blancs ne sont pas à mettre dans le même panier mais une majorité sûrs de leur supériorité et celle de leur foi ont abusé de leur prérogatives et l’auteure aborde les choses de manière brute, historique et tous les faits et pratiques énoncés sont largement vérifiables. D’ailleurs cela fait partie du "plaisir" de cette lecture, on en apprend beaucoup et l’on découvre un certains nombre de choses.

Cette dénonciation forte prend à la gorge mais le plaisir de lire est là, c’est aussi un roman avec des destinées fabuleuses, des personnages attachants d’autres rédhibitoires, mais tous sont nuancés, complexes et sont agréables à suivre. L’être humain ne peut se résumer à un trait, une caractéristique et Jennifer Richard se révèle être une perle en matière de caractérisation et de mise en interactions de protagonistes mais aussi de réalités historiques parfois distantes de milliers de kilomètres mais intrinsèquement liées. La trame est magistralement mise en œuvre et l’ensemble est d’une cohérence, d’une intelligence et d’une finesse sans égal. Avec en sus les commentaires savoureux et anachroniques des personnalités invitées par Ota Benga, cerise sur le gâteau et pointe d’humour bienvenue dans un contenu souvent dramatique.

Non vraiment, Notre royaume n'est pas de ce monde est un livre qu'il faut absolument lire en cette Rentrée Littéraire. C’est beau, puissant, rudement bien mené et éclairant au possible. Un avenir meilleur par la reconsolidation des liens sociaux ne peut passer que par la connaissance et la compréhension de l’autre. Jennifer Richard apporte sa pierre à l’édifice et pour cela, qu'elle en soit remerciée, lue et partagée auprès du plus grand nombre. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !

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Commentaires
G
Oh ça a l'air tellement bien! Je vais de ce pas voir s'il est au catalogue de la bibli municipale!
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