lundi 5 décembre 2022

"L'Âme du chien" d'Antoine Ducharme

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L’histoire : Croire les prophéties.

Celui qui étreint l’âme du désert, qui chevauche et détruit les mondes, n’a que peu de pitié pour ses ennemis et son peuple.

Du haut de Salabanka, la ville dorée, il s’enorgueillit du Destin que l’oracle lui a confié. Alors, quand la sibylle lui ordonne de trouver un bras droit, il s’exécute. Il lui faut un guerrier à l’âme de chien prêt à tout pour accomplir l’avenir glorieux de son maître.

La critique de Mr K : Chronique d’un gros coup de cœur aujourd’hui avec L’Âme du chien d’Antoine Ducharme, un roman de fantasy métaphysique absolument dément. Conte, mythe, récit initiatique se conjuguent dans une langue poétique et évocatrice au possible. Top de chez top !

Alandros aka le cavalier aux poings de colère est venu du désert, il est venu, il a vu et il a vaincu ou presque... Guidé par un oracle qui lui a prédit le plus grand des destins, il a terrassé nombre d’ennemis mais il n’arrive pas à porter le coup de grâce à l’empire de l’ancien monde qui continue de lui résister. La sibylle lui dit qu’il va devoir trouver un guerrier, le meilleur d’entre tous, celui qui deviendra son bras armé et finira d’asseoir sa domination. C’est alors qu’apparaît Klane, guerrier mystérieux qui va survivre aux terribles épreuves imposées par Alandros pour devenir son soldat à l’âme de chien. Mais ce n’est que le début d’un récit qui conjugue dès lors fantasy épique et récit initiatique.

On est avec cette œuvre loin de la figure du roman ou de la saga de fantasy classique. La taille tout d’abord interpelle. Là où le genre se traduit souvent par de belles briques bien pesantes, on se retrouve ici face à un livre de 120 pages à peine, une sorte de novella en quelques sorte, format apprécié notamment dans la SF. Clairement, je trouve qu’ici ou là (promotion officielle, articles de blogs ou revues spécialisées), on appuie trop sur le mot fantasy pour décrire cette œuvre qui m’a fait plus penser à du Homère ou encore davantage à Laurent Gaudé et son superbe La Mort du roi Tsongor entre fracas des batailles, esprits torturés et aspect épique mis en avant par une langue inventive et évocatrice à souhait.

Au cœur du récit donc, deux hommes, deux figures tutélaires qui se ressemblent, s’opposent, se complètent, se rejettent au fil du temps, au gré des événements, mus tous les deux par quelque chose qui semble les dépasser, une flamme qui les habite, les meut. Figures guerrières, la mort et la destruction hantent ces pages d’une rare virtuosité lyrique pour évoquer la brutalité, les combats, le sang répandu pour un idéal commun inspiré par des paroles divinatoires et autres légendes que l'on se transmet à toutes les échelles de la société. Le pouvoir puis le doute, l’accablement, la résignation et une certaine forme de rédemption sont au menu de cette quête de sens qui apparaît en filigrane du récit et finit par nous éclabousser par sa pureté et sa beauté dans des dernières pages inspirées et inspirantes.

Alternant fureur, pensées et moments plus intimistes, L'Âme du chien ne nous laisse aucune échappatoire. Le souffle épique nous capte irrémédiablement, le récit devient initiatique, philosophique avec des réflexions sur le destin, la volonté mais aussi le sens de la vie, de l’accomplissement. Qu’est-ce qu’un héros finalement ? Le reste-t-on ? Est-ce même un sort enviable ? A travers la dualité Alandros et Klane, l’auteur évoque tout cela et rappelle le douloureux choix proposé à Thétis la mère d’Achille à qui on proposait à son fils une vie courte et glorieuse ou une vie longue mais insignifiante. La dimension mythologique de l'âme du chien est prégnante, les références nombreuses et a comblé l’amateur que je suis de récits antiques.

Il n’y a pas à tortiller, il faut lire l’ouvrage d’Antoine Ducharme qui porte très bien son nom - sic -. Lecture hypnotique, merveilleuse et sombre à la fois, c’est davantage qu’un livre de fantasy, c’est une fenêtre sur l’humanité et les histoires qui la fondent dans ses croyances et ses actes. C’est beau, profond, cryptique et clair à la fois, c’est un chef d’œuvre.

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mardi 22 novembre 2022

"Par petits bouts" de Weronika Gogola

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L’histoire: Les meilleures histoires sont celles que l'on raconte petit à petit, par fragments, un menu morceau à la fois. On se souvient d'une anecdote, et de cette mémoire naissent les plus beaux des récits. C'est comme se poser avec un ami et engager une conversation sur soi, sur son enfance à la campagne, maman, et surtout papa, les oncles, les tantes, les cousins... Dans ces moments-là, il s'agit d'expliquer ce qu'il y a de plus simple, sans prétention, ni pathos, ni honte. Le premier incendie auquel on a assisté avec avidité, la perte d'un être cher qui nous prépare à d'autres départs, les papillons morts auxquels on organise les plus belles des funérailles, faire pipi debout, les bruits et les animaux de la campagne, les petits boulots, et l'idée que maman pourrait tout à fait être Sting, si seulement elle en avait envie.

La critique de Mr K : Direction la Pologne avec le dernier ouvrage sorti aux éditions Tropismes (anciennement Belleville éditions) avec Par petits bouts de Weronika Gogola. Dans cet ouvrage au charme envoûtant, l’auteure nous invite à partager les souvenirs épars d’une gamine qui s’interroge sur tout et sur elle. C’est beau, léger et profond à la fois et totalement addictif.

L’ouvrage débute sur un poème composé de douze strophes décomptant douze heures correspondant à des impressions et des formules imagées lorgnant vers la philosophie et le mysticisme. Chacune de ces "heures" vont correspondre ensuite à un chapitre relatant un moment ou une période vécue par la narratrice. On démarre fort avec des vers touchants au possible, très évocateurs et porteurs de sens, faisant écho au vécu de chacun.

Par une narration à la première personne immersive à souhait, la narratrice nous raconte alors des bribes de son enfance qui de prime abord semblent quelque peu désordonnées et suivant les aléas de ses pensées. Elle nous parle de la nature, des sensations qu’elle éprouve, des grenouilles, du son des grillons à la nuit tombée, des chèvres du village, du bruit du vent et son souffle sur le visage, des conneries avec la cousine un peu plus âgée et des copains. C’est frais, on partage toutes ses émotions. Puis, de plus en plus c’est la famille qui occupe l'espace avec des figures incontournables d’adultes tous plus divers les uns que les autres, inspirant des sentiments variés avec en sous-texte un rapport idéalisé avec le père.

C’est une véritable plongée dans un univers familial cohérent dans lequel on entre par la petite porte de la vision d’une gamine. Ses doutes et aspirations, ses émotions intimes nous sont livrés sans artificialité dans une langue simple, épurée et poétique qui touche en plein cœur. On s’y retrouve beaucoup à l’occasion, on ressent des choses que l’on pensait oubliées à l’occasion d’événements particuliers comme un repas de famille, des échanges parfois musclés ou encore l’épreuve de la mort d’un proche et la notion de deuil. Et puis, au cœur de tout cela, c’est les apprentissages de la jeune fille qui transpirent de ces pages, l’évolution vers l’adolescence, la prise de conscience de son corps, la construction de soi aussi au sens large.

Le tout baigne dans la culture polonaise, à commencer par la culture catholique omniprésente, au cœur des us et coutumes et des traditions avec aussi ses nombreux interdits et tabous. On croise aussi nombre de termes du cru explicités en bas de page et prolongeant l’immersion, nous faisant découvrir la gastronomie, les lieux, les habitudes et aussi à l’occasion l’Histoire de ce pays méconnu. J’ai aimé cette propension de l’auteure à vouloir transmettre sa culture sans en faire trop étalage et en nourrissant son récit de ces éléments. Le résultat est bluffant pour ne pas dire passionnant.

On passe donc un très agréable moment en compagnie de Weronika Gogola qui propose un personnage très attachant, un parcours de vie très riche et une fenêtre sur son pays d’origine. Un beau dépaysement au cœur de l’humain que je vous invite à découvrir à votre tour.

jeudi 17 novembre 2022

"Feu et sang" intégrale de George R. R. Martin

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L’histoire : À son zénith, Valyria était la plus grande ville du monde connu, le centre de la civilisation. Au sein de ses remparts brillants, deux fois vingt maisons rivales se disputaient le pouvoir et la gloire, à la cour et au conseil, s'élevant et chutant dans une lutte sans fin, subtile et souvent féroce, pour la domination. Les Targaryen étaient loin d'être les plus puissants seigneurs dragons, et leurs rivaux virent dans leur fuite vers Peyredragon un acte de capitulation, de poltronnerie. Mais Daenys, la fille pucelle de lord Aenar, qu'on connaîtrait désormais à jamais sous le nom de Daenys la Rêveuse, avait prédit la destruction de Valyria par le feu. Et quand survint le Fléau, douze ans plus tard, les Targaryen furent les seuls seigneurs dragons qui survécurent.

La critique de Mr K : "Faute de grives, on mange des merles" est la maxime qui s’applique à cette lecture époustouflante qui ne doit cependant pas cacher que George R. R. Martin se fait furieusement attendre pour clôturer sa saga culte du Trône de fer, en espérant qu’il le fasse de fort belle manière et pas de façon convenue et bâclée comme ce fut le cas pour la version télévisée. Feu et sang qui raconte l’unification des sept royaumes de Westeros sous la bannière des Targaryens en est une sorte de préquelle, se déroulant plusieurs siècles avant les événements de Game of thrones. Sous la forme de chroniques à la mode médiévale (on pense forcément à Froissart, un auteur culte étudié à la fac en long, en large et en travers pour ma part) avec des dragons et un soupçon de magie en sus, on passe un extraordinaire moment (long de plus de 900 pages tout de même !) et on retrouve tout le talent du bonhomme avec le plaisir de découvrir l’origine de beaucoup d’éléments qui ont leur importance dans l’œuvre sus-citée.

Écrit donc à la manière d’une chronique historique, s’interrogeant souvent sur les sources disponibles, mêlant ressenti, hagiographie et écrits plus apocryphes voire tendancieux (les textes de Champignon, un nain bouffon de profession écrivain à ses heures perdues), tout débute par la fin de la mythique Valyria et l’exil sur l’île de Peyredragon des Targaryens, famille noble aux membres à la chevelure argentée et aux yeux mauves qui ont l'avantage certain de maîtriser des dragons. Oui oui, ça peut surprendre au départ! Cette île fait partie d’un continent, Westeros, où cohabitent sept royaumes qui se font la guerre depuis des générations et des générations. Rien ne semble pouvoir atténuer ces querelles et cesser les hostilités, et pourtant...

Sous l’impulsion d’Aegon Ier dit le conquérant, les Targaryens vont réussir à unifier tout ce petit monde à force de guerres, de tractations et de marchés. Le plus dur sera ensuite de faire fructifier cette réussite, développer Westeros et conserver cette unité autour de la figure du roi Targaryen et de ses successeurs. L’auteur déroule alors les événements sur trois / quatre générations qui vont devoir tout faire pour conserver l’héritage de leur illustre ancêtre. Ce ne sera pas une mince affaire et l’on peut compter sur l’imagination folle de George R. R. Martin pour leur donner du fil à retordre !

La saga Game of thrones avait donné le ton auparavant avec son lot de coups fourrés, de trahisons, d’atrocités commises au nom de la raison d’État ou d’intérêts familiaux et / ou personnels. On n’est pas en reste ici avec des personnages qu’on n’oubliera pas de sitôt à commencer par les Targaryens qui sont au centre de tout et qui compilent puissance terrifiante avec leurs dragons, une tendance à l’inceste fort poussé pour conserver la pureté de leur sang (à l’instar des anciens pharaons d’Égypte, frères et sœurs se marient entre eux) et une tendance à l’hybris et la folie que ne renieraient pas ceux que l’on croise plus tard dans la saga du Trône de fer. Ça défouraille sec, ça ne s’encombre pas de la morale élémentaire et l’on assiste à beaucoup de scènes rudes, éprouvantes même parfois. Personne n’est à l’abri dans ces pages, ne vous attachez pas trop aux personnages, certains disparaissent très vite ou même après des cinquantaine de page, fauchés par les circonstances ou un événement survenu de nulle part et qu’on n’a pas pu anticiper.

Et si il n’y avait qu’eux...Tous les protagonistes sont plus affreux et machiavéliques les uns que les autres. Les plus respectueux et gentils sont souvent leurs premières victimes. J’avoue que mon côté sadique a été pleinement satisfait. Les mœurs de l’époque sont dures aussi, on meurt jeune, les épidémies sont une réalité assez courante. Ce moyen-âge fantasmé est très réaliste si on enlève les dragons et les pointes de fantastique que l’on peut croiser ici ou là, j’ai adoré cette immersion et franchement on ne s’ennuie pas une seule seconde, les 900 pages se lisent très facilement et avec un plaisir renouvelé. Surtout qu’on en apprend beaucoup sur les origines de Westeros, sur certains lieux et leur toponymie, certaines lignées familiales, les brouilles en jeu, le développement du pays notamment les routes royales, l’urbanisme et la montée en puissance de Port-Réal notamment. Je me suis un peu retrouvé comme sur les bancs de la faculté sauf qu’on étudie là un monde imaginaire. Passionnant, dépaysant et furieusement addictif.

Je pourrais discourir des heures sur cette intégrale mais je vais arrêter là. C’est un pur bijou qu’il faut absolument lire si on est fan de Game of Thrones et de fantasy. Les historiens peuvent s’y coller aussi tant la démarche détone et impressionne. Un pur bonheur dans une version magnifique avec son lot de cartes (j’adore), un arbre généalogique et des illustrations régulières tout du long du récit. Une lecture ultime !

Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
Chanson pour Lya
Le trône de fer, intégrale 1
Le trône de fer, intégrale 2
Le trône de fer, intégrale 3
Le trône de fer, intégrale 4
Le trône de fer, Le bûcher d'un roi, volume 13
Le trône de fer, Les dragons de Meereen, volume 14
Le trône de fer, Une Danse avec les dragons, volume 15
- Dragon de glace

- L'Agonie de la lumière
- L'Oeuf de dragon

mardi 8 novembre 2022

"Le Chant d'Haïganouch" de Ian Manook

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L’histoire : On leur avait promis une terre qu’ils ne quitteraient plus. Et c’est à un nouvel exil qu’ils sont contraints... ?

Ils en rêvaient : reconstruire leur pays et leur histoire. Comme des milliers d’Arméniens, Agop, répondant à l’appel de Staline, du Parti Communiste français et des principales organisations arméniennes de France, quitte sa famille et embarque en 1947 à bord du Rossia dans le port de Marseille. Mais au bout du voyage, c’est l’enfer soviétique qu’il découvre et non la terre promise.

Sur les bords du lac Baïkal, Haïganouch, une poétesse aveugle, séparée de sa sœur lors du génocide de 1915, aujourd’hui traquée par la police politique, affronte, elle aussi, les tourments de l’Histoire.

Des camps de travail d’Erevan aux goulags d’Iakoutsk, leurs routes se croiseront plus d’une fois, au fil d’une odyssée où la peur rencontre l’espoir, le courage et l’entraide. Agop et Haïganouch parviendront-ils à vaincre, une fois de plus, les ennemis de la liberté, pour s’enfuir et retrouver ceux qu’ils aiment ?

La critique de Mr K : Très belle lecture que cette fresque familiale aussi prenante qu’enrichissante sur le sort peu enviable du peuple arménien à travers un XXème siècle qui ne les a pas épargnés, loin de là. Dans Le Chant d’Haïganouch, Ian Manook propose un récit polyphonique entre destins contrariés, évocation sans fard de l’URSS, moments de joie et à travers tout cela, la force de résistance d’un peuple malmené par l’Histoire. Addictif !

Ainsi, on suit le parcours d’un arménien séduit par la promesse de Staline d’accueillir les membres de la diaspora dans une République soviétique arménienne qui n’attend qu’eux. Il découvrira l’enfer soviétique... Agop s’est laissé bercer d’illusion, lui dont la famille a déjà connu le terrible génocide arménien perpétré par la Turquie à leur encontre à partir de 1915 et qui croit dur comme fer qu’il peut aller en Arménie, s’installer puis faire venir sa petite famille. Très vite, il va voir l’envers du décor, il perd sa nationalité française, devient soviétique de fait et est enfermé dans son nouveau "pays". C’est le début d’une longue descente aux enfers qui le verra envoyé en camp de travail, puis au goulag dans un pays où la liberté n’existe tout simplement pas et où tous ont peur d’une mort suspendue aux décisions iniques des hommes de pouvoir, à commencer par Staline et son âme damnée Beria. En parallèle, on suit les affres de sa famille restée en France, qui vivent dans l’incertitude et guettent la moindre nouvelle.

D’autres chapitres mettent en scène Haïganouch, une poétesse aveugle, d’origine arménienne elle aussi, qui est poursuivie par la police politique soviétique en URSS. Elle y a refait sa vie suite au traumatisme lié à sa séparation d’avec sa famille victime du génocide. Son histoire démarre avec l’exécution sommaire de son mari et son viol en début d’ouvrage, un passage terrifiant. Elle va tout mettre en œuvre pour retrouver son fils perdu (déporté lui aussi) et va rencontrer divers personnes qui vont l’aider dans son périple qui très vite se mue en un récit quasi initiatique avec la nécessaire métamorphose de tout être détruit pour dépasser sa peine et réussir à survivre. L’auteur ne nous épargne pas là non plus et son destin est passionnant quoique douloureux.

Ian Manook nous plonge vraiment dans l’URSS stalinienne. Sans exagération, ni manichéisme, il décrit avec justesse le fonctionnement de cette dictature qui a enfermé littéralement ses citoyens et a fait des millions de morts. C’est la peur qui domine tout, la peur de mourir de faim, la peur du froid, la peur de l’occident, la peur de se faire dénoncer, la peur de se faire arrêter, la peur de mourir ou de faire mourir sa famille car le chantage est l’une des armes favorite du régime. Les pages transpirent de ce sentiment aliénant qui change les vertueux en fourbes et amène la méfiance dans le cœur de tous. Tous les personnages sont traités avec humanité et complexité, y compris chez les êtres les plus vils. Cela renforce le roman, lui donne un aspect réaliste qui prend aux tripes et donne à voir les vicissitudes des humains. Le devoir, le pouvoir, l’amour, la haine, l’amitié, la famille, le tout perturbé et perverti par un régime qui nie toute moralité et humanité.

On passe vraiment par tous les états, les espoirs se succèdent aux crises, aux remises en question, à la perte de repères. L’écriture limpide, fluide, donne vie à tout cela avec maestria, distillant un charme fou à cette histoire pourtant terrible. Ian Manook est un excellent conteur d’histoire, un écrivain engagé soucieux de l’exactitude historique, un maître de la plume que je découvre plus intime ici vu qu’il s’inspire de ce que sa propre famille a pu vivre. Une très belle expérience, éprouvante et enivrante à la fois. À lire absolument !

dimanche 6 novembre 2022

"L'Âme de l'Amérique" de Sylvie Brieu

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L’histoire : Terre d’aventures et de liberté, l’Ouest américain fascine avec ses grands espaces, les traditions de ses tribus emblématiques, son mythe éternel du cow-boy. C’est le lieu où l’Amérique a forgé sa légende. Une légende ravivée par le cinéma, la télévision, la littérature, et dont le Montana offre la quintessence.

Des Rocheuses aux Grandes Plaines, des coulisses du parc de Yellowstone à celles du champ de bataille de Little Bighorn, Sylvie Brieu, grand reporter et écrivaine, nous entraîne dans un road-trip captivant à la rencontre d’Indiens, de champions de rodéo, d’auteurs, d’artistes et de spécialistes de la faune sauvage. Leur amour inconditionnel pour un environnement exceptionnel, aujourd’hui menacé, nourrit leur sens très profond de la communauté et leur résistance.

Loin des clichés d’une nation individualiste, de truculentes personnalités s'unissent dans des alliances redoutables pour dessiner un "Nouvel Âge environnemental". L’avenir des Etats-Unis se jouerait-il dans les marges ?

La critique de Mr K : Une lecture différente aujourd’hui avec un ouvrage documentaire écrit par une journaliste française que l’Amérique fascine depuis l’enfance. Dans L’âme de l’Amérique, Sylvie Brieu nous invite à plonger dans ce pays incontournable qui nourrit les fantasmes, les caricatures mais aussi les rêves les plus fous. À travers ses observations, ses rencontres et échanges, elle nous propose un voyage ébouriffant, d’une richesse inouïe et offre par là même une lecture riche de sens et de plaisir. Quel beau voyage !

C’est donc au Montana que nous posons nos valises pendant plus de 350 pages, un des États les plus vastes des États-Unis (le 4ème plus grand pour être exact) mais aussi un des moins peuplés. À nous les grands espaces avec les montagnes sauvages, les rivières fugueuses et les parcs naturels préservés dont le célèbre Yellowstone. Cela donne dans cet ouvrage de belles pages contemplatives, où l’on observe la faune et la flore au plus près, des descriptions qui procurent une évasion immédiate, une envie de décoller et de partir outre-atlantique pour suivre les pas de l’auteure. C’est d’ailleurs un de mes rêves de voyage et j’espère que ça pourra se réaliser. On retrouve cette aura majestueuse et fascinante qui m’avait tant marquée lors de mes visionnage de Jeremiah Johnson ou encore Et au milieu coule une rivière.

Cet ouvrage aborde aussi la question douloureuse des amérindiens, des cicatrices encore à vif du génocide dont ils ont été victimes par des blancs sans scrupules et sûrs de leur supériorité. Le Montana est chargé de cette Histoire et leurs descendants sont toujours à la marge, parqués dans des réserves, assommés par le chômage, la misère et les ravages de l’alcool et des drogues. Pour autant cet ouvrage ne nous livre pas une version pessimiste, il surfe plus sur les initiatives mises en place pour lutter contre cet état de fait, contre les magnats de l’énergie qui par leurs appétits capitalistes démesurés pourraient mettre en danger les hommes et les écosystèmes. On croise quelques unes de ses figures de résistance qui forcent le respect et représentent vraiment l’Amérique dans son combat pour la liberté.

On est donc bien loin des idées reçues et du miroir déformant que renvoient les médias sur les USA en 2022. Certes c’est un pays fracturé par l’expérience Trump, par les tensions raciales vieilles de plusieurs décennies mais c’est aussi une perle naturelle et une terre d’entraide et de combats nobles. L'Âme de l'Amérique résume tout cela à travers un road-trip passionnant, mêlant ressenti personnel et travail journalistique sans faille. Une belle expérience de lecture que je vous convie à tenter à votre tour.


jeudi 3 novembre 2022

"Le Pays au-delà des mers" de Christina Baker Kline

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L’histoire : Pour avoir naïvement cru aux promesses d’amour de son employeur, Evangeline, jeune gouvernante anglaise, a été accusée de vol et condamnée à la déportation. Sur le navire qui l’emmène en terre australe, elle pense à ce que sera sa vie dans le "pays au-delà des mers", qu’on dit si inhospitalier, peuplé d’indigènes et de renégats. Elle pense aussi à l’enfant qu’elle porte : saura-t-elle le protéger ? Pourra-t-elle s’appuyer sur la débrouillarde Hazel avec qui elle a noué une forte amitié lors de la traversée ?

Au même moment, sur l’île Flinders, au large de l’Australie, Mathinna, une orpheline aborigène, est elle aussi retenue prisonnière. Arrachée à sa tribu, la petite a été adoptée par le gouverneur et son épouse, qui entendent bien la civiliser à tout prix.

Ces trois femmes l’ignorent encore, mais leur sort est inextricablement lié. Sur ces terres soumises à la folie des hommes, elles auront besoin de toutes leurs forces, de tout leur courage pour survivre et se frayer un chemin vers la liberté.

La critique de Mr K : Très belle lecture que Le Pays au-delà des mers de Christina Baker Kline. Fresque intime et historique, on se prend immédiatement au jeu, on s’attache aux différents personnages et l’on passe vraiment un très bon moment.

Evangeline est une jeune gouvernante toute fraîchement émoulue de sa campagne anglaise. Fille de pasteur, elle a reçu une éducation classique et exerce son rôle de préceptrice dans une famille aisée de Londres. Candide face aux promesses du fils de la maison, elle se retrouve ensuite victime d’une machination qui la voit condamnée à la "transportation" pour un vol supposé. Cette déportation vers les terres australes de la couronne anglaise était monnaie courante à l’époque, on exilait ainsi les indésirables que l’on ne voulait plus voir sur le territoire métropolitain.

Après des semaines très éprouvantes dans les prisons du royaume, la voila embarquée sur un navire rempli de convicts (nom donné aux prisonnières de droits communs que l’on envoyait à l’autre bout du monde), elle y rencontrera Hazel avec qui elle va créer un lien très spécial (je n’en dis pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue qui prend un virage surprenant en milieu de lecture). En parallèle, on suit aussi le destin aussi peu enviable de Mathinna, une jeune aborigène qu’un riche couple d’anglais a pour lubie de "civiliser" et qui se retrouve déracinée loin des siens. Comme bien souvent, tous ces personnages ne semblent avoir de liens mais l’histoire dénouée va remédier à cela et proposer trois destins forts et inextricablement liés.

Ce roman dégage d’abord une force romanesque peu commune. On se fait embarquer dès le premier chapitre par ces destins pour le moins contrariés. Que les temps sont durs pour les parias et surtout pour les femmes ! Ainsi Mathinna, Evangeline et Hazel connaissent une véritable descente aux enfers. Rien ne nous est épargné pour les deux premières avec des scènes bouleversantes qui prennent à la gorge. Je me souviendrais longtemps de la mise en accusation d’Evangeline puis de son séjour en prison entre promiscuité, violence, incurie des gardes et l’attente insoutenable du jugement qui sera d’ailleurs lapidaire. Tout aussi violents sont l’extraction de Mathinna de sa tribu et sa "rééducation". Le racisme rejoint le machisme, l’absence d’empathie et d’humanité de nombres hommes et femmes détenteurs d’un pouvoir inique qui écrase et opprime.

La critique est ici féroce de la colonisation tout d’abord et du mépris du genre humain sur lequel elle est bâtie. L’acculturation mais aussi la répression sont fort justement décrits au détour des destins que l’on croise, la veulerie des uns et la connerie raciste des autres se vivent au quotidien par des victimes enfermées dans des clichés et des carcans idéologiques partagés par le plus grand nombre. Nos héroïnes sont bien peu de choses et on le leur rappelle bien souvent mais elles tiennent, elles se raccrochent à quelqu’un, à quelque chose, un idéal, une lueur d’espoir même si c’est extrêmement difficile vu les situations qu’elles doivent traverser. Un événement bouleverse la donne à mi-récit et m’a littéralement bluffé en terme de risque narratif. J’adore être surpris, je dois avouer que je suis resté scotché à mon canapé.

L’époque est donc très bien rendue, les personnages sont complexes. L’ensemble est cohérent, crédible et provoque une addiction terrible. Impossible de lâcher ce roman tant on est happé par l’histoire et que l’on veut absolument en connaître le dénouement. L’écriture accompagne le récit à merveille, simple, concise et enveloppante, la lecture se fait toute seule et avec un plaisir qui ne se dément jamais. Le Pays au-delà des mers est vraiment un bel ouvrage que je vous invite à découvrir au plus vite.

mercredi 19 octobre 2022

"Je ne suis pas un roman" de Nasim Vahabi

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L’histoire : Une autrice et son éditeur se rendent au bureau de la censure pour tenter de comprendre l'interdit de publication dont ils sont victimes. Alors que l'éditeur repart bredouille, l'autrice se retrouve oubliée par l'agent lecteur dans la salle des manuscrits interdits. Elle commence à tourner les pages mises en quarantaine...

La critique de Mr K : Chronique d’un livre à part aujourd’hui avec Je ne suis pas un roman de Nassim Vahabi, une auteure iranienne résidant désormais en France (qui a traduit elle-même son roman du persan au français) et qui propose via ce court roman une plongée dans un monde où la liberté d’expression n’est qu’un mirage et où l’on contrôle ce qui est publié. Cette lecture fut étrange et percutante à la fois.

La quatrième de couverture résume bien la première partie du roman. Après une courte entrevue avec un responsable secondaire du bureau de censure (le grand manitou a un problème familial) pour essayer de comprendre pourquoi un manuscrit a été refusé par l’État à la publication, voila notre auteure, coincée dans la fameuse pièce aux manuscrits interdits, qui commence sa lecture. Puis, on passe à des échanges de SMS entre un homme et une femme qui s’aiment profondément et dont on suit l’histoire à rebours, remontant le temps de manière énigmatique. On rencontre une femme enceinte qui perd sa maman, on découvre que l’éditeur a une relation suivie avec une archiviste, un agent d’entretien d’un genre particulier... Bref, ça part dans tous le sens et on se demande bien où tout cela va nous mener.

Il faut se laisser le temps, il faut être patient. Petit à petit des liens apparaissent. D’abord ténus, ils se développent, des personnages se retrouvent dans des scènes différentes, se croisent et finissent par former un tout cohérent très bien construit. Amour, amitié, souffle de liberté mais aussi jeux de pouvoir, censure et cloisonnement social sont au cœur d’une intrigue multiforme qui se déploie et embarque littéralement le lecteur dans une langue volatile, changeante d’un chapitre à l’autre mais toujours évocatrice et finement amenée.

Je mettrai un petit bémol au niveau de mon attachement pour les personnages. Je n’ai pas éprouvé de grande empathie à leur endroit (sauf pour le couple d’amoureux qui se textotent régulièrement), je ne m’en désintéressais pas mais je n’ai pas éprouvé une forte attraction pour eux. C’est plus le sous-texte qui m’a touché et interrogé à la fois avec une réflexion vraiment passionnante sur la liberté d’écrire, de lire, de penser que l’on ne se pose pas forcément suffisamment dans nos société occidentales trop persuadées que ce sont des droits acquis définitivement. Rien n’est moins sûr malheureusement...

Je ne suis pas un roman est donc une lecture différente, qui se mérite, profonde et finalement très curieuse. Moi qui aime être surpris, j’ai été servi. À qui le tour ?

mercredi 12 octobre 2022

"Ça n'arrive qu'aux autres" de Bettina Wilpert

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L’histoire : Anna déteste le foot, Jonas aussi. Jonas adore la littérature ukrainienne, Anna aussi. Elle termine tout juste ses études, lui poursuit sa thèse. Ils aiment débattre, s’agacent, se plaisent, s’intriguent, passent une nuit ensemble. Puis une deuxième. Mais cette fois, ce n’est pas consenti. Anna, du moins, l’affirme.

Des mois durant, elle se débat seule avec les conséquences : comment trouver les mots pour décrire et pour comprendre ? Que faire quand la colère se meut en rage ? Qu’attendre de la société et de son entourage ?

La critique de Mr K : Très belle découverte que cet ouvrage coup de poing qui se lit d’une traite et suscite énormément de questionnements et de réflexions. Ça n’arrive qu’aux autres de Bettina Wilpert est un livre passionnant et terrifiant à la fois. Il explore un sujet grave avec tact et intelligence sous forme d’une enquête où chacun va témoigner, essayer d’apporter sa contribution pour démêler le vrai du faux d’un viol présumé. Qui dit vrai ? Qui ment ? Comment réagit la société ?

Anna et Jonas ont toute la vie devant eux. Ils se rencontrent, se découvrent des passions communes, ils aiment parler, discuter jusqu’à pas d’heure. Ils ont aussi une bonne descente et un soir d’ivresse, ils franchissent le Rubicon et couchent ensemble. Rien de sérieux pour l’un et l’autre, un coup d’un soir, lui ne se remet pas vraiment de la rupture avec son ex et Anna virevolte et mène sa vie en toute liberté. S’ensuit une période où ils ne font que se croiser, rarement. Un soir, c’est l’anniversaire d’un ami, l’ambiance est à la fête endiablée, l’alcool coule à flot, ils vont finir par recoucher ensemble. Anna se réveille le matin et quitte l’appartement de Jonas perturbée. Pour elle ce qui s’est passé la veille n’était pas consenti, elle souffre dans sa chair, elle est convaincue d’avoir été violée.

Le roman se construit sur la parole, Bettina Wilpert convoque tous les personnages rencontrés / croisés comme des témoins. On a bien sûr les sentiments d’Anna et Jonas mais aussi ceux du meilleur ami, des connaissances de fac, des parents, des ex ou encore de l’épicier d’en bas qui a vendu des cigarettes à Anna le lendemain du drame. Au lecteur de démêler le vrai du faux dans ces paroles et ces témoignages qui soufflent le chaud et le froid entre subjectivité, parti pris sentimentaux , aveuglement mais aussi parfois discernement et réel effort pour percer la vérité. La forme adoptée convient parfaitement au sujet, se révèle captivante (quasi journalistique) et amène le lecteur a beaucoup de réflexions et de questionnements autour des violences sexuelles, leur nature et leur expression.

Au centre de tout, il y a la notion de consentement et la loi allemande de l’époque (2014) qui n’était pas adaptée à la notion de viol, trop souvent perçu comme uniquement quelque chose lié à de la violence pure. Ici, j’ai découvert grâce à la finesse psychologique déployée, la construction de l’ensemble et les liens qui se font peu à peu entre les différentes prises de parole, les hésitations, les zones de flou, les pressions internes et externes, tout ce qui constitue la fameuse zone grise dont on nous parle souvent. On en ressort profondément bouleversé surtout qu’on éprouve beaucoup d’ambivalence pour les deux principaux protagonistes, on est loin d’être dans un récit outrancier ou à charge. On passe vraiment par tous les états et l’on réfléchit longtemps après la lecture à propos des réactions des protagonistes, leurs sentiments mais aussi leur devenir car rien ne s’achève avec la dernière page...

Je suis ressorti profondément ébranlé de cette lecture. Personne n’en sort indemne. Ça n'arrive qu'aux autres est un livre à mettre entre toutes les mains, à dire, à lire, à faire lire, à partager, à discuter aussi et à prolonger par le débat et l’écoute. Une œuvre magistrale tout simplement, une de plus au catalogue des éditions du Nouvel Attila.

lundi 10 octobre 2022

"Demain, le jour" de Salomon de Izarra

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L’histoire : France, 1936. Le bruissement d'une nouvelle guerre se fait entendre. Un train traverse les Vosges mais n'arrivera jamais à destination. De la carcasse encore fumante, alors que la nuit tombe, trois survivants trouvent refuge dans un petit village abandonné, au creux de la forêt, au milieu de nulle part.

Accueillis par le Maire, harcelés par des créatures mystérieuses, ils sont pris pris au piège et devront plonger dans les souvenirs les plus sombres de leurs vies pour découvrir les raisons de leur présence en ces lieux.

La critique de Mr K : Aujourd’hui, je vous propose de vous parler d’un livre étrange, entre huis clos et fantastique sorti à l’occasion de cette rentrée littéraire. Demain, le jour de Salomon de Izarra paru chez Mu est un drôle d’objet livresque qui rompt avec ce qu’on peut avoir l’habitude de lire. Tortueux dans son contenu et sa narration, il propose un véritable voyage immersif et décalé qui cependant ne m’a pas convaincu à 100% malgré des qualités certaines. Voici pourquoi.

Après un accident ferroviaire d’une violence inouïe, trois survivants sortent quasiment indemnes du terrible événement. Paul, Suzanne et Armand ne se connaissent pas et vont devoir cohabiter face aux événements. Et quels événements ! Perdus au milieu de nulle part, ils cherchent un abri et pénètrent dans la touffue forêt des Vosges. Ils finissent par arriver dans un village interlope, accueilli par un maire devenu alcoolique qui leur raconte une terrible histoire. Des créatures rodent et sèment la terreur en ces lieux oubliés de Dieu...

Le pitch est assez énorme dans son genre et c’est ce qui m’avait attiré en premier lieu vers cette lecture. Attention, cette trame n’occupe cependant qu’à peine un quart de l’ouvrage. En fait, chaque chapitre alterne entre ces trois protagonistes (et un quatrième qui fait son apparition un peu plus tard et dont je ne vous parlerai pas pour ne rien gâcher de votre éventuelle découverte) qui sous forme de journal, de confession revient sur son passé. Les flashback occupent donc une place prépondérante dans le récit et permettent de lever le voile sur la personnalité et les motivations intimes de chacun. Allant du très peu recommandable Paul, un manipulateur sans foi ni loi, à Suzanne, une jeune journaliste qui essaie de se faire une place au soleil, en passant par un Armand marqué par un passé tragique, on côtoie des personnages complexes, attachants (oui oui même Paul), très bien ciselés et dont on finit par comprendre pourquoi ils sont là.

L’ambiance général est assez glauque, ténébreuse. On ne sait pas vraiment vers où on va, on navigue vraiment à vu et c’est plutôt agréable de se laisser porter. Le climax fantastique est très bien rendu avec à l’occasion des fulgurances d’horreur pure lorgnant vers Lovecraft que j’aime tellement. Les questionnements intimes des différents protagonistes, leurs passés, leur enfermement dans ce village et les monstruosités qui s’y trouvent font mouche et dérangent bien souvent. Beaucoup de thématiques sont donc abordées en filigrane, se mêlant, se répondant et interpellant bien souvent le lecteur : la famille, la construction de soi, l’ordre et la morale, le pouvoir... autant d’éléments qui font échos à des réalités expérimentées.

Mais voila, cela ne suffit pas pour faire de ce titre un incontournable. J’ai trouvé le rythme vraiment très lent, pas forcément justifié au regard du dénouement. Certes l’idée du puzzle à reconstituer est alléchante, tout se tient mais on se perd un peu en circonvolutions et le contenu ne correspondait vraiment pas à mes attentes. D’où une certaine frustration et même parfois la sensation que l’auteur s’écoutait écrire, dégageant une certaine forme de pédanterie qui m’a dérangé. Je n’ai pas totalement adhéré et j’ai ressenti aussi une certaine lassitude par moment avec la sensation qu’on n’avance pas.

Mon avis détone un peu dans la blogosphère, beaucoup de mes camarades ont porté aux nues cet ouvrage et je pense qu’il vaut le détour. Il mérite que chacun se fasse sa propre opinion car ce roman est vraiment à part et il ne vous laissera pas indifférent.

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vendredi 7 octobre 2022

"Les Chants de Nüying" d'Émilie Querbalec

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L’histoire : La planète Nüying, située à vingt-quatre années-lumière du Système solaire, partage de nombreux traits avec la Terre d’il y a trois milliards d’années. On y trouve de l’eau à l’état liquide. Son activité volcanique est importante. Ses fonds marins sont parcourus de failles et comportent quantités de sources hydrothermales. Elle possède une magnétosphère et une atmosphère dense, protectrice. Tout cela en fait une bonne candidate pour héberger la vie.

La sonde Mariner a transmis des enregistrements sonores de Nüying : des chants qui évoquent par analogie ceux des baleines.

Quand elle était enfant, Brume a entendu cet appel. Désormais adulte, spécialisée dans le domaine de la bioacoustique marine, elle s’apprête à participer à la plus grande aventure dans laquelle se soit jamais lancée l’Humanité : rejoindre Nüying au terme d’un voyage spatial de vingt-sept années.

Que va-t-elle découvrir là-bas ? Une civilisation extraterrestre ou une remise en cause totale de ses certitudes ?

La critique de Mr K : Un très bon roman de science-fiction au programme de la chronique du jour avec Les Chants de Nüying d’Émilie Querbalec, une auteure que je découvrais pour l’occasion et dont j’avais entendu parler sur la blogosphère et les réseaux sociaux. Force est de constater qu’elle est douée, qu’elle sait emballer un récit, construire du neuf à partir d’idées à priori basiques et propose un voyage littéraire à couper le souffle entre anticipation réaliste et voyages intérieurs source d’inspiration et de réflexion.

Ne vous laissez pas berner par la quatrième de couverture officielle, le roman ne se résume pas au parcours de Brume qui n’occupe finalement qu’un tiers du roman car en filigrane, on la suit elle certes mais aussi d’autres personnages qui vont participer à ce voyage à nul autre pareil, aux confins du cosmos, vers un monde source d’espoir. Il y a Brume et cette fascination qu’elle a depuis l’enfance pour les acoustiques marines et qui veut savoir quels sont les fameux sons qu’une sonde à réussi à capter sur Nüying. On suit aussi Jonathan le patron de Space O’ richissime homme d’affaire qui rêve d’immortalité grâce à un procédé révolutionnaire de transplantation de l’esprit dans un clône de lui-même, Dana et Williams des scientifiques qui embarquent pour justement le suivre sur cette expérimentation aussi lourde de promesses que de menaces... Et toute une série de personnages plus ou moins secondaires qui vont tous avoir leur importance à un moment ou un autre de l’aventure.

Divisé en trois grandes parties, les préparatifs, le voyage et l’arrivée sur Nüying, on navigue d’un personnage à un autre, explorant les ressorts de leurs psychés, leurs motivations intimes et les choix qu’ils doivent faire. C’est très poussé dans le domaine, l’auteur prend son temps pour poser ses bases avant de mieux les bousculer par la suite. On se prend au jeu et malgré le côté repoussoir de certains, on s’attache à tous car chacun apporte sa pierre à l’édifice abordant au passage des questions clefs de notre humanité : le poids de l’hérédité et notre rapport avec nos ascendants, le progrès avec ce qu’il apporte et retire, l’amour qui rompt la solitude mais apporte de grandes responsabilités parfois et modifie notre perception des choses, la question de notre mortalité aussi et du sens que l’on donne à notre existence, le fondamentalisme religieux, la foi et ce qu’elle implique... C’est très profond et très abordable à la fois. Côtoyer tous ces personnages a été un plaisir de chaque ligne, l’auteure d’ailleurs ne nous ménage pas et nombreuses sont les circonvolutions du récit.

L’aspect SF est lui aussi très réussi. Technique sans jamais perdre ou égarer, on est dans quelque chose de plutôt réaliste, qui essaie toujours de rendre l’équipée crédible. Que ce soit le vaisseau en lui-même, les équipements qui le composent, l’évolution des êtres humains avec leurs néo-connectiques directement implantées sur le corps (des post-humains en quelque sorte), l’IA que l’on croise à l’occasion, le fameux procédé qu’expérimente le grand patron... tout est remarquablement amené créant un ensemble assez bluffant, complet dans lequel on aime se perdre, fenêtre vers un futur que j’ai trouvé pour ma part plutôt inquiétant avec un recul du réel, de la nature au profit de l’artificiel et du virtuel. Cela donne lieu à de nombreuses réflexions, de celles que l’on mène déjà avec les dernières innovations qui ont fait irruption dans notre quotidien depuis déjà 20 ans et modifient clairement nos habitudes et nos comportements.

Le récit finit par prendre une trajectoire déroutante et quasi mystique dans le dernier quart lorsque l’on retrouve sur Nüying... Je n’en dirai pas plus mais quand on dit que le plus important est souvent la route plutôt que l’objectif final, c’est tout à fait cela ici. Non que la fin soit décevante, elle est très réussie même, mais tout a une logique et j’ai trouvé le dénouement en parfaite adéquation avec l’évolution de chacun des personnages. Quant à l’écriture c’est limpide, rythmé, exigeant, tout ce que j’aime dans le genre SF.

Cette lecture fut vraiment un grand moment, les amateurs ne doivent pas passer à côté.