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Le Capharnaüm Éclairé
4 avril 2019

''Underground Airlines" de Ben H. Winters

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L'histoire : Ils sont quatre. Quatre États du Sud des États-Unis à ne pas avoir aboli l'esclavage et à vivre sur l'exploitation abjecte de la détresse humaine. Mais au Nord, l'Underground Airlines permet aux esclaves évadés de rejoindre le Canada. Du moins s'ils parviennent à échapper aux chasseurs d'âmes, comme Victor. Ancien esclave contraint de travailler pour les U.S. Marshals, il va de ville en ville, pour traquer ses frères et sœurs en fuite. Le cas de Jackdaw n'était qu'une affaire de plus... mais elle va mettre au jour un terrible secret que le gouvernement tente à tout prix de protéger.

La critique de Mr K : Ce livre a une histoire particulière. Je l'ai acheté aux Utopiales l’année dernière suite à une conférence où intervenait Ben H. Winters. Le personnage a un charisme incroyable mêlant classe américaine décontractée et érudition impressionnante. Comme il était en dédicace juste après, j'en profitai pour acquérir Underground Airlines et tailler un peu la bavette avec lui. Sympathique et accessible, nous avons pu échanger Nelfe, lui et moi autour de la situation en Amérique et sur les thématiques chères à l'auteur qui se retrouvent au cœur du présent roman, un récit enlevé et passionnant.

Cette dystopie part d'un postulat glaçant : quatre États américains n'ont jamais aboli l'esclavage, cette pratique innommable est donc toujours en cours de nos jours. Au centre du récit, on trouve Victor, un homme pour le moins mystérieux qui est employé par une agence gouvernementale occulte qui traque les esclaves échappés du sud pour les remettre à leurs maîtres. Le voilà à la poursuite de Jackdaw, un jeune noir en fuite dont le cas ne semble pas sortir de l’ordinaire. Mais ce qui semblait être une affaire de routine va se révéler plus retorse, faisant ressurgir les souvenirs du narrateur et laisser deviner des implications beaucoup plus importantes.

Dès le départ, Victor marque le lecteur car c'est un personnage empli de contradictions. Noir et ancien esclave, désormais affranchi, son activité consiste à récupérer des esclaves en fuite. Formé à cela, très entraîné et redoutable d'efficacité (il a déjà 210 cas à son actif), il semble au départ imperméable à tout type d'empathie vis-à-vis de ses proies. Au fil de la lecture, on se rend compte que sa situation est loin d'être claire. Est-il vraiment libre ? Qui tient la laisse invisible qui semble le retenir d'exprimer ses sentiments profonds ? Ses accointances philosophiques ? L'auteur joue avec les certitudes du lecteur, construit et déconstruit successivement la trajectoire de son personnage principal avec un art raffiné du brouillage de piste. Personnage complexe qui inspire des sentiments ambivalents au lecteur, j'ai aimé suivre Victor qui dans ce récit se livre comme jamais, à travers des flashback saisissants sur sa vie d'avant, sur ce qu'il a gagné et ce qu'il a perdu et va au gré de l'enquête devoir remettre en question son existence.

L'ambiance générale est sombre et dérangeante. Cette dystopie est vraiment effroyable car en fait, elle est très réaliste à sa manière et fait irrémédiablement penser à des aspects de l'Amérique d'aujourd'hui. Depuis que Trump est au pouvoir, tout semble possible et dans le pire des scénarios envisageables. Libération de la parole raciste, exploitation de l'humain par l'humain, morale et pensée humaniste foulée au pied sont plus que jamais d'actualité et Ben H. Winters à travers cette œuvre de fiction la retranscrit parfaitement en proposant une variation science fictionnelle implacable et très bien ficelée. S'amusant à mêler chronologie historique et ajouts imaginaires, il fait dévier son pays dans une trajectoire qui donne le frisson en explorant les dimensions sociale, politique et économique qu'impliquent le maintien de l'esclavage. Mais au final, on peut y voir en filigrane les nouvelles pratiques en vogue dans nos sociétés pseudo-modernes qui développent l'exploitation sous toutes ses formes : la course à la consommation, l'individualisme forcené, la perte des droits acquis au profit de quelques-uns et au final une humanité qui se fourvoie... Le constat est terrifiant et l'on ne sort pas indemne d'une telle lecture.

Underground Airlines est aussi un excellent thriller avec son lot de pistes alambiquées et un sens du suspens d'une rare intensité. On ne s'ennuie pas une seconde dans ce voyage littéraire mélangeant avec bonheur deux genres qui s'allient ici parfaitement proposant une enquête tortueuse aux ramifications nombreuses et surtout aux implications insondables. Système inique, indifférence des puissants sont au rendez-vous ainsi que la résistance à l'oppression qui prend la forme des fameuses underground airlines, réseaux cachés qui apportent leur aide comme ils peuvent aux néo-clandestins qui tentent d'échapper à leur sort funeste (on les comprend vu les passages décrivant leurs conditions de vie et donnant à voir une vision infernale d'un esclavage moderne). Peu à peu, la vérité se fait jour et il est bien difficile de deviner le dénouement avant d'avoir tourné la dernière page.

Facile d'accès, très bien écrit donc, mêlant trame policière, passages intimistes et dystopie léchée, on passe un très bon moment de lecture avec Ben H. Winters qui est vraiment un auteur à découvrir quand on est amateur de transfiction et qu'on apprécie les ouvrages qui ne se contentent pas de fournir une évasion mais incitent aussi à réfléchir au monde qui nous entoure et à ses logiques cachées. Nul doute que pour ma part, je retournerai voir dans la bibliographie de cet auteur qui m'a totalement séduit avec ce titre.

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Commentaires
L
Déjà dans ma PAL, y a plus qu'à !
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M
bon et bien il me le faut ! il a vraiment l'air bon.
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