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Le Capharnaüm Éclairé
29 avril 2018

"Les Diables de Cardona" de Matthew Carr

9782355846663ORI

L’histoire :  Espagne, XVIe siècle : un mystérieux tueur musulman s'en prend à l'Église catholique.

1584. Le prêtre de Belamar de la Sierra, un petit village d'Aragon à la frontière avec la France, est assassiné, son église profanée. Sur les murs : des inscriptions en arabe. Est-ce l'œuvre de celui qui se fait appeler le Rédempteur, dont tout le monde ignore l'identité, et qui a promis l'extermination de tous les chrétiens, avec la même violence que celle exercée sur les musulmans ? La plupart des habitants de la région sont en effet des morisques, convertis de force au catholicisme, et qui pratiquent encore l'islam en secret.

À la veille d'une visite royale, Bernardo de Mendoza, magistrat à Valladolid, soldat et humaniste, issu d'une famille juive, est chargé de l'enquête. Très vite, les tensions s'exacerbent entre les communautés, une véritable guerre de religion se profile. Et les meurtres continuent, toujours aussi inexplicables. Entre l'Inquisition et les extrémistes morisques et chrétiens, la tâche de Mendoza va se révéler ardue.

La critique de Mr K : Un bon thriller historique des familles aujourd’hui au Capharnaüm Éclairé avec Les Diables de Cardona de Matthew Carr, paru récemment chez Sonatine. Voilà un genre que j’aime beaucoup mais à double tranchant. Étant historien de formation, je suis très exigeant concernant les références et le background. On peut très vite tomber dans le pathos ou l’anachronisme. Je suis assez à cheval sur la cohérence et le respect du passé tout autant que dans ma recherche d’intrigues tortueuses et de rebondissements multiples. Mission accomplie pour cet auteur anglais à la fois érudit et maître du récit à suspens. Suivez le guide !

Des meurtres aussi sanglants que mystérieux frappent une petite région de l’Aragon du XVIème siècle. À chaque fois, c’est la chrétienté qui semble visée et le "rédempteur" comme il s’appelle, laisse derrière lui des messages qui livrent sa volonté de provoquer une nouvelle guerre sainte pour venger ses frères musulmans depuis trop longtemps martyrisés et exploités par la très sainte église catholique. Bernardo de Mendoza, juge pour la cause du roi d’Espagne, est dépêché sur place pour enquêter et trouver le ou les coupables. Il se heurte alors à de multiples obstacles entre une population morisque (anciens musulmans convertis de force) méfiante et désabusée, une Inquisition aux méthodes extrémistes qui lui met des bâtons dans les roues, des nobles locaux aux prétentions obscures qui ne reculent devant aucuns stratagèmes et des populations chauffées à blanc qui sont au bord de la rupture. Dur dur de trouver le chemin vers la vérité dans cette forêt de ronces où les épines les plus dangereuses ne sont pas forcément celles auxquelles on pense...

Cet ouvrage est tout d’abord un excellent thriller. Bien que la plupart des ressorts dramatiques soient plutôt classiques, l’ensemble est très bien huilé et maîtrisé. L’auteur prend le temps d’installer de nombreux éléments qui semblent disparates de prime abord mais qui vont s’emboîter les uns les autres avec une précision diabolique au fil des chapitres qui s’égrainent. Les pistes se multiplient, finissent pour certaines en cul de sac, d’autres s’ouvrent vers des voies insoupçonnées. Force est de constater que tous les personnages sont particulièrement soignés, fouillés sans tomber dans la caricature ou la facilité. Chacun ici a ses secrets, sa part d’ombre et le déroulé de l’intrigue va mettre à mal nombre de certitudes et ébranler les consciences et les âmes. On s’attache énormément à eux (même aux plus vicieux), et l’on ne souhaite qu’une chose, ne jamais les quitter et continuer sa lecture indéfiniment tant on est pris par le souffle de cette histoire.

Les effets sont démultipliés par le contexte de l’époque. Période difficile entre toutes qui voit une lutte permanente entre le pouvoir temporel (le roi, l’État) et le pouvoir spirituel (L’Église catholique ici en Espagne), la société est soumise à un carcan d’une rigidité effarante. Règles et codes moraux organisent les sociétés et les notions de liberté individuelle, de conscience et d’opinion n’ont pas encore émergées des Lumières à venir. D’où des passages rudes mais très réalistes et fidèles à l’Histoire sur les atrocités commises au nom du catholicisme par une Inquisition toute puissance qui bafoue par ses pratiques iniques les enseignements de Jésus Christ. Tout être différent (morisque, femme, homosexuel, guérisseur par les plantes) peut se révéler être un suspect potentiel aux yeux des autorités. Heureusement, notre héros ne s’en laisse pas compter et à la manière d’un Guillaume de Baskerville du sublime Nom de la rose  d’Umberto Eco, il va tracer son chemin, déjouer complots et manipulations qui se cachent derrière une affaire qui prend très vite une grande ampleur. La lecture s’avère très éprouvante je l’avoue, tant on passe de Charybde en Sylla, que les retournements de situations sont nombreux et les forces en présence changeantes au fil des révélations successives.

Malgré un background rude, on aime se promener dans cette Espagne du XVIème siècle remarquablement retranscrite avec au détour des chapitres de belles descriptions des us et coutumes des populations (des plus humbles aux plus fortunés), des questionnements sur la nature de la divinité et de la foi (débats en cours à l’époque) et des cercles de pouvoir et leurs stratégies d’embrigadement. Loin de tomber dans l’accumulation de savoir wikipediesque indigeste à la Dan Brown, le livre de Matthew Carr utilise l’Histoire pour mener une intrigue trépidante et éclairante sur le genre humain. Ce n’est pas forcément très rassurant (on tombe parfois vraiment dans les abysses de l’humanité) mais ça fait du bien et c’est très très malin dans la manière d’aborder certaines problématiques toujours d’actualité malheureusement.

Et comme si ça ne suffisait pas, l’écriture est d’une accessibilité et d’une clarté de tous les instants. Le plaisir de lire est immédiat et durable, aucun relâchement n’est a déplorer et surtout le rythme devient très vite infernal, provoquant une addiction absolue jusqu’à l’ultime chapitre qui clôture magistralement un ouvrage d’une rare qualité. Les Diables de Cardona est un "must read" dans le genre thriller historique que je vous invite à découvrir au plus vite. On en redemande !

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Commentaires
S
Bonjour, j'ai trouvé bizarre qu'au XVIè siècle dans le Béarn indépendant on ne parlait que français, et qu'en Aragon l'aragonais n'existe pas.
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