"In pax we trust!"
PAIX,nom féminin (Droit naturel politique & moral): c'est la tranquillité dont une société politique jouit; soit au-dedans, par le bon ordre qui règne entre ses membres;soit au-dehors, par la bonne intelligence dans laquelle elle vit avec les autres peuples.
Hobbes a prétendu que les hommes étaient sans cesse dans un état de guerre de tous contre tous; le sentiment de ce philosophe atrabilaire ne paraît pas mieux fondé que s'il eût dit que l'état de la douleur et de la maladie est naturel à l'homme. Ainsi que les corps physiques, les corps politiques sont sujets à des révolutions cruelles et dangereuses; quoique ces infirmités soient des suites nécessaires de la faiblesse humaine, elles ne peuvent être appelées un état naturel. La guerre est un fruit de la dépravation des hommes; c'est une maladie convulsive et violente du corps politique; il n'est en santé, c'est-à-dire dans son état naturel, que lorsqu'il jouit de la paix; c'est elle qui donne de la vigueur aux empires; elle maintient l'ordre parmi les citoyens; elle laisse aux lois la force qui leur est nécessaire; elle favorise la population, l'agriculture et le commerce; en un mot, elle procure au peuple le bonheur qui est le but de toute société. La guerre, au contraire, dépeuple les États; elle y fait régner le désordre; les lois sont forcées de se taire à la vue de la licence qu'elle introduit; elle rend incertaines la liberté et la propriété des citoyens ; elle trouble et fait négliger le commerce; les terres deviennent incultes et abandonnées. Jamais les triomphes les plus éclatants ne peuvent dédommager une nation de la perte d'une multitude de ses membres que la guerre sacrifie. Ses victimes mêmes lui font des plaies profondes que la paix seule peut guérir.
Si la raison gouvernait les hommes, si elle avait sur les chefs des nations l'empire qui lui est dû, on ne les verrait point se livrer inconsidérément aux fureurs de la guerre. Ils ne marqueraient point cet acharnement qui caractérise les bêtes féroces. Attentifs à conserver une tranquillité de qui dépend leur bonheur, ils ne saisiraient point toutes les occasions de troubler celle des autres. Satisfaits des biens que la nature a distribués à tous ses enfants, ils ne regarderaient point avec envie ceux qu'elle a accordés à d'autres peuples; les souverains sentiraient que des conquêtes payées du sang de leurs sujets ne valent jamais le prix qu'elles ont coûté. Mais, par une fatalité déplorable, les nations vivent entre elles dans une défiance réciproque; perpétuellement occupés à repousser les entreprises injustes des autres ou à en former elles-mêmes, les prétextes les plus frivoles leur mettent les armes à la main. Et l'on croirait qu'elles ont une volonté permanente de se priver des avantages que la Providence ou l'industrie leur ont procurés. Les passions aveugles des princes les portent à étendre les bornes de leurs États; peu occupés du bien de leurs sujets, ils ne cherchent qu'à grossir le nombre des hommes qu'ils rendent malheureux. Ces passions, allumées ou entretenues par des ministres ambitieux ou par des guerriers dont la profession est incompatible avec le repos, ont eu, dans tous les âges, les effets les plus funestes pour l'humanité. L'histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres. L'épuisement seul semble forcer les princes à la paix; ils s'aperçoivent toujours trop tard que le sang du citoyen s'est mêlé à celui de l'ennemi; ce carnage inutile n'a servi qu'à cimenter l'édifice chimérique de la gloire du conquérant et de ses guerriers turbulents; le bonheur de ses peuples est la première victime qui est immolée à son caprice ou aux vues intéressées de ses courtisans.
Dans ces empires, établis autrefois par la force des armes, ou par un reste de barbarie, la guerre seule mène aux honneurs, à la considération, à la gloire; des princes ou des ministres pacifiques sont sans cesse exposés aux censures, au ridicule, à la haine d'un tas d'hommes de sang, que leur état intéresse au désordre. Probus, guerrier doux et humain, est massacré par ses soldats pour avoir décelé ses dispositions pacifiques. Dans un gouvernement militaire le repos est pour trop de gens un état violent et incommode; il faut dans le souverain une fermeté inaltérable, un amour invincible de l'ordre et du bien public, pour résister aux clameurs des guerriers qui l'environnent. Leur voix tumultueuse étouffe sans cesse le cri de la nation, dont le seul intérêt se trouve dans la tranquillité. Les partisans de la guerre ne manquent point de prétextes pour exciter le désordre et pour faire écouter leurs vœux intéressés : « c'est par la guerre, disent-ils, que les états s'affermissent; une nation s'amollit, se dégrade dans la paix; sa gloire l'engage à prendre part aux querelles des nations voisines, le parti du repos n'est celui que des faibles ». Les souverains trompés par ces raisons spécieuses, sont forcés d'y céder; ils sacrifient à des craintes, à des vues chimériques la tranquillité, le sang et les trésors de leurs sujets. Quoique l'ambition, l'avarice, la jalousie et la mauvaise foi des peuples voisins ne fournissent que trop de raisons légitimes pour recourir aux armes, la guerre serait beaucoup moins fréquente, si on n'attendait que des motifs réels ou une nécessité absolue de la faire; les princes qui aiment leurs peuples, savent que la guerre la plus nécessaire est toujours funeste, et que jamais elle n'est utile qu'autant qu'elle assure la paix. On disait au grand Gustave, que par ses glorieux succès il paraissait que la Providence l'avait fait naître pour le salut des hommes; que son courage était un don de la Toute-Puissance, et un effet visible de sa bonté. Dites plutôt de sa colère, répartit le conquérant; si la guerre que je fais est un remède, il est plus insupportable que vos maux.
Étienne-Noël DAMILAVILLE, Article Paix, Encyclopédie (1751)