Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Disparue
- Sauver sa peau
- La maison d'à côté
- Tu ne m'échapperas pas
- Arrêtez-moi
- Les Morsures du passé
"Au fond de l'eau" de Paula Hawkins
L'histoire : En froid avec sa soeur Nel depuis des années, Julia n'a pas voulu lui répondre lorsque celle-ci a tenté de la joindre. Une semaine plus tard, le corps de Nel est retrouvé dans la rivière qui traverse Beckford, la ville de leur enfance. Obligée d'y revenir, Julia est terrifiée. De quoi a-t-elle le plus peur ? D'affronter le prétendu suicide de sa soeur ? De s'occuper de Lena, sa nièce de quinze ans, qu'lle ne connaît pas ? Ou de faire face à un passé qu'elle a toujour fui ? Plus que tout encore, c'est peut-être la rivière qui la terrifie, ces eaux à la fois enchanteresses et mortelles, où, depuis toujours, les tragédies se succèdent.
La critique Nelfesque : Après un premier roman, "La Fille du train", ayant fait grand bruit, Paula Hawkins revient avec "Au fond de l'eau". Avec le succès du précédent, on l'attendait un peu au tournant. J'avais moi-même apprécié cette première lecture, un thriller psychologique addictif qui ne cassait pas des briques côté écriture mais que j'avais eu beaucoup de mal à lâcher. Qu'en est-t-il de ce roman-ci ? Essai transformé ?
On retrouve ici la dynamique de Paula Hawkins qui est capable d'hypnotiser son lecteur et le tenir en haleine. Et ce dès la première page. La tension monte doucement et tout est terriblement bien dosé.
Lena et Julia sont en froid depuis des années. Alors que l'une cherche à rester en contact et montre un besoin constant d'attention, l'autre souhaite tirer un trait sur le passé et sur un événement survenu à l'adolescence. L'auteure, par d'incessants aller-retour entre le passé et le présent et une abondance de points de vue et personnages, crée une émulsion dans le cerveau du lecteur qui ne cesse d'échaffauder des théories sans cesse remises en cause par l'histoire.
Thriller psychologique efficace, "Au fond de l'eau" prend le temps de s'installer et s'apprécie d'autant plus lorsqu'on a la possibilité de le lire rapidement, en quelques jours. Happé par l'intrigue, les pages se tournent toutes seules et, si j'osais une comparaison avec le premier ouvrage, celui-ci est beaucoup plus abouti. Il y a un petit côté "Broadchurch" (pour ceux qui connaissent) qui n'est pas pour déplaire à l'amatrice d'ambiances troubles que je suis. Fantômes du passé, non-dits, culpabilité se mêlent ici pour offrir un roman très prenant dont il est difficile de décrocher ! Attention toutefois, nous ne sommes pas en présence d'un page-turner au sens strict et il faut se laisser apprivoiser par le rythme et le climax mais si tel est le cas, bingo !
"Au fond de l'eau" est un roman dans lequel certains déploreront des longueurs (critique déjà mise en avant pour "La Fille du train"). Pour ma part, je trouve que l'auteure met à profit tous ces moments de descriptions et de digressions pour construire une toile d'araignée qui se justifie en fin d'ouvrage. Nul besoin d'aller droit au but si c'est pour perdre l'âme d'une histoire en cours de route, je préfère largement comme ici que l'auteur prenne tout le temps nécessaire pour construire quelque chose de qualité. D'autant plus que l'histoire est passionnante.
Nel a toujours habité la maison familiale sur la rivière. Avec le temps, elle a développé une fascination morbide pour cette eau sans cesse en mouvement et lui voue un respect sans bornes. C'est pour cette raison qu'elle décide un jour d'écrire un ouvrage sur elle et sur le "Bassin aux noyées", connu dans toute la région et à l'aura si particulière. En ces lieux, de nombreuses légendes circulent, des femmes attristées s'y seraient suicidées, des sorcières y auraient été noyées... Et c'est au même endroit que Nel trouvera la mort. Peu de temps après une jeune fille de 15 ans. Par désespoir ? Parce qu'elle a voulu réveiller de vieux démons ? Parce que personne à Beckford ne voulait remuer le passé ?
C'est dans ces conditions difficiles de deuil que Julia va revenir dans son village natal, rencontrer sa nièce, s'occuper d'elle et essayer de comprendre ce qui s'est réellement passé. Entre répulsion de revenir sur les lieux de son enfance, douleur de perdre sa soeur, souvenirs enfouis et révélations surprenantes, ce roman soulève bien des questions sur l'acceptation de soi, le pardon, la propension à se délester des moments pesants de nos vies pour avancer. Les personnages sont fins et justes, leur psychologie complexe, l'écriture est bien mieux maîtrisée ici et l'ensemble est plus que réussi.
Secrets de famille, deuil, fantômes du passé, culpabilité : voici quelques-uns des ingrédients du nouveau roman de Paula Hawkins. "Au fond de l'eau" est un ouvrage à déguster frappé et à consommer sans modération !
"Le Feu de Dieu" de Pierre Bordage
L'histoire : Prévoyant la catastrophe, Franx a convaincu les siens de fortifier le Feu de Dieu, une ferme du Périgord, conçue pour une autonomie totale de plusieurs années. Mais le cataclysme le surprend à Paris et, pour rejoindre sa famille, il entreprend une impossible odyssée, à pied dans des ténèbres perpétuelles, en compagnie d'une autre survivante, une petite fille muette. Pendant ce temps, dans l'arche transformée en bunker, sa femme et leurs deux enfants se retrouvent sous la menace d'un dangereux paranoïaque qui a pris possession des lieux...
La critique Nelfesque : Bordage est un auteur qu'aime beaucoup Mr K. De mon côté, j'ai lu il y a quelques années "Abzalon" que j'ai fortement apprécié. Avec "Le Feu de Dieu", on change complètement de lieu et de thème. Dans un monde post-apocalyptique, Pierre Bordage nous emmène sur les routes de France, sur les traces de son héros qui tente de rallier Paris à sa ferme survivaliste du Périgord.
Le Périgord est une région à laquelle je suis très attachée et je dois dire que pour cette lecture, c'est mon côté chauvin qui m'a fait m'intéresser à ce roman. Pourtant du Périgord, nous ne verrons pas grand chose ici. La fin du monde est là, la Terre craque, les plaques tectoniques se déplacent, de nouvelles se forment, un froid glacial et meurtrier s'abat sur le monde. Alors que Franx a mis en place avec l'aide de sa famille et de sa communauté, une forteresse pour faire face à cet événement qu'il savait inéluctable et proche, le destin fait que le jour J, il se retrouve bien éloigné de ses proches et l'histoire se scinde ainsi entre son expédition pour rejoindre la ferme et la vie qui s'organise dans cette arche périgourdine.
Même si il n'y a pas de grosses surprises dans cette lecture, on passe un excellent moment à suivre les aventures des uns et des autres. La route est balisée, ça se lit extrêmement facilement. Les fans de SF, biberonnés aux ouvrages exigeants, trouveront sans doute que l'ensemble est ici certes intéressant mais bien trop simple. Pour ceux qui comme moi lisent un ouvrage ou deux de ce type de temps en temps, "Le Feu de Dieu" fait bien le job ! Rajoutez à cela une dimension thriller psychologique au sein de la ferme avec un huit clos oppressant et un personnage tête à claques que l'on aimerait bien éviscérer de ses propres mains et vous obtenez un roman de 440 pages qui se lit en moins de temps qu'il ne faut pour dire ouf.
Parce que chez Bordage tout parait naturel. Ici, il nous dépeint un univers post-apo, une France métamorphosée, des rapports aux autres en pleine mutation et une force intérieure qui pousse chacun à aller au delà de ses forces. L'écriture est fluide, rien ne vient heurter la lecture et l'addiction se fait sentir très vite. On retrouve ici quelques thématiques chères au coeur de l'auteur, comme la spiritualité, et le lecteur le connaissant bien s'amusera de retrouver, aux détours d'une de ses pages, un personnage qui lui ressemble énormément. "Le Feu de Dieu" est un roman malin qui décortique les liens qui unissent les hommes, montre la folie qui peut se cacher au fond de chaque être et dans des conditions extrêmes se révéler au grand jour. Et puis il y a la notion de l'amour. L'amour au sens large, l'amour filial, l'amour qui unit deux êtres et l'amour de son prochain. L'espoir, la foi, l'aspiration à une vie simple et noble. Cette notion donne à l'ensemble une dimension spirituelle (qui relève de la pensée, de l'esprit et non de la religion) qui met du baume au coeur du lecteur, malgré les nombreux obstacles qui vont se dresser sur la route des personnages de cette histoire.
"Le Feu de dieu" est une belle surprise. Un roman simple et efficace qui amène le lecteur à se poser des questions sur le sens de la vie. Un chouette Bordage que l'on prend plaisir à lire. Un post-apo qui ne révolutionne pas le genre mais qui est bien mené, avec des idées intéressantes et une vision d'un monde dévasté crédible.
Autres ouvrages de Bordage chroniqués au Capharnaüm éclairé :
- Atlantis : les fils du rayon d'or
- Hier je vous donnerai de mes nouvelles
- Chroniques des ombres
- Les Dames blanches
- Graine d'immortels
- Nouvelle vie et autres récits
- Dernières nouvelles de la Terre
- Griots célestes
- L'Evangile du Serpent
- Porteurs d'âmes
- Ceux qui sauront
- Les derniers hommes
- Orcheron
- Abzalon
- Wang
"Dans le labyrinthe" de Sigge Eklund
L'histoire : Un soir de mai, dans une banlieue cossue de Stockholm, Magda, une fille et onze ans, disparaît mystérieusement de sa chambre. Après plusieurs jours d'investigations, la police en vient à soupçonner le père, Martin.
Quatre proches de la victime se mettent à la recherche d'indices qui permettraient de la retrouver : Asa, sa mère, brillante psychologue qui s'enfonce dans une profonde dépression ; Martin, l'éditeur talentueux à la double vie ; Tom, son loyal collaborateur à l'ambition dévorante ; et Katja, l'infirmière scolaire qui a découvert ce que cachait la petite fille. Ces quatre voix entraînent le lecteur dans un labyrinthe de confessions troublantes.
La critique Nelfesque : C'est tout d'abord la couverture sombre et mystérieuse de "Dans le labyrinthe" qui m'a attirée. Je ne connaissais pas le nom de l'auteur, Sigge Eklund, pourtant très connu en Suède, son pays d'origine. Avec ce roman, il frappe un grand coup dans ma vie d'amatrice de thrillers et romans noir, celui-ci se trouvant à la frontière de ces deux univers littéraires. Une très belle découverte !
Magda a disparu. Ses parents sont partis dîner au restaurant à quelques mètres de chez eux et en rentrant n'ont retrouvé qu'un lit vide. Que s'est-il passé ? Magda est-elle sortie ? A-t-elle été enlevée ? Par qui ? Pourquoi ? Va-t-on la retrouver saine et sauve ?
Nous suivons l'enquête et les recherches des uns et des autres par les voi(es)x de plusieurs personnages gravitant autour de la petite. Le lecteur fait ainsi tour à tour connaissance avec sa mère, Asa, détruite et névrosée depuis la disparition de sa fille, Martin, père absent et ambitieux, Tom, le collaborateur fanatisé de ce dernier et Katja, l'infirmière de l'école de Magda. Chacun nous raconte son histoire, sa vie avant et après cette disparition comme autant de petits romans en orbite autour du drame. Des trajectoires en parallèle qui constituent autant de pièces de puzzle et qui se rejoindront dans un final glaçant.
Particulièrement friande de romans qui font la part belle à la psychologie des personnages, j'ai été ici remarquablement servie. Tout est millimétré, chaque personnage et chaque action ont leur importance. L'auteur nous perd parfois pour mieux nous retrouver. Pourquoi nous narre-t-il telle ou telle anecdote ? Pourquoi s'arrêter aussi longtemps sur des événements qui ne sont pas en lien avec l'histoire principale ? Pour ceux qui aiment, comme moi, échafauder des théories et essayer de deviner le fin mot de l'histoire avant le dénouement, accrochez-vous ! La révélation finale fait froid dans le dos et laisse le lecteur pétrifié et déchiré.
Pétrifié et déchiré par l'issu du roman mais aussi par les existences qui nous ont été donné à lire, par la concomitance des faits, par la fatalité et le fait qu'il n'y a pas de hasard. Il n'y a rien de réellement trépidant dans ce roman, nous ne sommes pas ici en présence d'un thriller classique où tout se déroule à grande vitesse. "Dans le labyrinthe" ressemble à la "vraie vie" et a plus une dimension psychologique, tout aussi palpitante. De plus, l'écriture ciselée de Sigge Eklund qui dose parfaitement ses effets est des plus convaincantes ! L'auteur prend son temps, apprivoise son lecteur, enveloppe son histoire pour mieux l'hypnotiser et lui tendre un piège dans un univers ouaté qui n'attend plus qu'à lui exploser en pleine figure.
Un conseil avant de débuter cette lecture : ne soyez pas pressé et laissez vous charmer. Pour qui veut bien se laisser porter, le voyage est des plus réussis et maîtrisés dans une ambiance faite de non-dits, de peurs, d'appréhension, de trahisons et malgré tout d'amour. Quand les jardins secrets de chacun se percutent, "Dans le labyrinthe" est un roman noir à ne pas manquer et Sigge Eklund, un auteur à découvrir d'urgence et à suivre désormais.
"Chance" de Kem Nunn
L’histoire : A San Francisco, la vie bien ordonnée du docteur Eldon Chance est en train de partir à vau-l’eau. À bientôt cinquante ans, le brillant neuropsychiatre récemment divorcé commence à trouver son quotidien insupportable. Ce vide est bientôt comblé par la soudaine fascination qu’il éprouve pour une de ses patientes, la très séduisante mais très instable Jaclyn Blackstone. Hélas pour lui, le mari de celle-ci, un flic corrompu et dangereux de la brigade criminelle, est d’une jalousie féroce et personne ne souhaite l’avoir pour ennemi. Peu à peu, l’obsession que chance nourrit pour Jaclyn va l’entraîner dans une histoire autrement plus sombre et complexe que ce qu’il avait imaginé...
La critique de Mr K : Lecture d’un Sonatine de plus à mon actif aujourd’hui avec ce thriller psychologique qui sortira en librairie dès demain. Au programme : neuropsychiatrie, vie en pleine décomposition, désir et jalousie, revanche... Un bien beau programme en perspective qui m’a pour ma part quand même laissé sur ma faim...
Chance narre l’histoire plutôt classique d’un homme qui tombe sous la coupe d’une femme diablement séduisante. Lui est neuropsychiatre, spécialisé dans l’évaluation de témoins et de protagonistes de procès à venir. Divorcé depuis peu (sa femme l’a quitté pour son jeune coach sportif), il ne voit qu’épisodiquement sa fille qui rentre dans l’adolescence et entame ses premières bêtises. Eldon Chance accumule les dossiers qu’il nous égraine au fil des pages du roman. Il côtoie de sacrés cas entre le fou furieux meurtrier, les enfants rapaces qui attendent que leur père meurt, les enfants battus qui se transforment à leur tour en tortionnaires... Rien de bien très réjouissant donc, jusqu’au jour où il rencontre Jaclyn, une jeune femme professeur de mathématiques qui a développé une double personnalité et est confrontée à un mari tyrannique et violent. Charmé par sa beauté et touché par la mélancolie qui l'habite, il se met en tête de la sauver... Parfois, il faut savoir réfléchir avant d’agir !
Le principal défaut du roman se tient dans son personnage principal que j’ai trouvé irritant à souhait. Au départ, on est touché par cet homme déstabilisé par une vie qui semble lui échapper. Le narrateur nous raconte par le menu et avec moult détails la déchéance du personnage, ses interrogations et son quotidien devenu banal et sans intérêt. Malheureusement très vite, il semble se complaire dans sa douleur et faire quasiment systématiquement les mauvais choix. En temps que lecteur, mon empathie est assez étendue mais là au bout d’un moment, ça devenait trop pour moi. Les obstacles sont gros et pourtant Eldon y va franco comme aimanté par sa bêtise, ne pensant plus que par pulsions et réactions alors qu’il est sensé être un neuropsychiatre plutôt reconnu. Certains vous diront que c’est la preuve que tout à chacun peut sombrer au cours de sa vie... Certes mais pour ma part, il pouvait lui arriver n’importe quoi, rien ne m’aurait vraiment touché. C’est ballot pour un héros de roman !
C’est d’autant plus dommage qu’on croise autour de cet être déchiré des personnages vraiment bien ciselés et attachants. Il y a sa fille adolescente, bien que seulement entr'aperçue, qui se révèle touchante au possible, partagée entre ses aspirations à plus de liberté (et les conneries de son âge qui vont avec) et son amour pour ses parents désormais séparés. Jaclyn est pas mal non plus dans son genre : bipolaire oscillant entre la femme fatale à laquelle on ne peut résister et celle dominée par un mari policier d’une rare perversité. Cette figure tragique est bluffante et l’on s’attend à tout venant de sa part. Peu à peu la lumière est faite sur ce personnage complexe et très intéressant. La palme revient tout de même à D, mystérieux homme à tout faire d’un brocanteur qui va plus d’une fois sauver la mise à Eldon qui se fait là un ami remarquable. Je ne vous en dirai pas beaucoup plus sinon que sous cette masse imposante se cache un passé trouble triste à pleurer, qui donne un relief incroyable à un personnage pourtant secondaire mais qui dépasse en intérêt tous les autres.
Le récit en lui-même est relativement sans surprise et calqué sur certains récit des années 50 / 60 que j’ai pu lire dans le passé. Le chemin est tout tracé et le lecteur expérimenté se retrouvera dans un univers et des mécanismes narratifs éprouvés et plutôt réussis bien qu’attendus. Finalement, Kem Nunn passe davantage de temps à décrire les états d’âme et atermoiements de ses personnages, ce qui ralentit pas mal l’action mais contribue à peaufiner les psychologies de chacun. C’est un parti pris qui peut payer mais qui ici fonctionne à moitié à cause notamment du personnage principal (comme évoqué plus haut). En revanche, l’écriture sert remarquablement les caractérisations. Loin d‘être la plus accessible car parfois érudite voir lyrique, nous n’avons pas affaire ici à un écrivain quelconque mais bel et bien à un esthète de la langue. Le travail de traduction a dû être un sacré boulot !
Au final, la lecture s’est révélée globalement plaisante quoique irritante par moment. Bilan mitigé pour un auteur qui a tout de même un sacré talent d’écriture et qui sait proposer des personnages fouillés et parfois vraiment intéressant (Votez D en 2017 !). Je ne vous aiderai pas vraiment avec cette chronique, à chacun de tenter l’expérience ou non...
"Le Saut de l'ange" de Lisa Gardner
L'histoire : Nuit noire et pluvieuse sur le New Hampshire : au détour d'une route, une voiture fait une violente embardée. Au volant, Nicole ne se souvient de rien, sauf d'une chose : sa fille, qui était avec elle, a disparu. Si les recherches de la police confirment la présence d'une autre personne lors de l'accident, le mari de Nicole prétend que l'enfant n'a jamais existé... Qui croire ? Que s'est-il réellement passé cette nuit-là ?
La critique de Mr K : Le tout nouveau Lisa Gardner vient de sortir et c'est encore une belle réussite. Il faut dire que cette auteure fait partie de mes préférées et qu'elle ne m'a que très rarement déçu. La reine du thriller est donc de retour aujourd'hui avec une histoire bien trouble, un suspens dosé avec maestria et un récit haletant qui m'a rendu addict pendant deux jours de lecture en terres pétrocoriennes.
Nicole survit à une terrible sortie de route un soir de pluie dans l'Amérique profonde. A la stupeur et le choc s'ensuit la panique : sa fille qui l'accompagnait a disparu. La police se lance de suite à la recherche de la petite Vero qui semble ne pas avoir laissé de traces. Très vite, un problème de taille s'impose aux deux policiers chargés de l'affaire : le mari de Nicole prétend qu'ils n'ont jamais eu d'enfant et que sa femme a subi récemment deux traumatismes crâniens consécutifs qui ont endommagé sa mémoire et ses souvenirs. Bien difficile dans ce cas là de démêler le vrai du faux et pourtant... l'étau semble se resserrer sur la jeune femme qui au fil de sa quête de vérité va passer de Charybde et Scylla.
Dans un procédé désormais classique en narration, Lisa Gardner partage ses chapitres à travers les différents points de vue de ses personnages. Ainsi, une fois sur deux, nous pénétrons dans l'esprit embrumé de Nicole qui chavire carrément dans la folie et le trouble de la personnalité. Femme très complexe, elle semble abriter plus d'une identité en elle, navigant à vue avec une foule de souvenirs morcelés sans réels rapports les uns avec les autres. Traumatisée par des événements passés, dépendante à l'alcool, en ménage mais pas vraiment heureuse, la soupape de sécurité semble avoir lâché juste avant le fameux accident. La boîte de Pandore est ouverte et le lecteur ne sait à quel saint se vouer, tant l'auteure s'amuse à disperser les pistes et les axes d'interprétation. Surtout que le personnage de Thomas (le mari) rajoute au mystère entre sur-protection et ombre parfois menaçante... Difficile de jauger ce protagoniste ambigu à l'aune de la perception parcellaire de sa femme et l'avis des limiers chargés de l'enquête.
Dans Le Saut de l'ange, on est bien content de retrouver le duo de choc et de charme formé par Wyatt Foster et Tessa Leoni, l'un est flic de terrain, l'autre est devenue agente de sécurité pour une boîte privée et lutte contre un passé criminel entr'aperçu lors d'une lecture précédente. Leur côté parfois très terre à terre et profondément humain contrebalance le drame qui se joue avec l'accident de Nicole. Peu à peu, le simple accident de la route se révèle être bien autre chose... Mais dieu qu'il est difficile de faire le lien entre cet événement, des éléments de dossier nébuleux sur le passif de ce couple à la bougeotte facile et les fragments d'interrogatoires cohérents qu'ils arrivent à arracher à Nicole. Un témoin borderline, les limites de la loi qu'il faut parfois transgresser pour pouvoir progresser dans son enquête, les éléments contradictoires qu'il faut pourtant rassembler pour approcher de l'ultime révélation, les problèmes personnels qui s'en mêlent... Il ne faut pas moins de 470 pages pour découvrir tous les méandres d'une histoire partant pourtant d'un postulat plutôt simple.
A la manière des meilleurs page-turner, on enchaîne les pages avec bonheur et délectation. Les révélations s'égrènent par petites touches et mettent à mal toutes les déductions que l'on peut faire. Quel plaisir de se faire balader et de devoir réviser son jugement sur les suites de l'histoire et même sur les personnages qui se révèlent bien souvent très différents dans leurs intentions profondes que ce qui nous est donné à voir de prime abord. Ce titre est ultra-efficace dans le domaine et c'est continuellement pris à la gorge par un suspens parfois insoutenable (la fin est un modèle du genre) que l'on poursuit sa lecture, quitte à passer parfois pour un asocial (pardon à ma belle famille -sic-). L'écriture reste fidèle à ce que l'on a déjà côtoyé quand on lit du Gardner : simple, efficace et parfois complètement barrée lorsque l'on rentre dans l'esprit d'un personnage dérangé. Je me souviendrai pour ma part très longtemps de Nicole et de sa trajectoire de vie.
Une très bonne lecture donc qui se range direct dans la catégorie des très bons thrillers psychologiques : histoire tordue à souhait, personnages charismatiques qui emportent l'adhésion du lecteur immédiatement et une écriture qui sert remarquablement l'histoire et le suspens. Un bon titre pour une auteure qui confirme une fois de plus tout le bien que je pense d'elle.
"Nous allons mourir ce soir" de Gillian Flynn
L'histoire : Après une enfance difficile, la narratrice anonyme devient travailleuse du sexe. Des années d’expériences ont développé chez elle un véritable don pour décrypter la psychologie de ses interlocuteurs, leurs intentions et leurs envies. Aussi lui arrive-t-il de donner des conseils à des âmes en peine. Lorsqu’elle rencontre Susan Burke, une femme aisée aux prises avec une situation dramatique, elle lui propose de l’aider. Susan et sa famille ont emménagé à Carterhook Manor, une vieille demeure inquiétante, marquée par une violente histoire vieille de cent ans. Sur place, la narratrice rencontre Miles, le beau-fils de sa cliente, un adolescent au comportement étrange et glaçant. Saura-t-elle découvrir toute la vérité sur Carterhook Manor et la famille qui l’habite désormais ?
La critique Nelfesque : Plus une nouvelle qu'un roman, ce dernier Gillian Flynn sorti chez Sonatine en novembre dernier fait moins de 100 pages et se lit très vite. Est-ce suffisant ? La quantité fait-elle la qualité ?
A cette dernière question, je répondrai sans hésitation : "non" ! On a vu souvent de longs romans s'engluer dans des descriptions inutiles, nous perdre en chemin ou finir par nous ennuyer complètement. Avec "Nous allons mourir ce soir", point de tout cela, l'auteure nous propose une courte histoire efficace !
N'étant pas une grande adepte du format nouvelle, j'aurai aimé une production plus longue pour bien m'imprégner de l'histoire mais force est de constater qu'avec peu de pages, Gillian Flynn réussit à saisir le lecteur, à ne pas le lâcher et lui proposer une histoire qui se tient. Avec un nombre de pages restreint, où tout pourrait n'être qu'effleuré, Gillian Flynn caractérise à la perfection ses personnages et forme un tout très appréciable. On flirte ici entre le thriller et l'épouvante et pour qui aime ces deux genres littéraires, on passe un bon moment.
Le personnage principal n'a pas eu une vie facile. Gamine, elle a fait la manche avec sa mère pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Elle laisse derrière elle cet univers misérable à l'âge de 16 ans pour devenir prostituée... Ce n'est pas une grande avancée dans un plan de carrière me direz-vous mais depuis, elle roule pour elle et travaille dans l'arrière boutique d'une chiromancienne en tant que "chargée de clientèle". Enchaînant branlette sur branlette, elle va développer assez vite une douleur au niveau du poignet l'empêchant de travailler (et oui, 23546 branlettes, ça use !). Sa boss va alors la faire passer à l'avant du magasin pour l'initier cette fois-ci à l'arnaque et à l'abus de personnes en situation de faiblesse. Elle sera maintenant voyante et medium et fait ainsi la connaissance de Susan qui en emménageant à Caterhook Manor a vu le comportement de son beau-fils changer. Une entité supérieure semble avoir pris possession de lui et Susan a besoin d'aide...
A ouvrage court, chronique courte. Je ne peux pas décemment vous donner plus de précisions sur le contenu de cette nouvelle. Sachez toutefois que Gillian Flynn étonne encore son lecteur avec un procédé d'écriture incisif, un univers noir et une plume cynique et parfois trash. La narratrice qui jusqu'ici n'a cessé d'utiliser les faiblesses des gens pour avancer va se retrouver empreinte au doute et va commencer à avoir peur elle aussi... Une petite centaine de pages savoureuses, un bon moment de lecture courte qui se lit d'une traite et une auteure encore une fois diablement talentueuse en matière d'angoisse !
"Je sais pas" de Barbara Abel
L'histoire : Le jour de la sortie en forêt de l'école maternelle des Pinsons, la petite Emma disparaît. Son institutrice Mylène finit par la retrouver à la nuit tombante dans une cavité. Piégée à son tour, l'institutrice parvient à hisser la fillette sur ses épaules, laquelle s'échappe et court rejoindre le groupe. Mais Mylène reste introuvable et Emma ne sait pas indiquer où se trouve sa maîtresse.
La critique Nelfesque : Adepte de thriller, j'avais souvent croisé le chemin de Barbara Abel sans jamais m'attarder sur un de ses romans. La quatrième de couverture de "Je sais pas" m'a ici fait passer le pas. Une histoire bien mystérieuse semble se dérouler entre ces pages...
Le roman se focalise sur un week-end. Deux jours où la vie d'une instit', de ses collègues, d'une petite fille et de sa famille vont basculer. On rentre ici très vite dans le vif du sujet lorsqu'en pleine sortie scolaire en forêt, la petite Emma disparaît. Personne ne l'a vu s'éloigner du groupe pendant la construction des cabanes, tout semblait se dérouler sans problème et pourtant à l'heure de reprendre le bus pour rentrer à l'école, un enfant manque à l'appel. Les adultes se mettent alors à la recherche de la petite et l'angoisse pointe.
Nous suivons ici le déploiement de l'équipe enseignante et de la police pour retrouver l'enfant. Chaque minute compte et la jeune Emma au visage d'ange est une proie facile et sans défense. Tout le monde envisage le pire, très vite ses parents pensent à un enlèvement et leur monde bascule.
Parallèlement, le lecteur fait la connaissance de chaque personnage et notamment la mère d'Emma qui a entamé récemment une liaison avec un homme séduisant et énigmatique.
Barbara Abel maîtrise l'art du suspens et propose ici un thriller psychologique qui mettra les nerfs du lecteur à rude épreuve. Les minutes s'égrainent, la tension monte et les pages se tournent à une vitesse folle. Lorsque Emma réapparaît à l'orée du bois, seule et apeurée, c'est un soulagement pour tout le monde. Mais où est passée son institutrice Mylène ? Pourquoi ne répond-elle pas au téléphone ? Et que fait son foulard autour du bras de la gamine ?
Les questions se bousculent dans la tête de chacun. Emma dit ne se souvenir de rien, ne pas savoir où est sa maîtresse et ne l'avoir pas vu pendant son absence. Comment forcer les barrières qu'une enfant de 5 ans érige dans son esprit ? Le fait-elle consciemment ? Autour d'elle va se déployer un vent de paranoïa pendant que Mylène, atteinte de diabète, est perdue dans la nature sans son traitement.
Tout cela est fort enthousiasmant pour un amateur de thriller et on ne s'ennuie pas à la lecture de "Je sais pas". Là où le bât blesse c'est du côté des personnages et de leurs réactions. Tous plus horripilants et caricaturaux les uns que les autres, ils font monter la tension du lecteur. On s'accroche, on veut absolument savoir la fin mais force est de constater que le chemin est balisé et que la qualité d'écriture est assez moyenne. Bien sûr Barbara Abel est douée pour tenir le lecteur en haleine et la curiosité ne nous fait pas lâcher son bouquin avant de voir inscrit le mot "fin" mais que d'agacement en route... L'auteure va là où elle sait que les thrillers fonctionnent. Ni plus, ni moins. Personnellement, ça ne me suffit pas !
Parlons des personnages justement. Qui trouvera le plus grâce à mes yeux entre la gamine tête à claques, la mère adultère hystérique, le père égocentrique, l'instit' inconséquente ou son père à tête de victime ? Et que dire de l'équipe éducative, les collègues de Mylène, qui la prennent de haut et finalement ont tous les deux pieds dans le même sabot ? Et ces flics sûrs de leur fait qui ne voient pas ce qu'ils ont sous les yeux ? Je ne sais pas lequel m'a énervée le plus ! J'en aurai bien pris un pour taper sur l'autre... Caricaturaux au possible, leurs réactions sont poussées à l'extrême, sans aucunes nuances. C'est lourd ! Les ficelles sont tellement grosses, qu'on se met à supposer un retournement de situation de dernière minute qui ne viendra jamais. Non en fait, il faut tout prendre au 1er degré... Soit...
Reste tout de même un roman prenant pour son histoire et qui, côté déroulement de l'intrigue, tient ses promesses. On veut savoir la fin à tout prix (quitte à se taper une ribambelle de débiles au passage et une bonne crise de nerfs en prime). Je ne recommanderai pas spécialement ce roman à un autre amateur de thrillers mais si vous n'avez pas l'habitude de lire des thrillers psychologiques pourquoi pas. "Je sais pas" est un roman de gare (n'y voyez rien de péjoratif). Il n'apporte rien de spécial, n'est pas non plus totalement à jeter. Ça se lit vite, ça s'oublie vite et on passe à autre chose. Parfait pour passer le temps lors d'un voyage en train ou l'été sur la plage.
"Terminus Elicius" de Karine Giebel
L’histoire : "Ma Chère Jeanne,
J’aimerais que vous m’aimiez comme je vous aime. Mais, pour m’aimer, il vous faut me connaître. Savoir ce que je suis... certains diront un monstre. D’autres chercheront des explications lointaines, surgies de mon passé. Beaucoup jugeront, condamneront. Mais qui comprendra vraiment ? Vous, je l’espère.
Hier soir, j’étais avec une autre femme que vous. Mais je ne suis pas resté longtemps avec elle.
Juste le temps de la tuer..."
La critique de Mr K : Si ce pitch n’est pas un appel à la lecture, je ne m’y connais pas ! Bien que moins versé dans le thriller que ma douce Nelfe, quand l’occasion s’est présentée de lire Terminus Elicius, je n’ai pas hésité une seconde et croyez-moi j’ai bien fait ! Cela me permettait également de découvrir une auteure fortement appréciée qui dans cette réédition du roman (il date originellement de 2005) a ajouté une petite nouvelle en lien plus ou moins direct avec la trame du roman. Suivez-moi dans ce voyage au bout de la nuit entre folie galopante et enquête qui piétine.
Jeanne contemple sa vie comme un passager du train qu’elle prend régulièrement pour aller travailler dans un commissariat de quartier de Marseille. Simple agent administratif, sa vie est réglée comme une horloge entre son travail et sa mère. À côté de cela pas grand chose, le vide immense de sa vie affective et une tendance à la maniaquerie qui s’observe au détour de certains tics et de certaines réflexions internes de la jeune femme. Tout change, le jour où elle trouve une étrange lettre qui lui est adressée à la place habituelle qu’elle occupe chaque soir lorsqu’elle rentre en train chez elle. C’est une déclaration enflammée de quelqu’un qui dit la connaître et qui entame une vengeance terrible. Très vite, elle se rend compte que l’expéditeur est un redoutable tueur en série poursuivi sans succès par les policiers de son commissariat. Attirance déviante et jeune femme à la personnalité étrange au passé mystérieux, meurtres sanguinaires sans lien évident entre eux, flics aux abois au bord de la crise de nerf, voila le programme de ce thriller magistralement mené.
Et pourtant, lors des cinquante premières pages, je me disais que tout cela sentait le réchauffé avec une tendance à la répétition notamment sur les descriptions du paysage que Jeanne entr'aperçoit par la fenêtre de son wagon et qui donne sur la belle bleue méditerranéenne. Les deux personnages principaux que l’on suit sont plutôt classiques et n'emballent pas le lecteur au départ.
Jeanne semble ne s’être jamais remis d’un drame épouvantable (Karine Giebel se garde bien de nous en dire plus avant la fin...), elle est étouffée par une mère-poule qui n’arrive pas à lui lâcher la bride et la jeune femme vit avec ses habitudes et ses obsessions. C’est remarquablement construit et le début lent va céder peu à peu la place aux révélations qui sont diaboliques dans leur genre. On monte beaucoup d’hypothèses dans sa tête, on se prend à imaginer toutes sortes de scénarios, la révélation nous prend de cours entre logique et passé qui ressurgit. Très attachante quoique des fois frustrante par son côté mollassonne, l’héroïne semble livrée à un jeu dont elle ne maîtrise pas les règles et plus les échanges épistolaires vont progresser, plus une chape de plomb l’enserre et va la pousser dans ses retranchements. Et croyez-moi, il vaut mieux éviter de l'énerver la Jeanne !
En contrepoint, on suit le capitaine Esposito, gloire locale de la police à qui l’on a confié cette affaire de meurtres sanglants en série. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il patine dans la choucroute entre vie personnelle morne et une enquête retorse qui pourrait bien mettre sa carrière en jeu. Son traitement est ultra-classique et ne réserve pas de réelle surprise mais à partir du moment où l’auteur le met en relation avec Jeanne, l’archétype prend toute sa valeur et les scènes entre les deux sont tour à tour déstabilisantes et touchantes. Drôle de joutes oratoires et de relation entre ces deux là, la suite ne va pas les épargner non plus. La pression monte vite et puissamment ne laissant que peu de répit et de solution.
Une fois que l’histoire a décollé, impossible de se détacher de ce livre que j’ai pratiquement lu d’une traite (la nuit venant il a fallu le remettre au lendemain). L’addiction est très forte, grâce notamment à un style certes pas inoubliable mais très efficace dans son genre. L’égrenage des journées sous forme de chapitres courts avec une écriture allant à l’essentiel donne un rythme haletant à l’ensemble entre révélations et introspections récurrentes dans l’esprit des personnages. Très bon page-turner, l’histoire ne prend pas le lecteur pour un imbécile et livre une conclusion assez épatante qui pour ma part m’a particulièrement touché par son caractère humain et profondément réaliste. Dans ce domaine, la nouvelle Aurore rajoutée en fin d’ouvrage est assez effroyable et mérite le détour elle aussi bien que pratiquement indépendante du roman d’origine.
Terminus Elicius est une très bonne lecture pendant laquelle on ne voit pas le temps passer et où l’histoire et les vies exposées attrapent irrémédiablement le lecteur captif d’une auteure ma foi fort douée. Je pense que j’y reviendrai bientôt.
"Le Sang du monstre" de Ali Land
L'histoire : Après avoir dénoncé sa mère, une tueuse en série, Annie, quinze ans, a été placée au sein d'une famille d'accueil dans un quartier huppé de Londres. Elle vit aujourd'hui sous le nom de Milly Barnes et a envie, plus que tout, de passer inaperçue. Si elle a beaucoup de difficultés à communiquer avec ses camarades de classe, elle finit néanmoins par se prendre d'affection pour une ado influençable du voisinage. Sous son nouveau toit, elle est la proie des brimades de Phoebe, la fille de son tuteur, qui ignore tout de sa véritable identité. À l'ouverture du procès de la mère de Milly, qui fait déjà la une de tous les médias, la tension monte d'un cran pour la jeune fille dont le comportement devient de plus en plus inquiétant.
La critique de Mr K : Attention chef d’œuvre ! Ce premier roman est une véritable bombe à retardement, l'exemple typique du livre qui une fois ouvert vous hypnotise durant la lecture et vous obsède quand vous devez malheureusement le refermer avant la fin pour rejoindre le monde réel. En nous faisant partager le quotidien ravagé de Milly Barnes, la néo-écrivaine Ali Land frappe un grand coup avec Le Sang du monstre !
C'est donc à travers la vision de cette jeune fille de quinze ans que cette triste histoire nous est racontée. Après avoir vécu l'horreur durant des années auprès de sa mère, Milly l'a dénoncée auprès des services de police et se retrouve placée dans une famille d'accueil dont le père de famille Mike est aussi son psychologue, chargé de la suivre et de la conseiller jusqu'au procès de sa serial killeuse de génitrice où elle doit témoigner. Effacée et perturbée, l'adolescente va avoir fort à faire avec sa nécessaire intégration dans cette nouvelle famille, son nouveau lycée et le souvenir vivace de sa mère qui s'adresse directement à elle (gloups !).
Ancienne infirmière en pédopsychiatrie, Ali Land s'est toujours intéressée aux déséquilibres mentaux des adolescents, cet âge ingrat où tout se bouscule et où les frontières entre le bien et le mal se font parfois plus ténues. C'est le thème qu'elle a retenu pour ce premier roman et on la comprend tant elle semble maîtriser le sujet et nous entraîne au plus profond de l'esprit de Milly qui tour à tour nous émeut, nous étonne et nous inquiète. Face à un passé si lourd, difficile de savoir comment s'y prendre avec soi-même et les autres. Cette chronique de vie balance donc continuellement entre micro-événements et la façon dont la jeune fille les appréhende. Prenant et fascinant, le lecteur sent que tout peut basculer d'un moment à l'autre à la faveur d'une expérience malheureuse, d'une incompréhension ou d'une brimade de trop.
Milly se raccroche à ce qu'elle peut pour surnager face aux difficultés qui s'accumulent et Mike est rassurant par sa présence paternelle (elle n'en a jamais vraiment eu à la maison). Elle rencontre une fille de son âge qui traîne seule et qui va devenir sa seule amie. Il y a aussi une professeur référente qui va remplacer inconsciemment sa mère dans la tête de Milly car elle est attentionnée et la pousse à développer ses talents de dessinatrice en participant à un concours. Mais malgré ses petites bouffées d'oxygène, un mal mystérieux, une mélancolie la ronge. Difficile de lutter avec son passé et les zones d'ombre qu'elle essaie d'entretenir pour se voiler la face et éviter d'affronter la réalité...
La tension est donc extrême durant toute la lecture, l'auteure débutant l'histoire au moment de l'emménagement de Milly dans son nouveau foyer. Autant Mick semble ravi de la recevoir et manifeste beaucoup d'empathie, autant sa femme est détachée et à l'ouest ; et leur fille Phoebe s'avère totalement jalouse et au fil du roman revancharde, voire sadique. Les débuts sont très difficiles avec quelques passages réellement traumatisants pour le lecteur notamment quand une cabale infantile et destructrice se met en place contre l'héroïne. Les gamins sont vraiment épouvantables entre eux quand ils décident de s'acharner sur l'un d'entre eux qui se révèle timide ou tout simplement différent. Milly va en faire l'affreuse expérience et l'esprit de sa mère qui rode encore dans ses souvenirs ne va pas arranger les choses, remettant en cause encore et toujours sa fille, l'avilissant et lui faisant perdre pied dans des pensées dépressives et noires. Les pages défilent, la gamine devient de plus en plus borderline et on se doute que le dérapage est possible à tout moment.
Pour ne rien arranger, l'approche de l'échéance judiciaire stresse Milly avec son cortège de questions auxquelles elle devra répondre et ses avocats qui l’entraînent à affronter les futures questions de la partie adverse. Peu à peu, on se rend compte qu'une vérité va émerger, qu'elle n'a pas tout dit à la police et que lorsque la révélation va éclater, sa vie en sera à jamais changée, qu'elle basculera définitivement d'un côté ou de l'autre. Mais que d'atermoiements, de détours jusqu'à ce moment critique ! L'auteure se plaît tout au long des 348 pages à distiller des éléments de réponse par petites touches légères, à la limite du perceptible mais qui au final construisent un fascinant portrait d'une jeune fille esseulée et bien étrange. Prisonnier d'une langue à la fois fluide, très accessible et très nuancée, on n'est pas loin de passer une nuit blanche tant on est happé par une histoire qui prend aux tripes et un rythme lancinant qui hypnotise littéralement le lecteur. L'expérience est réellement troublante et durable. On ressort chamboulé et retourné par ce thriller d'une rare intensité.
Le Sang du monstre rentre directement dans mes incontournables et je vais fortement inciter Nelfe à le lire. Une sacrée claque et un très grand moment de lecture que les amateurs du genre ou pas se doivent de lire. Une pure merveille !
"Le Nuisible" de Serge Brussolo
L'histoire : Un envoi anonyme vous raconte par le menu quelques faits de votre vie, de ceux que vous avez préféré cacher à votre femme, à vos amis et relations... Vous attendez logiquement que ce maître-chanteur très bien renseigné fasse connaître ses exigences.
Erreur. Votre correspondant vous veut du bien. Il vous révèle les trahisons dont vous êtes victime. Il vous suggère d'écrire la suite, d'imaginer la punition, de donner des ordres aux puissances de l'ombre... Il suffit de vouloir.
Georges, éditeur de "thrillers" à succès, ne résiste pas à la tentation grisante d'utiliser ce serviteur sans visage. Et nous entrons sur ses pas dans un labyrinthe où le chasseur et la proie, la victime et le bourreau, s'échangent indéfiniment les rôles dans un cauchemardesque jeu de miroirs.
La critique de Mr K : Retour vers un auteur que je pratique régulièrement et que j'aime toujours autant : Serge Brussolo. Avec Le Nuisible, l'auteur nous convie dans une histoire cauchemardesque lorgnant vers le thriller psychologique et la descente aux Enfers pour le personnage principal. 187 pages composent ce court roman qui se lit d'une traite et se révèle d'une grande efficacité. Brussolo a encore frappé !
Georges est éditeur et il a tout pour être heureux. Un métier qui le passionne (il a pris la suite de son père) et où il excelle, une femme charmante, un meilleur ami attentionné et une belle maison. Tout bascule, le jour où il reçoit un étrange manuscrit anonyme qui lui détaille par le menu, chapitre après chapitre des moments clefs de sa vie avec une rare précision. Le malaise commence à s'installer surtout que l'auteur inconnu lui donne des détails troublants sur ce qu'il a pu vivre lors d'un précédent mariage et sur d'hypothétiques événements qui mettraient à mal ses certitudes. La tension monte vite et Georges commence à sombrer... La question est simple : jusqu'où va-t-il aller ?
Au centre de l'ouvrage, on retrouve trois personnages principaux dont les rapports sont disséqués par l'auteur dont on connaît la science exquise de la caractérisation de personnage. Un soin tout particulier a été apporté au personnage de Georges dont on se rend compte qu'il a toujours eu un problème de confiance en lui et qu'il est soucieux jusqu'à la maniaquerie de l'image qu'il renvoie de lui-même. Quand sa vie bascule dans l'étrange, il s'enfonce progressivement dans une paranoïa extrême, retombe dans le pêché de l'alcool (il est des éléments du passé qui ne sont pas bons à remuer) et multiplie les interprétations possibles de ce qu'il lit et vit. On navigue vers la fin de l'ouvrage entre extrême affliction, folie et désordre caractériel comme je les aime, Georges est au bord du gouffre sauf qu'il ne connaît pas la nature exacte de la menace. Cela rend son personnage très attachant dans son aspect totalement borderline.
Pour mieux faire monter la pression sur le lecteur, Brussolo utilise des personnages secondaires qui par leur "normalité" accentuent la folie de Georges. Ainsi, sa femme aimante est un remarquable contre-point à la folie galopante de l'éditeur obsédé par les mystérieux écrits qu'il reçoit. Laurent le meilleur ami est aussi intéressant à suivre car en tant que médecin et ami il a un avis différencié sur la situation de Georges entre humour, piques ironiques et inquiétude. Se rajoute des éléments de fantastique larvé comme en a le secret l'auteur qui se plaît à jouer sur les faux-semblants et les contradictions de l'esprit humain. Le mélange fonctionne à plein régime perturbant durablement le lecteur pris en otage par une histoire maîtrisée à la conclusion implacable.
L'écriture tortueuse de Brussolo épouse à merveille l'évolution du personnage principal. Toutes les portes de l'esprit de Georges nous sont ouvertes sans censure ni détour. Complexes d'enfance, jalousie, craintes et peurs se côtoient dans des tableaux d'une grande sensibilité faisant la part belle à une personnalité en pleine déliquescence. La lecture est donc accessible au plus grand nombre mais pas facile dans son contenu, Brussolo nous livrant à nu un être humain en pleine crise. On est touché, mené en bateau et finalement totalement subjugué par ce récit. Une bonne pioche de plus pour moi en tout cas et toujours l'envie aussi forte de continuer à lire des ouvrages de cet auteur.
Egalement lus et chroniqués au Capharnaüm éclairé du même auteur :
- "Le Syndrome du scaphandrier"
- "Bunker"
- "Les Emmurés"
- "Avis de tempête"
- "La Main froide"
- "Pélerin des ténèbres"
- "La Fille de la nuit"
- "La Mélancolie des sirènes par trente mètres de fond"
- "Le Livre du grand secret"
- "Trajets et itinéraires de l'oubli"