"Mars" d'Asja Bakic
L’histoire : Avec ce premier recueil à la prose ironique, Asja Bakic crée une galerie de personnages uniques et tordus, qui évoluent dans des univers à la croisée du fantastique d'Edgar Poe et d'un futur à la Black Mirror : une femme n'échappera au purgatoire que quand elle aura composé son chef-d'oeuvre ; une autre réside dans un monde sans contact physique où elle écrit de la pornographie ; des enfants s'inventent des monstres au coeur d'un été idyllique ; une sociopathe trouve plus retorse qu'elle ; et dans la dernière nouvelle, la littérature a été déclarée nocive pour l'humanité et tous les auteurs exilés sur la planète Mars.
La critique de Mr K : C’est un recueil de nouvelles très particulier que je vais vous présenter aujourd’hui, il s’agit du deuxième titre d’Agullo court. Mars d’Asja Bakic comporte dix textes assez succincts (l’ouvrage compte 152 pages) au ton souvent décalé et ironique avec comme point commun un personnage féminin en protagoniste principal. À la lisière de plusieurs genre dont le fantastique et la science-fiction, on nage ici en eaux troubles et l’on peut vraiment parler littéralement d’une expérience de lecture. Loin d’être consensuel et convenu, voila un ouvrage hors norme qui m’a beaucoup plu mais qui risque sans doute d’en perdre quelques-uns.
Dix textes, dix femmes donc face à des situations diverses qui correspondent à des moments clefs, des choix qui changent une vie ou rendent compte d’une époque, d’un lieu qu’il soit contemporain, futuriste ou dystopique. Une femme se retrouve dans une espèce de purgatoire où on lui demande d’écrire son meilleur texte pour pouvoir redescendre sur Terre ; des enfants font une chasse au trésor ; une femme asociale va rencontrer une femme vivant dans la montagne ; une autre semble séquestrée chez elle par son homme ; une auteure découvre son clone ; un homme rencontre l’amante de sa femme ; on suit aussi la relation ambiguë entre deux femmes évoluant dans le milieu littéraire, une journaliste infiltrant une secte, l’émigration de deux petites filles et des écrivains exilés sur Mars car la littérature est interdite sur Terre. Voici tant de contextes différents nous permettant d'explorer les questionnements de l’auteure qui dissèque nos âmes via le prisme féminin se révélant évidemment universel et non genré. Cet ouvrage nous parle, nous dérange, nous fait réagir.
Il est beaucoup question du rapport à l’écriture, de son pouvoir et des craintes qu’elle peut faire naître (la nouvelle éponyme est assez bluffante dans son genre). On y parle aussi des apparences trompeuses et des identités que l’on endosse parfois pour mener sa barque tant bien que mal dans nos existences respectives. Et puis, il y a le désir, l’attirance physique, le besoin de chaleur et d’amour qui émergent de façon très diverse dans beaucoup des nouvelles de ce recueil. Amours idéalisés ou terre à terre, troubles amoureux inexplicables, illusions de réalités amoureuses sont autant de relations complexes que l’auteure nous donne à voir avec étrangeté et un déséquilibre émotionnel des plus déroutants. Enfin en toile de fond de certains textes, le monde est devenu désespérant avec une technologie déshumanisante en terme de rapports humains ou des univers dystopiques ségrégationnistes qui mettent à mal les notions de liberté et de choix.
Vous l’avez compris, Mars est un ouvrage à part qui ne peut laisser indifférent. On navigue souvent à vue pendant la lecture. Non que la langue soit particulièrement ardue, elle est plutôt simple et accessible mais parce que l’auteure (et le traducteur par la même occasion) joue un peu avec les conventions narratives classiques ce qui déstabilise et désarçonne parfois. Je me suis surpris à relire certains passages plusieurs fois pour être sûr d’avoir saisi toutes les subtilités du sous-texte. Et même ainsi, je ne suis pas sûr d’avoir tout capté ! Mais c’est comme ça avec certains ouvrages, il faut savoir accepter de ne pas tout comprendre et de se laisser porter par ses intuitions mais aussi ses trous noirs.
Au final, voici un ouvrage qui m’a plu pour son ambiance crépusculaire, ses personnages forts et certaines chutes bien senties qui renversent toutes les certitudes établies. Une lecture à tenter pour les plus aventureux des amateurs d’ouvrages qui dépotent et se distinguent par leur originalité.
"Brèches" d'Olumide Popoola et Annie Holmes
L’histoire : – Ce n’est pas une jungle, ce camp, dis-je à Omid quand il rentra, à la nuit tombée, le manteau mouillé.
– C’est quoi, madame, une jungle ?
– Une forêt dense, avec des lianes et des fourrés, des oiseaux et des animaux.
– Une jungle, c’est un endroit seulement pour les animaux. Et le camp, c’est une jungle, madame. Je vous le dis.
– Va te sécher. Je vais faire du thé.
Calais est une ville frontière. Entre la France et l’Angleterre. Entre eux et nous. Les nouvelles de ce recueil donnent la voix aux espoirs comme aux craintes qui s’élèvent de part et d’autre des barbelés. C’est l’histoire de Sébastien, Calaisien converti à l’islam, qui a décidé de vivre au milieu des réfugiés. De Dlo et Jan qui se cachent dans un camion frigorifique à destination de Douvres, au milieu d’une cargaison d’oranges. De Ghostman, qui joue les passeurs vers l’Angleterre...
La critique de Mr K : Retour à la nouvelle aujourd’hui avec le recueil Brèches d’Olumide Popoola et Annie Holmes paru aux éditions Belleville. La thématique commune tourne autour de Calais, sa jungle, des migrants et des destinées tragiques aux prises avec une réalité parfois désespérante. L’ensemble se lit très bien avec des textes forts d’autres plus légers mais ayant toujours à cœur de vouloir montrer le vrai visage de ce phénomène trop souvent caricaturé et instrumentalisé.
Ce sont donc des tranches de vie qui nous sont proposées ici dans leur aspect brut, sans fioriture ni arrangements. Migrants en cours de voyage, en stand-by à Calais, sur le point de traverser la manche, bénévoles et aidants divers, habitants du crû sont passés au crible, interrogés dans leur nature via de courts textes incisifs se déroulant bien souvent à des moments clefs, à des tournants existentiels. Ces nouvelles nous permettent de rentrer dans un camp qui finalement se rapproche de l’idée que je me faisais d’un ghetto, un endroit où l’on parque des indésirables que l’on veut cacher au reste du monde et où l’on mène à l’occasion des actions d’éclat pour faire croire au commun que l’on a réglé le problème et se faire mousser auprès des électeurs extrémistes.
On en apprend donc plus sur l’organisation de la jungle, les différents lieux centraux entre bars, épiceries, marée de tentes où l’on se concentre sur l’essentiel. Jamais trop descriptif, ce qu’il faut pour qu’on puisse s’imaginer les lieux, on marche et on découvre un univers hors norme. On y croise des spécimens bien représentatifs de l’espèce humaine avec son lot d’échanges, de solidarités et d’entraide mais aussi les rapports compliqués entre migrants et population locale avec son les injustices, les prises de bec et les menaces qui en découlent. Il est aussi question de la place des femmes, des cultures qui s’entrechoquent et des abus de toutes sortes que l’on peut subir.
Brèches propose une langue épurée, sobre qui va à l’essentiel et qui par là même touche souvent en plein cœur. L’humanité dans sa nudité, son essence même est très subtilement représentée et l’on vit un vrai et beau moment de lecture malgré un sujet difficile et des passages bien rudes. Un recueil de toute beauté que je ne peux que vous conseiller de découvrir si le sujet vous touche et que vous êtes amateur de nouvelles.
"Le Bruit du rêve contre la vitre" d'Axel Sénéquier
L’histoire : Sandra doit arriver d’une minute à l’autre. Il faut qu’elle se dépêche car derrière la vitre, il y a le soleil bleu, la mer jaune et les étoiles violettes qui s’impatientent, il y a cette vie bourdonnante qui attend qu’on la libère, il y a ces rêves qui frappent au carreau et craignent de mourir emprisonnés. Alors épuisé mais heureux, je désigne la fenêtre. L’infirmière comprend et me sourit. Lorsqu’elle tourne la poignée, le vent impatient s’engouffre dans cette chambre close et renverse les fleurs. Le vase explose sur le sol. Et dans les morceaux épars répandus aux quatre coins de la chambre, la lumière du soir se réfléchit et nous fait plisser les yeux.
Douze nouvelles sur le confinement, le Covid-19 et cette époque trop sûre d’elle-même qu’un virus a balayée.
La critique de Mr K : Joli et émouvant recueil de nouvelles que celui d’Axel Sénéquier paru en avril chez Quadrature, un ouvrage réunissant douze nouvelles se déroulant pendant le premier confinement. Le Bruit du rêve contre la vitre (superbe titre soit dit en passant) propose de suivre des destinées contrariées en pleine pandémie, souvent seules face à elles-même dans un espace réduit. C’est rudement bien mené et efficace avec bien souvent des textes qui touchent fort et juste.
Texte après texte, on replonge dans des thématiques et des types de personnages qui ont marqué à leur manière cette période si particulière. Le confinement a révélé beaucoup de choses sur notre société, notre rapport aux autres mais aussi nous a bien souvent forcé à effectuer notre introspection et la remise en cause de certaines valeurs, de rapports familiaux ou amicaux ou encore à bouleverser nos styles de vie. Avec une finesse assez confondante et en peu de mots (les textes sont vraiment courts et vont à l’essentiel) l’auteur parvient à saisir cette époque hors norme dans laquelle nous continuons à vivre bien malgré nous parfois.
Au fil des textes, on croise une femme battue par son compagnon, un artiste se sentant inutile qui va s’engager pour travailler dans une Ehpad, un père soumis au calvaire de l’école à la maison, des parisiens en fuite vers leur résidence secondaire en province, une nana imbuvable qui découvre les joies du télétravail avec des possibilités de vengeance assez terribles, un homme qui veut changer de vie et retrouve ses racines familiales, un homme dans le coma qui rêve et délire, une SDF ensauvagée qui redécouvre la nature dans le jardin des plantes de Montpellier, un vieux retraité qui devient un poète des banderoles aux fenêtres, une femme qui va prendre un bain pendant que sa famille végète devant la télé ou au lit (nouvelle au retournement de situation le plus poignant), un homosexuel largué juste avant le confinement et qui se met à faire du pain et s’en servira pour se venger (hilarant et touchant à la fois) ou encore un apéro zoom entre amis où l’héroïne va littéralement péter un plomb pour le plus grand bonheur du lecteur. Oui, toutes ces situations vous disent quelque chose, vous parlent, elles représentent la somme des phénomènes sociétaux et comportementaux qu’on a pu découvrir et malheureusement pour certaines, mettre en lumière à la faveur du confinement.
On est finalement constamment sur la corde raide avec ces différentes histoires qui parlent de rupture, de bouleversement intérieur qui remet en cause les choses établies. Qu'elles soient personnelles et intimes, professionnelles ou sociales, ces interrogations nous touchent car c’est une belle métaphore de la vie, des existences qui peuvent être déviées de leur trajectoire et qui se sont retrouvées bouleversées par le phénomène COVID. On éprouve nombre de sentiments, d’émotions diverses avec cette lecture, on rit à l’occasion mais c’est la tonalité grave voire mélancolique qui l’emporte avec des situations qui ébranlent et font réfléchir à la fois. L’amour et ce que l’on peut supporter en son nom, la vieillesse et l’oubli, l’aliénation de sa personnalité, les peurs qui nous habitent ou encore notre place dans la société sont questionnés à tour de rôle ou se mêlent les uns les autres dans des histoires toujours très bien construites où protagonistes et situations sont remarquablement caractérisés dans une langue accessible et nuancée.
"Le Bruit du rêve contre la vitre" d'Axel Sénéquier est un pur bonheur de lecture qui ravira les amateurs de nouvelles contemporaines, de récits qui prennent aux tripes, nous émeuvent et à la fois nous font réfléchir.
"Tous les noms qu'ils donnaient à Dieu" d'Anjali Sachdeva
L’histoire : Mêlant passé, présent et avenir, Anjali Sachdeva signe un premier recueil magnétique et délicieusement inventif qui plonge le lecteur entre effroi et émerveillement. S’y côtoient une femme, au temps de la conquête de l’Ouest, qui attend son mari dans une maison perdue au milieu des Grandes Plaines et finit par trouver refuge dans une grotte secrète ; deux jeunes Nigérianes kidnappées par Boko Haram se découvrant le mystérieux pouvoir d’hypnotiser les hommes ; ou encore un pêcheur embarqué sur un morutier qui tombe éperdument amoureux d’une sirène dont chaque apparition engendre une pêche miraculeuse...
La critique de Mr K : Chronique d’un recueil de nouvelles aujourd’hui avec Tous les noms qu’ils donnaient à Dieu d’Anjali Sachdova paru dans la belle collection Terres d’Amérique de chez Albin Michel. Neuf récits composent ce volume où l’on traverse les époques et les genres avec une certaine jubilation et un plaisir renouvelé de lecture entre surprise et style séduisant en diable.
Au menu, de la littérature contemporaine mêlée de fantastique et de science-fiction sur certains textes. Ces différences de ton et de genre sont mises au service de destinées humaines décrites avec force subtilité et une profondeur symbolique parfois assez sidérante menant à des réflexions très intéressantes sur notre condition d’humain et les affres de nos existences trop souvent étriquées ou malmenées par le hasard. Très variées dans leur contenu donc, on passe vraiment par des univers et des ambiances bien différentes mais le constat est chaque fois le même, Anjali Sachdeva est une conteuse hors pair qui manie la plume avec maestria, jouant sur les non-dits et le mystère, la poésie et le style brut (voire drôlatique dans la seule nouvelle SF du roman).
Une femme seule qui commence à entendre des voix dans une mystérieuse grotte, l’histoire d’un homme devenu handicapé dont la fille va réussir dans la vie malgré les obstacles, un homme récemment célibataire qui tombe sur une folle furieuse amatrice de randonnée, un écrivain sur lequel se penche un ange pour l’aider à écrire, le destin terrible de deux jeunes nigérianes enlevées par Boko Haram et qui vont pouvoir prendre leur revanche (et quelle revanche !), la rencontre entre un pêcheur et une sirène avec son lot de séduction et d’attraction fatale, l’histoire d’amour juvénile d’une jeune fille prisonnière de son entourage et qui va découvrir la réalité de la vie en s’enfuyant avec son amant, la domination extra-terrestre qui impose aux êtres humains de perdre leurs mains au profit de prothèses métalliques ou encore l’histoire de sept sœurs créées de toute pièce par leurs scientifiques de parents et qui vont s’éteindre les unes après les autres sont autant de destins brisés ou brusqués par une auteure qui se plaît à interroger les rapports humains dans la famille, les rapports amoureux et le rapport à autrui tout simplement. L’acceptation, la soumission se disputent avec la passion, la révolte mais aussi la quête d’un bonheur bien trop souvent inaccessible de par des forces qui nous dépassent et / ou des barrières morales.
L’ensemble est remarquable car en environ 30 pages pour chacune d’entre elles, ces nouvelles donnent à voir des personnages très complexes, nuancés à l’extrême, loin des archétypes qui peuplent parfois les pages de textes peu inspirés. Ici c’est tout le contraire avec des êtres en pleine évolution, souvent décrits à un moment charnière de leur existence, suivant une pente savonneuse et se confrontant à des choix cornéliens et des prises de conscience douloureuses. On explore au scalpel leurs pensées, réactions et motivations intimes dans des sentiments mêlés, contradictoires parfois tant l’auteure souffle le chaud et le froid sur un lecteur captif volontaire de ces histoires qui oscillent entre incongruité / étrangeté et dimension universelle par des questionnements auxquels on est forcément confronté au moins une fois dans sa vie.
Si on est amateur de nouvelles américaines, on ne peut décemment pas passer à coté de ce volume lumineux à sa manière, le premier ouvrage d’une auteure très talentueuse qui a un don certain pour emballer son lecteur et lui offrir un souffle frais au niveau linguistique sans jamais sacrifier à la trame, à la narration et au plaisir de lire. À découvrir et déguster sans modération.
"Lorsque la vie déraille" de Frank Andriat
L’histoire : Son train était prévu à 7h46 vers Bruxelles-Nord d’où il monterait dans le 8h06 vers Liège et Eupen. À 9h22, il descendrait à Verviers-Central. Elle l’attendrait sur le quai, "au pied des escaliers", avait-elle précisé. Il se sentait un peu fou, comme le soir de leur première rencontre parisienne, quand il s’était retrouvé seul, sans elle, avec pourtant la certitude qu’elle était la femme de sa vie.
Des voyages, des instantanés de vie surpris dans les trains. L’existence s’y conjugue, au fil des rencontres, à toutes les personnes du singulier et du pluriel. Des nouvelles comme des huis clos où l’être humain se retrouve face à ses fragilités, à ses drames mais aussi à sa faculté de résilience. Des nouvelles d’amour et de vie où chacun peut se reconnaître.
La critique de Mr K : Retour à la nouvelle contemporaine aujourd’hui avec le dernier né des recueils édités par Quadrature, une maison d’édition spécialisée dans le genre. Dans Lorsque la vie déraille de Frank Andriat, l’auteur nous invite à croiser l’ensemble de ses protagonistes lors d’un voyage en train à des moments qui vont se révéler cruciaux dans leur existence. En six textes, nous faisons un tour d’horizon de l’humanité dans ses travers, ses forces et ses aspirations avec un plaisir renouvelé nourri par la langue subtile et douce d’un écrivain que je découvrais avec cet ouvrage.
On débute cette lecture très fort avec Un Grand homme, une nouvelle qui prend place dans une rame du TGV où un groupe d’hommes discute ou du moins où un auteur célèbre s’écoute parler devant trois écrivains en devenir. L’homme est particulièrement désagréable, imbu de lui-même et il attire l’attention des autres passagers et notamment passagères par ses propos sexistes où il narre ses aventures érotiques sans aucune gène. La pression monte vite et une révélation finale va ébranler quelque peu le lecteur. Cette première nouvelle donne le ton, personnages fins et complexes, une tension maîtrisée et une chute qui vient à point nommé happent le lecteur et ne lui laisse aucune chance de s’échapper. Dans Crains les trains, un homme essaie à tout prix d’empêcher son écrivaine de femme de prendre le train pour aller à la rencontre d’élèves de collèges avec qui elle a travaillé à distance. Obsessionnelle, son attitude interroge, on frôle la folie et un souvenir traumatisant vient nous cueillir en toute fin de récit. Très efficace, là encore, on a affaire à un texte tendu et prenant à souhait.
La nouvelle éponyme, Lorsque la vie déraille ne m’a pour le coup pas convaincu. Cette histoire de deux personnes qui s’aiment, se séparent, se retrouvent et espèrent ensemble a manqué de souffle à mes yeux. J’ai vite décroché alors qu’il y avait tous les éléments pour que ça fonctionne. Il arrive parfois que les protagonistes nous touchent moins, ça a été le cas ici. Avec des sourires et de la paix est par contre une des meilleures histoires du recueil. On suit un groupe de jeunes qui prend le train pour aller au lycée. Ils vont croiser lors de ce voyage Nadir et cette rencontre va bousculer leurs habitudes, révéler les failles de leur amitié et la bêtise ordinaire de l’humanité. J’ai beaucoup aimé la narratrice peu sûre d’elle qui réussit finalement à s’affranchir du groupe et à affirmer son identité et ses positions. Une nouvelle qui touche en plein cœur et qui est malheureusement toujours d’actualité.
Dans La notification, un homme part rejoindre sa maîtresse au Luxembourg en partant de Bordeaux. Ce macho pépère stresse beaucoup entre retard pris par les trains, changement à effectuer à Paris et réflexions personnelles sur les deux femme de sa vie que tout oppose. La nouvelle prend le temps de poser les choses entre aléas du voyage et flashback bien sentis qui caractérisent bien les forces en présence. La fin logique vient nous cueillir avec un cynisme du plus bel effet ! On termine en beauté avec Une histoire d’amour, qui met en scène un couple de personnes âgées que lie un amour indéfectible. Ces deux-là s’aiment et cela se voit, se sent, se vit. Pour autant, une ombre plane sur eux. Ce voyage en train vers un ailleurs juste nommé cache une vérité, quelque chose d’extrêmement douloureux et qui à la fin de voyage va prendre une autre direction. Cette nouvelle est magistrale, emprunte d’humanité et de résilience à un niveau inégalé dans cet ouvrage. J’ai adoré cette mise en abîme finale qui remet en cause l’intégralité du texte. Ce récit est un bijou de construction et de style, rien que pour lui, l’ouvrage vaut le détour.
Ces six nouvelles rassemblent les mêmes qualités à mes yeux (hormis pour une qui n’a pas réussi à me capter) : des personnages intéressants dans leur banalité et leur humanité (littéralement épluchés par l’auteur de façon brève et précise), et une écriture souple et bien souvent envoûtante. Complexes parfois contradictoires, les protagonistes dans leurs pensées et leurs actes donnent à voir des instants de vie qui peuvent résonner en nous, libérer des souvenirs ou faire penser à des choses vues ou même vécues. C’est très brillamment mené par un sens de la narration très précis, maîtrisé et menant bien souvent à une pirouette finale pleine de sens et de réflexion. Les amateurs de nouvelles peuvent foncer, ils ne seront pas déçus.
"Presqu'îles" de Yan Lespoux
L’histoire : Un coin secret de champignons. Un tracteur en boîte de nuit. Une vierge phosphorescente. Un concert fantôme. Des chemins de sable qui serpentent entre les pins jusqu’à l’océan.
L’envie de partir et le besoin de rester...
Presqu’îles, ce sont des tranches de vie saisies au vol, tour à tour tragiques ou cocasses qui, à travers les portraits de personnages attachés de gré ou de force à un lieu, les landes du Médoc, parlent de la vie telle qu’elle est, que ce soit là ou ailleurs. Au fur et à mesure que ces textes courts se répondent et s’assemblent, un monde prend forme. Celui de celles et de ceux dont on ne parle pas forcément, que l’on ne voit pas toujours.
La critique de Mr K : Je vous présente aujourd’hui un recueil de nouvelles fort réussi, le premier de la nouvelle collection Court de chez Agullo, une maison d’édition qui jusque là se cantonnait au format roman. Presqu’îles de Yan Lespoux est une très belle expérience de lecture. À travers des textes parfois très courts, toujours incisifs, l’auteur nous invite dans les landes du Médoc, petit coin de France que l’on redécouvre ici dans son universalité à travers des tranches de vie remarquablement saisies et servies dans une langue simple et évocatrice à souhait.
Avant ma lecture, le Médoc pour moi c’était les dunes, la plage, les forêts de pins. Des homme qui y habitent, de leur culture et mentalité, je ne connaissais pas grand-chose. Le fait est que beaucoup d’histoires de ce recueil tournent autour des éléments naturels que je viens de citer, ils font partie prenante de l’ADN des hommes et femmes de ce pays au charme finalement insoupçonnable. À travers le récit de petites fractions d’existences de gens du commun, de petits textes introductifs ayant souvent trait à la notion d’intégration ou de rejet (Aaaah le premier texte sur les Bordelais démarre le recueil en fanfare !), on pénètre dans la vie des simples gens, des vies communes que rien ne semble sortir de la routine mais qui par leur exposition nous ramènent bien souvent à notre condition humaine.
Il y a donc une universalité qui transpirent de ses pages, des thèmes, des actes et des pensées que l’on peut facilement retranscrire dans son propre milieu. Ainsi, les querelles de chapelles entre ruraux et urbains que l’on retrouve un peu partout, la mise à l’index de certaines minorités sexuelles ou ethniques, la vengeance mais aussi la famille, la nature et ses trésors, le temps qui passe sont autant d’éléments que l’auteur aborde avec finesse et sensibilité. Les pages se tournent toutes seules et l’on est assailli par des émotions très contrastées. On rit beaucoup aussi, par exemple face à certains textes hauts en couleur mettant en scène des personnages bruts de décoffrage. On s’interroge sur la persistance du jugement de l’autre, la violence inhérente à notre espèce et les réactions disproportionnées de certains (l’histoire de l’incendiaire, les deux pilleurs de champs de cannabis, le frère ultra-protecteur...). Mais on s’émerveille devant la nature qui procure ses bienfaits avec des scènes de ramassage de champignons dans des sous-bois clairs-obscurs à l’image de la superbe photo de couverture, les parties de pêche ou de baignade dans une mer au charme insondable qui peut aussi se révéler être très dangereuse. Le cadre et les hommes se réunissent donc bien souvent dans ces nouvelles d’une rare efficacité.
Une lumière, des odeurs, des ambiances uniques allant d’un calme profond à des scènes très tendues s’enchaînent au fil des pages qui se tournent toutes seules. L’écriture est posée avec une élégance et une fluidité assez confondante. Humour cinglant, rythme plus effréné mais aussi des moments plus évocateurs et envolées autour de certaines descriptions de lieux magnifient la trajectoire des protagonistes, l’action en court et les propos universels abordés au fil des microstorias : l’identité, l’intolérance mais aussi tous les aspects d’une vie de l’adolescence à la mort, en passant par la quête de sens qui nous accompagne tous, l’idée de routine, de changement de direction parfois nécessaires... Autant de thématiques brossées avec brio avec toujours en ligne de mire l’idée de s’attacher tant aux âmes qu’aux lieux.
Cette lecture fut un vrai délice, une immersion douce et rugueuse à la fois avec des textes qui prennent bien souvent aux tripes et qui vous proposent un voyage inoubliable dans un Médoc insoupçonné. À découvrir absolument si le format court vous plaît, l’auteur maîtrise son sujet haut la main et mérite vraiment d’être découvert. On en redemande !
"Friday black" de Nana Kwame Adjei-Brenyah
L’histoire : Le procès d’un Blanc accusé du meurtre effroyable de cinq enfants noirs (et qui sera acquitté), le parcours d’un jeune qui tente de faire diminuer son "degré de noirceur" pour décrocher un emploi, le quotidien d’un vendeur de centre commercial confronté à des clients devenus zombies, ou celui des employés d’un parc d’attractions faisant du racisme ordinaire une source de divertissement.
La critique de Mr K : Première chronique d’un recueil de nouvelles américaines cette année avec ce très bon ouvrage de Nana Kwame Adjei-Brenyah qui livre avec Friday black un premier livre prometteur. Puissant dans le contenu, gouleyant et frappant à la fois par la forme, on passe un très bon moment dans des univers étranges, dérangeants où le lecteur se raccroche à ce qu’il peut ! Autant vous le dire de suite : cet ouvrage est différent. Pas forcément évident à pénétrer, il faut pour cela s'autoriser un moment d’adaptation... mais quand on y arrive, qu’on se donne les moyens de rentrer dans les textes, je peux vous dire qu’on s’en souvient !
Ce recueil se compose de douze récits qui vont de quelques pages à des textes plus longs. Mêlant les genres entre dystopie, fantastique, contemporain parfois et un ton cynique bien souvent. À travers des situations parfois ubuesques, un parc d’attraction mettant en scène des massacres, un black friday bien trash où c’est chacun pour soi, l’acquittement d’un tueur d’enfants ou un jeune homme noir qui essaie sans succès de baisser sa négritude entre autres, l’auteur nous donne à lire des textes bien borderlines où la langue est au service de l’engagement et de la dénonciation.
Il ne faut pas s’y tromper, cet ouvrage est avant tout une critique bien sentie de l’Amérique contemporaine, à commencer par la logique raciale qui s’impose dans beaucoup de pans de la société. Ce n’est pas nouveau, l’Histoire US est jalonnée de références aux castes / groupes humains et au souvenir bien présent de l’esclavage puis des ségrégations sudistes ou encore celui du génocide des amérindiens. Les USA se sont construits sur ces antagonismes et l’arrivée de Trump au pouvoir a exacerbé de nouveau ces tensions souvent en dormance. Ces nouvelles, même si elles ne se situent pas vraiment à notre époque ou dans notre dimension parfois, ne sont qu’un miroir légèrement déformé de la société américaine. Qu’il est parfois dur de vivre sa vie quand on est noir, déshérité, en quête de travail ou tout simplement en quête d’égalité et de reconnaissance ! C’est aussi à l’occasion de la nouvelle éponyme de dénoncer la folie rampante qui nous guette dans notre société de consommation, ce texte est vraiment fort et emporte largement la palme de la nouvelle la plus glaçante et jubilatoire à la fois du recueil.
C’est avec une grande finesse et une langue acérée et poétique que Nana Kwame Adjei-Brenyah partage ces situations qui prennent tout leur sens au fil de la lecture. Il faut creuser, s’attarder parfois sur des passages pour les goûter, s’en imprégner et finalement en découvrir toute la portée. Cela demande de l’attention, du calme, une volonté de se jeter intégralement dans le texte. C’est parfois âpre je vous l’avoue, certains textes ont du m’échapper (cela demanderait presque une deuxième lecture) mais on peut dire que l’on se trouve vraiment devant quelque chose de neuf et de brillant. Difficile donc d’en dire plus sans déflorer le mystère et les qualités de ce recueil à part et qui comblera les amateurs de nouvelles qui dérangent et font réfléchir. L’année 2021 débute vraiment bien !
"Les contes macabres" d'Edgar Allan Poe illustrés par Benjamin Lacombe
Le contenu : Quelque chose de profond et de miroitant comme le rêve, de mystérieux et de parfait comme le cristal ! Un vaste génie, profond comme le ciel et l'enfer !
Charles Baudelaire à propos de l'œuvre de Poe.
La critique de Mr K : Quel bel ouvrage et quelle lecture à laquelle je vous convie aujourd’hui ! Benjamin Lacombe est un dessinateur / illustrateur que Nelfe affectionne beaucoup, je lui ai offert par le passé le diptyque d’Alice de Lewis Carroll et les deux volumes de Notre Dame de Paris de Victor Hugo. Magnifiquement illustrés, bien reliés, voila des livres qui relèvent quasiment de l’œuvre d’art. C’était donc à mon tour de me frotter à la bête avec Les contes macabres d’Edgar Allan Poe, un auteur culte à mes yeux et qui m’a procuré mes premiers frissons de jeune lecteur. J’ai dévoré cette remise au goût du jour aussi sombre dans le contenu que belle par son esthétique.
Huit nouvelles du maître sont réunies dans ce volume (il existe un deuxième volet): Bérénice, Le Chat noir, L’Île de la fée, Le Cœur révélateur, La Chute de la maison Usher, Le Portrait ovale, Morella et Ligeia. L’excellente idée fut de rajouter en fin de tome l’article de Charles Baudelaire Edgar Poe, sa vie, son œuvre (rappelons que le poète a été le premier traducteur officiel de Poe avec Mallarmé, excusez du peu !) Enfin, on retrouve des notes et notices, biographies et bibliographies sur les différents auteurs avec un luxe de détails tout à l’honneur de cette édition.
Quel délice que de redécouvrir des textes qui m’ont tant séduit par le passé et ont forgé mon esprit de lecteur. Certaines histoires sont restées bien fraîches dans mon esprit comme Le Chat noir, La Chute de la maison Usher ou encore Bérénice, d’autres se sont avérées être des textes que je n’avais jamais lu. Quelle claque à chaque fois !
La mort encore et toujours hante ces pages. Obsessions, maladie mentale et esprits en perdition, figures féminines livides, souffreteuses et maladives, meurtres pulsionnels, perte de repères et de la réalité, la culpabilité qui vous ronge et la folie galopante... Un désespoir profond transpire de ces pages, une mélancolie macabre et poisseuse où tout lecteur qui passe inopinément (ou non) par là se voit happer par l’ambiance crépusculaire distillée avec un savant dosage de poésie et de préciosité, signe reconnaissable entre tous de l'écriture si particulière d'Edgar Allan Poe. Le style provoque toujours autant la curiosité pour ne pas dire la fascination, nous plongeant dans des univers fantastiques où l’inconnu se révèle au dernier moment entre gouffres psychiques et hallucinations incontrôlées. Et dire que ces textes ont déjà plus d’un siècle et demi. Des auteurs comme cela, on n’en fait pas deux !
Le gros choc est venu surtout de l’article de Baudelaire reproduit dans son intégralité en fin d‘ouvrage. Il revient sur la vie tumultueuse d’Edgar Allan Poe, c’est d’ailleurs lui qui va contribuer à le faire connaître en France auprès du public. Il y a beaucoup de points communs entre ces deux figures, poètes maudits chacun à sa manière, à la recherche de l’inspiration dans les paradis artificiels avec une propension forte à l’alcoolisme chez Poe qui finira par succomber à une crise de Delirium Tremens. L’article est passionnant, complet, remarquablement écrit (le style en prose de Baudelaire convient parfaitement à l’entreprise) et très éclairant.
Pour accompagner ce voyage crépusculaire, Benjamin Lacombe nous tient la main de fort belle manière. Son style n’est plus à présenter, les illustrations rivalisent de beauté et de poésie. Quitte à verser dans le blasphème, j’ai trouvé certaines images un peu sages par rapport aux lignes qu’elles illustrent, le côté folie profonde, possession, les pulsions de mort et de meurtre ne sont pas forcément rendues de manière bien "mad". Certes l’ouvrage s’adresse à un public élargi mais parfois j’ai trouvé que l’on versait dans une certaine mièvrerie. C’est dommage car le talent est immense mais peut-être correspond-t-il plus aux ouvrage suscités auparavant (notamment l’univers de Lewis Carroll).
Je ne boude pourtant pas mon plaisir, on passe un merveilleux moment et quand on referme l’ouvrage, on n’a qu’une envie : retourner fureter dans l’œuvre de Poe et redécouvrir d’autres textes ainsi que ceux de Charles Baudelaire. Voici mes premières résolutions littéraires pour 2021.
"Fenêtre ou couloir" de Claire Blanchard-Thomasset
L’Histoire : Elle avait déjà décidé, c’est là qu’elle s’installerait. Elle avait retrouvé la vue, elle avait un horizon. Tout à coup, elle respirait mieux. L’air d’ici, elle le sentait, serait vivifiant. Elle serait bien dans cet appartement. De son cinquième étage, elle surplomberait les tracas, regarderait de haut ses chagrins.
Fenêtre ou couloir ? Contrairement à ce que proposent les compagnies ferroviaires, les choix sont nombreux, changeants et nuancés. Les personnages des dix-neuf nouvelles de ce recueil vivent tous des situations qui questionnent leur place, au sein du couple, de la famille, au travail, ou vis-à-vis d’eux-mêmes : place à trouver, à retrouver, à conquérir, à garder, à ajuster, à accepter ou à quitter.
La critique de Mr K : Nouvelle incursion chez Quadrature, un des éditeurs de textes courts que je préfère. Dans Fenêtre ou couloir de Claire Blanchard-Thomasset, l’auteure nous invite à découvrir 19 personnages à la croisée des chemins, à des moments clefs de leur existence où ils réfléchissent à leur place que ce soit dans l’intimité, la famille élargie, le monde du travail ou la société de manière générale. J’ai littéralement dévoré ce volume que j’ai trouvé épatant et très juste, il rentre directement dans mon top trois des meilleurs recueils de nouvelles de cette maison d’édition.
Récits d’introspections, les dix-neuf nouvelles nous présentent de multiples personnages très différents les uns des autres. Hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, solitaires et sociables, ils ont en commun le fait qu’ils s’interrogent sur un aspect de leur vie qui les interpelle à un moment donné de leur existence. Prise de conscience, prise de décision ou simple évocation / observation se suivent et se lisent avec délice. C’est parfois cruel, le constat peut se révéler lourd mais c’est aussi souvent le temps du bilan, de regarder devant soi et de cesser de vivre sous le poids d’un passé parfois très pesant.
La famille et ses ramifications complexes (rapport parents-enfants notamment), le deuil et son dépassement, l’amour vécu et l’amour rêvé, le mariage et les liens noués ou dénoués, le dépassement de soi, l’aventure lointaine ou le quotidien, les crises existentielles que l’on peut traverser, les rapports humains dans l’entreprise avec son lot de solidarités mais aussi de jalousies destructrices sont quelques-uns des thèmes qui sont traités de manière brillante à travers de très courts textes qui n’excèdent jamais la dizaine de pages.
Pour autant cette brièveté et économie de mot proposent à chaque fois un personnage fort, délicatement ciselé pour qui l’empathie fonctionne immédiatement. On reconnaît certaines situations, on peut même s’y identifier. Ainsi, deux / trois récits m’ont particulièrement marqués et ont fait profondément écho à ma propre existence, ce qui est toujours très troublant lors d’une lecture. Rarement à chute, ces nouvelles s’apparentent à des tranches de vie croquées avec justesse et qui offrent une belle illustration des affres d’une vie humaine entre espoirs et désespoirs, surprises du quotidien, retournements de situations mais aussi parfois de belles révélations. On multiplie les montées émotionnelles dans toute la palette possible des sentiments humains avec à chaque fois un sourire fixé sur les lèvres quand on aborde la fin d'un récit. En toute honnêteté, aucun texte me semble vraiment inférieur aux autres, j’ai adoré toutes les destinées qui m’ont été données à lire ici, ce qui est plutôt rare dans ce type de recueil.
L’écriture simple accroche le cœur du lecteur et provoque une émotion brute, forte et très réaliste. L’addiction est là dès le début et ne vous lâchera pas durant l’ensemble d’un ouvrage plus que recommandable pour tout amateur de recueil de nouvelles contemporaines. On a affaire ici à du tout premier choix !
"Face à la mer" de Pierre Montbrand
Le contenu : Un jeune étudiant amoureux de sa professeure d’anglais, un commandant de ferry voulant à tout prix retrouver une baigneuse aperçue de sa passerelle, un critique de cinéma à la recherche du passé d’Ingmar Bergman et de Harriet Andersson sur l’ile d’Ornö, un professeur d’université désargenté jouant les reporters sur les routes du Mississippi... Tous ont en commun la quête de l’éternel féminin, mystérieux et insaisissable.
La critique de Mr K : Petite incartade au pays de la nouvelle avec ce nouveau recueil paru chez Quadrature, une maison d’édition qui a l’art de proposer de très bons formats courts qui ne manquent pas de toucher leur cible à chaque lecture que j’ai pu faire. Dans Face à la mer de Pierre Montbrand (qui n’est pas le pseudo de Calogero, je vous vois venir petits coquins !), l’auteur nous propose à travers six récits d’explorer la figure féminine à travers des récits intimes masculins où l’amour sous toutes ses formes prend beaucoup de place. Six textes pour six expériences très différentes mais qui se relient entre elles par un fil ténu mais bel et bien là.
Dans Photo de classe, le narrateur apprend la mort de sa prof de français de lycée avec qui il avait noué une relation interdite et passionnée. Pendant le trajet qui le mènera au lieu de l’inhumation, il repense à cette période si particulière de sa vie qui l’a forgé. On commence très fort avec un récit poignant et éclairant sur la notion de passé, de construction de soi et d’amour fou. J’ai lu cette nouvelle d’une seule traite, déjà captivé par un style aussi simple que profond. Sacré démarrage ! On enchaîne ensuite avec Droits de succession qui voit une femme retourner dans la propriété de son défunt père, un artiste plasticien qui vient de passer l’arme à gauche et dont elle doit régler les affaires. Partie depuis longtemps de la maison, elle est froide, distante et les gens de la commune cancanent dans son dos... mais ils sont à mille lieux de savoir ce qui s’est déroulé dans cet endroit et ce à quoi doit se confronter l’héroïne dans ce retour aux origines. Sans doute, la nouvelle la plus bouleversante du recueil, on se fait cueillir par la trajectoire évoquée, la révélation finale et le rythme lent mais redoutablement efficace de l’auteur pour emmener le lecteur vers des rivages insoupçonnés. Franchement bravo !
Clair de lune nous conte quant à lui les réminiscences d’un homme lors d’une réunion de famille où il croise une personne qu'il n'a pas revu depuis des années mais avec qui il a eu une brève aventure que la morale réprouve. Très courte, allant à l’essentiel, l’émotion est ici à fleur de mot, la gradation rudement bien menée et le lecteur se fait embarquer là encore très facilement. Dans Face à la mer, la nouvelle éponyme, un capitaine de navire ferry tombe sous le charme mystérieux et sauvage d’une baigneuse au charme certain. Il va partir à sa recherche, retrouver sa trace et discuter avec un de ses proches qui livrera quelques vérités sur cette sirène des temps modernes. Le charme agit toujours autant sur le lecteur avec un personnage central des plus attachants et une chute brusque et saisissante, j’ai beaucoup aimé aussi.
Mon été 52 voit un critique de cinéma partir en Suède sans sa femme à la recherche d’un lieu mythique de tournage de Bergman. Il s’y logera un temps et fera la connaissance d’une femme fort charmante. On mélange ici fantasme et réalité, le cinéma et son aura ainsi que les lieux sur lesquels l’empreinte du septième art est parfois palpable. On brouille les pistes pour mieux revenir à l’esprit humain et ses contradictions. Il m'a fallu plus de temps pour rentrer dans ce récit mais au final, la chute est intéressante et la nouvelle plutôt réussie. Enfin, On dirait le sud, clôture ce recueil de manière plutôt banale avec l’histoire d’un universitaire en pleine déprime qui part sur les routes avec une de ses étudiantes. Je n’ai pas vraiment été convaincu par les personnages et l’objectif poursuivi, ce texte m’a paru vraiment un ton en dessous des autres. Un coup dans l’eau.
On passe cependant un très bon moment avec ce recueil qui fait la part belle aux souvenirs, aux choses qui nous habitent et guident nos pas tout le long de notre vie. C’est beau et cruel à la fois, triste et drôle, plein de contrastes en fait comme une existence humaine. Pierre Montbrand est très bon pour ce qui est d’explorer les affres de l’amour, de l’attirance / répulsion, des fêlures familiales et amoureuses qui peuvent marquer une personne à jamais. On n’est jamais dans la démesure ou les effets de manche superficiels, tout ici est d’une justesse fort à propos avec un style très accessible sachant se contenter d’aller à l’essentiel, essence même du genre de la nouvelle. À part un dernier acte légèrement hors sujet à mes yeux, le reste s’apparente à de la très bonnes nouvelles contemporaines et les amateurs ne s’y tromperont pas !