samedi 28 janvier 2023

"Anna Thalberg" d'Eduardo Sangarcia

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L’histoire : Un après-midi, alors qu’elle attise le feu dans la cheminée de sa chaumière, la jeune Anna Thalberg aux yeux de miel est enlevée par des hommes brutaux et amenée à la prison de Wurtzbourg, où on l’accuse de sorcellerie. Isolée et torturée pendant des jours, elle tient tête au cruel examinateur Melchior Vogel tandis que Klaus, le mari d’Anna, et le père Friedrich, curé de son village, tentent tout ce qui est en leur pouvoir pour lui éviter les flammes du bûcher. Petit à petit, le visage du Diable se révèle être celui du Dieu des hommes, et la sorcière un nouveau Christ.

La critique de Mr K : L’année littéraire 2023 commence fort bien avec cet ouvrage paru aux éditions La Peuplade début janvier. Anna Thalberg d’Eduardo Sangarcia est un premier roman d’une force incroyable, un souffle porté par une écriture hors norme.

Anna est arrêtée chez elle sans préavis alors que son journalier de mari est aux champs. Elle est emmenée à la prison de Wurtzbourg pour y être "interrogée". Dénoncée par une voisine jalouse et superstitieuse, Anna est accusée de sorcellerie malgré sa grande piété et son caractère doux. Mais sa chevelure de feu et ses yeux couleur de miel attisent les vicissitudes d’une communauté obscurantiste prompte à désigner un bouc émissaire pour expliquer tous les malheurs qui peuvent s’abattre sur elle.

Seule face au terrible Vogel et son bras armé, Anna va résister autant qu’elle peut. Elle ne veut pas avouer ce qu’elle n’a jamais fait, elle ne commerce pas avec le démon, elle vit simplement sa vie de femme et cela en dérange plus d’un. Dès le départ, on sait que personne ne ressort indemne de cette tour, que la condamnation est déjà prononcée mais qu’importe, on a envie d’y croire, on accompagne Anna sur son chemin de croix (le vrai Christ c’est elle au final). On suit en parallèle son mari désespéré qui tente tout pour la sauver mais qui se heurte aux portes closes, aux mauvaises volontés et au cloisonnement de la société de l’époque. Même le bon prêtre du village, Friedrich, fera son possible pour tenter d’éviter le bûcher à la jeune femme mais malgré son statut et sa verve, rien n’y fera.

Car Anna est rousse, car Anna est une femme qui a perdu des bébés avant terme, parce qu’Anna est douce et aimante, parce qu’Anna est passée par ici ou a rendu tel service... Anna est une sorcière et doit mourir. Les pseudos témoignages à charge s’accumulent et je peux vous dire qu’on a les tripes qui se tordent dans tous les sens durant toute cette lecture qui est d’une rare puissance addictive. L’évocation de l’époque, de la toute puissance du clergé protestant, des injustices sociales à commencer celles faites aux femmes donnent envie de hurler. La chasse aux sorcières se répand comme un incendie que rien ne semble rassasier, on pense au feu des enfers qui finalement est sur Terre et non dans les profondeurs réservés aux pécheurs. L’Enfer c’est les autres plus que jamais dans ce roman et la pureté est ici en Anna, figure forte et fragile à la fois, profondément humaine et sans haine aucune. Par son abnégation, elle nous montre le chemin à suivre. Un sacrifice terrible mais aussi un acte de foi profond.

L’auteur distille tout cela avec maestria, son écriture est unique. Chaque chapitre n’est constitué que d’une phrase, de propositions qui se répondent, s’interpénètrent, avec un retour à la ligne quand on change de point de vue ou de protagoniste, des dialogues posés comme des blocs indépendants de la narration, des strophes poétiques ouvertes sur les pensées intimes des personnages, l’absence de majuscules et de point accentuant l’immersion et déroutant le lecteur pour son plus grand plaisir. Les procédés utilisés bien que nébuleux n’égarent pas le lecteur, l’emmènent exactement là où l’écrivain veut le mener, vers un final haut en couleurs et un bonheur de lecture gravé au fer rouge.

Quelle lecture vraiment ! Quelle expérience ! Je pourrais en parler des heures, j’aurais envie d’en parler des heures tant elle m’a happé, marqué et passionné. Vous l’avez compris c’est un grand et gros coup de cœur. À découvrir absolument !


mardi 29 novembre 2022

"Une si jolie petite guerre" de Marcelino Truong

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L’histoire : En 1961, John F. Kennedy devient le 35e président des États-Unis. Décidé à endiguer le communisme en Asie, il lance le Projet Beef-Up, destiné à renforcer l'aide militaire américaine au Sud-Vietnam.

C'est dans ce contexte que Marcelino Truong et sa famille arrivent à Saigon. Sa mère est malouine, son père vietnamien. Directeur de l'agence Vietnam-Press, Truong Buu Khanh fréquente le palais de l'Indépendance où il fait office d'interprète auprès du président Ngô Dinh Diêm, chef d'un régime autoritaire pris dans ses contradictions, entre nationalisme, rejet du passé colonial, influence chrétienne et antimarxisme virulent.

Fasciné par l'armement lourd débarqué des gros porteurs US, par la multiplication des attentats et des coups d'État, Marcelino pose un regard d'enfant sur cette guerre en train de naître qui ressemble à un jeu, une si jolie petite guerre d'une forme inconnue, où l'opinion mondiale prendra toute sa part.

La critique de Mr K : Très belle découverte que ce roman graphique emprunté à la médiathèque du coin. Avec Une si jolie petite guerre de Marcelino Truong, on plonge dans les souvenirs familiaux de l’auteur et on découvre une période de la guerre du Vietnam à travers les yeux de l’enfant qu’il était. C’est frais et passionnant, l’ouvrage se dévore littéralement.

Marcelino est le troisième enfant d’un couple mixte, son papa est vietnamien et sa maman française. Le paternel est traducteur pour la diplomatie vietnamienne et est en poste à Washington DC quand son président le mute au pays en pleine insurrection communiste. Voilà la petite famille qui débarque à Saïgon et découvre un pays en plein chamboulement. Le nord communiste d’Ho Chi Minh, le sud libéral sous la coupe du président Diem conseillé en sous-main par les américains.

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Chacun dans la cellule familial réagit à sa façon. Les enfants ne comprennent pas vraiment ce qui se passe, leur innocence et leur insouciance les protège d’un certain nombre de réalités terribles mais au fil des événements se déroulant entre 1961 et 1963 (quand le conflit se durcit), ils vont peu à peu prendre conscience des choses. Le père lui reste stoïque, calme. Il ne croit pas en l’escalade, il garde un sang-froid à toute épreuve même s’il s’inquiète beaucoup pour Yvette, sa femme. Maniaco-dépressive, le pays et les affres qu’il traverse la touche fortement, elle ne supporte plus grand chose et les crises se succèdent. Le ménage tient mais c’est rude et les enfants le ressentent. L’équilibre instable est très bien rendu, tout en subtilité et l’on s’attache très vite à eux.

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Les scénettes familiales alternent avec des points historiques très bien imbriqués. Ils sont nombreux mais pas du tout rébarbatifs. Loin des poncifs et de la propagande occidentale ou orientale, c’est mesuré, attaché aux faits et donne à voir les méandres méconnus des mécanismes en jeu. L'influence des deux grands sur les deux partis en présence, les destructions et les morts inutiles, les armes terrifiantes employées (le fameux agent orange), le ressenti des populations, les bouleversements quotidiens et les différentes phases du conflit nous sont relatés de manière claire et historiquement imparables.

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Les émotions sont nombreuses, variées et assez puissantes. On a la boule au ventre par moment, on rit aussi parfois face aux réactions des gamins et à cette nostalgie qui imprègne tendrement ces pages. En sous-texte, c’est aussi une belle réflexion sur l’idéal qu’il soit communiste ou catholique avec son lot d’espoirs et de désillusions... Vraiment cette œuvre est d’une profondeur incroyable et l’on tourne les pages sans s’en rendre compte avec un crayonné simple et cependant très évocateur. Un ouvrage qui dans son genre s’impose comme une belle référence. Laissez-vous tenter !

dimanche 13 novembre 2022

"Jean Jaurès : non à la guerre" de Didier Daeninckx

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L’histoire : Toujours votre société violente et chaotique même quand elle est en état d'apparent repos, porte en elle la guerre comme la nuée dormante porte l'orage. Messieurs, il n'y a qu'un moyen d'abolir enfin la guerre entre les peuples, c'est d'abolir la guerre entre les individus, c'est d'abolir la guerre économique, le désordre de la société présente, c'est de substituer à la lutte universelle sur les champs de bataille, un régime de concorde sociale et d'unité.

La critique de Mr K : Nouvelle incursion dans la collection jeunesse "Ils ont dit non" de chez Actes Sud Junior avec ce Jean Jaurès de Didier Daeninckx, un auteur qu’on ne présente plus et que nous aimons beaucoup au Capharnaüm éclairé. Cet écrivain engagé était fait pour raconter Jaurès tant il s’est fait écho à travers ses œuvres des luttes sociales et des combats contre l’injustice. Le résultat est très intéressant, bien écrit et assez pédagogique pour pouvoir accrocher de jeunes lecteurs en quête de connaissances sur ce grand homme disparu trop tôt.

Deux poilus français se retrouvent coincés en plein no man’s land et font connaissance en attendant la suite des événements. Très vite, on apprend que l’un d’entre eux est Louis Jaurès, le fils de Jean Jaurès, assassiné le 31 juillet 1914 par un déséquilibré influencé par les appels aux meurtres édités régulièrement par des journaux d’extrême droite. Pour avoir défendu l’idée de la Paix, il passait pour un traître pour toute une partie de l’opinion, lui le défendeur des opprimés et le pourfendeur de l’injustice sous toutes ses formes. Le dialogue s’instaure donc entre les deux soldats qui nous parlent indirectement de leur guerre mais aussi de l’illustre homme, de son impact sur leurs existences respectives.

Louis Jaurès et Gaston Lallemand – sic – vivent l’enfer. Rien ne nous est épargné du fracas de la mitraille et des bombardements, des mutilations de guerre et de l’ambiance de fin du monde que vivent au quotidien les poilus dans leurs tranchées. Leur expérience illustre à merveille les propos tenus par Jaurès sur les horreurs de la guerre, le retour à l’état de brutes des humains et la destruction de la vie au sens large. La lecture de quelques courriers égarés lors d’une explosion donne à voir l’état d’esprit désastreux des troupes, littéralement sous le choc face à cette grande boucherie de 14 comme on l’a aussi surnommée.

Et puis, les deux hommes évoquent Jaurès. L’un le père, l’autre l’homme de conviction qui l’a parfois guidé de loin. On en apprend pas mal sur lui notamment sur ses engagements anti-guerre. Je connaissais bien l’aspect lutte sociale (Carmaux notamment) et l’aventure journalistique de l’Humanité, moins ses prises de positions en faveur de la paix mais aussi des arméniens et de tous les peuples opprimés dans le monde, ses voyages, ses rencontres, les menaces dont il a été victime avant sa mort. L’ensemble de ces faits sont malicieusement glissés à travers les discussions et échanges de Gaston et Louis.

L’écriture simple et accessible facilite l’évocation de ce grand homme, la rend vivante et profondément humaine. Tous ses combats sont toujours d’actualité notamment en ces temps plus que troubles, cet ouvrage est vraiment à conseiller pour éclairer nos jeunes sur certains mécanisme du monde et sur d’autres voies possibles. Un petit bijou à sa manière.

Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Lumière noire
- Nazis dans le métro
- Métropolice
- Main courante et autres lieux

- La Prisonnière du Djebel

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jeudi 3 novembre 2022

"Le Pays au-delà des mers" de Christina Baker Kline

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L’histoire : Pour avoir naïvement cru aux promesses d’amour de son employeur, Evangeline, jeune gouvernante anglaise, a été accusée de vol et condamnée à la déportation. Sur le navire qui l’emmène en terre australe, elle pense à ce que sera sa vie dans le "pays au-delà des mers", qu’on dit si inhospitalier, peuplé d’indigènes et de renégats. Elle pense aussi à l’enfant qu’elle porte : saura-t-elle le protéger ? Pourra-t-elle s’appuyer sur la débrouillarde Hazel avec qui elle a noué une forte amitié lors de la traversée ?

Au même moment, sur l’île Flinders, au large de l’Australie, Mathinna, une orpheline aborigène, est elle aussi retenue prisonnière. Arrachée à sa tribu, la petite a été adoptée par le gouverneur et son épouse, qui entendent bien la civiliser à tout prix.

Ces trois femmes l’ignorent encore, mais leur sort est inextricablement lié. Sur ces terres soumises à la folie des hommes, elles auront besoin de toutes leurs forces, de tout leur courage pour survivre et se frayer un chemin vers la liberté.

La critique de Mr K : Très belle lecture que Le Pays au-delà des mers de Christina Baker Kline. Fresque intime et historique, on se prend immédiatement au jeu, on s’attache aux différents personnages et l’on passe vraiment un très bon moment.

Evangeline est une jeune gouvernante toute fraîchement émoulue de sa campagne anglaise. Fille de pasteur, elle a reçu une éducation classique et exerce son rôle de préceptrice dans une famille aisée de Londres. Candide face aux promesses du fils de la maison, elle se retrouve ensuite victime d’une machination qui la voit condamnée à la "transportation" pour un vol supposé. Cette déportation vers les terres australes de la couronne anglaise était monnaie courante à l’époque, on exilait ainsi les indésirables que l’on ne voulait plus voir sur le territoire métropolitain.

Après des semaines très éprouvantes dans les prisons du royaume, la voila embarquée sur un navire rempli de convicts (nom donné aux prisonnières de droits communs que l’on envoyait à l’autre bout du monde), elle y rencontrera Hazel avec qui elle va créer un lien très spécial (je n’en dis pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue qui prend un virage surprenant en milieu de lecture). En parallèle, on suit aussi le destin aussi peu enviable de Mathinna, une jeune aborigène qu’un riche couple d’anglais a pour lubie de "civiliser" et qui se retrouve déracinée loin des siens. Comme bien souvent, tous ces personnages ne semblent avoir de liens mais l’histoire dénouée va remédier à cela et proposer trois destins forts et inextricablement liés.

Ce roman dégage d’abord une force romanesque peu commune. On se fait embarquer dès le premier chapitre par ces destins pour le moins contrariés. Que les temps sont durs pour les parias et surtout pour les femmes ! Ainsi Mathinna, Evangeline et Hazel connaissent une véritable descente aux enfers. Rien ne nous est épargné pour les deux premières avec des scènes bouleversantes qui prennent à la gorge. Je me souviendrais longtemps de la mise en accusation d’Evangeline puis de son séjour en prison entre promiscuité, violence, incurie des gardes et l’attente insoutenable du jugement qui sera d’ailleurs lapidaire. Tout aussi violents sont l’extraction de Mathinna de sa tribu et sa "rééducation". Le racisme rejoint le machisme, l’absence d’empathie et d’humanité de nombres hommes et femmes détenteurs d’un pouvoir inique qui écrase et opprime.

La critique est ici féroce de la colonisation tout d’abord et du mépris du genre humain sur lequel elle est bâtie. L’acculturation mais aussi la répression sont fort justement décrits au détour des destins que l’on croise, la veulerie des uns et la connerie raciste des autres se vivent au quotidien par des victimes enfermées dans des clichés et des carcans idéologiques partagés par le plus grand nombre. Nos héroïnes sont bien peu de choses et on le leur rappelle bien souvent mais elles tiennent, elles se raccrochent à quelqu’un, à quelque chose, un idéal, une lueur d’espoir même si c’est extrêmement difficile vu les situations qu’elles doivent traverser. Un événement bouleverse la donne à mi-récit et m’a littéralement bluffé en terme de risque narratif. J’adore être surpris, je dois avouer que je suis resté scotché à mon canapé.

L’époque est donc très bien rendue, les personnages sont complexes. L’ensemble est cohérent, crédible et provoque une addiction terrible. Impossible de lâcher ce roman tant on est happé par l’histoire et que l’on veut absolument en connaître le dénouement. L’écriture accompagne le récit à merveille, simple, concise et enveloppante, la lecture se fait toute seule et avec un plaisir qui ne se dément jamais. Le Pays au-delà des mers est vraiment un bel ouvrage que je vous invite à découvrir au plus vite.

mardi 20 septembre 2022

"Alice, 15 ans, résistante" de Sophie Carquain

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L’histoire : Une sirène retentit dans la nuit. Puis ce sont les cris, les aboiements, le martèlement des bottes sur la terre gelée...

En septembre 1939, quand la guerre éclate, Alice a 15 ans et des rêves plein la tête. Elle se confie dans son journal, écrit des lettres à sa grand-mère, au garçon qu’elle aime en secret, à sa meilleure amie de confession juive. Elle aimerait qu’Hitler disparaisse. Plus tard, face à l’occupant allemand, Alice ressent le besoin d’agir : avec ses parents, elle brave un à un les interdits, distribuant des tracts, hébergeant des aviateurs alliés... Mais un jour, tous les trois sont arrêtés. Alice est déportée au camp de Ravensbrück, où commence pour elle une nouvelle forme de résistance.

La critique de Mr K : Une sacrée claque que cette lecture jeunesse qui aborde une période terrible de notre Histoire commune avec tact, pédagogie et justesse avec ce récit à la première personne qui touche en plein cœur. Alice, 15 ans, résistante de Sophie Carquain évite les écueils du genre en ne tombant pas dans le pathos ni l’accumulation indigeste. On suit avec admiration puis appréhension le destin d’Alice dans la tourmente des années 40...

Alice est une adolescente comme les autres. Elle va au lycée, elle a ses copines, un amoureux secret à qui elle n’a jamais avoué son tendre attachement, un jeune frère un peu relou et des parents attentionnés. Elle aime rire, passer du temps avec ses amies, lire, écouter de la musique et l’école lui plaît bien. Elle a pour projet de devenir vulcanologue. Seule ombre au tableau, un contexte international de plus en plus tendu avec notamment les gesticulations d’un moustachu en colère ayant pris le pouvoir en Allemagne en 1933. La guerre se rapproche et chacun craint le pire quand le conflit éclate.

C’est alors l’invasion de la Pologne et l’entrée en guerre de la France. Alice nous raconte sa traversée de la guerre. L’étonnement face à la Drôle de guerre puis l’occupation. Sa famille rentre en résistance en distribuant des tracts, elle participe activement sans se poser de questions. Il faut défendre son pays et aider comme on peut. Puis d’autres besoins se font sentir pour la cause, ils cachent des aviateurs anglais dans la maison familiale et aident à la fabrication de faux papiers. Malheureusement trahis, ils vont être arrêtés et c’est le départ pour le camp de travail de Ravensbrück où Alice va désormais apprendre à survivre pour une fois de plus résister.

Écrit à la première personne, ce roman se lit d’une traite. Très accessible, réaliste au possible, on se prend d’emblée d’affection pour Alice dès les premiers chapitres. Elle nous raconte par le détail ce qu’elle traverse et l’on explore à hauteur d’ado un conflit qui la dépasse et qui va la forcer à mûrir avant l’âge. Le portrait est touchant, émotions et sentiments se mêlent dans ces pages hantées par une situation générale épouvantable qui a balayé toutes les certitudes et espoirs que les personnages nourrissaient. Alice doit traverser cela, sa famille aussi. Vous imaginez bien que le sort sera funeste pour un certain nombre de ses membres...

Le background est fidèlement retranscrit et aucun aspect du conflit n’est oublié : de l’attente insoutenable face aux incertitudes d'un conflit qu'on sent imminent, l’exode, l’occupation entre résistance mais aussi collaboration, les arrestations arbitraires, le sort réservé aux juifs (sa meilleure amie est de cette confession), la clandestinité, le rationnement, les rafles, la déportation en train dans les conditions que l’on connaît, la vie dans un camp de concentration, le retour au foyer et le déchirement intérieur qu’on ne réparera jamais. Ce roman respecte parfaitement l’Histoire, facilitera sans doute sa compréhension pour nos jeunes à qui cette matière peut faire peur (et à raison souvent...).

On arrive à la fin du livre sans vraiment s’en rendre compte même si la tension s’accumule et provoque un serrement de cœur terrible et durable. On referme alors Alice, 15 ans, résistante heureux de cette lecture brillante, forçant la réflexion et nourrissant la mémoire collective. Un indispensable.


mercredi 24 août 2022

"La Part des cendres" d'Emmanuelle Favier

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L’histoire : 1812. La jeune Sophie Rostopchine fuit Moscou, que son père, gouverneur général de la ville vient de faire incendier pour ne pas la laisser à Napoléon. Henri Beyle, qui n’est pas encore Stendhal, erre dans la ville en flammes, tandis que l’Empereur Français, humilié par cette victoire au rabais se claquemure au Kremlin. Celle qui n’est pas encore la comtesse de Ségur a dissimulé dans un coffret marqueté, pendant le long exil vers Paris, ce qui se révélera un trésor : son journal. La clef en est perdue mais il va réapparaître de loin en loin, tel un fil rouge, au cours de ces deux siècles de guerres et de pillages.

La critique de Mr K : Cet ouvrage de la rentrée littéraire avait tout pour me plaire sur le papier avec l’Histoire au centre du récit, un mystérieux coffret qui passe de main en main et une auteure à la réputation flatteuse que je découvrais avec ce titre. Mais voila, même si les qualités d’écriture sont bien là, l’érudition absolument fascinante, le plaisir de lire n’a pas été au rendez-vous. J'ai tenu à aller jusqu’au bout pour me faire un avis bien forgé, je ressors grandement déçu de cette lecture.

Tout débute avec la future comtesse de Ségur (alias Sophie Rostopchine) qui, toute jeune, a quitté son pays pour rejoindre la France. Pour éviter l’ennui et possédant déjà un goût certain pour l’écriture, elle rédige sur la route un journal qu’elle consigne sur des feuillets volants. Ils finiront par être remisés dans un coffret qui va alors passer les années et les décennies. On suit son parcours, celui des héritiers de la comtesse et l’on croise nombre de grands noms de l’histoire contemporaine qui va s’égrainer au fil des chapitres de l’époque napoléonienne à nos jours.

Force est de constater qu'Emmanuelle Favier est une virtuose dans son genre. Elle maîtrise la matière historique de fort belle manière, elle déroule notre passé commun sur deux siècles avec brio. Empires français, Révolution russe, montées des États dictatoriaux, guerres mondiales, après-guerre et tout plein d’autres aspects de notre Histoire récente sont traversés par le récit avec un souci du détail et de l’exactitude qui n’est jamais pris en défaut. On croise nombre de célébrités des mondes des arts mais aussi de la politique car au centre des préoccupations et du récit, on retrouve notre rapport à l’art, sa nécessaire sauvegarde et son aspect bien souvent politique notamment suite aux conflits quand les vainqueurs font main basse sur certaines œuvres.

L’immersion est donc totale, on arrive à se plonger dans les époques, à partager les quotidiens évoqués tout en accompagnant certains destins célèbres dont la fameuse comtesse ou Marguerite Yourcenar (que j’ai redécouvert à l’occasion). Les tensions sociales et familiales sont très bien rendues, et l’on a l’impression de voyager dans le temps grâce à la multitude de détails qui émaillent le texte, les digressions historiques et le clin d’œil assez fun de l’auteure envers le lecteur à bien des occasions, l’écriture superbe... Non vraiment, ça partait sur de bonnes bases...

Mais voila au bout de deux cents pages, on se rend compte que l’ouvrage est un vrai tour de force en terme d’érudition mais que l'on est plus en présence d'un livre d’Histoire légèrement romancé que d'un véritable roman. Les personnages sont finalement effleurés, on passe de l’un à l’autre assez rapidement et j’ai vraiment eu du mal à éprouver une réelle empathie envers eux. C’est vraiment une étrange sensation que celle de lire un ouvrage dense en terme de contenu mais vain dans sa fonction de détente. Dur dur de se raccrocher à quoi que ce soit quand la lassitude a fini par m’envahir... Je l'ai terminé mais ce fut rude.

La Part des cendres est remarquable dans le style mais finalement manque d'un fil rouge romanesque pour accrocher et embarquer irrémédiablement le lecteur. Voici un ouvrage qui divisera forcément ses lecteurs.

mercredi 17 août 2022

"Le Garçon en pyjama rayé" de John Boyle

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L’histoire : Vous ne trouverez pas ici le résumé de ce livre car il est important de le découvrir sans savoir de quoi il parle. On dira simplement qu'il s'agit de l'histoire du jeune Bruno que sa curiosité va mener à une rencontre de l'autre côté d'une étrange barrière. Une de ces barrières qui séparent les hommes et qui ne devraient pas exister.

La critique de Mr K : Attention chef d’œuvre ! J’avais beaucoup entendu parler du Garçon en pyjama rayé de John Boyle, par des collègues, des élèves même mais je n’avais jusqu’à présent jamais eu l’occasion de le lire. Le tort est désormais réparé et quelle expérience de lecture ! Véritable claque à tous les niveaux, je ne m’en remettrai pas de si tôt !

Bruno est un jeune garçon allemand qui vit dans une belle maison. Il est heureux, son monde de petit garçon l’enchante et malgré une sœur bien peste à ses yeux, tout va pour le mieux pour lui. Nous sommes dans les années 40 et la guerre en cours ne semble pas avoir vraiment d’emprise sur lui. Puis un jour, son père annonce à la famille qu’ils doivent déménager, le führer lui même lui a donné une nouvelle affectation, en Pologne dans un endroit nommé hoche-vite...

Là-bas, Bruno voit toutes ses habitudes chamboulées. Il ne voit plus ses amis, la maison ne lui plaît pas et il y a cette mystérieuse barrière derrière la maison qui donne sur un endroit glauque où vivent des personnes toutes habillées de pyjamas rayés et qui ont l’air bien triste. Lors d’une de ses sessions d’exploration, Bruno va faire la rencontre de Shmuel un garçon de son âge. Il vit de l’autre côté car il est différent. Une amitié nouvelle va naître, grandir jusqu’à ce que...

John Boyle propose vraiment une approche originale d’une thématique dure et forte : les camps de concentration et la Solution finale. Tout ici est vu et perçu par un gamin de moins de dix ans qui n’a pas vraiment idée de ce qui se passe. Sa candeur et sa naïveté sont confondantes dans l’horreur contextuelle que l’on devine entre les mots et les chapitres. Derrière la vie de famille rangée et un quotidien banal, il y a les non-dits, les inquiétudes et les incompréhensions des autres membres de la famille que l’on perçoit bien mieux que Bruno lui-même.

Ce roman nous parle de l’indicible sans étalage de monstruosité, de détails sordides. L’évocation est bien plus fine, à deviner entre les lignes et cela prend aux tripes littéralement. Le point de vue adopté, le style épuré et précis, la gestion très intelligente de la narration et de sa temporalité (il y a des flashback bien sentis par moment) emportent le lecteur, le captive et l’emprisonne. La fin surprend et tétanise à la fois même si finalement, vu toutes les pièces apportées à l’édifice depuis le début, elle est logique.

Un beau et grand moment de lecture. Entre l’effroyable et le sublime il n’y a qu’un pas. Ce roman est unique et essentiel. A lire absolument !

mardi 26 juillet 2022

"Du domaine des Murmures" de Carole Martinez

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L’histoire : En 1187, le jour de son mariage, devant la noce scandalisée, la jeune Esclarmonde refuse de dire "oui" : elle veut faire respecter son voeu de s'offrir à Dieu, contre la décision de son père, le châtelain régnant sur le domaine des Murmures. La jeune femme est emmurée dans une cellule attenante à la chapelle du château, avec pour seule ouverture sur le monde une fenestrelle pourvue de barreaux. Mais elle ne se doute pas de ce qui est entré avec elle dans sa tombe... Loin de gagner la solitude à laquelle elle aspirait, Esclarmonde se retrouve au carrefour des vivants et des morts. Depuis son réduit, elle soufflera sa volonté sur le fief de son père et ce souffle l'entraînera jusqu'en Terre sainte.

La critique de Mr K : En 2016, je découvrais Carole Martinez avec le fantastique Le Cœur cousu, un ouvrage qui m’avait marqué à la lecture et qui m’encourageait à poursuivre ma découverte de l’auteure. Mais voila, le temps a passé... Elle s’est rappelée à moi lors de la découverte Du domaine des Murmures dans une boîte à livres dans notre coin, un ouvrage qui m’avait en plus été fortement recommandé par la documentaliste de mon établissement. Une fois de plus, ce fut une expérience incroyable avec au bout un plaisir de lire absolu et des souvenirs plein la tête.

Esclarmonde, fille de noble, a 17 ans et va se marier. Comme il est de coutume à l’époque, on se marie par intérêt dans les hautes sphères de la société, il faut forger ou consolider des alliances, on court la dot et l’on réfrène ses sentiments. C’est mal connaître notre héroïne qui plante tout le monde le jour J et décide de se consacrer à Dieu et se fait emmurer à la chapelle du château ! À travers ses yeux, nous suivons sa situation mais aussi celle des familiers de la maisonnée quitte à faire des milliers de kilomètres grâce aux témoignages et messages que reçoit l’héroïne devenue Sainte par son choix et qui reçoit nombre de pèlerins. Mais être emmurée ne veut pas forcément dire qu’elle est totalement coupée du monde et elle n’est pas au bout de ses surprises et de ses épreuves...

Se déroulant au Moyen-Age, ma période préférée en Histoire, la reconstitution est parfaite. On est vraiment immergé dans ce monde bercé par la religion et les croyances païennes. On ne rigole pas avec la foi et les commandements en ce temps-là mais on est aussi très précautionneux envers les intersignes, ces manifestations naturelles (ou non ?) qui font partie du quotidien à une époque où la science n’existe quasiment pas. Il est donc souvent fait référence aux pêchés, aux vertus, à la foi qui transporte des montagnes, à des fantômes ou autres esprits qui peuvent venir troubler vos nuits... L’aspect spirituel de la destinée d’Esclarmonde est très bien construit et fait écho à son époque, lui donnant une grâce dans l’abnégation, une aura saisissante.

Le personnage d’Esclarmonde est passionnant. La jeune fille de 17 ans, par son choix, va opérer un virage à 180 degrés dans une existence qui était jusque là balisée. En rupture avec sa famille et le monde, elle va se réinventer, se muter en femme forte, en sainte dans sa prison de briques où il lui arrive bien des choses (aucun spoiler mais c’est dur) et le vent des rumeurs et des colporteurs lui permettent de témoigner de l’évolution du domaine mais aussi le devenir de personnages pourtant partis bien loin faire croisade pour récupérer la ville sainte de Jérusalem. Bien que non actrice des faits relatés, sa voix porte et apporte renseignements, une peinture fort réussie de ce Moyen-Age souvent fantasmé à outrance. Esclarmonde apparaît alors comme une figure féministe à sa manière, une résistante mais aussi une personne fragile au destin brisé.

Les émotions se multiplient donc dans le crâne du lecteur surtout que malgré sa réclusion, elle continue d’entretenir des relations avec certaines personnes qui viennent la visiter : son fiancé transi d’amour devenu poète émérite, les servantes de la famille qui lui restent fidèles, le chanoine du domaine ou encore les centaines de personnes qui viennent lui demander son aide. Mais il y a aussi les petites trahisons, les tensions sous-jacentes et des révélations qui peuvent changer la donne, l’ouvrage prend alors une direction plus dramatique qu’elle ne l’est déjà.

Comme pour Le Cœur cousu, cet ouvrage se lit d’une traite avec passion et addiction. La langue poétique à souhait, accessible, souple, évocatrice, procure un plaisir de lecture immédiat et durable. Le voyage est total, prenant et absolument grandiose. On arrive au mot fin avec délectation et une once de déception tant on aurait voulu que l’expérience perdure. Un grand roman pour une grande écrivaine. Vous savez ce qu’il vous reste à faire !

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dimanche 3 juillet 2022

"Après la rafle, une histoire vraie" d'Arnaud Delalande et Laurent Bidot

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L’histoire : Jo Weismann, un destin : l'un des derniers rescapés de la rafle du Vel' d'Hiv Le 16 juillet 1942, les autorités de Vichy procèdent à une rafle de familles juives parisiennes. Joseph et les siens sont conduits au Vélodrome d'Hiver, puis en wagons à bestiaux jusque dans le camp de transit de Beaune-la-Rolande. Transit... Vers où ? Un matin, on arrache à Jo ses parents et ses deux soeurs, qui sont déportés à Auschwitz. À Beaune-la-Rolande, une autre guerre a commencé : celle d'un enfant de 11 ans perdu dans un camp d'orphelins.

Joseph est jeune, mais il sent, comprend. Il monte un plan d'évasion avec un autre enfant : Joseph Kogan. Ensemble, ils se glissent sous 15 mètres de barbelés qu'ils "détricotent" à mains nues, durant 6 heures d'affilée. Une fois extirpés des barbelés, ils courront pour leur liberté, dans un monde devenu cauchemar. Ils se retrouveront des années après leur évasion, pour tenter de mettre du baume sur leurs souvenirs...

Depuis, Joseph Weismann, 90 ans aujourd'hui, participe à des conférences, des colloques, des débats, des films. Et il raconte. Sa guerre à lui ne s'est jamais vraiment achevée. Mais nous sommes tous les héritiers de sa douleur et de ses espérances.

La critique de Mr K : Très bel ouvrage qu’Après la rafle, une histoire vraie d’Arnaud Delalande et Laurent Bidot avec la collaboration précieuse de Joseph Weismann dont c’est l’histoire qui est racontée ici. Après un livre, un film que beaucoup d’entre vous ont du voir (La rafle de Rose Bosch), c’est en BD que son témoignage est adapté, l’idée étant d’élargir un peu plus le public qu’il veut toucher pour que plus personne n’accepte l’inacceptable comme il le répète inlassablement au cours de ses interventions.

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Le témoignage est terrible. Un jeune garçon se retrouve plongé au plein cœur du drame de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le 16 juillet 1942 les policiers français viennent chez lui pour l’arrêter lui et sa famille. Juifs donc ciblés par les restrictions, les tracasseries administratives puis des mesures plus sévères encore, la famille va se voir séparée puis détruite avec l’envoi dans les camps d’extermination des parents et des deux sœurs de Joseph (alias Jo). Ce dernier va réussir à s’évader en compagnie d’un ami du cap de Beaune-la-Rolande et commencé à essayer de se reconstruire une fois la guerre terminée...

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La première partie de la bande dessinée reprend exactement la même trame que le film. On s’immerge dans cette famille parisienne qui vit chichement mais heureuse d’être ensemble. Quelques planches suffisent pour se faire une idée de l’harmonie et l’amour qui règne dans leur foyer. Le choc est donc d’autant plus grand quand les forces de l’ordre viennent les chercher. Les Weismann avaient confiance en la France, s’étaient fait enregistrés comme juifs, avaient porté l’étoile jaune... pour au final être enlevés et assassinés. On rentre alors dans la phase de la répression, de la séparation aussi. Jo se retrouve vite seul et va devoir apprendre à se débrouiller.

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Désespéré mais pas sans volonté, il va trouver l’énergie pour s’en sortir. À commencer par le camp où il est enfermé avec d’autres enfants. Puis, ce sera le temps des placements en familles, avec des rencontres parfois rudes. La population française s’est révélée très divisée face au sort réservé aux juifs mais avec un mélange de chance, de culot et de hasards heureux, le petit Jo sortira vivant du conflit et va pouvoir continuer sa vie malgré tout. Cette partie de son existence est passionnante car méconnue par celui qui comme moi n’a vu que le film. Cela en dit long sur les errances administratives qu’ont subi un certain nombre d’apatrides, les réticences de la France à régulariser Jo montrent bien l’hypocrisie du système et sa propension à l’injustice. En filigrane du récit, on apprend au fil du déroulé que Jo et son ami se sont revus après la guerre, l’occasion pour eux de mettre du baume sur leurs blessures qui ne se refermeront jamais.

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En terme historique, c’est parfait. Rien à redire sur la contextualisation générale avec des planches consacrées notamment au départ à la politique menée par l’État français dirigé par le Maréchal Pétain qui éclairent sans alourdir le récit. Mais les auteurs par le biais de certaines cases rendent compte aussi des attitudes contradictoires des français face au sort des juifs. Certains ferment leur fenêtres, d’autres les donnent et parfois un gendarme peut laisser la porte de votre cellule ouverte pour que vous puissiez vous évader au petit matin... La reconstitution en terme de décors, vêtements, véhicules est bluffante, l’immersion totale.

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Face à un tel témoignage, on ne peut rester de marbre. Les émotions nous sautent à la gorge et l’on éprouve un panel très varié de sentiments, de l’amour à la colère, en passant par la peur et l’espoir. Remarquablement mis en mot, en image, voila un ouvrage à lire absolument, une pépite indispensable au Devoir de mémoire qu’il est bon de soutenir encore et encore face notamment aux pseudos intellectuels médiatiques qui monopolisent certaines chaînes et assènent sans honte des propos révisionnistes.

Gros gros coup de cœur donc que je vous invite à découvrir au plus vite si ce n’est déjà fait.

mercredi 15 juin 2022

"Sauve-toi Elie !" d'Elisabeth Brami et Bernard Jeunet

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L’histoire : En échange d’une enveloppe, Élie est confié par ses parents à monsieur et madame François. Là-bas, à la ferme, tout est différent. Personne ne l’embrasse le soir en le couchant, la couverture pique, et surtout, Élie doit retenir une drôle de leçon : "À partir de maintenant tu t’appelles Émile, et monsieur et madame François seront ton oncle et ta tante".

La critique de Mr K : Lecture express et intense que Sauve-toi Elie ! d’Elisabeth Brami et Bernard Jeunet, un livre illustré à mettre entre les mains de tous et qui conjugue textes et images poétiques au service du souvenir. Un ouvrage brillant.

Tout débute par le départ précipité de la maison, la famille prend le train pour la province, les parents annoncent à Elie qu’il faut le cacher à la campagne. Une fois arrivés à la ferme, après un échange bref et la remise d’une enveloppe, les parents repartent en laissant leur fils seul avec ces inconnus qui vont jouer les oncles et tantes de substitution. Il devient Emile, un jeune garçon comme les autres ou presque. Il doit nier son identité juive.

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Cet ouvrage court propose donc un récit à la première personne, le regard que porte un enfant sur l’Histoire, les événements qui égrainent cette période sombre. Les affres de la séparation avec le fol espoir d’un jour revoir ses parents le porte malgré son incompréhension face à cet état de fait. Les débuts sont difficiles avec cette famille d’accueil plutôt froide avec lui, un maître d’école dur et un manque d’amis qui se verra par la suite comblé avec une belle rencontre (éphémère malheureusement). Il est confronté à la méchanceté, l’antisémitisme de certaines personnes mais aussi parfois à des élans de solidarité. Les personnages qui gravitent autour de lui sont finalement une belle représentation de la France de l’époque partagée entre collabos, résistants et personnes qui ne prennent pas vraiment position.

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Les illustrations sont tout bonnement magnifiques avec la technique employée ici du papier sculpté. Ce côté artisanal rend bien compte de la teneur de l'ouvrage, un côté intimiste et poétique qui porte un message universel d’une profondeur touchante. L’adéquation est totale entre la forme et le fond, les pages se tournent toutes seules et même si on finit cette lecture le cœur gros, on a conscience d’avoir fait une expérience essentielle et porteuse de sens notamment pour les plus jeunes. À lire et à faire découvrir absolument.