"Les Longueurs" de Claire Castillon

L’histoire : Tu es fermée comme une outre, me dit maman. Toute floue, Lili. Et puis fuyante. Il se passe quelque chose, dis-moi. On t’a fait un sale coup ? Je peux t’aider ? Je te dépose au collège ?

Outre noire. Peinture. Soulages. Cours d’art plastique avec Mme Peynat en salle 2B. Concentre-toi, Lili. Trouve la solution. Il y a toujours une voie de réchappe. Les mamans savent, à peu près. D’instinct, elles devinent. À peu près. La mienne sait que dans sa fille quelque chose ne marche plus.

La critique de Mr K : C’est une lecture effroyable et nécessaire à la fois que je vais vous présenter aujourd’hui. De Claire Castillon, j’ai lu il y a déjà 9 ans le recueil de nouvelles Insecte qui m’avait cloué sur place par son approche au chalumeau des relations mère / fille dans une écriture concise, franche et directe. C’est une fois de plus la professeure documentaliste de mon bahut qui m’a proposé cette lecture et l’on peut dire que Les Longueurs fera date tant il m’a marqué. Cette plongée dans l’esprit d’une jeune fille sous l’emprise d’un pédophile va laisser des traces...

Alice a quinze ans, fille de divorcés, c’est une bonne élève adepte de l’escalade qu’elle pratique depuis jeune sous l’égide de Mondjo, un très bon et vieil ami de sa mère. Au premier abord, c’est une jeune fille comme les autres mais personne ne sait que depuis ses dix ans, elle est sous la coupe d’un pédophile qui dit l’aimer et la contrôle au nez et à la barbe de son entourage. Manipulation mentale, viols répétés, menaces et chantage affectif sont son quotidien et l’on suit le parcours d’Alice la boule au ventre tant l’immersion est crûe et sans fard.

L’auteure a choisi une double ligne narrative. Un chapitre sur deux, l’action se déroule peu après les quinze ans d’Alice quand sa vie va être sur le point de basculer, le fameux Mondjo devient le compagnon de sa mère, cela va bouleverser les lignes et provoquer bien des remous. En parallèle, Claire Castillon fait des bonds dans le temps et remonte la trame de cette relation terrifiante qui prend ses racines lorsqu’Alice a seulement 10 ans. Les deux lignes temporelles se répondent idéalement et permettent de bien appréhender l’ensemble du phénomène, ses logiques fonctionnelles et l’étendue de l’horreur.

Le sujet est d’une gravité extrême et Claire Castillon ne tombe jamais dans la dénonciation facile, les grosses ficelles et le voyeurisme dérangeant. Tout ici est empreint de finesse stylistique et psychologique, elle sculpte la situation de manière brillante et offre des personnages complexes dans leur construction, leurs réactions et leurs logiques même les plus maladives. C’est très dérangeant d’être mis en face de réalités que nous pouvons côtoyer sans le savoir (le personnage de la mère et son ignorance des faits est dramatique), la tension monte crescendo et certaines scènes sont vraiment à la limite du soutenable.

Les personnages sont donc des modèle de caractérisation, l’évolution de chacun est bouleversante (dans les deux sens), les rouages psychologiques en jeu finement décrits. C’est un roman mais c’est aussi un document édifiant sur le phénomène de l’emprise de criminels sur de jeunes pousses en devenir. L’ouvrage est donc aussi pédagogique tout en apportant une expérience de lecture réussie mais que l’on peut difficilement qualifier de plaisante vu le contenu abordé. La lecture est rapide, addictive et l’on sort sonné de cette expérience qu’il faut partager, discuter et faire connaître à un maximum de personnes autour de soi. Un must read !