"Perpendiculaire au Soleil" de Valentine Cuny-Le Callet

L’histoire : À 19 ans, Valentine Cuny-Le Callet entame une correspondance avec Renaldo McGirth, un condamné à mort américain. Au fil de leurs échanges, naît un projet de récit graphique d'une intense émotion.

Au travail au crayon et en gravure sur bois, se mêlent des images singulières, colorées, qui parlent de la beauté du monde, qui ont vu le jour dans des conditions extrêmes. Témoignage bouleversant sur une amitié naissante, ce récit se penche sur la brutalité du système carcéral, et la ténacité avec laquelle les condamnés reconstruisent leur vie, depuis une cellule de cinq mètres carrés.

La critique de Mr K : Superbe découverte que cette BD témoignage prêtée une fois de plus par l’ami Franck. Le plus délirant c’est que je connaissais l’auteure sans m’en douter quand il m’a livré sa cargaison / prescription. Dans le cadre de mon travail, j’ai lancé un projet avec mes 3ème Prépa-métier autour d’un atelier d’écriture en lien avec une œuvre d’art qu’ils devaient choisir. Au fil du déroulé, ils ont été amené à suivre une conférence de Blandine Le Callet autrice du Monde antique d’Harry Potter et en parallèle Valentine sa fille exposait à la médiathèque de la ville. J’ai pu discuter avec elle d’art, d’inspiration sans pour autant soupçonner qu’elle avait ce projet parallèle. Quelle révélation quand j’ai fait le lien avec ma lecture !

Membre et militante de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT), Valentine Cuny-Le Callet a donc entamé une correspondance avec un détenu américain condamné à la peine capitale, Renaldo McGirth. Dès les premiers échanges, quelque chose se passe entre eux, un lien se crée, une amitié fondée sur le respect mutuel et sur des goûts en commun dont la pratique du dessin sous différentes formes et une vision souvent sensible et poétique du monde. Ils se livrent assez librement et échangent énormément durant 3 ans et demi. Émerge alors l’idée d’écrire un récit à quatre mains qui est le présent ouvrage. Pour des raisons légales, Renaldo McGirth ne peut apposer son nom sur l’œuvre alors que de nombreux textes et documents sont de lui (certaines lettres citées ainsi qu’une trentaine d’images).

L’ouvrage est donc un récit de vies parallèles qui se racontent via des lettres et des dessins. Le crime de Renaldo n’est finalement que très peu abordé, ce n’est pas le sujet du livre. Quelques cases sont consacrées à son affaire tout en restant flou et on sait juste qu’il va être rejugé. Depuis 2016, en Floride, la cour suprême a décidé qu'une condamnation à mort promulguée par un jury sans unanimité était une violation de la Constitution. Cette décision étant rétroactive, les personnes condamnées à mort sans unanimité peuvent effectuer une demande de re-sentence et un nouveau jury décide de leur peine, soit la prison à vie, soit une nouvelle condamnation à mort. Renaldo est dans ce cas et il espère beaucoup de ce nouveau procès.

L’album nous plonge dans la réalité d’un détenu à la peine capitale aux USA. C’est terrible, étouffant. 5m² comme horizon, des conditions d’existence limitées au strict minimum, l’enfermement, la folie qui guette, l’administration qui bloque et ralentit toute forme de communication avec l’extérieur... tous les moyens semblent bons pour briser le prisonnier et l’aliéner. Et pourtant, Renaldo reste perpendiculaire au Soleil, c’est son expression pour dire qu’il est vivant, qu’il tient le coup, malgré tout, malgré les vents contraires, les tracasseries administratives et son isolement. Les lettres de Valentine et d’autres correspondants l’aide à tenir, à rester un être humain pensant. En parallèle, Valentine n’a que 19 ans lorsqu’elle débute ces échanges épistolaires, sa maturité et son investissement forcent l’admiration.

Et qu’est-ce que c’est beau ! Sombre, traité en noir et blanc, les techniques mises en œuvre ici sont multiples allant de croquis de prises de notes à de très belles planches uniques à la profondeur incroyable. On en prend vraiment plein les yeux et ce n’est pas gratuit, ça fait écho aux propos et illustre à merveille le message universel que porte Valentine sur une cause qui lui tient à cœur. En plus s’intercalent les propre dessins de Renaldo. Ce qui rajoute en émotion, en puissance car les deux auteurs semblent être nés pour se rencontrer et raconter une histoire à deux. Les vertus de l’échange, du dialogue, la force de la compréhension et de l’empathie nous explosent au visage et nous mènent vers des rivages insoupçonnés propulsant directement cette œuvre vers des sommets insoupçonnés. C’est assez bluffant dans son genre et totalement addictif.

Au delà des personnes, l’ouvrage interroge beaucoup aussi sur l’art et sa fonction (Xavier Dolan devrait lire cet ouvrage, ça lui donnerait peut-être envie de continuer au lieu de "lâcher le cinéma" comme il l’a annoncé récemment), sa nécessité, la fenêtre qu’il ouvre sur la nature de la vie et sur les êtres humains. L’œuvre est vraiment magistrale, elle dépasse ses thèmes et ouvre une réflexion bien plus large que son sujet. Cela augure d’une belle carrière pour cette jeune auteure pétrie de talent et au trait unique. Une sacrée claque !