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Le Capharnaüm Éclairé
6 avril 2020

"Le Riz" de Shahnon Ahmad

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L’histoire : Lahuma et sa femme Jeha sont paysans en Malaisie. Ils possèdent quelques arpents de terre et, pour subsister, n'ont qu'une ressource - la récolte de riz. C'est le riz qui ordonne leurs destins -, dicte ses exigences, impose jour après jour les mêmes obsessions. Et lorsque survient l'accident, lorsque Lahuma est blessé, c'est au tour de Jeha et de ses filles de descendre dans la rizière et d'affronter les sangsues, les crabes, les oiseaux, jusqu'à l'épuisement...
Pour raconter le prix d'une poignée de riz, Shahnon Ahmad - qui est né lui aussi en milieu rural - n'a eu sans doute qu'à observer et se remémorer. Son livre, en cela, est un précieux témoignage. Mais c'est d'abord un roman envoûtant, incantatoire, qui fait vibrer, sur un rythme de sourate, la force souveraine des grands cycles de la nature.

La critique de Mr K : Ce livre végétait depuis bien longtemps dans ma PAL et puis, sur un coup de tête, je me décidai à entamer la lecture, et j’ai bien fait ! Le Riz de Shahnon Ahmad est de ces ouvrages que l’on garde longtemps en mémoire, un récit en apparence simple qui vire à la parabole, présentant une histoire à la portée universelle où l’Homme et sa condition sont exposés de manière limpide et profonde. Suivez-moi dans cette découverte littéraire malaisienne au charme incroyable !

Ce court ouvrage de 250 pages nous raconte le quotidien d’une famille de paysans malais, le long d’un cycle de culture du riz. Avec moult détails et un rythme lent, calqué je trouve sur le style des griots ou encore des sourates du Coran, on suit les différentes étapes de cette culture très spécifique, exigeante et fragile. L’irruption du malheur n’est cependant jamais loin et plus que probable avec les risques liés aux parasites de toutes sortes (crabes, oiseaux) ou encore les intempéries qui peuvent réduire à néant en un instant les efforts consentis durant des semaines. Lahuma et les siens cependant résistent jusqu’au jour où un accident terrible va remettre tout en question, précipiter les événements et nécessiter une réorganisation totale de la cellule familiale. Le cycle doit continuer malgré tout, malgré les blessures, la souffrance, le mort et la folie car la Nature et le temps ne cessent d’exister alors que nous ne sommes que de passage.

Le Riz va au-delà de la chronique familiale, une description du travail de la terre par l’homme mais aussi de la terre sur l’homme. Ce cycle immuable, répétitif conditionne tout le rapport à l’autre, l’écoulement du temps et l’organisation des journées mais aussi les rapports de solidarité et hiérarchiques (au sein du village et même de la famille). On est bien souvent dans le domaine de la parabole, avec la culture du riz comme moteur de la condition humaine, l’épuisant et le relançant au gré des événements et des étapes de sa culture.

Les frontières sont floues dans cet ouvrage entre les catégories humaines, végétales, animales, tout est lié avec Allah comme grand ordonnateur de l’ensemble ainsi que des emprunts mystiques à certaines croyances et religions originelles. Chaque événement touchant les hommes a son pendant naturel, ils se répondent, se complètent et s’interpénètrent, donnant à lire un roman d’une grande mélancolie où finalement l’espoir est mince mais rentre dans un cycle encore et toujours naturel. Malgré ce fatum lourd qui s’impose peu à peu, la dislocation de l’équilibre fragile instauré par Lahuma et les siens, on est hypnotisé par cette écriture très simple, tirant parfois vers l’incantation et la répétition. Simplicité ne veut pas dire pour autant superficialité, bien au contraire, le contenu est ici profond et bouleversant, explorant les âmes et les chairs avec un luxe d’humanité et une empathie qui nourrit le lecteur dans ce qu’elle a de plus brute et donc de plus réelle. C’est le coeur serré que l’on quitte cette lecture qui donne le vrai prix d’une poignée de riz.

Très prenante, cette lecture prend à la gorge, on partage le quotidien monotone mais aussi toutes les émotions et sentiments ressentis par ces personnages si humains, ballottés par des éléments qui les dépassent. Tout y passe de l’amour à la folie, et c’est un condensé de vie humaine d’une rare justesse et sensibilité qui compose ce roman d’une grande force d’évocation tout au long des pages qui s’égrainent toutes seules. Une lecture à nulle autre pareille que je vous invite à découvrir !

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Commentaires
M
Merci pour la chronique. Personnellement ce type d'histoire, cette tranche de vie vécu par tant d’être sur cette terre me touche profondément.. Avez-vous lu "Les jours, les mois, les années" de Yan Lianke ?
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E
j'ai eu la chance d'aller voir de magnifiques rizières (au Vietnam) mais j'avoue que ce genre de lecture me laisse totalement de marbre
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