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Le Capharnaüm Éclairé
20 avril 2019

"Caïn" de José Saramago

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L'histoire : Victime de l'injustice de Dieu qui préfère les offrandes d'Abel aux siennes, Caïn, condamné à l’errance, part à l'aventure dans l'espace et le temps bibliques. Amant de l'insatiable Lilith, il est tantôt témoin tantôt protagoniste d'événements qui le révulsent et contre lesquels il s'insurge. Il arrête le bras d'Abraham, regarde épouvanté les enfants périr dans le brasier de Sodome, assiste impuissant à la colère de Moïse passant son propre peuple au fil de l'épée, observe les massacres de Jéricho, tente d'adoucir les souffrances de Job. Et lorsqu'il monte dans l'arche de Noé, il prend une décision drastique qui met fin aux agissements inconsidérés de ce Dieu rancunier, cruel et corrompu.

La critique de Mr K : Avec cette lecture, ce fut ma première incartade dans l'univers singulier de José Saramago qui a tout de même obtenu en son temps le Prix Nobel de littérature. C'est un pur hasard qui l'a mis sur ma route, lors d'une de nos habituelles errances chez l'abbé. Caïn a tout pour me plaire sur le papier : références religieuses et mystiques, ton décalé et une écriture foisonnante quand je me suis contenté au départ de le feuilleter au dessus du bac où il était isolé. Que j'ai bien fait de l'adopter ce jour là ! C'est un sacré roman que j'ai lu là, qui compile érudition, ton caustique et merveilleuse écriture.

Pendant 170 pages, l'auteur nous invite à un voyage littéraire peu commun, il a décidé ni plus ni moins de revisiter le Pentateuque, c'est à dire la première partie de l'Ancien Testament ! Pour cela, il suit le destin de Caïn, le fratricide originel qui tua son frère par jalousie. Très vite, le point de vue diverge du récit originel car s'il l'a tué c'est pour punir le seigneur qu'il considère comme corrompu, injuste et imparfait. Condamné à l'errance, s'ensuit une série de chapitres qui voient Caïn traverser l'espace et le temps, intervenant dans des chapitres essentiels du texte sacré le plus connu au monde : Sodome et Gomorrhe, Le Sacrifice d'Isaac par Abraham, la colère de Moïse lorsqu'il redescend du Sinaï ou encore l'épisode du Déluge.

À travers ces péripéties, Caïn et donc l'auteur interrogent et interpellent le lecteur sur la figure de Dieu. Cette vision iconoclaste est servie par le prisme du raisonnement logique et la colère que nourrit Caïn envers son Créateur. Elle met en lumière les défauts d'un Dieu soit disant tout puissant, décrit successivement comme colérique, rancunier, autocentré sur lui-même, irresponsable et finalement pas si doué que cela notamment pour anticiper les conséquences de ses actes - pour l'omniscience on repassera -. Pour autant, ce n'est pas entièrement un réquisitoire contre Dieu, c'est une très belle métaphore filée sur les difficultés de la condition humaine, sa propension à se tromper, à subir les affres de l'indécision et sa capacité à rebondir (même si la fin de l'ouvrage laisse peu de place à l'espoir pour l'humanité, vous comprendrez en le lisant). Vous l'avez compris, si vous êtes bigot ou très attaché aux traditions chrétiennes passez votre chemin, cet ouvrage pourrait vous agacer quelque peu (pas mal de scènes bien charnelles aussi... vous savez, toutes celles qui ont été retirées par les auteurs de la Bible).

Par contre si vous avez l'esprit ouvert (croyant ou non, peu importe), vous plongerez avec délice dans un récit enlevé qui fait la part belle à l'érudition. En grand amateur d'Histoire des religions, j'ai goûté aux références culturelles et sacrées que l'auteur évoque, à sa manière unique de jouer avec la matière qu'il use, transforme et explique dans de délicieuses digressions où l'on sent bien qu'il ne peut pas s'empêcher de donner son avis alors qu'on est censé suivre les pérégrinations de Caïn. Prenant régulièrement à témoin le lecteur, soulignant des faits avec une ironie féroce et un ton satirique détonant, cette balade offre un plaisir de lecture optimum si l'on est un tantinet aventureux.

En effet, la forme aussi est très particulière avec une écriture quasiment sans ponctuation, des noms propres sans majuscules et des dialogues parfois obscurs dans la manière d'être emmenés. Un temps d'adaptation est donc nécessaire (il ne m'a fallu pour ma part qu'une vingtaine de pages) mais au final, on se gondole énormément, on réétudie les mythes originels chrétiens et l'on se prend à se poser pas mal de questions métaphysiques. On en revient toujours aux raisons qui ont poussé l'Homme à créer Dieu ou l'inverse, pourquoi Dieu a-t-il crée l'homme à son image ? Pas de réponse précise dans ce roman mais un point de vue différent, sarcastique qui ne plaira pas à tout le monde. Il se rapproche en cela du génialissime L'Agneau de Christopher Moore, un très grand livre aussi sur la nature de la divinité, des hommes et de la religion.

Je n'en dirai pas beaucoup plus sinon que ce fut la découverte d'un merveilleux auteur dont je vais explorer davantage la bibliographie dans les mois et années à venir. Caïn de José Saramago est de ces livres qui vous marquent et vous enrichissent. Tous les amateurs de réflexion autour des mythes fondateurs peuvent se jeter dessus, dans son genre, il est imparable!

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Commentaires
V
oh oui, Saramago ! L'Aveuglement fut pour moi un incroyable coup de coeur/coup de poing, puis j'ai lu Les intermittences de la mort, un peu moins aimé mais apprécié tout de même. Quelle écriture!! quel talent! Je note ce titre avec plaisir.
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