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Le Capharnaüm Éclairé
24 août 2013

"A suspicious river" de Laura Kasischke

LK

L'histoire: Leila a vingt-quatre ans. Elle est réceptionniste au Swan Motel, à Suspicious River, une petite ville tranquille du Michigan. Et pour quelques dollars de plus, elle peut être comprise dans le prix de la chambre. Elle vend son corps sans passion, sans tristesse, sans avidité de l'argent non plus. Sainte martyre, Leila est au delà de son propre corps, plus sensible à la matière du monde qu'aux hommes. La clé de sa descente aux enfers gît dans l'enfance, et Leila sait, sans doute, qu'elle rejoue le destin tragique de sa mère, la parabole d'Eros et Thanatos au terme de laquelle, peut-être, elle découvrira qui elle est...

La critique de Mr K: Attention livre rude à ne pas mettre entre toutes les mains! Pur hasard du calendrier, en ce moment, je suis abonné au thème de la prostitution car avec Nelfe nous sommes allés voir Jeune et Jolie d'Ozon cette semaine (chronique à venir) et ma lecture du moment traitait justement du même thème. C'est mon premier contact avec cette auteur américaine et même si ce livre est bien particulier dans son genre, je pense que je retournerai vers elle tant son écriture s'est révélée immersive et poétique à la fois.

Ce livre tourne autour du personnage de Leïla, une jeune femme de 24 ans qui s'ennuie dans sa vie de couple (si on peut appeler son union avec Rick un mariage tant il a été contracté dans des circonstances particulières). Elle est réceptionniste au Swan Motel, établissement miteux comme l'Amérique en compte des milliers. Elle tapine régulièrement pour tromper la routine, changer son quotidien aliénant, elle se cherche au gré de ces passes improvisées. Pourtant, elle n'a pas vraiment besoin d'argent, elle n'est pas nymphomane et ne souffre d'aucun trouble psychique particulier. Complètement perdue, sans réel but dans la vie, elle survit et tente de découvrir sa vraie personnalité par le biais d'aventures sexuelles tarifées sans lendemain. Au gré de flashbacks aussi nombreux que révélateurs, nous allons découvrir en même temps qu'elle qui elle est vraiment, ce qu'elle a vécu. Ses activités extra-conjugales vont bien évidemment l'entraîner dans des relations malsaines pour arriver jusqu'à un point de non retour. La fin se révèle ouverte même si le doute est léger quant au devenir de Leïla.

Je vous le dis tout de go, le plus désarçonnant dans ce livre est le personnage de Leïla. Pendant les trois quart du livre, elle semble totalement absente de sa vie, elle vit les événements avec un détachement confondant, sans envie et sans dégoût. Cela donne une impression de malaise qui va grandissant et qui m'a déstabilisé au plus profond de moi. Comment peut-on subir autant d'atrocités et d'actes abjects sans réagir, sans envie de changer de vie, de progresser et d'essayer de s'en sortir. Il ne se passe pas grand chose dans ce roman mais l'héroïne s'enfonce de plus en plus. Comme si Leïla n'était mue que par la négation de soi, une forme de nihilisme total sans espoir de rédemption ou de bouleversement. Je dois avouer que je suis passé par tous les états avec elle et puis... peu à peu, la lumière se fait par petites touches sur son passé et l'on comprend son attitude et son détachement. On peut dire qu'elle a accumulé les expériences traumatisantes depuis l'enfance et en ressort une jeune adulte totalement déséquilibrée et parfois amorphe face à l'existence. Ce portrait de femme fragile est par moment irritant, dérangeant mais au final bouleversant de réalisme et de crudité.

L'écriture est vraiment particulière, très belle et aérienne, facile d'accès, la poésie ici se fait sombre et malsaine. On explore les tréfonds de l'âme humaine et la place est mince pour l'espoir et les plaisirs de la vie. Régulièrement, l'auteur fait référence à la fameuse rivière du titre qui coule tout près du motel. Elle file ainsi une métaphore sur l'existence, l'empirisme et les choix (ou non-choix) que l'on peut faire dans une vie humaine. La tonalité générale est inquiétante, angoissante parfois, on nage en eau trouble et l'on croise des personnages peu recommandables notamment des clients pervers du motel traités avec finesse par la plume de Laura Kasischke. Jamais vulgaire, ce livre propose des passages bien crûs que les âmes les plus sensibles risquent d'avoir du mal à digérer. Cependant rien n'est gratuit et les scènes érotiques et / ou violente servent le récit et le portrait.

Au final, malgré une ambiance délétère et une héroïne parfois agaçante, j'ai adoré ce livre que j'ai trouvé sans concession et d'une beauté mortifère. Quand c'est fait avec talent, les histoires déviantes ont un charme que les bluettes n'atteindront jamais. Un livre que je conseille très fortement au plus courageux(ses) d'entre vous tout en sachant qu'on ne ressort pas indemne de cette expérience!

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Commentaires
E
J'ai failli l'acheter plusieurs fois et ainsi découvrir l'auteur. Ton avis me pousse à le faire surtout ton com sur son style d'écriture.
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C
Attention, c'est de la SF "légère", un apo/post-apo sur une grippe hyper-meurtrière. Mais du très bon post-apo selon mes critères ^_^.
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C
Tiens, je viens justement de trouver ce livre en seconde main, j'ai le film qui attend la lecture avant d'être vu. <br /> <br /> J'adore Laura Kasischke, qui se renouvelle à chaque roman et tente des histoires vraiment différentes (en SF, je te conseille "En un monde parfait", le livre avec lequel je l'ai découverte et qui reste mon préféré d'elle jusqu'à présent). J'ai hâte de lire son nouveau roman qui vient tout juste de sortir...
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