"L'Elégance du hérisson" de Muriel Barbery
L'histoire : "Je m'appelle Renée, j'ai cinquante-quatre ans et je suis la concierge du 7 rue de Grenelle, un immeuble bourgeois.
Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth. Mais surtout, je suis si conforme à l'image que l'on se fait des concierges qu'il ne viendrait à l'idée de personne que je suis plus lettrée que tous ces riches suffisants.
Je m'appelle Paloma, j'ai douze ans, j'habite au 7 rue de Grenelle dans un appartement de riches.
Mais depuis très longtemps, je sais que la destination finale, c'est le bocal à poissons, la vacuité et l'ineptie de l'existence adulte. Comment est-ce que je le sais ? Il se trouve que je suis très intelligente. Exceptionnellement intelligente, même. C'est pour ça que j'ai pris ma décision : à la fin de cette année scolaire, le jour de mes treize ans, je me suiciderai. "
La critique Nelfesque : Quand j'ai commencé à lire "L'Elégance du hérisson", je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre. Je savais vaguement que l'histoire était centrée sur une concierge d'immeuble parisien plus instruite qu'elle ne le laissait entendre... J'ai donc plongé dans l'inconnu et quel beau plongeon m'attendait !
J'ai tour à tour fait la connaissance de Renée, concierge d'immeuble bourgeois qui souhaite "rester à sa place" de concierge sans éveiller les soupçons quant à son érudition, de Paloma, habitant l'immeuble, ayant une vision très éclairée sur le monde du haut de ses 12 ans et de Kakuro, japonais venant d'emménager dans l'immeuble, personnage frais et dépaysant. Autour de ces 3 personnages centraux gravitent d'autres personnages tout aussi intéressants : la famille de Paloma, les amis de sa soeur, des voisins bourgeois... Tout ce beau monde compose un microcosme fait d'apparence et de bonne éducation. Chacun a une place bien déterminée suivant son rang et il est de bon ton de rester dans ses cordes. Seulement voilà, les 3 personnages principaux ne sont pas faits pour être dans un moule : Renée est une esthète dans un costume de concierge, Paloma est une petite fille aux réflexions avisées d'adultes et Kakuro est un riche japonais aimant la simplicité et les gens vrais. Ils bousculent cette organisation et sont destinés à se rencontrer.
Toute la magie du livre se situe dans l'écriture de Muriel Barbery qui m'a transportée. Tour à tour on découvre les pensées de Renée et de Paloma sous forme de réflexions philosophiques ou de "pensées profondes" égrainées avec poésie et délicatesse. J'ai lu dans une critique de ce roman que lire ces pages étaient comme se faire chuchoter l'histoire au creux de l'oreille. Je partage complètement ce sentiment. En lisant "L'Elégance du hérisson" on se sent bien. L'écriture est magnifique, très littéraire mais sans être pompeuse, le vocabulaire est soutenu, les phrases sont bien construites, les personnages attachants... Certains ont qualifié ce roman de prétentieux, le personnage de Renée d'hautain. Je ne partage pas cette opinion. Certes Renée est plus cultivée qu'elle ne le laisse paraître et aime reprendre les gens intérieurement mais à aucun moment elle ne laisse percer une quelconque supériorité. Je peux comprendre que ce roman soit indigeste pour certains lecteurs car il laisse la part belle à la philosophie et nombre de pages sont des réflexions philosophiques sur la vie mais ce sont autant de moments de remises en question pour le lecteur et un pied de nez aux nombreux préjugés qui font légion dans notre monde actuel. Et c'est une enfant de 12 ans qui nous les met devant les yeux... Finalement, le plus pauvre n'est pas forcément celui que l'on croit.
Pour moi cette lecture fut un vrai régal. J'ai passé un très agréable moment et je ne trouve rien à jeter à ce roman de Muriel Barbery. La fin fut éprouvante tout d'abord parce que je n'avais pas envie de mettre un terme à cette lecture dans laquelle j'avais plaisir à me lover mais aussi pour le côté brutal du destin. J'ai refermé ce livre la larme à l'oeil avec 2 mots flottants dans l'air : beau et sensible.
La critique de Mr K : J'ai lu ce livre juste après Nelfe vu son air de haut contentement et ses imprécations pour me le refiler. C'est vrai que cet ouvrage se révèle être d'une profonde beauté ! Pour rien vous cacher, au départ, j'étais pas mal sur la défensive et le personnage de Renée m'a agacé : elle critique beaucoup les autres et s'emmure derrière ses livres, ça me paraissait un peu facile et déplacé. Heureusement, arrive le japonais ! Un voisin riche comme tous les autres propriétaires mais différent. Il perce à jour la concierge aigrie dès leur première entrevue et c'est le début d'une relation intense entre discussions d'amateurs d'art et jeu de la séduction. Mon coeur de midinette (et oui !) a bondi, le romanesque fait brusquement irruption et le livre décolle ! J'ai adoré !
Pour autant, rassurez vous, ce n'est pas un livre pour malade atteint de bovarisme aigu ou adepte de la collection Harlequin ; l'écriture est terrible, entre préciosité (les "leçons" de philo) et légereté (les passages plus narratifs - voir passage dans les gagadous de Kakuro -). Les personnages sont attachants : la concierge repliée sur elle-même qui s'ouvre peu à peu à des étrangers, Manuela sa seule amie femme de ménage portugaise haute en couleur, Kakuro le nouveau voisin japonais aussi esthète que sensible, Paloma jeune fille mal dans sa peau qui veut en finir et qui va au contact de Renée modifier sa vision des choses... Sans compter tous les autres bourgeois de l'immeuble qu'on aime détester tant ils sont égoïstes, bornés et stupides.
Une belle lecture qui apporte le thème de la culture et de l'apparence en évitant les écueils de la morale cucul ou du jugement hatif. Un p'tit bijou !