Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Disparue
- Sauver sa peau
- La maison d'à côté
- Tu ne m'échapperas pas
- Arrêtez-moi
- Les Morsures du passé
- Le saut de l'ange
- Derniers adieux
- À même la peau
- Retrouve-moi
- N'avoue jamais
"Paradox Hotel" de Rob Hart
L’histoire : 2072. Imaginez pouvoir vous extraire de la réalité, côtoyer Mozart, Cléopâtre ou des dinosaures du Jurassique pendant quelques heures. Grâce au Paradox Hotel, voyager dans le passé est possible. Mais, faute de rentabilité, le lieu est menacé. L’annonce d’enchères privées sème le trouble. Car beaucoup discernent dans ce rachat une menace bien plus grande : et si un milliardaire décidait de changer le cours de l’Histoire ?
Responsable de la sécurité de l’hôtel, January Cole sait que se balader dans le temps a un coût qui n’est pas que financier. À chaque passage, le cerveau se dégrade ; elle en a elle-même fait les frais. Et surtout, January est désormais capable de dériver vers l’avenir. Elle seule peut empêcher un crime de se produire...
Au Paradox Hotel, les dimensions temporelles s’entrechoquent pour le plaisir de touristes fortunés. Ici, le temps vaut beaucoup d’argent, et certains sont prêts à tout pour se l’approprier...
La critique de Mr K : Chronique placée sous le sceau de la SF aujourd’hui avec Paradox Hotel de Rob Hart, deuxième ouvrage d’un auteur qui a fait parler de lui avec MotherCloud son précédent roman que je n’ai pour l’instant pas lu. M’est avis que ça va changer vu la claque que j’ai reçue en lisant celui-ci. Accro dès le premier chapitre, j’ai lu l’ouvrage quasiment d’une traite avec un plaisir sans borne.
Dans un futur pas si lointain, on peut désormais organiser des voyages dans le temps, proposer des excursions touristiques d’un nouveau genre, totalement immersives et réservées à une élite très friquée. Le Paradox Hotel les accueille et les loge en amont et après l’expérience. Tout y est luxe, calme et confort, le service d’étage est impeccable et l’on vous entoure d’égards. Des bruits courent cependant que l’hôtel est hanté par des images, des spectres errants dans les couloirs. Les affaires marchent moins bien, l’État veut se dégager de l’entreprise et va bientôt la vendre au plus offrant. On attend dans quelques jours l’arrivée de quatre à cinq acheteurs potentiels, tous plus riches et puissants les uns que les autres et aux aspirations bien différentes.
January Cole, l’héroïne, est la responsable de la sécurité de l’hôtel. Auparavant, elle voyageait énormément dans le temps pour vérifier que les visiteurs n’agissent pas sur le passé, changeant par là même l’avenir. Mais ces voyages ont fini par altérer le cerveau et elle est "décollée" (sa conscience est capable de dériver dans le passé et l’avenir). Elle doit désormais, à cause de cette tare dégénérative, se cantonner à exercer au Paradox Hotel, sa maison et deuxième famille. Dur dur pour cette solitaire au caractère bien trempé et parfois très garce envers ses collègues, notamment le drone à l’IA très développée qui l’accompagne partout.
L’histoire débute avec un crime impossible qui fait penser à un mystère à la Conan Doyle. January est la seule à pouvoir voir un cadavre dans une chambre. En parallèle, la vente de l’hôtel approche, les voyages sont annulés pour de mystérieuses causes, on observe des chutes de tension électrique et le temps ne semble plus suivre son rythme naturel... L’héroïne va tenter de résoudre cette enquête malgré les nombreux obstacles qui vont se dresser devant sa route : son esprit qui déraille de plus en plus et ses visions qui se multiplient, son chagrin insurmontable d’avoir perdu la seule personne qu’elle ait vraiment aimé, l’incurie des puissants et son caractère bien pourri qui ne l’aide pas. L’intrigue est très créative et réserve nombre de surprises à January et au lecteur.
Personnellement, j’ai été totalement emporté par le récit qui se révèle être un parfait huis clos. Ici on ne voyage pas dans le temps, on essaie avant tout de résoudre un crime dans une écriture page turner. On est face à un véritable thriller d’anticipation avec son lot de rebondissements, de personnages bien tordus et des scènes d’action bien tendues (le lâché de dinosaures est un modèle du genre!). Le background SF rajoute une densité folle à l’histoire, donnant à voir des implications nombreuses et un sous-texte passionnant et bien engagé. À l’image de l’héroïne, le cynisme est de mise dans l’écriture avec quelques punchlines bien senties à l’endroit des milliardaires et autres personnages s’écoutant beaucoup parler, ne suivant que leurs intérêts au détriment des autres, à commencer par les employés de l’hôtel. C’est assez jubilatoire, mordant et ça flatte les causes qui me sont chères à commencer par ma détestation du capitalisme ultralibéral qui ici en prend un coup (il semblerait que la charge est encore plus importante dans MotherCloud qu’il faut décidément que je lise au plus vite).
J’ai beaucoup aimé January et son caractère difficile. Elle est relou, traite tout le monde n’importe comment mais on sent bien que cela cache une grande souffrance. On aborde avec elle des thèmes douloureux comme le deuil, la mémoire, la difficile reconstruction de soi après un événement traumatique. Les choses sont en plus rendues impossibles par ses défaillances corticales, la prise de plus en plus importante de médocs qui n’arrangent rien et une pression de plus en plus forte de ses supérieurs. La trajectoire de January ressemble à ces comètes en flammes qui traversent le ciel et semblent vouées à disparaître. Là encore, le récit nous réserve des surprises... Tous les personnages qui gravitent autour d’elle sont réussis, bien croqués et apportent leur pierre à l’édifice. L’intérêt est que malgré une apparence parfois caricaturale, ils se révéleront tous surprenants à un moment ou un autre. L’auteur ne nous prend vraiment pas pour des buses.
Que dire de plus ? Ce roman est un bijou, une expérience de lecture tripante qui ne sacrifie jamais le plaisir de lire en proposant une trame riche, une écriture subtile et rythmée, et un message politique puissant. Tout ici est parfait, enveloppant et totalement enthousiasmant. À lire au plus vite !
"Au premier regard" de Lisa Gardner
L’histoire : L'agent du FBI Kimberly Quincy, le commandant D. D. Warren et Flora Dane, les trois héroïnes de Lisa Gardner de nouveau réunies.
Macabre découverte dans un petite ville de Géorgie. Les restes d'un corps humain, puis bientôt un charnier, révélés au grand jour... Est-ce le testament de Jacob Ness, le tueur en série qui a défrayé la chronique pendant des années avant d'être abattu ? Ou l’œuvre d'un complice ?
Aux côtés de la courageuse Flora Dane, survivante de Jacob Ness devenue justicière, les enquêtrices vont unir leurs forces dans une affaire sans précédent, dont une jeune fille, témoin impuissante de l'horreur, détient la vérité. Mais comment la protéger ?
La critique de Mr K : Qui dit mois de janvier dit sortie d’un nouveau thriller de Lisa Gardner, une auteure que j’adore et qui ne me déçoit jamais dans le domaine du suspense bien dosé et du page-turner addictif. Au Premier regard ne déroge pas à cela, c’est un très bon cru avec les trois enquêtrices de choc de l’auteure qui pour l’occasion les réunit autour d’une enquête qui révélera les pires vicissitudes humaines.
Un couple de randonneurs tombe nez à nez avec des ossements humains dans un trou paumé, une localité touristique de Géorgie dans une vallée forestière. Très vite, on retrouve une partie du squelette et une enquête du FBI conduite par Kimberly Quincy est dépêchée sur place. Comme on y trouve certaines similitudes avec les meurtres commis par le terrible Jacob Ness (voir les volumes précédents), D.D. Warren est aussi de la partie ainsi que Flora ex-victime de Ness devenue chasseuse de prédateurs. L’enquête va très vite s’emballer avec la découverte d’autres corps datant de plusieurs décennies, des cadavres plus frais vont aussi venir s’accumuler avec un déchaînement de violence qui va réveiller les vieux démons de cette ville à priori sans histoire.
Une fois de plus, je me suis fait embarqué dès les premiers chapitres. Lisa Gardner a le don de décrire avec concision ses personnages et situations, de distiller un intérêt à chaque scène qu’elle écrit et de créer l’attente. Le roman débute sur un chapitre écrit en italique où une petite latino nous raconte le meurtre atroce de sa mère tuée par un mystérieux méchant comme elle l'appelle. Lors de l’exécution, la balle la touche à la tempe la rendant muette et infirme. Qui est-elle ? Quel rôle joue-t-elle dans la trame générale ? C’est le fil rouge de la première partie du roman qui, une fois coupé, va libérer le récit et le rendre encore plus débridé avec des événements qui vont se précipiter et laisser le lecteur KO.
S’entremêlent à cette ligne directrice des chapitres mettant en scène les trois autres grandes protagonistes citées plus haut et c’est un vrai plaisir de les retrouver. C’est comme une espèce de réunion de famille où l’on retrouve des personnes que l’on n’a pas vu depuis trop longtemps. On prend des nouvelles, on en apprend de belles sur l’évolution de chacune notamment leur vie familiale, les affres qui l’accompagne et pour Flora la toujours difficile reconstruction. Clairement, il y a quelques longueurs, des redites qui sont là essentiellement pour les lectrices et lecteurs qui prendraient le chemin en route mais rien de rédhibitoire pour le fan que je suis. Ces trois là sont vraiment charismatiques avec pour ma part une préférence pour D.D. au caractère tempétueux à souhait mais qui s’est assagie après sa maternité. L’aspect féministe est ici indéniable, sans en faire trop, des clins d’œil réguliers sont faits envers les souffrances et épreuves que peuvent endurer nombre de femmes. Certaines d’entre elles sont aussi d’ailleurs peu recommandables dans le roman, notamment une que je n’ai pas vu venir et qui s’avère être un véritable monstre.
L’enquête en elle-même est bien menée, Lisa Gardner aime nous amener sur des chemins inconnus. Les hypothèses varient beaucoup au fil de la lecture, certaines fausse pistes par contre n’ont pas fonctionné avec moi et j’ai deviné assez vite la nature réelle des terribles événements qui se déroulent là-bas. Cela n’enlève rien à l’accroche durable du roman, sa qualité de page-turner implacable, chaque chapitre conduisant à une dernière phrase qui provoque l’excitation (et il faut attendre deux / trois chapitres pour savoir ce qu’il en est). Le procédé est classique mais d’une efficacité redoutable. Bon, on a affaire à un Lisa Gardner et dans ce domaine, elle assure toujours. Le microcosme des lieux, la paranoïa ambiante qui s’installe, les personnage du crû tantôt rassurants tantôt inquiétants, les esprits qui s’échauffent, les morts inattendues, les punchlines de la mort qui tue... Franchement, on ne s’ennuie jamais, niveau thriller c’est du haut niveau et la machinerie est bien huilée.
Ce fut donc un grand plaisir de lecture une fois de plus, le genre de roman qu'on ne relâche qu'à sa toute fin, le sourire aux lèvres. C’est efficace, très plaisant à lire et on en redemande. Vivement janvier 2024 !
"Les Promises" de Jean-Christophe Grangé
L'histoire : Les Promises, ce sont ces grandes Dames du Reich, belles et insouciantes, qui se retrouvent chaque après-midi à l'hôtel Adlon de Berlin, pour bavarder et boire du Champagne, alors que l'Europe, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, est au bord d'imploser. Ce sont aussi les victimes d'un tueur mystérieux, qui les surprend sur les rives de la Sprée ou près des lacs, les soumettant à d'horribles mutilations...
Dans un Berlin incandescent, frémissant comme le cratère d'un volcan, trois êtres singuliers vont s'atteler à l'enquête. Simon Kraus, psychanalyste surdoué, gigolo sur les bords, toujours prêt à faire chanter ses patientes. Franz Beewen, colosse de la Gestapo, brutal et sans pitié, parti en guerre contre le monde. Mina von Hassel, riche héritière et psychiatre dévouée, s'efforçant de sauver les oubliés du Reich.
Ces enquêteurs que tout oppose vont suivre les traces du Monstre et découvrir une vérité stupéfiante. Le Mal n'est pas toujours là où on l'attend.
La critique Nelfesque : Grangé est un auteur que j'aime beaucoup. Je ne peux pas m'empêcher de sauter sur ses romans dès leurs sorties (je n'essaye même pas à vrai dire). Il y a du bon, du très bon, du très très bon et puis parfois des flops tellement gros qu'ils donnent envie de les mettre au feu. Avec "Les Promises", on renoue avec le talent du maître du thriller français. Rythme, rebondissement et maîtrise de l'histoire de bout en bout. Voilà un grand Grangé autant par la personnalité de ses personnages principaux, salauds enquêteurs, que par son travail de recherche ! Haletant !
La grande force de cet auteur réside dans le suspens qu'il maîtrise diablement bien et ses fins de chapitres qui nous donnent sans cesse envie de poursuivre notre lecture. C'est le genre de bouquin où l'on se dit "allez, encore un chapitre et j'éteins" et où on se retrouve à 3h du mat' les yeux grands ouverts et dépités devant le peu d'heures de sommeil qu'il nous reste avant que le réveil ne sonne... "Les Promises" est fait de ce bois là, celui des page-turner efficaces, prenants et addictifs. D'autant plus que pour écrire ce présent roman, Grangé a abattu un travail phénoménal de recherches sur la seconde guerre mondiale et le IIIème Reich. Plus de 650 pages, c'est une sacré brique qui s'avale en un temps record !
L'histoire se déroule avant la guerre. Le régime nazi se met en place, s'ancre auprès de la population allemande. La terreur est déjà un ingrédient majeur de sa force qui ne cesse de monter en puissance et de sa folie qui s'affichera à la face du monde quelques années plus tard. C'est une immersion dans le Berlin de cette époque que nous propose l'auteur, cotoyant les berlinois, les bourgeois, les membres de la Gestapo, les familles de soldats mais aussi les oubliés, les pauvres, les fous bientôt exterminés... Les descriptions sont nombreuses, on prend vraiment le temps de comprendre le fonctionnement, on s'installe dans une ambiance et on admire le talent de Grangé pour étendre sa toile et nous y piéger.
Le danger est palpable à chaque page. L'auteur joue avec nos nerfs grâce à des personnages que l'on peut détester viscéralement tout en louant leur travail d'enquête. Il n'y a pas ici véritablement de "gentils" qui aident et de "méchants" à abattre, contexte mis à part, chacun faisant avancer l'enquête avec ses propres techiques. Cela installe un certain malaise, ce n'est pas non plus sans passages gores mais c'est tellement bien vu qu'on ne peut que se lever et applaudir ! De mémoire, je n'ai jamais ressenti autant d'ambivalence à l'égard de personnages de roman ces 10 dernières années. Le contexte historique y est sans doute pour beaucoup. Les 3 personnages principaux de ce roman sont tous différents, avec des métiers, des valeurs, des façons de vivre diamétralement opposés. Le lecteur apprend à les connaître petit à petit et à aller au delà des apparences. C'est un des points forts ici. Simon Krauss est psychanaliste, spécialisé dans le suivi (plus ou moins rapproché) de Dames du Reich. Mina von Hassel est psychiatre dans un hôpital en décrépitude. Franz Beewen est à la Gestapo et enquête directement sur les disparitions. Vous entrevoyez un peu le topo quand je parlais d'ambivalence ? Rien n'est tout noir ou tout blanc, Grangé joue sur les nuances et l'empathie pour ses personnages, quel qu'ils soient et quoi qu'ils fassent. Chacun d'eux nous émeut autant qu'il nous révulse.
Quant à la fin, elle est magistrale. Autant je déplore parfois des fins de romans trop rapides chez cet auteur, autant là on en a pour son argent. De bout en bout, "Les Promises" est un grand Grangé ! A lire si vous êtes fan du mec mais aussi si vous aimez les romans historiques. Vous m'en direz des nouvelles !
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- "La Dernière chasse"
- "La Terre des morts"
- "Congo Requiem"
- "Lontano"
- "Kaïken"
- "Le Passager"
- "La Forêt des Mânes"
- "Le Serment des limbes"
- "Miserere"
"Traversée de l'été" de Jeong You-Jeong
L’histoire : Gwangju, 1980. Le dictateur qui dirige la Corée envoie l'armée écraser un soulèvement estudiantin pacifique. La répression est terrible, des milliers de jeunes sont tués, des milliers d'autres doivent se cacher ou fuir le pays.
C'est le cas de Juhwan, qui doit partir à l'étranger pour sauver sa vie. Mais comment lui faire parvenir de faux papiers et de l'argent alors que la famille est sous surveillance ? C'est son cadet, âgé de quinze ans, qui s'en chargera. Lui n'attirera pas l'attention de la police. Seulement, la veille du départ, il se blesse et ne peut partir.
C'est son meilleur copain, Junho qu'il charge de sa mission. Au moment de partir, dissimulé dans un camion, il verra le rejoindre : un copain, rejeton de richissimes industriels, en rupture familiale, une copine collégienne, surdouée mais maltraitée par son père, un vieux pêcheur évadé d'un hôpital psychiatrique et un chien, Roosevelt.
Ensemble ils vont traverser la Corée, accomplissant ainsi aussi un périple initiatique qui les verra tous se transformer au fil des embûches et des rencontres.
La critique de Mr K : Retour au pays du matin calme avec cet ouvrage estampillé young adult qui m’a fait forte impression. Traversée de l’été de Jeong You-Jeong est un roman particulièrement prenant où l’on suit un groupe de personnages dans une quête éperdue de soi et que nous apprenons à connaître au fil de leurs péripéties. Un démarrage tranquille pour bien caractériser les protagonistes puis s’enchaînent les événements et les révélations pour le plus grand bonheur du lecteur.
Junho, jeune adolescent coréen, se voit confier une mission périlleuse par son meilleur ami récemment accidenté et cloué à l’hôpital. Il va devoir traverser tout le pays pour remettre de l’argent et des papiers à Juhwan (le frère de son ami), un leader de la révolte estudiantine en cavale qui doit fuir le pays. C’est en pleine nuit qu’il se glisse dans un camion de transport de bière locale pour débuter son périple. Bien malgré lui, il se retrouve flanqué de quatre compagnons de voyage. La cohabitation s’avère difficile, parfois très tendue. Le temps passant, traversant les épreuves, se heurtant souvent, ils vont apprendre à mieux se connaître, chacun cachant un secret, un passé parfois douloureux.
La trame en elle-même est plutôt classique. Un objectif difficile à atteindre, de nombreux rebondissements qui freinent la progression voire la remettent en question, des rencontres incongrues qui vont s’avérer porteuses de sens et d’assistance... On navigue sur un récit balisé en terme de progression de l’intrigue. On se laisse bercer par le rythme et l’on se plaît à traverser la Corée en temps de dictature, plus vraie que nature à travers des moments de vie croqués parfaitement et des descriptions évocatrices à souhait. La nature indomptée, les éléments qui se déchaînent (l’orage de départ puis un typhon dévastateur en fin d'ouvrage), les villes de campagnes et leurs activités traditionnelles. Autant de scènes immersives dans une époque tendue et un pays si dépaysant pour nous occidentaux.
L’intérêt majeur du roman réside dans ses protagonistes. Ils sont tous très attachants même si leurs réactions peuvent parfois nous étonner voire nous choquer au départ. On ne sait pas grand-chose d’eux au départ : un vieil éleveur de chiens mal luné, une adolescente en fuite à fort caractère (ma préférée), un ado imposant aux motivations obscures, un chien (au sens propre) fou à l’attitude ambiguë et un héros fidèle à son ami et assez introverti. La mayonnaise est loin de prendre, les débuts sont chaotiques, rythmés d’engueulades et d’empoignades. Puis, peu à peu les armures se fendent. Chacun a ses blessures intimes, ses questionnements intérieurs. Ils ne peuvent pas se comprendre car ils ne se connaissent pas d’où des quiproquos et des réactions épidermiques qui mettent en péril l’équilibre de leur groupe. Mais la suite va les rapprocher, leur enseigner à chacun des choses sur eux et améliorera grandement les choses. Le roman se pare d’un aspect initiatique fin et brillant à la fois, l’auteur excellant pour avancer masquée tout en distillant de-ci de-là des détails qui prennent toute leur importance par la suite. Nos hypothèses de lecture sont mises à mal, notre opinion sur les personnages évolue beaucoup et la fin nous cueille littéralement. Loin d’être un happy end, elle se révèle réaliste et ancrée dans une logique implacable.
Une très belle lecture donc, qui ne prend pas ses lecteurs pour des buses et offre de multiples émotions contradictoires doublées d’un addiction féroce à ces pages qui se tournent toutes seules. Foncez !
"Le Styx coule à l'envers" de Dan Simmons
L’histoire : Une virée dans un Vietnam reconstitué, vaste parc d'attractions où de riches touristes jouent et rejouent à la guerre.
L'Enfer tel que l'a imaginé Dante débarque sur Terre, mais uniquement pour les télévangélistes et leurs ouailles.
Grâce aux Résurrectionnistes, la Mort est enfin vaincue : leur technologie de pointe ramène à la vie vos chers disparus... jusqu'à un certain point.
Le cancer vous fait peur ? Attendez de savoir à qui profitent les métastases pour avoir vraiment peur...
La critique de Mr K : Ça faisait un bail que je n’avais pas lu Dan Simmons (décembre 2017, la honte !), un auteur que j’apprécie tout particulièrement. C’est à l’occasion du défi Instagram Mai en nouvelles que j’exhumai le présent volume de ma PAL gargantuesque. Avec Le Styx coule à l’envers, j’explorai une nouvelle facette du maître : l’art de la nouvelle, un genre que j’aime beaucoup. Quand on connaît la propension de Dan Simmons à livrer de gros pavés, je me demandais bien ce que ça allait donner. Loin d’être une déception, ce recueil s’est révélé très plaisant.
Douze nouvelles, douze voyages bien barrés qui oscillent entre fantastique et science-fiction, douze pièces précédées d’une courte introduction de Dan Simmons pour présenter la genèse du texte, raconter une anecdote ou livrer une pensée ou un coup de gueule. J’ai aimé ce principe qui permet de recontextualiser l’histoire à venir et livre des éléments intéressants sur le procédé d’écriture et parfois sur la personnalité de cet écrivain décidément hors norme.
Les sujets traités sont très variés. Une société où l’on peut faire revenir les morts (la nouvelle éponyme) avec une mère de famille qui revient mais qui n’est pas tout à fait la même. On suit ce retour via la voix de son jeune fils partagé entre joie, incompréhension et peur sur fond de dilemme moral et de questionnement éthique sur la recherche scientifique. La nouvelle est assez effroyable et m’a cueilli d’entrée. Dans Vanni Fucci est bien vivant et il vit en Enfer, un esprit revient des enfers mettre le souk sur le plateau d’une télévision évangélique. C’est dark et jouissif à la fois, on sent bien que Simmons a ces moralisateurs dans le nez. On enchaîne ensuite avec Passeport pour Vietnamland où des touristes peuvent s’immerger et même participer à la guerre du Vietnam. Très vite les frontières entre virtuel et réel se brouillent. Cette nouvelle dérangeante et âpre fait partie des meilleures du lot avec une tension de plus en plus palpable et un lecteur totalement conquis.
Deux minutes et quarante cinq secondes voit des hommes discuter dans un train des montagnes russes d’un projet top secret. Pour le coup, il s'agit à mes yeux de la nouvelle la plus faible de cet opuscule, j’ai été très vite perdu et je n’ai pas saisi la portée du texte. Heureusement, suit la terrible nouvelle Métastases où un fils nous raconte l’agonie et la mort de sa mère des suites d’un cancer. Il commence à avoir des visions d’étranges créatures qui rodent autour des malades. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? On nage ici en plein fantastique mâtiné d’une réflexion très profonde sur le deuil et la manière de le surmonter. Un grand crû ! Dans Douce nuit, sainte nuit, l’auteur nous sert un récit de noël post-apocalyptique bien saisissant avec la venue d’un prédicateur dans une communauté éloignée de tout. Le monstre n’est pas forcément celui auquel on pense, la fin est renversante, j’ai adoré.
Dans Mémoires privées de la pandémie des stigmates de Hoffer, Dan Simmons nous fait lire la lettre d’un père à son fils alors qu’une terrible épidémie a défiguré l’humanité selon les pêchés de chacun. L’amateur de David Cronenberg que je suis a été comblé avec un luxe de détails peu ragoûtants et une réflexion intéressante sur le Bien et le Mal. Là encore la fin renverse tout et laisse le lecteur pantois. Les fosses d’Iverson m’a beaucoup moins plu, ce voyage dans des souvenirs de la guerre de sécession m’est apparu brouillon dans sa construction et sans réel intérêt en terme de trame. Un coup dans l’eau pour le coup. Le conseiller lorgne lui dans le thriller hardboiled où un conseiller d’éducation se révèle être un ange exterminateur qui règle les problèmes familiaux de ses élèves avec la manière forte. Jouissif et un pur shoot d’adrénaline, Simmons excelle dans l'exercice. Dans La photo de classe, une professeur passionnée par son métier continue à faire classe malgré un apocalypse zombie. Dur dur d’enseigner à des créatures non mortes mais elle a de la suite dans les idées. Ma nouvelle préférée et un texte d’intro où je me suis pleinement retrouvé dans la définition que donne Simmons du métier, l’auteur lui-même rappelons-le a été enseignant dans sa jeunesse. Le récit alterne moments branques et pensées intimistes très touchantes, on passe par toutes les émotions.
Dans Mes copsa mica, un homme part sur les trace des Dracula dans les pays de l’est et c’est le prétexte pour livrer des réflexions sur la mort, la pollution, l’humanité et la planète. Un récit précurseur dans son genre bien que peu digeste. Pas complètement réussi mais pas complètement raté non plus... Enfin, À la recherche de Kelly Dahl clôture le recueil avec une histoire de quête très poétique et remplie d’émotion. Différente des autres textes, elle offre un récit touchant et enivrant à la fois.
Malgré deux faux pas, on passe donc un très agréable moment en compagnie de Dan Simmons qui maîtrise parfaitement le genre et offre des textes surprenants et prenants à la fois. L’écriture est toujours aussi subtile et se fait ici maligne avec des chutes que bien souvent on ne voit pas venir. Personnages ciselés, contextes et background parfois incroyables, on se laisse porter avec plaisir et l’on ressort heureux de cette lecture pas tout à fait comme les autres. Avis aux amateurs !
Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Ilium
- Olympos
- Terreur
- L'Homme nu
- Les Chiens de l'hiver
- L'épée de Darwin
- Revanche
"Le vertige de la peur" de Linwood Barclay
L’histoire : En chute libre.
Lundi, 8 heures. Plusieurs employés de Cromwell Entertainment empruntent un ascenseur pour rejoindre leurs bureaux situés aux 33e et 37e étages d'un gratte-ciel new-yorkais. Curieusement, la cabine ne s'arrête pas et poursuit sa montée. Avant de lâcher.
Un accident mécanique, tragique et banal. Mais le lendemain, un drame similaire se produit dans un autre building du quartier. Puis un autre le mercredi. La panique s'installe dans Big Apple. Qui peut bien menacer la ville la plus verticale du monde ?
Alors que la population n'ose plus sortir de chez elle, que les services de maintenance sont saturés, que la Bourse dégringole, deux flics désabusés et une journaliste tenace vont s'engager dans une course contre la montre pour résoudre ces affaires avant l'inauguration de la plus grande tour résidentielle de Manhattan, prévue pour la fin de la semaine...
La critique de Mr K : Chronique d’un thriller bien sympathique aujourd’hui avec le dernier né de Linwood Barclay, un auteur que j’aime fréquenter et qui s’avère toujours efficace dans son genre. Dans Le vertige de la peur, on se retrouve plongé dans une ville de New York totalement sous tension pour 500 pages de pur plaisir régressif où différentes trajectoires vont finir par se rejoindre et livrer des vérités pas si bonnes que cela à dire. OK c’est classique mais qu’est-ce que c’est bon !
La ville qui ne dort jamais a une bonne raison de plus de le faire... Un cinglé semble aimer que des ascenseurs tombent en chute libre avec des êtres humains à l’intérieur. Une fois, ça arrive. Deux fois, c’est une coïncidence tragique. Trois fois, le doute n’est plus permis, quelqu’un est caché derrière ces actes horribles et la panique va grandissante dans les médias et la population. Surtout qu’on signale aussi des explosions suspectes de taxis, qu’on a retrouvé un cadavre d’ascensoriste atrocement mutilé et que le maire de la ville semble totalement à la ramasse... Deux flics quelque peu désabusés et une journaliste d’investigation ne seront pas de trop pour mener une enquête par définition compliquée. Il y a plus de 50 000 ascenseurs à New York et le responsable des attentats semble très doué pour effacer ses traces...
On est clairement dans un chemin balisé avec cet ouvrage. Les surprises scénaristiques sont savamment dosées, la technique de narration éprouvée. La lecture est donc confortable et même si en soi, Linwood Barclay ne révolutionne pas le genre, il l’entretient à merveille et donne à lire une histoire addictive qui ne laisse aucune chance au lecteur de s’échapper. Le croisement des points de vue distille à merveille les révélations liées à des personnages torturés par leur passé et une psyché parfois borderline. Ainsi, j’ai beaucoup aimé le personnage du flic sous ventoline, aux idéaux intacts mais à la foi vacillante envers sa fonction, sa collègue qui doit conjuguer vie perso et enquête retorse, la journaliste quant à elle doit de front mener son métier et gérer la crise qui couve depuis si longtemps avec la fille qu’elle a abandonné à la naissance pour privilégier sa carrière. On s’attache beaucoup à eux, ils ont du corps, une âme bien remplie et l’on tremble bien souvent pour eux.
L’auteur suit aussi de près le maire de New York qui offre une personnalité bien plus complexe qu’elle n'y paraît au départ. Il y a le responsable sûr de lui (enfin pas pour longtemps...), l’animal politique expert en rouages communicationnels et électoraux et l’homme qui se cache derrière le costume bien taillé qui va révéler fêlures et souvenirs du passé qu’il aurait bien voulu effacer. Ses conseillers ne sont pas en reste notamment son fils qui vit dans son ombre et qui ne souhaite qu’une chose : se faire aimer et respecter. Et toujours en arrière plan, cette menace insidieuse, cette sécurité perdue et l’idée que tout peut arriver à n’importe quel moment... L’acte final sera sans équivoque, terrible et logique à la fois, n’épargnant personne et laissant le lecteur sur son séant.
L’intrigue est bien ficelée, l’enquête tortueuse et les éléments apportés à priori sans liens les uns avec les autres. Lu et relu certes mais diablement efficace surtout que l’écrivain s’y entend pour alterner phases descriptives édifiantes sur le comportement des masses et confrontations parfois rudes entre les protagonistes. On finit le livre sans s’en rendre compte, bercé par une langue percutante, maligne et franchement saisissante par moment (les scènes dans les ascenseurs justement sont bien flippantes).
Les amateurs de thrillers et de page-turners peuvent foncer, ils ne seront pas déçus. On passe un bon moment et on en redemanderait presque !
Déjà lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Cette nuit-là
- Crains le pire
- Les Voisins d'à côté
- Du bruit dans la nuit
"N'avoue jamais" de Lisa Gardner
L’histoire : Un homme est abattu de trois coups de feu à son domicile. Lorsque la police arrive sur place, elle trouve sa femme, Evie, enceinte de cinq mois, l'arme à la main.
Celle-ci n'est pas une inconnue pour l'enquêtrice D.D. Warren. Accusée d'avoir tué son propre père d'un coup de fusil alors qu'elle était âgée de seize ans, elle a finalement été innocentée, la justice ayant conclu à un accident.
Simple coïncidence ? Evie est-elle coupable ou victime de son passé ?
La critique de Mr K : C’est toujours avec grand plaisir que je retrouve Lisa Gardner pour un nouvelle lecture entre policier et thriller. La dame est douée et me fait penser à Mary Higgins Clark que j’ai adoré lire dans mes jeunes années. N’avoue jamais est donc le dernier né de cette auteure diabolique qui une fois de plus fait montre d’un grand talent pour nous mener par le bout du nez et provoquer chez nous une addiction durable et délectable.
Comme vous avez pu le lire dans le résumé au dessus, Evie a tout de la coupable idéale. Un passé douloureux, l’arme du crime à la main, tout indique qu’elle a supprimé son mari alors qu’elle est enceinte de cinq bons mois ! L’action démarre de suite et il n’y aura aucun temps mort jusqu’à l’ultime chapitre, dans un récit haletant fournissant comme d’habitude avec l’auteure son lot de fausses pistes, de révélations et de contre-vérités dont un certain nombre qu’on ne voit pas du tout venir.
Au cœur de l’intrigue trois femmes dont on suit le regard au fil des chapitres qui s’égrainent. Il y a Evie tout d’abord, coupable désignée mais aussi victime d’un passé qui ne cesse de la hanter entre culpabilité, incompréhension et une mère pour le moins envahissante. Professeur de math engagée dans le public, la chance qui semblait lui sourire s’écroule du jour au lendemain. Par le jeu des flashback, des rencontres et échanges qu’elle peut avoir, on va lever le voile sur sa nature profonde mais aussi sur certaines vérités bien dérangeantes.
On retrouve aussi D.D. Warren, une enquêtrice grande gueule, très perspicace et aux punchlines qui détonent. Récemment maman, cette folle de boulot a un rôle légèrement plus en recul dans cet ouvrage même si ses investigations vont se révéler très importantes pour résoudre le mystère. C’est surtout Flora qui prend beaucoup d’importance, ce personnage d’indicateur de D.D., ex victime d’un violeur en série, qui mène sa vie comme elle peut. Nous l’avions déjà croisé à deux occasions dans les ouvrages précédents, ici on plonge encore davantage dans sa psyché torturée. Des choses restent à régler sur la personnalité de son ravisseur, la reconstruction de la jeune femme et peut-être la quête de la rédemption. Flora est plus qu’attachante, c’est un porte étendard, une figure de la femme blessée, bafouée qui tente de s’en sortir malgré les obstacles. Fin et juste, son personnage hante ces pages et clairement porte le roman à lui tout seul.
Les seconds couteaux ne sont pas mal non plus entre les collègues policiers qu’on aime recroiser, la mère d’Evie qu’on adore détester mais qui dévoilera pas mal de nuances, l’avocat de la famille très paternel, un amateur de fait divers charmant et mystérieux... On se plaît très vite à échafauder toutes sortes d’hypothèses, on est dans un vrai Who’s done it qui se révèle bien tortueux et les orientations prises par notre esprit sont très souvent fausses. Et pourtant ! Je pratique Lisa Gardner depuis un certain temps mais elle est décidément une spécialiste du suspens et de la surprise.
L’ouvrage se lit donc très vite et très bien avec un intérêt constant, le récit et les révélations sont dosés avec finesse, les personnages sont charismatiques et notre curiosité est piquée du début à la fin avec une trame complexe qui se tient de bout en bout. Un bon crû une fois de plus, les amateurs ne doivent pas passer à côté.
Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Disparue
- Sauver sa peau
- La maison d'à côté
- Tu ne m'échapperas pas
- Arrêtez-moi
- Les Morsures du passé
- Le saut de l'ange
- Derniers adieux
- À même la peau
- Retrouve-moi
"Le Second sommeil" de Robert Harris
L’histoire : 1468.
Le père Christopher Fairfax est envoyé dans un village isolé du bout de l’Angleterre pour célébrer les funérailles d’un prêtre décédé brutalement.
D’abord saisi par l’accueil glacial des habitants, Fairfax est bientôt effrayé lorsqu’il découvre dans la chambre du défunt toute une collection de livres et d’artéfacts anciens, témoins d’un temps préapocalyptique. Des objets qui auraient dû conduire l’homme de Dieu au bûcher.
N’y a-t-il pire péché que celui de la connaissance ? Alors qu’il enquête sur ce prêtre hérétique, Fairfax va s’approcher trop près d’une vérité tenue secrète depuis des siècles – le destin d’un monde englouti par le temps, une civilisation disparue que certains cherchent à raviver pour sortir du noir profond de la nuit...
La critique de Mr K : Aujourd’hui, petite plongée dans le thriller historique avec un maître du genre. De Robert Harris, j’avais déjà lu et adoré Fatherland et Enigma, deux romans audacieux et passionnants pour l’amateur d’Histoire que je suis. C’est donc avec plaisir que je débutais ma lecture de Le Second sommeil au pitch de départ accrocheur. Au final, malgré une légère déception sur la fin, j’ai passé un bon moment et j’ai lu l’ouvrage en un temps record.
Christopher Fairfax est un jeune prêtre que l’on a dépêché dans une paroisse reculée pour célébrer la cérémonie d’enterrement du pasteur local. Ce dernier a été découvert mort à proximité d’un lieu dénommé le fauteuil du Diable, un endroit que les superstitions locales désignent comme dangereux et source d’un mal insondable. Arrivé sur place, le père Christopher va découvrir des ouvrages hérétiques et des artefacts pour le moins étranges, témoins du monde d’avant, du monde avant l’Apocalypse... Dans cette région isolée de tout, où les villageois vivent dans une crainte diffuse, on entend de drôles de bruits sourds et malgré l’emprise de l’Église, une vérité ne demande qu’à sortir. Et si en 1488, on vivait dans l’illusion et le secret sans le savoir ?
Attention, débuter cet ouvrage provoque immédiatement l’addiction. Comme toujours avec Robert Harris, on boit du petit lait en terme d’écriture. Subtile et directe à la fois, il excelle dans l’évocation des lieux et les tourments qui habitent ses protagonistes. L’époque est très bien rendue, on se retrouve plongé en pleine période d’obscurité, la foi fait force de loi et gare à ceux qui contrediraient la ligne sacerdotale. L’ouvrage tourne beaucoup autour des questions de croyance et de science, il est pour cela source de nombreuses interrogations et réflexions qui ne manquent pas d’assaillir le lecteur qui voit naître en lui un fort désir d’enquêter et d’en savoir plus sur ce fameux apocalypse. En effet, on se rend compte assez vite que nombres d’éléments ne cadrent pas avec le contexte décrit. Légers anachronismes, référence obscure au monde précédent les événements... On se doute qu’une révélation n’est pas loin de surgir bouleversant les certitudes posées par une oligarchie étatique et religieuse.
En terme de caractérisation de personnages, l’auteur fait le job. On retrouve des figures établies, les forces en présence sont classiques mais l’ensemble fonctionne bien car Harris sait y faire en matière de densité psychologique et rebondissements nombreux. On est donc rarement surpris mais l’ensemble est fluide, cohérent et apporte un plaisir de lecture durable. J’ai beaucoup aimé les personnages principaux qui cristallisent des questions essentielles comme la condition de la femme (avec une expérience de vie recluse et solidaire), la notion de progrès et d’enrichissement (le colonel entrepreneur qui souffle le chaud et le froid dans l’esprit du lecteur) ou encore l’opposition entre devoir et désir (le prêtre partagé entre sa mission et les élans de son cœur).
Le roman retombe un petit peu sur la fin que j’ai trouvé trop rapide, elliptique presque. Je m'attendais à mieux et même si on a les principale réponse, on ne peut s’empêcher de penser que l’auteur a botté en touche, laissant ses lecteurs sur le bord de la route. Légère frustration donc, même si l’esprit battant la campagne, on s’imagine ce qui pourrait advenir par la suite. Bonne lecture donc, pas parfaite mais qui fait passer des moments bien sympathiques. Les amateurs apprécieront.
"La Prophétie des abeilles" de Bernard Werber
L’histoire: Depuis la nuit des temps, les abeilles détiennent le secret du destin de l'Humanité.
Ce secret est annoncé dans une prophétie écrite à Jérusalem il y 1000 ans par un chevalier Templier.
Mais sa trace est perdue, et pour la retrouver, il faudra remonter dans le temps, traverser époques et continents, affronter tous les dangers.
Êtes-vous prêts à payer ce prix pour sauver votre futur ?
La critique de Mr K: Retour sur une lecture sympathique à défaut d’être marquante aujourd’hui avec le dernier ouvrage de Bernard Werber sorti récemment: La Prophétie des abeilles. Je dois avouer que je suis amateur de cet auteur depuis ma lecture très jeune de la trilogie des Fourmis et surtout Les Thanatonautes qui reste mon ouvrage préféré de sa bibliographie. J’avais été quelque peu refroidi par son premier volume de la Trilogie des chats, arrêtant là cette série de romans. Sa dernière parution avec son pitch à la Dan Brown me tentait bien et bien qu’il soit imparfait, il m’a procuré un réel plaisir de lecture et je n’ai pas pu lâcher l’ouvrage avant le mot fin. C’est pas mal, non?
Au cœur de l’histoire, il y a une mystérieuse prophétie qui scelle le sort de l’humanité. Elle intéresse beaucoup de monde à travers le temps, les personnages principaux évoluant dans le milieu universitaire courent après une vérité qui pourrait bien changer notre vision du monde et de l’humanité. Le héros grâce à une technique de méditation poussée peut revivre des vies antérieures et par là même vivre pleinement l’Histoire! Ce don très utile pour son métier de professeur d’Histoire va s’avérer essentiel pour essayer de mettre la main sur la prophétie des abeilles, un livre qui se dérobe aux regards et attise les convoitises. Entre la France et Israël, le XXème siècle et le Moyen-Age, le voyage n'est pas de tout repos!
Dans cet ouvrage, il est donc beaucoup question d’Histoire, de science et de religion. Un triptyque magique à mes yeux qui est source de fascination et bien souvent de lectures trépidantes et enrichissantes. À ce niveau, ce livre ravira les amateurs d’Histoire. Certes, de mon côté, j’ai été peu surpris, tout cela s’apparentait à de la révision de cours de fac (sans vouloir me la raconter...) mais franchement tout est bien bouteillé, enchâssé et donne un tout dense et crédible (malgré quelques approximations et arrangements dans les liens crées entre différents éléments et événements). J’ai bien aimé les points historiques qui se glissent entre les chapitres narratifs purs et les références étymologiques qui occasionnent de réelles révélation (notamment le nom de Yahweh).
Après, il y a quand même de grosses ficelles en jeu, j’ai rarement été pris au dépourvu et l’intrigue est cousue de fil blanc. Les ressorts de la narration sont usés de chez usés mais on reste captif tout de même par ce qu’on veut absolument savoir la fin (qui pour le coup est réussie je trouve!). Des personnages par contre sont maltraités, caricaturaux même. Je pense notamment à Mélissa, professeur d’Histoire à l’université qui pose parfois des questions d’une bêtise abyssale ce qui la rend pas du tout crédible voire neuneu (le coup de la capitale de Chypre par exemple…). On pourrait même y voir un tacle légèrement sexiste quand ses deux acolytes (dont son père, patron de la Sorbonne) sont des puits de science qui ne se trompent jamais… Dommage car en densifiant l’aspect psychologique sans tomber dans les clichés, on pouvait avoir affaire à un grand roman du genre.
Ma référence initiale à Dan Brown n’est pas anonyme tant le rythme imprimé et la course contre la montre scénaristique font irrémédiablement pensé à cet auteur. Mais là où l’américain a une tendance à fournir un catalogue de références historiques tirées de Wikipedia (Inferno est épouvantable à ce niveau là), Bernard Werber lui distille les éléments sans en rajouter ni exagération. Ils servent le récit et donne une matière, une profondeur à l’ensemble. La partie méditation et exploration des vies antérieures est plus branque, à la limite du ridicule parfois mais on passe dessus car on est vraiment pris par l’histoire et les objectifs poursuivis par les héros.
L’ouvrage est donc bien sympathique, efficace et niveau page-turner il se pose là. Alors certes, il y a des défauts, ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler de la Grande littérature ni même un classique du genre mais on passe vraiment un bon moment. Avis aux amateurs!
Ouvrages de l'auteur déjà lus et chroniqués au Capharnaüm Éclairé:
- Demain les chats
- Le Sixième sommeil
- L'Arbre des possibles
"Dîner de têtes" de Kââ
L’histoire : Au milieu de la cave carrelée de blanc, se dressaient les bois d'une guillotine à l'énorme couperet brillant. Le vieux dément aux yeux jaunes avait allongé la jeune femme sur l'atroce machine et Renaud vit, dans un cauchemar, le couperet tomber.
La critique de Mr K : C’est une lecture à la saveur toute particulière que je vous présente aujourd’hui avec Dîner de têtes de Kââ. Il faut dire que je connais assez bien l’auteur, l’ayant eu comme professeur de philosophie lors de mon année de terminale littéraire. C’était un grand érudit doublé d’un libertaire grande gueule et sur lequel les avis étaient très tranchés. Soit on adorait, soit on détestait ses cours. Pour ma part, je fais partie de ceux qui l’appréciait et il m’a apporté un éclairage neuf sur le monde et un certain pessimisme sur l’humanité qui ne m’a jamais quitté. Personnellement, je préfère être lucide que de vivre dans l’illusion mais passons...
Revenons à ce thriller angoissant qui me rabiboche avec l’écrivain suite à ma déception après la lecture de Mental. Un serial killer amateur de guillotine frappe en toute impunité dans la rase campagne française. On ne retrouve jamais les corps mais l’assassin s’amuse à distribuer les têtes à tout va, notamment aux représentants de l’État qu’il aime par dessus tout provoquer. Rien ne permet pour l’instant de le confondre, il est doué le bougre et ne laisse pas beaucoup d’indices. L’affaire passionne vite la France entière mettant une pression supplémentaire sur les épaules des forces de police locale et du juge d’instruction suivant l’affaire. Il ne reste plus qu’à attendre un faux pas du tueur pour espérer lui mettre la main dessus...
Le livre se révèle très fun et totalement délirant. Lire du Kââ est assurément une expérience, proche en soi d’une soirée bien arrosée au bar du coin. C’est totalement farfelu, linguistiquement étrange et précaire avec des personnages totalement en roue libre. On alterne les points de vue et l’on croise les trajectoires de chacun avec un plaisir régressif non feint. Le tueur est un vieil aristocrate complètement halluciné qui cherche à rompre sa solitude et se révèle bien souvent déçu d’où sa manie d’étêter le tout venant. Amateur de bonne chaire, de bons vignobles aussi, de vieilles voitures et d’armes à feu, il y a du Kââ en lui ! N’essayez pas de chercher de raison précise à ses agissements, on est ici dans la maladie mentale, le pulsionnel et cela donne un personnage retors à souhait et imprévisible.
En parallèle, on suit différents personnages qui vont se confronter à lui plus ou moins directement dont le jeune Khader, un paumé qui va se greffer au vieux fou et perdre la raison. Le personnage de Renaud, le fameux juge susnommé, est assez sympathique aussi et notamment le marivaudage avec sa charmante greffière qu’il n’arrive jamais à séduire totalement, l’actualité du tueur le rattrapant à chaque fois. Tout ce petit monde aime picoler, manger et les bonne punchlines bien borderline ce qui donne à l’ensemble un aspect branque et parfois désopilant. Pour autant, loin de se contenter d’être un défouloir, ce roman aiguise parfois ses lames et propose des réflexions bien senties sur le genre humain et la marche du monde, ce qui lui rajoute un petit supplément d’âme bienvenue.
Alors certes, on voit la fin venir et le style parfois vraiment space peut déconnecter le lecteur mais dans le genre thriller récréatif, on a ici une pièce intéressante qui ravira les amateurs de série B horrifique littéraire. À tenter si le cœur vous en dit !