mercredi 14 décembre 2022

"T" d'Haruki Murakami

T

L’histoire : Lequel de mes T-shirts a le plus de prix pour moi ? Je crois que c’est le jaune, celui qui porte l’inscription Tony Takitani. Je l’ai déniché sur l’île Maui, dans une boutique de vêtements d’occasion et je l’ai payé un dollar ; après quoi, j’ai laissé vagabonder mon imagination : quel genre d’homme pouvait bien être ce Tony Takitani ? Puis j’ai écrit une nouvelle dont il était le protagoniste, nouvelle qui ensuite a même été adaptée en film.

La critique de Mr K : Une lecture farfelue aujourd’hui avec une autobiographie d’un genre un peu particulier. Avec T, Haruki Murakami (qu’on ne présente plus et que j’adore) se propose de raconter sa vie à travers sa collection de T-shirts. Si si c’est possible et c’est franchement très réussi, fun, futile et à la fois profond.

100 clichés de T-shirts regroupés par chapitres et une double interview du maître par un journaliste japonais constituent cet ouvrage sorti en novembre aux éditions Belfond. T-shirts de surf, américains, animaliers, jazzy, musicaux, promotionnels, littéraires et autres se succèdent avec un Murakami qui égraine des souvenirs, des goûts, des confidences même sur lui-même et sa façon de voir la vie. Si on pratique l’auteur depuis longtemps, on retrouve des choses récurrentes lues dans ses ouvrages et d’autres qui font écho à ses autres vies (rappelons qu’il a été professeur à l’université aux USA ou encore tenancier d’une boîte de jazz). L’ouvrage est un beau révélateur et un vrai plaisir de lecture pour les fans de l’auteur qui se livre avec facétie à ce jeu de piste décalé.

De ces objets du quotidien accumulés au fil des décennies, pour certains même jamais portés, Murakami balaie donc son existence et surtout revient sur ses passions. Le surf dans les années 80 sur la plage de Kugenuma sur le duo Michael Jackson / Paul McCartney, la vie américaine et sa "gastronomie" (aaaah les burgers !), l’amour du bon whisky et les rituels qui vont avec, le goût pour la bière, le chinage de livres et de disques qui peuvent durer des heures, les animaux kawaïs mis en scène de façon incongrues, le rock et le jazz qui accompagnent l’homme depuis tellement longtemps, les t-shirt liés à l’amour de Murakami pour la course à pied (il a participé à pas mal de compétitions et d’événements), des t-shirts universitaires... Beaucoup de variété donc et au passage de bons mots, des anecdotes croustillantes et en filigrane la philosophie de vie de Murakami que l’on retrouvait déjà dans toutes ses œuvres de manière plus ou moins prégnantes.

Murakami T

Ce livre est plus léger qu’à l’habitude. C’est surprenant, parfois très drôle, et l’on rentre dans l’intimité de Murakami. L’ouvrage est beau avec des clichés bien mis en page, un papier épais et des espaces pour respirer, passer du coq à l’âne le sourire aux lèvres en se demandant bien ce que l’on va découvrir au chapitre suivant. La lecture est douce, très douce, enveloppante, on est bien dans l’univers de Murakami qui se met remarquablement en scène lors des achats et acquisitions de t-shirt, les raisons qui le poussent à aimer tel modèle plutôt qu’un autre, les personnes qu’il a pu croiser à cet occasion avec son lot d’échanges de paroles, de silences... Il se permet même de nous interpeller, de nous questionner même sur tel ou tel motif ou flocage. L’effet est garanti.

Bel ouvrage donc qui séduira avant tous les amateurs de Murakami qui trouveront l’occasion de l’aborder autrement, de découvrir des facettes de ce génie de la littérature que je ne désespère pas un jour de voir décrocher le Nobel en la matière. Il le mérite amplement pour l’ensemble de son œuvre.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
"Le Passage de la nuit"
- "Après le tremblement de terre"
- "Danse, danse, danse"
- "Saules aveugles, femme endormie"
- "Abandonner un chat"

Posté par Mr K à 14:23 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
Tags : , , ,

lundi 9 mai 2022

"Le Septième homme et autres récits" de Haruki Murakami, Jean-Christophe Deveney et PMGL

9782413044048-001-X

L’histoire : Les histoires de Murakami ont une saveur unique, que ses millions de lecteurs dans le monde reconnaissent instantanément... entre réalisme social et romantisme fantastique, dans les interstices du Japon contemporain. Un crapaud géant décide de sauver Tokyo d'un tremblement de terre avec l'aide d'un banal salaryman, une jeune serveuse de vingt ans peut exaucer un seul et unique vœu...

La critique de Mr K : Chronique d’un très beau cadeau d’anniversaire de l’ami Franck aujourd’hui avec Le Septième homme et autres récits de Haruki Murakami, Jean Christophe Deveney et PMGL. Je suis un grand amateur de cet écrivain japonais dont j’ai lu et adoré une bonne partie de la bibliographie. J’aime son écriture poétique, son évocation douce et profonde de l’existence humaine, sa culture musicale et filmographique ainsi que son côté "barré" mêlant quotidien et éléments fantastiques. Vous comprenez donc ma légère appréhension à l’idée de le découvrir adapté en BD. C’est un peu la mode en ce moment et je ne suis pas forcément un amateur du procédé... Finalement, cet ouvrage ne m’a pas déçu bien au contraire ! Il m’a beaucoup plu et j’ai trouvé textes et dessins en complète adéquation.

Jean-Christophe Deveney et PMGL s’attaquent donc dans ce recueil à neuf nouvelles du maître dont une bonne moitié que je connaissais déjà via ma lecture des œuvres originelles. Je ne reviendrai pas sur le résumé de chacune, vous vous ferez votre idée en feuilletant l’ouvrage. Sachez qu’on retrouve toutes les obsessions et thématiques chères à l’auteur avec le don d’ubiquité, les perceptions mouvantes et évolutives de chacun et du moment de la journée, les habitudes ancrées qui rythment le quotidien et qui une fois modifiées bouleversent l’existence irrémédiablement, la force des rêves et des espérances qui peuvent faire basculer une vie, brouillent les limites entre le rêve et la vie bien réelle que nous passons sur Terre.

2

L’onirisme est donc de mise, la mise en abîme, l’exploration des tenants et aboutissants d’une existence humaine à travers des portraits finalement très réalistes (à part l’histoire du crapaud géant qui est un peu hors norme) avec des protagonistes crédibles, souvent proches de nous, auxquels on peut s’identifier. Rien ne nous est épargné en terme de condition humaine dans ses joies et ses peines, cette quête de soi et de sa place dans la société. Ce sont des vies saisies au vol qui virent souvent à l’étrange, à l’irrationnel voire au fantastique / au fantasme sur un ou deux récits qui mettent à mal les éléments communément acceptés de tous. On s’attache très fortement à ces personnages qui se révèlent complexes, jamais d’une seule teinte. Il y a de la beauté et de la laideur chez chacun d’entre eux et cela leur donne une densité, un charisme de tous les instants. On s’interroge sur l’âme humaine, ses aspirations mais on se laisse prendre, emporter par la langue, le graphisme et l’univers si particulier d’un auteur qui trouve un bon prolongement dans ce volume.

1

Les choix esthétiques divisent la toile, j’ai tout lu sur les dessins et les couleurs. C’est sûr qu’au premier abord, ce ne sont pas les belles planches de BD que j’ai pu lire. C’est sombre, parfois géométrique (en tout cas très anguleux), assez brut. Mais au fil de la lecture, on se rend compte que cela convient parfaitement au dessein poursuivi par les auteurs : dessiner du Murakami tout en respectant son univers et sa poésie. L’étrangeté des traits et de la technique employée traduit merveilleusement bien l’esprit Murakami, les chemins de traverses, les tromperies sensuelles, les corps déglingués ou du moins sujets au temps qui passe et les surprises nombreuses que nous réservent ces récits hypnotiques et existentiels.

4

Cet ouvrage présente donc de très belles adaptations de nouvelles de Murakami. Le défi était de taille mais la singularité et la poésie du maître sont très bien retranscrites. Les amateurs ne doivent pas passer à côté, on est transporté et littéralement envoûté. On en redemanderait presque.

jeudi 17 février 2022

"Abandonner un chat" d'Haruki Murakami

couv69751347

L’histoire : Je suis le fils ordinaire d'un homme ordinaire. Ceci est parfaitement évident. Mais au fur et à mesure que j'ai approfondi cette réalité, j'ai été convaincu que nous sommes tous le fruit du hasard, et que ce qui a eu lieu dans ma vie, dans celle de mon père, tout a été accidentel. Et pourtant, nous les humains, ne vivons-nous pas en considérant comme la seule réalité possible ce qui n'est après tout qu'un simple fait dû au hasard ?

La critique de Mr K : Deux ans que je n’avais plus pratiqué Haruki Murakami, sans conteste mon écrivain japonais favori ! Je reviens à lui avec cet ouvrage très particulier. En effet, Abandonner un chat n’est pas un roman mais un témoignage, celui d’un fils sur son père qu’il a mal connu. Très court car en plus illustré de fort belle manière par Emiliano Ponzi, cet ouvrage se lit avec délectation et nous livre un Murakami comme on ne l’a jamais vraiment lu.

Ces micro-mémoires s’ouvrent sur un épisode de l’enfance de l’écrivain qui donne son titre à l’ouvrage. Sans se rappeler des raisons, Murakami nous raconte comment son père et lui à vélo sont partis abandonner leur chatte pleine jusqu’aux yeux. Une fois de retour chez eux, elle les attend déjà et force l’admiration du paternel qui décide de la garder jusqu’à sa mort. De cette anecdote découle alors le portrait intime d’un père par son fils qui revient sur l’enfance de son géniteur, sa formation, les années de guerre (contre la Chine puis durant la Seconde Guerre mondiale). Homme complexe, professeur de japonais dans un lycée privé et grand amateur / auteur d’haïkus, plutôt froid mais amateur d’ivresse, ils cesseront de se voir très longtemps avant d’ultimes échanges avant la disparition du père suite à une longue et douloureuse maladie.

Mêlant biographie et impressions plus personnelles, il nous dresse un portrait de son père qui touche en plein cœur, plein de nuances et de contrastes. Les rapports évoluent avec le temps, l’enfant grandit, marque sa différence, des fractures apparaissent, l’éloignement est de mise. Il n’y pas vraiment de regrets exprimés par Murakami, il accepte les choses telles qu’elles arrivent, une forme de stoïcisme de l’évidence qui donne à l’ensemble une légèreté et une volupté alors que certains sujets abordés sont difficiles. Il nous apporte aussi par la même occasion son regard sur la famille, les liens humains et finalement le destin, l’essence même de la vie.

Haruki-Murakami-se-souvient-de-son-père-Protégez-votre

Le livre se lit tout seul en à peine une heure. Les dessins de Emiliano Ponzi magnifient les textes et nous accompagnent dans cette culture lointaine qui est si fascinante. On ressort très heureux de cette lecture mélancolique et sublime à la fois. À découvrir si vous êtes fan de l’auteur, il vous surprendra et vous séduira une fois de plus.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
"Le Passage de la nuit"
- "Après le tremblement de terre"
- "Danse, danse, danse"
- "Saules aveugles, femme endormie"

samedi 19 septembre 2020

"Saules aveugles, femme endormie" d'Haruki Murakami

Image (3)

L’histoire : Jubilatoires, flamboyantes, hypnotiques, ces histoires courtes de Haruki Murakami nous plongent dans un univers délicieusement insolite et drôle, où d'une situation d'apparence anodine peuvent surgir à tout moment le fantastique et l'absurde.

Depuis un an, quand on la prend de court, Mizuki Ando est incapable de se souvenir de son nom. Elle se décide à consulter une psychiatre, loin de se douter qu'un singe cleptomane est à l'origine de son trouble...

Attiré par les deux millions de yens à la clé, un jeune homme se présente à un concours de pâtisserie. Mais qui peut bien se cacher derrière le jury de cette compétition nationale sous haute surveillance ?

La reine de beauté d'un lycée promet à son petit ami de faire l'amour avec lui après le mariage. Le temps passe, elle se marie... Avec un autre. Va-t-elle enfin tenir sa promesse ?

En 1971, un jeune homme cuisine sans relâche des spaghettis, qu'il mange seul et en silence. Quand, en décembre, le coup de fil d'une ancienne camarade de classe le sort de sa rêverie italienne...

La critique de Mr K : Petite déception aujourd’hui avec Saules aveugles, femme endormie, recueil de nouvelles d’Haruki Murakami, un auteur qu’on ne présente plus et que j’aime beaucoup. C’était la première fois que je le fréquentais en version récits courts et je dois avouer que je suis resté un peu sur ma faim. J’ai trouvé le volume assez inégal et l’on côtoie des récits purement magiques et d’autres vraiment dispensables...

Dans un peu plus de 20 récits, l’auteur nous propose de partager quelque tranches de vie dont il a le secret. On connaît son goût pour les destins étranges qui mêlent réalisme et envolées fantastiques ou oniriques à l’occasion. Dans ces petits contes, on retrouve nombre de thèmes chers à l’auteur comme l’amour avec des histoires à fleur de mots, le sexe et le plaisir charnel qui reviennent aussi régulièrement, la musique et plus particulièrement le jazz, les apparences trompeuses qui jouent décidément bien des tours, nos identités parfois troubles qu’on essaie en vain de retrouver, nos souvenirs et les traces indélébiles qu’ils nous laissent... autant de sujets source d’inspiration pour un auteur qui n’a jamais vraiment cessé d’écrire des nouvelles dans différents journaux et qui sont ici regroupées.

Comme dit précédemment, il y a des nouvelles qui s’avèrent épatantes, qui entraînent le lecteur sur des sentiers non balisés dans le plus pur style du maître. Personnages interlopes, ambiance cotonneuse, déstabilisante parfois, on s’attend à tout. Le style de l’auteur fait merveille, les personnages ciselés apportent leur lot de surprises et de nuances. Franchement, on démarre plutôt bien. Malheureusement, assez vite, on se heurte à deux / trois textes un peu en deçà et on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ont été publié parce que l’auteur s’appelle Haruki Murakami. L’intérêt est parfois relatif, certaines histoires s’apparentant presque à des lignes posées sur un coin de table et où les qualités littéraires et narratives sont très limitées. Le problème se répète ainsi sur environ un tiers des récits proposés d’où une certaine déception et l’impression même de perdre son temps. Fort heureusement, les cinq dernières nouvelles tapent fort et remontent le moral du lecteur.

Au final, ce n’est pas un ouvrage à recommander pour découvrir ce maître écrivain. Je trouve que le génie de Murakami s’exprime vraiment pleinement dans ses romans dont vous trouverez de nombreuses chroniques sur le blog. J’y reviendrai en 2021, je crois en avoir un ou deux en réserve dans ma PAL.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
"Le Passage de la nuit"
- "Après le tremblement de terre"
- "Danse, danse, danse"

Posté par Mr K à 17:26 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
Tags : , , , ,
jeudi 26 avril 2018

"Danse, danse, danse" d'Haruki Murakami

bm_CVT_Danse-danse-danse_3860

L’histoire : Danse, danse, danse, dit l'homme-mouton tapi au cœur d'un étage fantôme de l'hôtel du Dauphin pourtant transformé en cinq étoiles où le narrateur essaie de retrouver ses marques.

Alors, il danse, danse, danse entre cet irrationnel qui envahit son quotidien et une réalité non moins baroque avec pour seul ancrage les airs de jazz, la musique pop anglo-saxonne, les petits plats mijotés dans son coin cuisine, les vieux films américains.

Il danse, danse, danse au rythme des filles passées, présentes et à venir, des glaçons qui tintent dans son verre de whisky, des insatisfactions d'un condisciple de lycée devenu star, des désarrois d'une très jeune fille déjantée, des problèmes existentiels en forme d'énigmes.

La critique de Mr K : Une excellente lecture aujourd’hui avec Danse, danse, danse d’Haruki Murakami. Et dire que ça faisait plus d’un an que je n’avais pas lu d’ouvrage de cet auteur qui est sans conteste mon écrivain japonais favori ! Quel retour avec cet ouvrage totalement dépaysant où réalité, rêves et fantasmes se mêlent pour emporter le lecteur vers des ailleurs insoupçonnés. Pas de doute, on est face à un grand Murakami qui aime tant flirter avec les barrières de la perception et de la condition humaine. Pour information préalable, sachez que ce titre est en quelque sorte la suite de La Course au mouton sauvage car on retrouve le même héros anonyme, mais on peut cependant lire ce livre sans avoir lu le précédent même si l’on rate deux / trois allusions savoureuses.

Le personnage principal, un ancien publicitaire désormais reconverti dans le journalisme free-lance vit au jour le jour. La mort de son meilleur ami dans l’ouvrage précédent et le divorce inattendu avec sa femme ont laissé des traces, il ne se transpose plus dans une quelconque aspiration et laisse le temps s’égrener sans réellement penser au lendemain. Pas vraiment malheureux mais pas heureux pour autant, il semble traverser l’existence sans y prendre goût, sans s’accrocher à quoi que ce soit et qui que ce soit. Un rêve étrange le conduit à retourner dans un hôtel qu’il a autrefois fréquenté en compagnie de sa copine de l’époque. Au détour d’un étage mystérieux, il va se retrouver dans une espèce d’univers parallèle le temps de quelques heures (ça m’a personnellement fait penser à la Black Lodge de Twin Peaks, l’amateur forcené  que je suis de cette série a fortement apprécié !). Il y fera une rencontre déterminante qui va orienter sa vie vers de nouvelles directions et le confronter au monde réel qu’il semblait fuir depuis trop longtemps.

Volontiers contemplatif, amateur de plaisirs simples, on retrouve avec plaisir ce héros atypique et détaché de sa vie. On se plaît à le suivre dans ses errances et ses actes quotidiens : ses journées à rallonge pendant lesquels il ne fait pas grand chose, son appétence pour les bonnes boissons et la cuisine saine qu’il aime à l’occasion préparer lui-même (on salive beaucoup durant la lecture !), son goût pour le jazz mais aussi pour les jolies filles. Au fil de l’histoire, on suit aussi ses introspections sur un passé douloureux qu’il n’arrive pas totalement à laisser derrière lui, le narrateur aime se poser des questions, remuer ses sentiments et émotions. Lent et finalement peu communicatif avec les autres car renfermé sur lui-même depuis maintenant longtemps, cet homme de 34 ans va effectuer différentes rencontres qui vont lui permettre de se débloquer petit à petit et d’évoluer, de changer et d’appréhender la vie à nouveau comme un tout et non comme quelque chose que l’on subit.

Le déclic à l’hôtel suite à sa rencontre avec le mystérieux homme-mouton vu dans La Course au mouton sauvage va l’engager à s’affirmer et à s’investir auprès notamment d’une réceptionniste charmante qu’il va conquérir, d’un vieil ami qui ne supporte plus son statut de célébrité, mais aussi auprès d’une jeune fille de treize ans mal dans sa peau qui recherche un confident et ami. Comme toujours avec Murakami, les personnes prennent leur temps, hésitent, s’interrogent et le temps s’écoule lentement. Le changement n’est pas immédiat et se dilue à la manière du sable d’un sablier renversé que rien ne retournera jamais plus. C’est très poétique, très beau et l'ouvrage prend au cœur à la moindre ligne. Cette balade est donc assez unique et s’impose à notre esprit captif des multiples thèmes abordés par un auteur décidément universel et qui sait s’adresser à l’être humain que nous sommes et qui lui aussi s’interroge sur soi : l’amour et ses contradictions, la famille et son poids sur la destinée de quelqu’un, le capitalisme et la négation de l’individu résumé à un être de désirs et non plus de besoins, le sens de la vie tout simplement et les multiples chemins qui peuvent mener au bonheur si on s’en donne les moyens. D’où le titre de cet ouvrage qui invite chacun à avancer malgré tout et à continuer à profiter de l’existence malgré les obstacles qui nous guettent à chaque coin de rue.

On retrouve dans ce livre tout le talent de conteur d’un Murakami au sommet de sa forme. Écriture magique, déroutante mais toujours accessible, on navigue constamment en eaux troubles dans un quotidien qui peut basculer dans le fantastique le plus pur à n’importe quel moment. Les 574 pages de Danse, danse, danse se dégustent comme un bon encas avec un petit verre d'alcool fort pour accompagner le tout. Ça marque les esprits, ça ravit l’amateur de belles lettres et au final, on en ressort un peu plus conscient de soi et du monde qui nous entoure. Une bien belle expérience que je vous invite très fortement à tenter !

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
"Le Passage de la nuit"
- "Après le tremblement de terre"


samedi 1 octobre 2016

"Après le tremblement de terre" d'Haruki Murakami

murakami haruki après tremblement terre

L'histoire : Japon, 1995. Un terrible tremblement de terre survient à Kobe. Cette catastrophe, comme un écho des séismes intérieurs de chacun, est le lien qui unit les personnages de tous âges, de toutes conditions, toujours attachants, décrits ici par Haruki Murakami. Qu'advient-il d'eux, après le chaos ? Séparations, retrouvailles, découverte de soi, prise de conscience de la nécessité de vivre dans l'instant. Les réactions sont diverses, imprévisibles, parfois burlesques...

La critique de Mr K : Suite à notre passage au festival international de photo de La Gacilly et l'obtention de superbes marque-pages aux couleurs du japon (pays invité de l'édition 2016), je ressortis de ma PAL un ouvrage trop longtemps oublié dans celle-ci de mon auteur nippon favori. J'ai enchaîné les lectures sublimes et planantes avec Murakami mais jusqu'à maintenant je n'avais jamais goûté à ses nouvelles. C'est désormais chose faite avec Après le tremblement de terre et force est de constater que le talent du maître s'y exprime aussi pleinement.

Six nouvelles composent ce recueil et le drame de Kobe en 1995 relie de près ou de loin les six personnages principaux qui nous sont donnés à découvrir. On retrouve une fois de plus le goût prononcé de Murakami pour l'étrange, la romance contrariée et l'érotisme. Ainsi, un homme quitté brutalement par sa femme se voit confier une étrange mission, une réunion d'amis devant un feu de camp sur la plage donne lieu à des révélations surprenantes, un homme élevé dans l'amour de Dieu cherche son père, une chercheuse en médecine s'octroie un peu de temps libre en Thaïlande après une conférence internationale, un homme se retrouve nez à nez avec un crapaud géant très bavard dans son appartement et un trio d'amis doit éprouver son amitié au fil de son existence. Six histoires qui font la part belle à l'introspection, aux sentiments qui nous animent et à nos réactions face à l'indicible.

Murakami n'a pas son pareil pour évoquer l'absurdité de l’existence et la nécessité de vivre le présent et prendre conscience de ce que l'on a. Les personnages sont bien souvent confrontés à une forme de solitude profonde qui semble les enfermer dans une bulle dont ils ne peuvent sortir. Heureusement, bien souvent le temps joue en leur faveur et leur permet d'accéder au bonheur. Étrange mélange donc, avec une ambiance cotonneuse garantie 100% japonaise qui contribue à placer ces nouvelles dans un mix improbable de mélancolie et d'espérance. Chacun se débat avec sa vie et ses proches, et l'auteur réussit le tour de force de rendre ces courts textes denses et évocateurs malgré la brièveté de chaque micro-récit (25 pages environ pour chaque et un total de 150 pages). On suit avec envie ces parcelles de vie et c'est pantelant que l'on se retrouve au bord du chemin soit avec l'assurance d'une suite bien tracée soit à la croisée d'une décision que Murakami nous laisse imaginer. Loin d'être frustrant, ce procédé donne un caractère profondément humaniste à ces nouvelles.

Les drames sont évoqués avec brio avec en premier lieu le fameux tremblement de terre qui donne son titre à l'ouvrage. Peu de description de la catastrophe en elle-même mais plutôt une exploration des réactions qu'elle a pu susciter chez certains : indifférence, questionnement, traumatisme voir délire absurde. Chacun étant différent, cela donne des trajectoires assez divergentes et totalement imprévisibles pour certaines. Aucune nouvelle n'est vraiment supérieure aux autres ici même si mon côté fleur bleu à une préférence pour le trio d'amis qui se rencontrent, se côtoient, se déchirent et se retrouvent. On flirte avec la senteur si particulière qui m'avait envoûté dans le fabuleux Ballade de l'impossible.

On en redemande encore et encore mais le genre de la nouvelle réside justement dans la brièveté et l'intensité, deux défis relevés avec brio par Murakami toujours aussi inspiré, magicien des mots et des âmes qui nous convie à un autre festin littéraire dont on ressort une fois de plus émerveillé et déstabilisé. Décidément, cet auteur n'a pas fini de me séduire et de me transporter. Encore un ouvrage à lire absolument. Ca devient une habitude avec Haruki Murakami.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"
- "Le Passage de la nuit"

lundi 7 mars 2016

"Le Passage de la nuit" de Haruki Murakami

9782264046857

L'histoire : Dans un bar, Mari est plongée dans un livre. Elle boit du thé, fume cigarette sur cigarette. Surgit alors un musicien qui la reconnaît. Au même moment, dans une chambre, Eri, la sœur de Mari, dort à poings fermés, sans savoir que quelqu'un l'observe. Autour des deux sœurs vont défiler des personnages insolites : une prostituée blessée, une gérante d'hôtel vengeresse, un informaticien désabusé, une femme de chambre en fuite. Des événements bizarres vont survenir : une télévision qui se met brusquement en marche, un miroir qui garde les reflets... A mesure que l'intrigue progresse, le mystère se fait plus dense, suggérant l'existence d'un ordre des choses puissant et caché.

La critique de Mr K : Quitte à me répéter encore et encore, il faut lire Haruki Murakami dont les romans proposent un mélange subtil de poésie, de chronique du quotidien et d'existentialisme à l'orientale. Il récidive ici avec Le Passage de la nuit, un ouvrage se concentrant sur une nuit où vont se croiser toute une galerie de personnages plus étranges et intrigants les uns que les autres, sous fond de routine qui peut dévisser à n'importe quel moment.

Tout tourne autour de deux sœurs très différentes. Eri, la belle dormeuse évoquée en quatrième de couverture, est une mannequin sûre d'elle qui ne s'entend pas avec sa jeune sœur Mari, plus versée dans la lecture, émotive à fleur de peau qui vit dans l'ombre de sa sœur. Pendant que l'une dort d'un sommeil paisible sous la surveillance d'un mystérieux homme sans visage dont l'image est renvoyée par un miroir aux propriétés échappant à toute explication rationnelle, l'autre lit tranquillement dans un restaurant de nuit. Elle va rencontrer un jeune musicien en mal de discussion puis la tenancière d'un love hotel confrontée à une prostituée tabassée par un client violent. À travers ce déroulé plutôt classique, destins contrariés et cabossés de la vie vont se mêler au fil des heures et minutes qui s'égrainent à chaque nouveau chapitre.

Je ne sais pas pour vous, mais quand je commence un livre de cet auteur, j'ai l'impression de revenir à la maison après un long voyage. Je laisse mes autres expériences à l'entrée pour rentrer dans un univers à nul autre pareil, à la fois familier et singulier. Bien qu'assez réaliste dans son traitement (à 80% ici), notre âme semble s'élever au fil des phrases et je suis devenu accro dès la fin du premier chapitre. Murakami n'a pas son pareil pour rendre le quotidien merveilleux ou effrayant. Je me rappellerai longtemps par exemple sa description d'Eri se reposant dans sa chambre, une description d'une grande sensibilité et précision contrebalancée par une menace sourde qui semble peser sur elle et que l'auteur va développer dans les chapitres ultérieurs. Chaque personnage secondaire a son importance et est traité à égalité avec les premiers rôles. On s'attache à eux immédiatement: les femmes de chambre du love hotel aux discussions pleines de bon sens, les serveurs(ses) de restaurant et les personnes qui rencontrent Mari ou encore le geek informaticien qui ne vit que dans l'illusion et le faux-semblant.

Au fil des chapitres symbolisés par une horloge marquant l'heure, c'est surtout le parcours de Mari qui nous est décrit. Peu sûre d'elle, introvertie et solitaire, elle va le temps d'une nuit faire la connaissance d'un garçon charmant et délicat (Takahashi) puis rentrer dans un monde totalement étranger, celui des lieux de rencontres interlopes et même de la mafia. Loin d'être un catalogue de lieux communs avec son lot de sordide, Murakami s'attache avant tout à rapporter les liens qui se tissent, les rapports affectifs et d'empathie entre Mari et ceux qui croisent sa route. Le passage relatant sa conversation avec la prostituée chinoise est émouvant et le symbole du combat pour le respect des femmes qui est toujours d'actualité, ses rapports avec Mme Kaoru, patronne du love hotel font penser quant à eux aux rapports mère-fille, rapports que Mari n'a jamais eu avec sa génitrice. Au delà de l'histoire elle-même, il y a la quête de soi de l'héroïne et la résolution d'un passé douloureux qui transparaît et touche en plein cœur le lecteur cueilli par la grâce.

Car oui, avec Murakami une fois de plus, j'ai côtoyé les cieux de la littérature, la beauté à l'état pure qui inonde ce monde si sombre parfois. La langue plus simple que dans des classiques de l'auteur n'est pas pour autant exempte de poésie et de douceur cotonneuse, elle accompagne à merveille les errances nocturnes de tous les personnages qui peuplent, hantent même ce remarquable ouvrage. Les passages purement fantastiques ajoutent à l'ensemble une touche de mystère et d'angoisse qui pimente l'expérience pour la rendre marquante et durable dans l'esprit d'un lecteur emprisonné dans la toile tissée par le maître. Une petite merveille d'humanité que je vous invite à lire au plus vite.

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"
- "Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil"

samedi 19 septembre 2015

"Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil" de Haruki Murakami

AuSudDeLaFrontiereCover

L'histoire: A douze ans, Hajime rencontre Shimamoto-San, sa petite voisine. Avec elle, il découvre la musique, les sourires complices, les premiers frissons sensuels ... Et puis celle-ci déménage, laissant à son ami le goût amer de l'abandon. Lorsque, trente ans plus tard, elle réapparaît, Hajime, rongé par le désir et la nostalgie, est envoûté par cette femme énigmatique, reflet de ses rêves perdus. Mais sous les traits délicats du visage de Shimamoto-San se cachent la souffrance, la folie et la destruction.

La critique de Mr K: Quoi de mieux qu'un petit Murakami en cette fin de période estivale à la météo changeante? Pas grand-chose je vous dirai tant j'aime cet auteur, son univers et son écriture si particulière. J'avais dégoté celui-ci lors d'une razzia mémorable à notre cher Emmaüs et le responsable du rayon livre me l'avait offert tant la couverture était bien abîmée. Et dire que j'ai failli remettre Au sud de la frontière, à louest du soleil en rayon! Quitte à me répéter, j'ai pris une grande et belle claque. Suivez le guide!

Hajime est enfant unique. C'est un solitaire qui aime plus que tout lire et écouter de la musique. A douze ans, il rencontre Shimamoto-San avec qui il se lie d'amitié. Ce lien est fort et bien qu'ils soient encore trop jeunes pour comprendre ce qu'implique le sentiment amoureux, ils sentent que quelque chose de spécial est né entre eux. La vie les sépare quand la jeune fille doit déménager, le temps et la distance les éloignent à priori définitivement. Hajime grandit, fait ses études, expérimente l'amour, trouve la femme qu'il va épouser et à qui il va faire deux enfants et mène une vie professionnelle d'abord monotone dans une maison d'édition de manuels scolaires puis exaltante quand il peut ouvrir un club de jazz grâce à son beau-père. Sa vie lui convient même si elle n'est pas extraordinaire. Un jour, Shimamoto-San re-débarque dans sa vie et remet en cause tout l'équilibre qu'il s'est évertué à bâtir. Certitudes et habitudes sont bouleversées pour un avenir incertain…

La structure de ce roman est plus classique qu'à son habitude quand on pratique régulièrement Haruki Murakami. Écrit à la première personne pour une complète immersion du lecteur dans son histoire, Hajime nous raconte tout dans les moindres détails. Depuis sa naissance, à ses parents et tous ses états d'âmes successifs, sa vie est décortiquée à travers le prisme de son esprit déductif et quasi obsessionnel sur son état mental. Le personnage est complexe et tour à tour m'a touché et agacé. Cela le rend profondément humain par son côté perfectible. J'ai apprécié ce héros ambivalent et j'ai partagé son intimisme entre attirance et une légère gêne parfois. Quand on aime être bousculé, on est ici servi. De sa condition d'enfant unique (fait rare lors de ses premières années), ses premiers émois de pré-ado, la découverte de la souffrance que l'on peut infliger à l'autre sans le vouloir, la révélation amoureuse, la solitude dans la détresse, les joies de la paternité… autant d'aspects de la condition humaine qui prennent ici un caractère universel dans la langue inégalable de cet auteur.

Autant nous en savons bien long sur Hajime, autant Shimamoto-San fait planer autour d'elle un mystère grandissant. Je vous l'annonce de suite, certains éléments de réponse sont à déduire voir imaginer tant Murakami se plaît à envelopper son personnage féminin phare d'une aura nébuleuse et troublante. La jeune-fille a grandi et même si elle garde un charme incroyable, elle cache mystérieusement ses conditions d'existence et ses expériences passées. Cette redécouverte de l'autre, la rencontre de ses deux enfants qui se sont aimés très fort donnent lieu à des passages absolument divins, lourds de sous-entendus. Je pense ici notamment à la scène se déroulant près du fleuve quand les deux amis s'en vont effectuer une tâche douloureuse pour Shimamoto. C'est un moment clef de l'intrigue où l'on sent que le destin des deux personnages va basculer.

Bien que réaliste dans son traitement (l'histoire en elle-même est plutôt classique), on retrouve l'onirisme et le style si étonnant de Murakami. Images stylistiques nouvelles, rythme haché et évocations naturalistes à la japonaise contribuent à un climat cotonneux et déroutant complété par la mentalité et les actes propres à la culture de ce pays. L'intensité des sentiments est très forte malgré la pudeur et le retrait dont font souvent preuve les nippons dans leur vie de tous les jours. Le mélange est détonnant, l'alchimie fonctionne à plein régime et je n'ai pu relâcher cet ouvrage tant l'addiction fut totale. Un très bon roman qui me paraît d'ailleurs idéal pour découvrir un auteur qui décidément ne m'a jamais déçu. Vous savez ce qu'il vous reste à faire!

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
"1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
"1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
"1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
"Kafka sur le rivage"
"La Ballade de l'impossible"
"Sommeil"
"La Course au mouton sauvage"
- "L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage"

Posté par Mr K à 20:13 - - Commentaires [8] - Permalien [#]
Tags : , , , ,
jeudi 29 janvier 2015

"L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage" de Haruki Murakami

l'incolore tsukuru tazaki et ses années de pèlerinage

L'histoire: Depuis le mois de juillet de sa deuxième année d'université jusqu'au mois de janvier de l'année suivante, Tsukuru Tazaki vécut en pensant presque exclusivement à la mort.
À Nagoya, ils étaient cinq amis inséparables. L'un, Akamatsu, était surnommé Rouge; Ômi était Bleu; Shirane était Blanche et Kurono, Noire. Tsukuru Tazaki, lui, était sans couleur. Tsukuru est parti à Tokyo pour ses études; les autres sont restés.
Un jour, ils lui ont signifié qu'ils ne voulaient plus jamais le voir. Sans aucune explication. Lui-même n'en a pas cherché.
Pendant seize ans, Tsukuru a vécu comme Jonas dans le ventre de la baleine, comme un mort qui n'aurait pas encore compris qu'il était mort.
Il est devenu architecte, il dessine des gares.
Et puis Sara est entrée dans sa vie. Tsukuru l'intrigue mais elle le sent hors d'atteinte, comme séparé du monde par une frontière invisible.
Vivre sans amour n'est pas vivre. Alors, Tsukuru Tazaki va entamer son pèlerinage. À Nagoya. Et en Finlande. Pour confronter le passé et tenter de comprendre ce qui a brisé le cercle.

La critique de Mr K: Le Père Noël m'a fait un très beau cadeau avec le dernier Murakami, L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage. J'en avais beaucoup entendu parlé mais ma douce compagne m'avait dit de réfréner mes ardeurs et d'attendre au moins janvier avant de l'acquérir. Je peux maintenant vous l'avouer... Je crois que régulièrement, Nelfe est de mèche avec le Saint homme!

Au centre de l'histoire, on retrouve un jeune homme déboussolé et esseulé. Tsukuru Tazaki ne s'est jamais remis de sa rupture nette et sans explication avec ses quatre grands amis de lycée. Du jour au lendemain, ils refusent de le revoir et le jeune héros s'enfonce dans une déprime languissante de quelques mois. Puis, la vie fait son chemin, bien que profondément seul et effacé, il finit ses études et travaille. Sa vie se déroule sans surprise et sans réelle passion (à part son goût pour les chemins de fer) jusqu'à sa rencontre avec une femme qui va le pousser dans ses retranchements intérieurs et va l'obliger à bouger hors des lignes mentales qu'il s'est jusque là imposé. Commence alors une quête initiatique pour lever la vérité sur les raisons de cette rupture et lui permettre de découvrir sa vraie personnalité.

Ce livre est magnifique de bout en bout et décidément Murakami est à part et exceptionnel. Il y a tant de choses qui m'ont plu dans ce livre, tant d'émotion à fleur de peau, de finesse dans la caractérisation des personnages, tant de beauté larvée entre les mots et les phrases... Le style Murakami se fait ici encore plus abordable qu'à l'habitude avec un récit plus terre à terre qui ne verse à aucun moment dans la fantaisie ou le fantastique. L'exploration est concentrée sur l'humain, son ressenti, son évolution. Pas besoin pour autant d'être spécialiste en psychologie, le maître vous guide tranquillement sur les rivages intérieur de Tsukuru.

Ce personnage m'a profondément touché et ému tant il change durant les 368 pages du livre. Très vieux garçon au départ, il va peu à peu se découvrir grâce à l'entremise de Sara, une femme qu'il vient de rencontrer. Le plus remarquable est la manière dont Murakami peint la manière dont Tsukuru tombe amoureux. C'est puissant et simple à la fois. Rarement la naissance d'un amour aura été décrit avec autant de tact et de réussite. C'est un bonheur constant que de voir les sentiments de Tsukuru émerger et modifier en profondeur sa vision de la vie et de lui-même. Au cours de sa quête de vérité, il va aussi remettre en question ses certitudes quant à ses anciens amis qu'il va rencontrer un à un pour essayer de s'en sortir, de lever les blocages qui le gênent depuis si longtemps. Cela donne de très belles pages mêlant nostalgie et espoir, amitié et ressentiment... On est vraiment plongé au cœur d'un pèlerinage spirituel d'une rare intensité et qui éclabousse le lecteur par sa pureté et son cheminement.

Au final, j'ai littéralement dévoré cet ouvrage qui part bien des côtés (notamment les thématiques abordées) m'a fait penser à La Balade de l'impossible. Ce livre a réveillé des réflexions sur ma propre existence, mes expériences, mon ressenti et je l'ai refermé la gorge nouée par l'émotion. Une autre perle littéraire de Murakami!

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- "1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
- "1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
- "1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
- "Kafka sur le rivage"
- "La Ballade de l'impossible"
- "Sommeil"
- "La Course au mouton sauvage"

Posté par Mr K à 17:44 - - Commentaires [4] - Permalien [#]
Tags : , , , ,
samedi 27 décembre 2014

"La Course au mouton sauvage" d'Haruki Murakami

la_course_au_mouton_sauvage

L'histoire: La vie du narrateur, jeune cadre publicitaire à Tokyo, n'a rien d'exceptionnelle. Jusqu'au jour où, pour avoir utilisé une photographie où figure un mouton d'une espèce rare, il est approché par une puissante organisation d'extrême droite. Le voici contraint de retrouver l'animal – doué, il est vrai, de pouvoirs extraordinaires.

La critique de Mr K: La Course au mouton sauvage me faisait l'œil depuis un sacré bout de temps et je n'avais pas lu de Murakami depuis longtemps, l'occasion était donc trop belle de replonger dans l'univers si envoûtant de cet auteur vraiment à part que j'aime pratiquer régulièrement.

La lecture commence inhabituellement pour tout amateur du maître. Nous suivons la vie sans relief et monotone du narrateur. Sa femme le quitte car rien d'excitant ne se passe dans leur existence conjugale et il se retrouve seul sans que cela ne semble le faire réagir tant l'inertie la plus totale semble l'habiter. On ne saura jamais son nom ni d'ailleurs celui de quiconque dans ce livre. Un jour, il est contacté par un agent de la pègre pour partir à la recherche d'un mouton extrêmement rare au dos étoilé et qui a comme particularité de pouvoir prendre possession des gens pour mener à bien ses desseins. Oui, oui, vous avez bien lu! En même temps, c'est un livre de Murakami!

On retrouve toute sa poésie dans ce volume avec une galerie de personnages particulièrement décalés. Le narrateur en lui même semble d'une banalité affligeante de prime abord, en fait c'est un rêveur borderline qui se perd en réflexions et a sa propre conception de la réalité. Il est très amoureux de sa girl friend (comme il dit) dont il admire les oreilles d'une perfection hypnotisante (cela donne lieu à des pages de purs délice et délire). Il va rencontrer un chauffeur de limousine qui passe des coups de fil à Dieu (il a son numéro de téléphone), un secrétaire de la pègre altruiste qui voudra bien lui garder son chat vieillissant pendant sa quête (un pur moment délirant!), le Rat un de ses meilleurs amis parti se mettre au vert pour échapper au quotidien, un docteur ès mouton qui le guidera dans ses recherches, une âme égarée et bien évidemment, le fameux mouton assoiffé de pouvoir qui détient la clef du destin du héros.

L'action se déroule à Tokyo puis lors de la fameuse "course" le récit se transporte à Hokkaidō, l'île la plus septentrionale de l'archipel japonais. Le voyage est fascinant, oscillant comme toujours avec Murakami entre réalisme brut et touches fantastiques voir surréalistes. Le style reste simple, épuré à la japonaise mais cependant dense en terme de caractérisation des lieux et des personnages. L'immersion est totale surtout que cette enquête étonnante est racontée à la première personne. Par petites touches, l'histoire se dévoile mais gardez-vous d'attendre un explication rationnelle de l'ensemble, ce n'est pas le genre de la maison et chacun devra imaginer ce qui remplit les zones de brumes. Plus original par rapport à mes lectures précédentes de Murakami, ici l'auteur distille par ci par là quelques éléments explicatifs sur l'histoire des lieux et plus farfelu, sur les moutons!

Ce roman est une fois de plus une belle expérience de lecture navigant entre policier et onirisme avec un humour parfois mordant et de belles métaphores sur l'existence humaine. Conte déviant, cruel à l'occasion, La Course au mouton sauvage est encore une preuve du génie Murakami en action. Pour information, sachez que ce volume fait partie d'une trilogie dont les premiers tomes ne sont pas traduits car l'auteur se refuse à le faire. Rien de gênant à cela, ce livre se lit totalement indépendamment et vous procurera un plaisir extrême si vous être adepte des œuvres fascinantes qui déroutent et entraînent leur lecteur dans des contrées fort fort lointaines...

Egalement lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- "1Q84 : Livre I, Avril-Juin"
- "1Q84 : Livre II, Juillet - Septembre"
- "1Q84 : Livre III, Octobre - Décembre"
- "Kafka sur le rivage"
- "La Ballade de l'impossible"
- "Sommeil"