"Les grands enfants" de Régis de Sa Moreira

L’histoire : C'est l'histoire d'un film fou sur lequel personne n'aurait misé.

Tandis que les confinements récidivent et que les cinémas disparaissent, deux frères s'unissent pour réaliser un film sur une nouvelle humanité. Ils entraînent avec eux toute une équipe de professionnels, aussi engagés que déroutés.

Régis de Sa Moreira retrace cette épopée vue par chacun de ses protagonistes : le scénariste, le réalisateur, l'actrice principale, le directeur de production, les figurants, le comptable du mari de la productrice, les critiques, les spectateurs, une boulangère, un élu...

Tous ceux que le film a touchés de près ou de loin nous révèlent peu à peu son étonnante trajectoire. De ce texte tourbillonnant surgit une multitude d'existences. Leurs voix se rencontrent, se répondent, drôles, bouleversées, inspirantes : c'est l'infinie comédie de nos vies.

La critique de Mr K : C’est mon premier roman de Régis de Sa Moreira, un auteur qui a sa petite réputation et que l'on m'avait déjà conseillé de lire. À l’occasion de cette Rentrée littéraire 2023, il sort Les grands enfants, un roman que j’ai littéralement dévoré et qui croise de nombreuses thématiques de notre époque avec un bonheur certain.

Deux frères décident de monter un film ensemble, l’un est scénariste, l’autre réalisateur. Le script tourne autour de l’irruption des robots dans nos vies suite aux confinements successifs subis dans cette réalité alternative, la disparition des frontières entre êtres de chairs et êtres artificiels. Les deux frères vivent en effet dans un monde où la pandémie ne s’est jamais éteinte, où régulièrement les populations sont recluses chez elles créant des désordres psychiques nombreux et pour certains irréparables. Le récit suit la construction du projet, le tournage du métrage, la réception par la critique et le public et enfin les études qu’il a pu inspirer plus tard.

L’auteur réalise un véritable tour de force narratif en proposant de croiser les regards et impressions d’une cinquantaine de protagonistes qui chacun à leur tour (certains revenant régulièrement) nous livre leurs impressions et états d’âme. On retrouve forcément les deux frères mais aussi les producteurs, le preneur de son, la monteuse, l’acteur principal, les deux actrices en concurrence, le script, le cameraman, les figurants, les locaux près du lieu de tournage, les commerçants, les spectateurs, les critiques, les générations différentes et leur ressentis sur le film, les docteurs en psychologie et sociologie qui ont étudié le phénomène issu d’un film dont personne n’attendait rien mais qui finalement pose énormément de questions et va changer le destin de beaucoup.

On ne sait pas grand-chose du film au final sauf qu’il s’agit d’une œuvre d’anticipation où l’humain face à son ennui, son désarroi face à la maladie, va se retrouver confronté à son double robotique et créer des ponts qui jusque là paraissaient impossibles. L’auteur nous livre quelques pistes mais il se concentre surtout sur l’aventure humaine qu’est le montage d’un film avec son lot d’espoirs, de montées d’adrénalines, ses conflits larvés aussi entre différents personnalités, différents échelons décisionnels. C’est assez croustillant parfois, souvent cruel aussi. Régis de Sa Moreira n’est pas tendre avec le milieu du cinéma et du show-biz et l’on se plaît à suivre ce film fou et les personnes qui gravitent autour.

Mais le vrai sujet de ce roman court et percutant, c’est une fois de plus l’humain dans sa diversité, la comédie humaine dans toute sa splendeur avec ses moments véritablement bouleversants, ses moments clefs qui (re)définissent une vie, ses questionnements métaphysiques sur la vie, la mort, l’amour, le sens de la vie notamment avec un texte choral où toutes les voix se répondent, interagissent et nourrissent une architecture fine et universelle à la fois. On y croise notre multitude dans sa diversité sous fond de monde en déserrance, qui doit se réinventer face à un quotidien éprouvant et un avenir des plus menaçant.

Les grands enfants se déguste avec un plaisir non feint, accompagnés que nous sommes par une langue aussi accessible que nuancée et source d’inspiration pour le lecteur qui forcément ressort changé et ému de sa lecture. Un bien bel ouvrage que je vous invite à découvrir à votre tour.