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Le Capharnaüm Éclairé
13 mars 2024

"Shangri-La" de Mathieu Bablet

 

L’histoire : Ce qu'il reste de l'humanité vit à bord d'une station spatiale dirigée par une multinationale à laquelle est voué un véritable culte. Les hommes mettent en place un programme pour coloniser Shangri-La, la région la plus hospitalière de Titan, afin de réécrire la genèse à leur manière.

 

La critique de Mr K : Lire du Bablet est toujours l’assurance d’un voyage hors-norme. Bien qu’encore relativement jeune, il est sans aucun doute l’auteur BD le plus visionnaire de son époque et propose des œuvres aussi belles que profondes dans leur propos. Après la claque de Carbone et Silicium, c’est avec entrain que j’ouvrais Shangri-La prêté une fois de plus par l’ami Franck. Quelle belle lecture encore pour un space opéra qui détone et se révèle très engagé !

 

La Terre ayant été ravagée par l’humanité et sa course à la consommation, ce qu'il reste de notre espèce vit désormais dans l’espace dans une station spatiale totalement sous la coupe de l’entreprise Tianzhu qui a le monopole sur tout : nourriture, télécommunication, réseaux, immobilier, banque, loisirs… Tout est bien huilé, le contrôle est total et un nouvel objectif est en vue : Shangri-La, satellite de Titan (lui-même satellite de Saturne), future colonie où l’Homme pourrait reconquérir un espace terrestre et s’y installer durablement. Mais pour le moment, nous ne sommes que dans la prospective et des soucis commencent à apparaître sur la station, notamment un mystérieux groupe rebelle dont la voix se fait de plus en plus entendre malgré la répression. Et si le ver était déjà dans le fruit…

 

 

Après une intro absconse et totalement psyché dans le traitement, on fait la connaissance de Scott, un jeune homme sans véritable état d’âme qui réalise ses missions dans l’espace sans réfléchir vraiment au pourquoi du comment contrairement à certaines personnes qui gravitent autour de lui comme son frère par exemple. Les premières planches sont une immersion dans ce monde clos, suffocant, où l’humanité subsiste dans des espaces restreints (il faut voir leurs alvéoles / appartements !) et métalliques. On a du mal à s’attacher à lui tant il s’accommode de la situation et détourne le regard de certaines scènes horribles qui s’offrent à lui notamment le racisme latent auquel sont soumis les anthropomorphes, anciens animaux de compagnie qui ont évolué vers une intelligence proche de la nôtre.

 

 

On est littéralement pris à la gorge par ce récit qui dénonce sans ambiguïté le totalitarisme consumérisme dont nous sommes déjà victimes aujourd’hui mais de façon plus larvée. C’est d’ailleurs flippant au possible car au final les humains participent à leur propre servitude par la poursuite d’un bonheur illusoire. Nul manichéisme forcené ici donc car tous participent à cet état de fait qui se traduit par un lavage de cerveau organisé partout et tout le temps sous le forme d’affichages, de publicités et de messages subliminaux qui englobent la majorité de la population. Accros à la nouveauté, au confort à tout pris, l’individualisme sauvage règne en maître et cède la place à nombre de vices que l’on feint d’ignorer : la xénophobie et la culpabilisation des êtres soit-disant inférieurs, la pensée unique et descendante et malheur à celles et ceux qui pensent différemment, la surpopulation et les inégalités criantes, les expérimentations animales… Humains décérébrés et veules pullulent et on se demande même s’ils méritent d’être sauvés... On retrouve ici des références à des classiques du genre comme 1984 ou encore Un bonheur insoutenable, Mathieu Bablet ne se contentant pas de simplement les citer, il développe sa propre pensée qui se dénoue sur un dernier acte métaphysique d’une rare puissance.

 

 

On retrouve la "patte" Bablet, son goût pour les décors grandioses, fouillés à l’extrême. Ils mettent merveilleusement bien en image le propos, lui donnent une force incroyable. La caractérisation des personnages reste toujours aussi particulière, on aime ou on n’aime pas. Perso, je suis conquis et l’ouvrage est une tuerie en terme de dynamisme, choix des couleurs avec beaucoup de passages en bichromie. Le montage des planches contribue aussi à donner à cette lecture une densité et une intensité impressionnante qui vous agrippe et vous retient prisonnier durant tout le volume.

 

 

Beau et puissant à la fois, voila un ouvrage déjà culte qui mérite qu’on s’y attarde, qu’on le goutte, qu’on le savoure et qu’on y retourne encore pour l’apprécier dans toute sa subtilité. À lire absolument.

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