mardi 11 octobre 2016

"Fin de la parenthèse" de Joann Sfar

fin de la parenthèseL'histoire : Seabearstein met fin à son exil d’artiste maudit pour participer à une expérience artistique hors normes. L’art étant à ses yeux la seule issue possible pour une société en prise avec un obscurantisme croissant, le peintre est chargé de réveiller le seul prophète non-religieux possible, qui n’est autre que Salvador Dali, maintenu cryogénisé à Paris. Il devra pour cela invoquer son esprit grâce aux mises en scènes de quatre modèles de haute couture qui recomposent des tableaux de Dali. Coupés de toute communication avec le monde extérieur, ils embarquent pour un trip mystique et philosophique totalement inédit.
Sauront-ils faire renaître l’esprit du peintre surréaliste ? Et s’ils y parviennent, que pourront la culture, la connaissance et l’amour dans un monde chahuté ? Questions d’autant plus fondamentales que notre héros sera, à l’issue de cette parenthèse, confronté à une réalité violente.

La critique Nelfesque : Voici une BD singulière et bien particulière dont la rédaction de la chronique dédiée me donne du fil à retordre... "Fin de la parenthèse" ne ressemble à aucun autre ouvrage que j'ai pu lire par le passé. Avec un style très marqué "Joann Sfar" tant dans le trait de dessin que dans certains thèmes abordés, elle ne fait pas pour autant dans la facilité et Sfar n'hésite pas à bousculer le lecteur quitte à le perdre complètement par moment.

Fin de la parenthèse2

Résumer cet ouvrage est déjà en soi un exercice. Seaberstein, artiste déjà rencontré dans la précédente oeuvre de l'auteur, "Tu n'as rien à craindre de moi", décide de rentrer à Paris et se lance dans une performance artistique surprenante : s'enfermer pendant plusieurs jours dans un hôtel particulier avec 4 mannequins dans le plus simple appareil pour invoquer par ses dessins et par les expériences qu'ils vont partager l'âme de Salvador Dali. Entre trip mystique, voyage sous substances, menaces terroristes et résurrection, Sfar brouille les pistes et offre à ses lecteurs une expérience hors du commun où il fait bon lâcher prise.

Fin de la parenthèse1

Car il faut savoir s'abandonner pour lire "Fin de la parenthèse". L'histoire que je vous ai tout juste évoquée précédemment est bien plus complexe et distendue que ce qu'il n'y parait. Oubliez vos certitudes, laissez vos points de repère de côté, Joann Sfar vous propose une Expérience avec un grand E et un sacré challenge de lecteur.

Fin de la parenthèse3

Le voyage est tellement déroutant que ce soit graphiquement que dans les problématique qu'il soulève et les leviers qu'il utilise, que la lectrice que je suis est restée complètement pantelante à la fin de la lecture. On est à la fois séduit, heurté, décontenancé et, n'ayons pas peur des mots, complètement paumé !  Impossible de déterminer avec certitude si on a aimé cette lecture mais une chose est sûre c'est qu'elle provoque des émotions et remue en chacun de nous des choses insoupçonnées. N'est-ce pas là le propre de l'Art ? "Fin de la parenthèse" est une BD ovni qui se ressent plus qu'elle ne s'explique. A chacun de tenter l'expérience !

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jeudi 18 août 2016

"Le Caillou rouge et autres contes" de Caza et Bazzoli

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Le contenu : Recueil d'oeuvres de jeunesse de Caza, rééditées en 1985.

La critique de Mr K : C'est béni des dieux que nous sommes revenus d'une expédition chinage à Périgueux cet été, rappelez-vous mon poste enthousiaste en retour de vacances. Parmi ces très belles trouvailles, il y avait cette BD de Caza et Bazzoli proposée à un prix défiant toute concurrence et dans un état de conservation plus qu'honorable. Il ne m'a pas fallu bien longtemps pour me plonger dedans et le moins que l'on puisse dire, c'est que j'ai été bien inspiré de me porter acquéreur de ce Caillou rouge et autres contes. Bon, je ne partais pas vraiment dans l'inconnu vu mon admiration pour Caza et son travail... Cet ouvrage propose une compilation de micro-récits parus dans Pilote ou totalement inédits. Pour l'inspiration, Caza a demandé à un ami de lui fournir des idées mais aussi quelques phrases en adéquation avec ses dessins. C'est François Bazzoli qui s'y colle avec un rare bonheur comme je vais vous l'expliquer.

On retrouve tout d'abord une série de cinq histoires numérotées portant le titre loufoque de Quand les costumes avaient des dents. Si vous ne le saviez pas, longtemps avant l'apparition des êtres humains, les costumes vivaient en paix et se retrouvaient confrontés à de sacrés problèmes comme des ceintures venimeuses, la nécessaire survie en milieu hostile, l'apparition d'une mystérieuse main constituée d'ombre, des concours de jeux de mots idiots (un de mes récits préférés) et même le pêché originel revisité par un Caza totalement branque pour le coup (superbe variation autour de la fable Les animaux malades de la peste de La Fontaine). Ces historiettes se rapprochent esthétiquement du film Yellow Submarine des Beatles (cultissime et à voir absolument !) et des animations de Terry Gilliams pour les Monty Python. On vire donc dans le psychédélisme le plus pur avec une beauté de toutes les cases et de toutes les pages qui nous font basculer définitivement dans une autre dimension. J'ai adoré les références et l'humour qui pullulent dans les dessins et mots composant cette hagiographie des costumes. Un pur délire qui fait mouche !

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S'ensuivent trois contes hystériques comme les auteurs se plaisent à les appeler. Tour à tour, on suit l'histoire d'une princesse très laide à la recherche de la beauté, d'une autre fille de roi enfermée car menacée par une funeste prédiction et un roi qui possède une poule pondant des romans à succès. On retrouve des éléments de contes bien connus que les auteurs s'amusent à détourner sans vergogne. N'escomptez pas de happy-end mais plutôt un sadisme hors pair pour maltraiter des personnages en mal de reconnaissance que le malheur et le destin rattrapent assez tôt. Le trait est ici plus léger (plus propre au Caza que je connais déjà) pour des récits aussi brefs que drôles pour tout amateur de bons pastiches mêlant références cultes et petites blagues bien senties. On passe là encore un bon moment !

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Vient ensuite un aparté littéraire avec une courte nouvelle de Bazzoli illustrée par Caza. Une dame âgée trouve une étrange créature qu'elle va adopter et ramener à son logis. Le temps va passer et le protégé ne fait que grandir. Les illustrations sont tops et la nouvelle bien menée quoique plutôt classique dans son déroulé. Une belle incartade qui n'est pas pour autant mémorable. On retrouve ensuite la BD pure avec l'histoire éponyme du recueil mettant en scène Caza lui-même trouvant un jour sur son chemin lors d'une ballade une étrange pierre rouge. Les jours s'enchainent et il faut se rendre à l'évidence, tout se teinte en rouge autour de lui. Mais quel est ce mystère ? La révélation finale est assez bluffante et drolatique. Les textes sont toujours aussi incisifs et évocateurs et les dessins très réussis. Une des meilleures historiettes du volume. Pour finir, deux pages d'un projet avorté par Caza autour d'un robot amoureux. Sa présence est plutôt anecdotique et ne ravira que les grands amateurs du maître...

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Au final, on passe un très bon moment quoiqu'un peu cours devant ce recueil d'oeuvres oubliées de Caza qui avec son compère propose des récits amusants, parfois philosophiques et d'une grande beauté formelle. Un incontournable pour tous les amateurs du dessinateur, de l'époque et de l'art psyché qu'elle a diffusé. Un petit bijou !

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mardi 19 mars 2013

"Eternus 9: Le fils du cosmos" de Victor Mesquita

eternus9L'histoire: Un voyage hallucinant comme un "trip" au LSD: des visions prodigieuses, fabuleuses, mythologiques qui s'imposent comme en paramnésie, inoubliables et pourtant... une logique implacable et, sur plusieurs vrais problèmes contemporains, une lucidité perforante comme un rayon laser.

Suivez Eternus 9, le héros étrange qui naît au milieu de sa vie...

La critique de Mr K: Il est des oeuvres rares qui marquent l'esprit. Ceci pour diverses raisons, elles nous inspirent, nous paient un voyage hors-norme, nous émeuvent au plus profond de nos entrailles, d'autres nous amusent ou au contraire nous causent de profonds soucis...

Eternus 9 est une pièce unique, un improbable mix de mythes et croyances mâtiné de SF bien marquée par les seventies expérimentales en terme de drogue et de digressions narratives.

Bref, on ne comprend pas grand chose mais on a l'impression d'avoir vécu en dehors du temps et de l'espace. Cette BD vient sans doute de la quatrième dimension. Je reviens sur terre pour essayer de vous décrire ce curieux objet...

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Un homme se réveille adulte, il vient de naître. De mystérieux individus lui confie une tâche qui l'emmènera aux confins de l'espace et du temps. À partir de là ça se corse et je me refuse de tenter le moindre résumé. Sachez simplement que la BD pullule de symboles et d'effets d'optique. Peu de paroles, beaucoup de pensées sont livrées pèle mèle au lecteur qui se demande bien où il a mis les pieds. On se raccroche un temps à une histoire d'amour en apesanteur mettent en scène deux êtres humains en exploration spatial mode Major Tom de David Bowie... barré je vous avais prévenu! Il y a du Jodorowski qui flotte dans l'air et bien d'autres fumées aux odeurs étranges.

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Vous l'avez compris, l'intérêt ici est tout autre. Au delà du mysticisme affiché, on ne peut que succomber à l'incroyable beauté des planches qui nous sont ici livrées. Bel exemple de ce que l'école psychédélique a fait de mieux entre vaisseaux spatiaux ubuesques, rayons de lumière, paysages urbains, ballades romantiques dans l'espace... Impossible de ne pas penser à Druillet tant l'aspect visuel se rapproche des Voyages de Loan Sloane. J'ai pris une belle claque en parcourant ce volume.

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Même après quatre lectures successives, je n'ai pas tout saisi mais je me dis que c'est le jeu. J'ai adoré cette BD avant tout pour sa plastique et les thèmes abordés. Il faut y voir plus un voyage initiatique, quasi shamanique, à l'instar de la scène finale du film Blueberry de Jan Kounen que j'ai aimé au plus haut point. Are you experienced?

vendredi 12 novembre 2010

"FLASH ou le grand voyage" de Charles Duchaussois

FlashL'histoire: De Marseille au Liban, d'Istanbul à Bagdad, de Bombay à Bénarès, en bateau, à pied, en voiture, Charles peu à peu se rapproche de Katmandou, le haut lieu de la drogue et des hippies. Sa route est jalonnée d'aventures extraordinaires. À Beyrouth, il s'associe à des trafiquants d'armes, il participe dans les montagnes du Liban à la récolte du haschisch. À Koweït, il dirige un night-club. Au Népal, il devient pendant quelque temps le médecin et le chirurgien des paysans des contreforts de l'Himalaya. C'est enfin l'épisode de Katmandou et l'évocation saisissante de l'univers des drogués: l'opium et le haschisch qui font "planer", le "flash" de la première piqûre, le "grand voyage" du LSD.

La critique de Mr K: Il est des livres qui traînent derrière eux une réputation, "Flash" par beaucoup est considéré comme culte. Je suis tombé dessus par hasard, on peut dire en quelque sorte que c'est lui qui m'a trouvé. Ca m'a rappelé les propos d'un copain de fac qui l'avait lu et adoré. Le temps a passé et je ne l'avais toujours pas lu. Justice est aujourd'hui rendue!

Tout dans ce livre est vrai et c'est ce qui marque le lecteur. Comme expliqué en postface, une fois évacué pour raisons humanitaires du Népal, Duchaussois a éprouvé le besoin de s'épancher sur son expérience avec les drogues (après une première désintox) et a fait livrer aux éditions Fayard, 18 bandes enregistrées! Il n'est pas écrivain et en parcourant le livre, on se rend compte très vite qu'on a plus affaire à un témoignage qu'à un roman: un griot halluciné! C'est une des forces du livre qui par cet aspect accroche immédiatement le lecteur à la manière d'une drogue dure.

Ce livre est d'abord l'histoire d'un jeune homme en rupture avec ses proches qui décide de partir à l'aventure, un tour du monde plus exactement. Au fil des pages, on traverse nombre de pays: la Turquie, le Koweït, l'Inde, le Népal... Totalement dépaysant et abrupt dans la manière d'être décrits, ces lieux qui peuvent laisser rêveur nombre de voyageurs, révèlent ici leur part de noirceur intrigante voir répulsive. J'ai tout particulièrement été marqué par une scène décrite lors du passage à Bénarès (Inde): la mutilation d'un enfant pour qu'il ramène davantage d'argent lors de ses séances de mendicité. Jamais au cours de cet ouvrage, Duchaussois ne cherche à enrober, adoucir la réalité: tout ici est brut de décoffrage avec un fort ancrage dans le réel aussi rude soit-il à contempler.

À partir de la moitié du livre, lorsque Duchaussois commence à s'adonner à l'opium et à y prendre goût, on rentre dans une autre logique, un autre voyage. Destination? L'esprit et la vie quotidienne d'un junkie! Et franchement, ça décoiffe! Prenez le film "Requiem for a dream" et multipliez son effet par 100 et vous aurez une vague idée de la puissance évocatrice de cet écrit. Véritable plongée en enfer, tour à tour Duchaussois nous décrit les produits et leurs effets, la manière d'en trouver et de se les administrer, la dégradation physique et mentale (sa déchéance dans la dernière partie du livre est totale et il s'en faut de peu pour qu'il disparaisse). Folie, délirium tremens... rien ne nous est épargné et c'est tant mieux! On est bien loin des oeuvres consensuelles parlant de la drogue. Par exemple, au moment d'expliquer pourquoi il a commencé à se droguer, sa réponse est simple et commune à une majorité de toxicos: parce que c'est bon et que ça fait du bien! Extrait: D'abord, à la question: Pourquoi se drogue-t-on? Je répondrai sans y aller par quatre chemins. Parce que c'est bon. Parce que ça vous rend heureux, ça vous permet de mieux supporter la fatigue, ça vous aide à vivre, à supporter vos ennuis, à mieux voir la vérité des choses, ça vous fait deviner des rapports et des associations entre les choses que vous auriez mis des années à trouver tout seul ou que vous ne découvririez peut-être jamais. Certes ce n'est pas politiquement correct mais c'est une réalité!

Autre passage intéressant quand il aborde le sujet de la rechute. Vers la fin du récit, il semble être sur la bonne pente, près de s'en sortir et il va craquer suite à une contrariété. Voici sa "justification-explication: Mais qui n'est jamais allé se cuiter au bistrot ou chez lui pour oublier un coup dur? Qui n'a jamais eu de passage à vide? Qui n'a jamais eu envie de tout laisser tomber? Il y a autre chose. La drogue. L'existence de la drogue. La conscience que la drogue existe. Et la faiblesse du drogué à peine rétabli et dont les nerfs, le cerveau et tous les organes restent imprégnés du délicieux souvenir de la drogue. Car, n'est ce pas, on oublie toujours facilement les moments désagréables et douloureux du passé, les souffrances, les tortures, les ennuis. Mais on n'oublie jamais les moments de bonheur et de plaisir. Ceux-là seuls restent. Et c'est le drame des drogués quand ils ont arrêté: le souvenir de leur calvaire s'est vite estompé, celui de leurs jouissances s'exacerbe sans cesse un peu plus.

Cet ouvrage contribue aussi à démystifier le mouvement hippie, le séjour à Katmandou du narrateur est éloquent à ce sujet. L'idéal Peace and Love ne résiste pas à la réalité et surtout à la nature profondément égoïste de l'être humain. Coups de gueule et coups tordus sont légions: escroqueries, vols, trahisons et abus de confiance essaiment tour à tour cette période de la vie de Duchaussois et de son entourage (copains, "boys", médecins dealers, morbacs profiteurs en tout genre...). On ne s'attache pas vraiment à cet homme opportuniste et profondément malade à partir de son arrivée en Inde mais on ne peut que rester scotcher devant ce roman d'aventure qui lui a servi de vie pendant une année. Pétris de contradiction, le héros est un homme avant tout. Pas d'angélisme donc sur ce qui lui est arrivé, pas de critique systématique, juste les faits et rien que les faits.

Vous l'avez compris, ce livre s'est révélé être pour moi une gigantesque claque, au point qu'il rentre directement dans le panthéon des oeuvres préférées de Mr K. Un grand livre pour une expérience hors du commun.

Posté par Mr K à 18:20 - - Commentaires [16] - Permalien [#]
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