"Walking dead" intégrale de Kirkman, Adlard, Gaudiano et Rathburn
L’histoire : Rick est policier et sort du coma pour découvrir avec horreur un monde où les morts ne meurent plus.
Mais ils errent à la recherche des derniers humains pour s'en repaître. Il n'a alors plus qu'une idée en tête : retrouver sa femme et son fils, en espérant qu'ils soient rescapés de ce monde devenu fou. Un monde où plus rien ne sera jamais comme avant, et où une seule règle prévaut : survivre à tout prix.
La critique de Mr K : Lire une intégrale de 33 volumes c’est quelque chose ! Ça faisait un bail que je souhaitais découvrir cette saga comics de Kirkman, moi qui avait été déçu par le tournant pris par la série et qui l’avait arrêté en fin de saison 8. Heureusement l’ami Frank est toujours là pour les bons plans BD et il m’a prêté l’ensemble il y a trois mois. Ne voulant pas tomber dans la folie, la mono-manie, j’ai divisé ma lecture en quatre étapes et c’est la veille de mon anniversaire que je terminais cette saga vraiment géniale.
L’apocalypse zombie est là. Rick, un policier lambda se réveille d’un coma suite à une intervention musclée et découvre que le monde qu’il connaissait a définitivement disparu. Il retrouve en fin de premier tome sa femme et son fils. Avec un groupe de personnes rencontrées au fil du hasard, ils tentent par tous les moyens de survivre et de rester humains... mais comme ils vont l’apprendre très vite, les zombies ne sont peut-être pas la menace la plus dangereuse...
Niveau scénario, on est dans du classique du genre, les situations évoquées vous rappellerons sans doute à chaque fois des livres ou des films déjà lus et vus. Mais finalement peu importe, l’essentiel ici réside dans les personnages et les trajectoires qu’ils prennent. Ne vous attachez pas trop à eux, ça défouraille sévère, ça part régulièrement en vrille et en cela le comics est très réaliste car dans un apocalypse zombie on ne peut pas vraiment rester vivant (comme on l’entend au sens classique) très longtemps !
Tous les personnages sont donc très creusés. Rien ne nous est caché de leur passé - même si des fois il faut attendre pas mal de temps avant d’avoir LA révélation qui fracasse tout -, de leurs pensées les plus intimes et de leurs actes. Les frontières du bien et du mal sont régulièrement franchies sans vergogne et l’on ne sait vraiment pas sur quel pied danser avec les protagonistes qui tour à tour étonnent, surprennent, dégoûtent, rendent admiratifs. C’est très souvent thrash, beaucoup plus que dans la série d’ailleurs. On est dans du jusqu’au-boutiste, des choses sont traitées bien plus frontalement, ils se passent des événements impossibles à mettre en images dans une série télé US. Pour autant, on n'est pas dans la surenchère gratuite, tout s’inscrit dans la durée, la métamorphose d’êtres banals en de véritables machines à survivre qui doivent avancer bon gré mal gré, les coups du sort se multipliant, devant cependant tenir debouts.
La dimension psychologique est remarquablement mise en mots et en images. C’est très verbeux diront certains (qu’est-ce qu’ils peuvent se parler les américains, mêmes quand ils se connaissent très peu) mais franchement on ne s’en lasse pas. Cela donne une vraie profondeur aux protagonistes qui sont tout de même confrontés à de sacré horreurs entre zombies amateurs de chair fraîche et humains tarés, obsédés par le pouvoir et le contrôle. On nage dans la noirceur la plus totale et lorsque l’on se dit qu’on a vu / lu le pire, il se passe toujours quelque chose d’autre qui calme encore plus. Le background est très bien ficelé aussi et l’on s’y croirait vraiment.
Scénario et caractérisation des personnages sont bétons. Se rajoutent sur cela de superbes planches qui nous en mettent plein les mirettes entre scènes d’action effrénées, grandes planches descriptives qui scotchent et des personnages très charismatiques. Malgré son caractère complètement barré, ma préférence va vraiment vers Negan, un perso effrayant et attirant à la fois qui dans le comics me paraît encore mieux traité que dans la série (même si je suis fan de l’acteur). J’aime beaucoup Rick aussi, bien plus borderline que dans la série. Mais en fait, il y en a tout plein qu’on apprécie et de manière globale je les ai trouvé crédibles et vraiment très bien caractérisés. Ça fait tout drôle de devoir les quitter après le tome 32 (le tome 33 est purement anecdotique à mes yeux, son intérêt est vraiment mince).
Bon vous l’avez compris, cette intégrale est incroyable, prenante comme jamais et les amateurs du genre doivent foncer le lire. Dans le genre, on trouve vraiment difficilement mieux et une fois qu’on a mis le nez dedans, c’est impossible de décrocher. À bon entendeur !
"Bloodsilver" de Wayne Barrow
L’histoire : 1691 : un bateau transportant de mystérieux passagers aborde la côte est du continent nord-américain. Les vampires viennent de débarquer de la vieille Europe. Ils forment bientôt le Convoi, longue colonne de chariots recouverts de plaques de plomb, et se lancent à la conquête de l'Ouest, anticipant le trajet du chemin de fer dans une lente et implacable progression...
1692 : à Salem, une poignée d'hommes impitoyables fonde la Confrérie des Chasseurs, bien décidés à stopper l'avancée du Convoi et à en découdre avec les créatures des ténèbres.
De Fort Alamo aux territoires sioux, de Wounded Knee à Silver City, les hommes du Nouveau Monde, Billy le Kid, les frères Dalton ou encore Doc Holliday mêlent le sang à l'argent, luttant sans merci contre les vampires, ou formant avec eux d'improbables alliances...
La critique de Mr K : Balade en terres d’uchronie historique aujourd’hui avec Bloodsilver de Wayne Barrow, un auteur derrière lequel se cachent Xavier Mauméjean (un des chouchous du Capharnaüm Éclairé) et Johan Heliot, ouvrage réédité par Mnémos en cette fin d’année. Le postulat de départ a de quoi séduire. Imaginez : réécrire le début de l’Histoire des États-Unis en y ajoutant un élément fantastique qui va bouleverser la donne. Une vraie et grande réussite pour une lecture-plaisir intense et passionnante.
70 ans après l’arrivée des premiers migrants européens sur le nouveau monde, un bateau s’échoue sur la côte est, libérant ses mystérieux occupants. Des êtres non morts, pourvus de canines pointues et de griffes acérées : des vampires ! Ils s’organisent en un convoi qui grossit de plus en plus et commence sa propre conquête de l’Ouest. Cette force nouvelle va compter dans la construction du nouvel État qui se libère des anglais en 1776 et l’Histoire va s’en voir changée à tout jamais.
Les auteurs nous proposent donc 18 bonds dans le temps, allant de 1691 à 1917, nous permettant de réécrire l’histoire si riche et parfois iconique des États-Unis. L’arrivée des premiers colons, la chasse aux sorcières (avec un passage à Salem des plus flippants), la bataille d’Adamo, le massacre de Wounded Knee, les avancées du rail, le recul des amérindiens, les attaques de banques des frères Dalton, le règlement de compte de OK Corral, les délires spirits de la veuve Winchester et beaucoup d’autres. Quand on connaît bien l’histoire américaine, c’est du bonheur en barre. La déconstruction / reconstruction est savamment orchestrée et multiplie les clins d’œil savoureux. À l’occasion, j’ai effectué quelques recherches sur le net pour me remettre en mémoire des événements ou des personnages ayant vraiment existés. On double alors le plaisir !
On retrouve complètement l’ambiance western bien pesante avec ses personnages bruts de décoffrages, une ambiance poussiéreuse et une vie rude. Pas de doute, les auteurs maîtrisent leur sujet et proposent aussi une galerie de personnages tous plus marquants les uns que les autres. L’esprit de liberté est là ainsi que les horreurs commises au nom de la conquête de l’Ouest. Le sang et la fureur se sont donnés RDV et l’on n’est pas déçu. D’ailleurs dans le domaine, les passages mettant en scène les créatures ne sont pas à mettre entre toutes les griffes, ça écharpe sévère, ça dégouline d’hémoglobine et l’on en redemande. On alterne donc immersion documentaire précise et fantastique tantôt larvé tantôt complètement déjanté. Le mélange des genres fonctionne très bien et l’on prend vraiment son pied.
Malgré un contenu dense, tout un chacun trouvera son compte dans Bloodsilver, entre action, étude sociologique et descriptions évocatrices en diable. Si on se laisse porter par le fil, que l’on se laisse guider par la langue inventive et volontiers soutenue à l’occasion, on part pour un sacré voyage qui dépote, étonne et provoque une évasion totale. Perso, j’en aurais bien repris un peu !
"Spirale" intégrale de Junji Ito
L’histoire : De prime abord, Kurouzu ressemble à une banale petite ville de campagne. Mais, au-delà des apparences moroses, existe un mal profond, terrible et indicible qui plane au-dessus des habitants. Une pression hypnotique, un malaise poisseux qui corrompent les cœurs, les âmes et les esprits de victimes impuissantes.
La critique de Mr K: Je tiens à préciser qu’au départ je ne suis pas un grand amateur de mangas. Sorti de Ranma 1/2 (très fun), Dragon Ball (quand Sangoku est petit) et Akira (cultissime), je n’ai pas lu grand chose et souvent l’aspect esthétique des personnages me rebute, l’aspect trop théâtral aussi. Je découvrais, avec Spirale, l’auteur Junji Ito qui a une belle réputation dans le domaine de l’horreur et je dois avouer que j’ai été totalement conquis. Il propose un dessin dynamique et fouillé, pas caricatural et surtout un récit bien barré, complètement borderline même et une métaphore filée bien trouvée et jusqu’au-boutiste.
Il s’en passe des choses à Kurouzu, petite ville portuaire semblable à tant d’autres au Japon. À première vue, rien ne la distingue vraiment, la vie s’y écoule calmement, sans fioriture dans une banalité presque confondante. C’est sans compter l’apparition de phénomènes terrifiants. Tout commence par des disparitions, des coups de folie... Puis l’apparition d’êtres difformes, mutants, des phénomènes physiques et météorologiques inexpliqués. Une malédiction semble planer au dessus de la ville, une malédiction où le motif en spirale est omniprésent : vents tourbillonnants, drôles de courants apparaissant dans les caniveaux, un père mort dont le corps est transformé en spirale, des hommes se transformant en escargots, des cheveux se muant en spirales vivantes, des femmes enceintes en meurtrières, un couple d’amoureux transis qui va finir entrelacé au sens propre, une ville qui se transforme d’elle-même adoptant un plan spiralaire... Non vraiment quelque chose d’indicible se passe à Kurouzu et la vérité, quand elle éclatera, sera terrible.
Divisé en nombreux courts chapitres (à l’origine ce manga est sorti en trois volumes), on suit les événements à travers les yeux de Kirie, une jeune étudiante qui assiste quasi impuissante à la métamorphose funeste de sa ville natale. Ingénue comme on peut l’être à son âge, elle va devoir affronter une réalité qui la dépasse et la touche elle et ses proches. Ainsi, le récit alterne son quotidien à l’école, dans ses relations amicales et familiales avec des moments de terreur / horreur purs. Shuichi, son petit ami, est un jeune homme bizarre qui croit en la malédiction de la spirale. Particulièrement barré, paranoïaque, il est le contre-pied de l’héroïne. Les deux se complètent parfaitement et leur rôle sera essentiel dans la résolution du mystère surtout qu’il semble impossible de quitter la ville qui devient de plus en plus folle.
Les traits sont sombres, la noirceur tenace et poisseuse. Les tableaux sont saisissants, effrayants, la peur est vraiment palpable et il n’est pas rare d’être horrifié par ce qui nous est donné à voir et à lire. La fascination est totale, dérangeante par bien des aspects entre forme et fond, on vire même parfois dans le delirium le plus complet avec des passages vraiment allumés pour ne pas dire psychés. C’est très imaginatif, collé aux émotions les plus intimes des personnages et cela propose une Mythologie développée. Franchement, j’ai été emporté par le récit et ses réflexions sous-jacentes sur le Japon contemporain, la peur de l’Apocalypse (certaines cases font clairement penser à Hiroshima et Nagasaki), le harcèlement à l’école, le culte de l’apparence, la pauvreté galopante et la mainmise des puissants et du sacro-saint capitalisme (brillant essai reproduit en fin d’ouvrage) et d’autres références que je vous laisse découvrir.
Vous l’avez compris cette intégrale "Spirale" est une petite perle de noirceur que je vous invite à découvrir au plus vite. C’est sans complexe, extrême et profond. Les amateurs ne doivent pas passer à côté !
"Bones and all" de Camille Deangelis
L’histoire: États-Unis.
Contrainte de fuir à cause de ce qu'elle est, Maren, seize ans, sillonne les routes américaines en quête de nouvelles attaches. Et lorsqu'elle rencontre l'énigmatique Lee, elle se prend à rêver d'une vie à ses côtés... Une vie de bohème et de liberté. Car Lee lui ressemble : comme elle, il ressent le besoin irrésistible de dévorer les êtres humains... Et si Maren n'était finalement pas aussi seule qu'elle le pensait ?
La critique de Mr K : Bones and all de Camille Deangelis est un roman assez malin dont l’adaptation cinématographique (signé Luca Guadagnino tout de même !) est sortie fin novembre. Mélange de road-movie, de quête de soi et de ses origines, roman d’horreur aussi (mais vraiment à petites doses), voila un ouvrage qui m’a bien plu, totalement addictif et bien mené. Certes l’originalité n’est pas forcément au rendez-vous mais on passe vraiment un très bon moment.
Maren vit seule avec sa mère et change très souvent de domicile et de région. Il faut dire qu’elle a d’étranges pulsions cannibales qui la poussent à dévorer les personnes qui lui témoignent de l’affection. Avouez que c’est ballot et surtout difficile à gérer... La mère un jour n’en pouvant plus, l’abandonne à son sort et part loin de cette fille dont elle n’accepte plus la nature. Maren va devoir se débrouiller seule, se lancer sur les routes pour retrouver un père qu’elle n’a jamais connu. Peut-être lui, pourra-t-il lui fournir des explications sur ce qu’elle est ? Sur la route, elle fera des rencontres qui vont transformer le voyage en une ode initiatique qui va voir la jeune fille se confronter à sa nature et à ses racines.
Ce roman, une fois débuté, ne peut être relâché. Sa grande force réside dans sa protagoniste principale et dans le rythme global que l’auteure a su imprimer à son récit. Écrit à la première personne, on s’immerge littéralement dans l’esprit perturbé de Maren qui au-delà de sa tare se révèle être une jeune fille comme toutes les autres, pétrie de doutes et d’interrogations sur elle-même et sur le monde. La dimension psychologique est très bien rendue, très crédible et donne à voir une trajectoire bien borderline pour une Maren attachante qui cherche avant tout à se comprendre mieux et à trouver quelqu’un qui pourrait l’accepter telle qu’elle est. Vous imaginez bien qu’elle va finir par croiser des créatures semblables avec quelques nuances qui m’ont surpris et apportent une valeur ajoutée au postulat de base.
De l’horreur, il y en a mais les scènes sont habilement conduites, quasiment en hors champs, évoquées mais jamais dévoilées totalement laissant le lecteur imaginer ces repas d’un genre particulier. L’horrible est indicible en soi et l’imagination fait le reste, l’effet est garanti, le morbide présent mais pas envahissant. Cette subtilité participe à l’instauration d’un climax ambigu tout au long du roman, l’impression qu’on ne peut vraiment s’appuyer sur quelque chose de solide, de durable, tout peut basculer d’une ligne à l’autre. La fin en la matière est un très bel exercice de style qui m’a cueilli et convaincu.
Tous les personnages sont merveilleusement ciselés, leurs interactions remarquablement mises en mots participent à une ambiance unique faite de contemplation, d’attirance et de répulsion. Le désir est au cœur du récit : le désir d’affection, d’amour, de mort aussi, Eros et Thanatos se donnent rendez-vous à la lumière d’une sortie d’adolescence compliquée si je puis m’exprimer ainsi. La langue accompagne bien le propos. Visant les adolescents, roman pour les jeunes lecteurs, ce n'est certes de la grande littérature mais ce n'est pas ce qu'on lui demande véritablement et ça fait le job ! Les pages s’enchaînent rapidement, sans lassitude et au final, on ressort content d‘une lecture parfois prévisible mais vraiment rafraîchissante et à la portée plus lointaine qu’on ne pouvait le penser au début.
"Demain, le jour" de Salomon de Izarra
L’histoire : France, 1936. Le bruissement d'une nouvelle guerre se fait entendre. Un train traverse les Vosges mais n'arrivera jamais à destination. De la carcasse encore fumante, alors que la nuit tombe, trois survivants trouvent refuge dans un petit village abandonné, au creux de la forêt, au milieu de nulle part.
Accueillis par le Maire, harcelés par des créatures mystérieuses, ils sont pris pris au piège et devront plonger dans les souvenirs les plus sombres de leurs vies pour découvrir les raisons de leur présence en ces lieux.
La critique de Mr K : Aujourd’hui, je vous propose de vous parler d’un livre étrange, entre huis clos et fantastique sorti à l’occasion de cette rentrée littéraire. Demain, le jour de Salomon de Izarra paru chez Mu est un drôle d’objet livresque qui rompt avec ce qu’on peut avoir l’habitude de lire. Tortueux dans son contenu et sa narration, il propose un véritable voyage immersif et décalé qui cependant ne m’a pas convaincu à 100% malgré des qualités certaines. Voici pourquoi.
Après un accident ferroviaire d’une violence inouïe, trois survivants sortent quasiment indemnes du terrible événement. Paul, Suzanne et Armand ne se connaissent pas et vont devoir cohabiter face aux événements. Et quels événements ! Perdus au milieu de nulle part, ils cherchent un abri et pénètrent dans la touffue forêt des Vosges. Ils finissent par arriver dans un village interlope, accueilli par un maire devenu alcoolique qui leur raconte une terrible histoire. Des créatures rodent et sèment la terreur en ces lieux oubliés de Dieu...
Le pitch est assez énorme dans son genre et c’est ce qui m’avait attiré en premier lieu vers cette lecture. Attention, cette trame n’occupe cependant qu’à peine un quart de l’ouvrage. En fait, chaque chapitre alterne entre ces trois protagonistes (et un quatrième qui fait son apparition un peu plus tard et dont je ne vous parlerai pas pour ne rien gâcher de votre éventuelle découverte) qui sous forme de journal, de confession revient sur son passé. Les flashback occupent donc une place prépondérante dans le récit et permettent de lever le voile sur la personnalité et les motivations intimes de chacun. Allant du très peu recommandable Paul, un manipulateur sans foi ni loi, à Suzanne, une jeune journaliste qui essaie de se faire une place au soleil, en passant par un Armand marqué par un passé tragique, on côtoie des personnages complexes, attachants (oui oui même Paul), très bien ciselés et dont on finit par comprendre pourquoi ils sont là.
L’ambiance général est assez glauque, ténébreuse. On ne sait pas vraiment vers où on va, on navigue vraiment à vu et c’est plutôt agréable de se laisser porter. Le climax fantastique est très bien rendu avec à l’occasion des fulgurances d’horreur pure lorgnant vers Lovecraft que j’aime tellement. Les questionnements intimes des différents protagonistes, leurs passés, leur enfermement dans ce village et les monstruosités qui s’y trouvent font mouche et dérangent bien souvent. Beaucoup de thématiques sont donc abordées en filigrane, se mêlant, se répondant et interpellant bien souvent le lecteur : la famille, la construction de soi, l’ordre et la morale, le pouvoir... autant d’éléments qui font échos à des réalités expérimentées.
Mais voila, cela ne suffit pas pour faire de ce titre un incontournable. J’ai trouvé le rythme vraiment très lent, pas forcément justifié au regard du dénouement. Certes l’idée du puzzle à reconstituer est alléchante, tout se tient mais on se perd un peu en circonvolutions et le contenu ne correspondait vraiment pas à mes attentes. D’où une certaine frustration et même parfois la sensation que l’auteur s’écoutait écrire, dégageant une certaine forme de pédanterie qui m’a dérangé. Je n’ai pas totalement adhéré et j’ai ressenti aussi une certaine lassitude par moment avec la sensation qu’on n’avance pas.
Mon avis détone un peu dans la blogosphère, beaucoup de mes camarades ont porté aux nues cet ouvrage et je pense qu’il vaut le détour. Il mérite que chacun se fasse sa propre opinion car ce roman est vraiment à part et il ne vous laissera pas indifférent.
"L'Homme bouc" de Corbeyran et Aurélien Morinière
L’histoire : Lorsqu'on lui signale la disparition d'une adolescente au cœur de la forêt limousine, l'enquêtrice Gaëlle Demeter affronte une étrange réalité où se mêlent traditions et superstitions.
Face à l'inconnu, elle fait appel à son amie, Blanche.
Blanche est chamane. Elle connaît certains chemins qui mènent aux replis du monde...
La critique de Mr K : Chronique d’un ouvrage emprunté à la médiathèque du secteur aujourd’hui avec L’Homme bouc de Corbeyran et Aurélien Morinière. Je n’avais aucune idée préconçue sur ce titre, je l’ai juste sélectionné car la quatrième de couverture m’a diablement tenté -sic- et que je ne lis quasiment que des one shot, ne courant guère derrière les cycles interminables en bande-dessinée. Ce fut une lecture très agréable.
On entre de suite dans le vif du sujet dès les premières planches avec la visite de l’enquêtrice de gendarmerie Gaëlle Demeter auprès de la mère d’une jeune femme disparue en forêt limousine. Jeune fille sans reproches, interne en médecine, elle n’est jamais revenue de sa balade avec le chien de la maisonnée. Pas d’indices, une vague description d’un véhicule garé à proximité vu par le boucher du coin en tournée... l’enquête piétine et la gendarme fait appel à une amie chamane du cru (Blanche) suite à la découverte dans la chambre de la disparue d’une espèce de Dreamcatcher étrange.
Les choses vont se précipiter avec la découverte du cadavre décapité et éviscéré du chien cloué sur la porte d’une grange et des visions de Blanche qui laissent penser qu’il y a quelques maléfices à l’œuvre, que cette disparition s'inscrit dans un cycle de disparitions qui pourrait être le fait du Malin. Les inspecteurs vont devoir pour autant garder la tête froide et s’en tenir aux faits, la jeune disparue peut sans doute encore être sauvée.
L’histoire se déroule donc comme un bon roman policier. On reste collé aux basques de Gaëlle, de son coéquipier et de Blanche. Les auteurs ne cherchent donc pas à faire dans le spectaculaire et le hardboiled. Enquête de proximité, discussions à bâtons rompus, recherches d’indices souvent infructueuses, interrogatoires, fausses pistes et hypothèses à géométrie variable s’enchaînent avec plaisir. Le rythme est lent, les choses sont posées petit à petit sans précipitation et la pression monte donc très crescendo. On se prend au jeu et l’on joue à essayer de deviner le pourquoi du comment.
Avec le personnage de Blanche, les auteurs rajoutent une touche rock and roll (son look, les groupes qu’elle écoute, son caractère) et de fantastique. Férue de superstitions, de croyances païennes et en connexion avec des forces qui dépassent le commun des mortels, elle va aider Gaëlle dans son enquête grâce à ses découvertes et visions qui vont éclairer quelque peu cette affaire nébuleuse qui semble échapper à tout le monde. Qui est ce mystérieux homme bouc qui rode dans les parages, que seule Blanche peut voir et qui semble mêler à la disparition ?
Les personnages sont relativement bien croqués surtout d’ailleurs les personnages secondaires comme cette mère inconsolable qui a littéralement sombré, cette femme prostrée réapparue de nulle part qui ne communique que par le dessin. Les personnages principaux font le job même si on n’échappe pas à certains clichés et quelques artifices scénaristiques lus et relus. L’ensemble fonctionne quand-même très bien, l’alchimie est là, la lecture addictive.
De plus, l’œuvre est de toute beauté, les dessins en noir et blanc rajoutent à l’ambiance glauque et étrange qui se dégage de l’ensemble. Tantôt ultra-réaliste, parfois plus irréel comme les passages en forêt, l’esthétique sert très bien le propos et renforce l’accroche du lecteur. Le dénouement quoiqu’un peu abrupt tient ses promesses et l’on a nos réponses dont on avait deviné la teneur quelques temps auparavant cependant. Une bonne lecture donc, pas exceptionnelle mais très plaisante qui ravira les amateurs de récit policier et de fantastique léger.
"Le miroir de Satan" de Graham Masterton
L’histoire : Martin Williams, un scénariste, fait l'acquisition d'un miroir ayant appartenu à Boofuls, enfant-star d' Hollywood, assassiné en 1939 dans des circonstances aussi tragiques que mystérieuses. Les miroirs, c'est bien connu, peuvent être des portes sur d'autres mondes. Celui-là est une porte sur l'enfer, sur un "Hollywood à l'envers" où sous ses dehors de petit garçon angélique, Boofuls va se révéler la plus diabolique des créatures...
La critique de Mr K : Un bon plaisir régressif au programme d'aujourd'hui avec un Graham Masterton exhumé de ma PAL, un auteur que j’aime tout particulièrement lire en été, le genre épouvante convenant parfaitement à cette période d’accalmie au niveau taf et au climat surchauffé. Quoi de mieux donc qu’un ouvrage traitant de l’enfer et du Diable avec Le miroir de Satan, une variation très libre autour de l’œuvre de Lewis Carroll. J’y allais avec confiance vu la belle surprise que s’était révélé être Le Portrait du mal qui lui partait sur les pas d’Oscar Wilde. Ce fut ici une lecture très plaisante, addictive et très agréable malgré une fin quelque peu abrupte.
Être scénariste est loin d’être une sinécure. Loin d’être riche, Martin Williams vivote dans un Hollywood où la richesse semble à portée de main. Il ne s’en plaint pas pour autant, il vit pleinement sa vie de célibataire, multiplie les conquêtes et réalise quelques percées dans le marché des séries à succès comme l’Agence tout risque. Il a un projet secret, une marotte : celle de réaliser une comédie musicale sur un enfant-star assassiné violemment par sa grand-mère en 1939. Par un hasard surprenant, il se retrouve avec la possibilité d’acquérir des meubles lui ayant appartenu. Il jette son dévolu (il n’a en fait les moyens que pour ça) sur un grand miroir surmonté d’une figurine grimaçante et l’installe chez lui.
C’est bien connu, les miroirs capturent une partie de votre âme quand vous vous contemplez dedans, certains disent même qu’ils sont un lieu de passage vers d’autres mondes ou dimensions. Martin va l’apprendre très vite à ses dépens. Il commence par y voir des choses qui ne devraient pas y être et bientôt des échanges vont s’avérer possibles. Le simple fait surnaturel et inquiétant va devenir terriblement angoissant avec de premières apparitions glaçantes et des morts violentes qui s’accumulent autour de lui. L’enfant disparu semble avoir survécu et vivre de l’autre côté. Que se passerait-il s’il réussissait à traverser le miroir et à venir dans notre monde ? Le lecteur et le héros prit de panique ne vont pas tarder à le savoir !
Ce qu’il y a de bien avec cet auteur, c’est que ce n’est pas un tâcheron comme on en trouve un peu trop souvent dans le genre. Le style est étudié, fourni et pour autant très accessible et évocateur de scènes délirantes et effrayantes. Masterton s’y entend pour nous mettre les chocottes et il y est arrivé plus d’une fois avec moi avec cette lecture, je peux vous dire que je regardais différemment mon reflet dans le miroir de la salle de bain. On passe dans ce roman de moments calmes à de brusques accélérations narratives qui mettent mal à l’aise, la bienséance n’étant pas dans ces pages bien au contraire. Satan ne fait pas dans la dentelle et dans la morale première, il se déchaîne ici.
L’aspect fantastique est très bien rendu, insidieux et pernicieux, il baigne les pages d’une atmosphère glauque. On n’est pas déçu par cette immersion poisseuse, très progressive et qui voit les certitudes du héros fortement ébranlées. Les faisceaux de présomptions tournent vite aux révélations incroyables. A la moitié de l’ouvrage, on se rend compte que la simple histoire de revenant et d'objet possédé vire en quelque chose de bien plus important et que le sort du monde tel qu’on le connaît est en jeu. Surtout que les esprits finissent par se déchaîner et donnent lieu à des scènes bien gores dont l’auteur a le secret. Ça gicle bien, c’est bien sadique par moment, perso j’adhère et j’adore. Un bon Masterton recèle forcément des passages bien salés, et l’on n’est pas déçu sur ce plan là non plus !
En filigrane, on lit aussi une bonne critique bien senti du système hollywoodien, de la logique de succès et d’échec avec son lot d’âmes perdus et de laissés pour compte capables de tout pour réussir. Le milieu est bien pourri par l’argent, la quête de pouvoir et la volonté de n’en laisser aucune miette. Typiquement le genre d’enfer sur terre idéal pour faire germer un mal plus profond. L’auteur s’en donne donc à cœur joie et la jubilation est là encore totale. Un petit bémol, la résolution arrive tardivement et aurait mérité davantage de développement. Ce n’est pas bâclé pour autant, tout a une explication mais le climax installé aurait mérité d’être détruit de manière moins rapide et plus prolongé. Mais c’est un menu défaut je vous rassure.
Très bonne lecture donc que je ne peux que conseiller à tous les amateurs de frissons, d’ambiance de fin du monde et de paranoïa galopante. C’est efficace, bien mené et l’on n’est pas déçu.
Egalement lus et chroniqués de Masterton au Capharnaüm éclairé :
- Le Portrait du mal
- Magie des neiges
- Apparition
- La Cinquième sorcière
- Le Jour J du jugement
- Le Trône de Satan
- Le Sphinx
- Magie maya
"Un Homme de goût" de Cha et Eldiablo
L’histoire : Jamie Colgate, ex-flic en retraite anticipée, a une obsession : remettre la main sur le salopard qui l'a un jour laissée à moitié morte et tué son chien adoré. Mais le dangereux criminel qu'elle traque depuis plus de vingt ans est loin d'être un homme ordinaire. Il assassine depuis si longtemps et avec une telle efficacité que les pires tueurs en série ne peuvent lui être comparés. Quelle justice humaine appliquer à celui qui semble être un monstre sorti d'un placard plutôt qu'un homme ?
La critique de Mr K : Bonne pioche encore à mettre au profit de l’ami Franck avec ce prêt éclairé et propice au plaisir de lecture. Je retrouve le duo Cha et Eldiablo après mon expérience très positive de Pizza roadtrip. Un Homme de goût est moins débridé dans le rythme et les personnages mais tout aussi réussi et diablement prenant avec en plus une dimension créative et des choix stylistiques surprenants et réussis.
Jamie Colgate après plus de vingt ans de chasse a enfin réussi à mettre la main sur Nekros, un serial killer qui sévit depuis trop longtemps et qui l’a laissée pour morte des années auparavant. La situation semble être à son avantage mais c’est mal connaître ce monstre à la nature étrange. Résistant, doté d’un réseau et d’une fortune imposants, semblant immortel, il retourne la situation à son avantage et se livre alors au jeu des révélations.
On se prend immédiatement au jeu de cette chasse à l’homme qui se transforme rapidement en un récit fantastique de haute volée mêlant flashback et rebondissements actuels. Cela donne lieu a des choix différents de coloris, de style selon l’époque où se déroule le récit, un choix artistique réussi et qui explose bien souvent les rétines. Cha est décidément une grand dessinatrice et je trouve qu’elle franchit encore un pas avec cette œuvre où elle explore différentes techniques. Elle m’a plus d’une fois surpris et émerveillé. Bravo à elle !
Pour revenir au récit, il y a donc plusieurs histoires dans la même histoire en quelque sorte pour un personnage intrigant puis très vite inquiétant de par son cynisme. On explore les époques avec délice en alternant les tons. On est parfois dans l’épique, dans le conte, le polar, le factuel pur et l’on plonge dans les temps anciens ou même les ghettos des seventies aux USA. C’est varié mais pour autant tout cela forme un tout cohérent à la portée renversante. L’histoire se déroule bien, multiplie les embardées et la fin (bien qu’un peu attendue) est un bel aboutissement.. du moins pour nous lecteur, Jamie elle n’a pas fini d’en baver...
Cet ouvrage se lit donc d’une traite avec grand plaisir. Ce mélange d’enquête policière et de fantastique est une vraie et grande réussite que l’on ne peut que recommander. Alors ? Qu’est-ce que vous attendez ?
"Satanie" de Fabien Vehlmann et Kerascoët
L’histoire : Charlotte, alias Charlie, une jolie petite rousse, organise une expédition afin de retrouver son frère, un jeune scientifique, qui a disparu sous terre depuis plusieurs mois. Celui-ci affirmait pouvoir prouver l’existence de l’Enfer en s’appuyant sur la théorie de l’évolution de Darwin. Le groupe conduit par Charlie s’enfonce sous terre et découvre au fur et à mesure de sa progression que les entrailles de notre planète abritent bel et bien une autre forme de vie pour le moins inattendue... Et si c’était ça, l’Enfer ?
La critique de Mr K : Nouvelle découverte grâce à l’ami Franck avec Satanie du duo Fabien Vehlmann et Kerascoët qui récidivent après le magnifique et ténébreux Jolies ténèbres qui m’avait littéralement scotché. Au programme de cette bande dessinée de haut vol, la quête d’une sœur qui en partant à la recherche de son frère va découvrir la vraie nature du cœur de la Terre et va voir son existence totalement bouleversée, changée à jamais. Littéralement embarqué dès les premières pages, j’ai dévoré ce volume avec un plaisir intense et un émerveillement de tous les instants. Suivez le guide !
Charlotte organise donc une expédition pour retrouver son frère, un scientifique un peu fou parti vers le centre de la Terre pour localiser les Enfers. Mythe ? Réalité ? La question le passionnait mais semble avoir eu raison de lui, il n’a plus montré le moindre signe de vie. Voilà donc la jeune femme partie pour une aventure spéléologique avec des hommes rodés à l’exercice et même un abbé ! Très vite le voyage va se révéler mouvementé, surprenant et surtout initiatique pour chacun des aventuriers à commencer par Charlotte.
On voyage autant que les personnages avec un récit ébouriffant où l’on en prend plein les yeux et où les rebondissements sont nombreux. Charlotte va durant ce périple beaucoup changer, elle grandit, mûrit, subit des chocs traumatiques, n’est vraiment plus la même à la fin de son aventure. D’ailleurs, j’évacue de suite la polémique sur la fin, personnellement je l’ai adoré, elle est pleinement ouverte et logique. Pour en revenir à l’héroïne, elle est très attachante et l’on prend un grand plaisir à la suivre dans ce parcours initiatique d’une profondeur folle et passionnant.
L’exploration de l’intérieur de la Terre est donc riche en surprises et les auteurs proposent vraiment une vision neuve tout en s’inspirant de références plus anciennes (pour moi les plus évidentes sont Jules Verne et HP Lovecraft, excusez du peu). Cela donne lieu à des rencontres pour le moins étranges, des peuplades oubliées, des créatures étranges aux formes diverses et aux intelligences développées fondées sur d’autres systèmes de valeur. Pour être dépaysé, on est dépaysé et j’ai aimé cette sensation de ne pouvoir parfois se raccrocher à rien, de se laisser porter par l’imagination débridée déployée ici. Certaines planches sont tout bonnement hallucinantes, fourmillant de détails et lorgnant vers le psychédélisme et le subliminal.
L’objet BD est magnifié ici. On retrouve la beauté des traits du dessinateur, la flamboyance des couleurs et la gestion parfaite de la narration entre action trépidante (il y a parfois un côté Indiana Jones) et moments plus calmes voire contemplatifs. Il y a aussi à l’occasion une petite dose d’humour bien sentie, notamment dans certains échanges entre les protagonistes qui sont plutôt cash et rajoutent à l’humanité profonde qui se dégage de l’aventure. C’est donc aussi une BD fun et même presque picaresque par moment avec un côté extravagant poussé.
Satanie est vraiment une très belle réussite, une revisite originale et réussie du mythe des enfers, un beau parcours de personnage et une œuvre magnifique en terme esthétique mélangeant avec bonheur aventure, onirisme, fantastique et même un peu de sciences. Ne passez pas à côté de ce titre si vous êtes amateur de ce type de récits, c’est un incontournable dans le genre !
"Le Styx coule à l'envers" de Dan Simmons
L’histoire : Une virée dans un Vietnam reconstitué, vaste parc d'attractions où de riches touristes jouent et rejouent à la guerre.
L'Enfer tel que l'a imaginé Dante débarque sur Terre, mais uniquement pour les télévangélistes et leurs ouailles.
Grâce aux Résurrectionnistes, la Mort est enfin vaincue : leur technologie de pointe ramène à la vie vos chers disparus... jusqu'à un certain point.
Le cancer vous fait peur ? Attendez de savoir à qui profitent les métastases pour avoir vraiment peur...
La critique de Mr K : Ça faisait un bail que je n’avais pas lu Dan Simmons (décembre 2017, la honte !), un auteur que j’apprécie tout particulièrement. C’est à l’occasion du défi Instagram Mai en nouvelles que j’exhumai le présent volume de ma PAL gargantuesque. Avec Le Styx coule à l’envers, j’explorai une nouvelle facette du maître : l’art de la nouvelle, un genre que j’aime beaucoup. Quand on connaît la propension de Dan Simmons à livrer de gros pavés, je me demandais bien ce que ça allait donner. Loin d’être une déception, ce recueil s’est révélé très plaisant.
Douze nouvelles, douze voyages bien barrés qui oscillent entre fantastique et science-fiction, douze pièces précédées d’une courte introduction de Dan Simmons pour présenter la genèse du texte, raconter une anecdote ou livrer une pensée ou un coup de gueule. J’ai aimé ce principe qui permet de recontextualiser l’histoire à venir et livre des éléments intéressants sur le procédé d’écriture et parfois sur la personnalité de cet écrivain décidément hors norme.
Les sujets traités sont très variés. Une société où l’on peut faire revenir les morts (la nouvelle éponyme) avec une mère de famille qui revient mais qui n’est pas tout à fait la même. On suit ce retour via la voix de son jeune fils partagé entre joie, incompréhension et peur sur fond de dilemme moral et de questionnement éthique sur la recherche scientifique. La nouvelle est assez effroyable et m’a cueilli d’entrée. Dans Vanni Fucci est bien vivant et il vit en Enfer, un esprit revient des enfers mettre le souk sur le plateau d’une télévision évangélique. C’est dark et jouissif à la fois, on sent bien que Simmons a ces moralisateurs dans le nez. On enchaîne ensuite avec Passeport pour Vietnamland où des touristes peuvent s’immerger et même participer à la guerre du Vietnam. Très vite les frontières entre virtuel et réel se brouillent. Cette nouvelle dérangeante et âpre fait partie des meilleures du lot avec une tension de plus en plus palpable et un lecteur totalement conquis.
Deux minutes et quarante cinq secondes voit des hommes discuter dans un train des montagnes russes d’un projet top secret. Pour le coup, il s'agit à mes yeux de la nouvelle la plus faible de cet opuscule, j’ai été très vite perdu et je n’ai pas saisi la portée du texte. Heureusement, suit la terrible nouvelle Métastases où un fils nous raconte l’agonie et la mort de sa mère des suites d’un cancer. Il commence à avoir des visions d’étranges créatures qui rodent autour des malades. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? On nage ici en plein fantastique mâtiné d’une réflexion très profonde sur le deuil et la manière de le surmonter. Un grand crû ! Dans Douce nuit, sainte nuit, l’auteur nous sert un récit de noël post-apocalyptique bien saisissant avec la venue d’un prédicateur dans une communauté éloignée de tout. Le monstre n’est pas forcément celui auquel on pense, la fin est renversante, j’ai adoré.
Dans Mémoires privées de la pandémie des stigmates de Hoffer, Dan Simmons nous fait lire la lettre d’un père à son fils alors qu’une terrible épidémie a défiguré l’humanité selon les pêchés de chacun. L’amateur de David Cronenberg que je suis a été comblé avec un luxe de détails peu ragoûtants et une réflexion intéressante sur le Bien et le Mal. Là encore la fin renverse tout et laisse le lecteur pantois. Les fosses d’Iverson m’a beaucoup moins plu, ce voyage dans des souvenirs de la guerre de sécession m’est apparu brouillon dans sa construction et sans réel intérêt en terme de trame. Un coup dans l’eau pour le coup. Le conseiller lorgne lui dans le thriller hardboiled où un conseiller d’éducation se révèle être un ange exterminateur qui règle les problèmes familiaux de ses élèves avec la manière forte. Jouissif et un pur shoot d’adrénaline, Simmons excelle dans l'exercice. Dans La photo de classe, une professeur passionnée par son métier continue à faire classe malgré un apocalypse zombie. Dur dur d’enseigner à des créatures non mortes mais elle a de la suite dans les idées. Ma nouvelle préférée et un texte d’intro où je me suis pleinement retrouvé dans la définition que donne Simmons du métier, l’auteur lui-même rappelons-le a été enseignant dans sa jeunesse. Le récit alterne moments branques et pensées intimistes très touchantes, on passe par toutes les émotions.
Dans Mes copsa mica, un homme part sur les trace des Dracula dans les pays de l’est et c’est le prétexte pour livrer des réflexions sur la mort, la pollution, l’humanité et la planète. Un récit précurseur dans son genre bien que peu digeste. Pas complètement réussi mais pas complètement raté non plus... Enfin, À la recherche de Kelly Dahl clôture le recueil avec une histoire de quête très poétique et remplie d’émotion. Différente des autres textes, elle offre un récit touchant et enivrant à la fois.
Malgré deux faux pas, on passe donc un très agréable moment en compagnie de Dan Simmons qui maîtrise parfaitement le genre et offre des textes surprenants et prenants à la fois. L’écriture est toujours aussi subtile et se fait ici maligne avec des chutes que bien souvent on ne voit pas venir. Personnages ciselés, contextes et background parfois incroyables, on se laisse porter avec plaisir et l’on ressort heureux de cette lecture pas tout à fait comme les autres. Avis aux amateurs !
Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm éclairé :
- Ilium
- Olympos
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- L'Homme nu
- Les Chiens de l'hiver
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