"Je vous dépose quelque part ?" de Cécile-Marie Hadrien
L’histoire : Gabriel et Apolline sont-ils des anges de la route ? Les voix des deux narrateurs alternent et se croisent tandis qu'ils pratiquent le covoiturage. Aux passagers de quelques heures embarqués avec leurs problèmes, leurs humeurs et confidences parfois envahissantes, ils offrent davantage que leur conduite expérimentée et l'habitacle confortable de leurs voitures respectives. L'impromptu s'invite à bord et les protagonistes goûtent alors aux extras de l'ordinaire.
La critique de Mr K : Retour aux éditions Quadrature aujourd’hui avec la chronique d’un très chouette recueil de nouvelles qui a réussi à m’émouvoir parfois jusqu’aux larmes. Je vous dépose quelque part? de Cécile-Marie Hadrien allie à la fois puissance évocatrice, petits récits inventifs tout en restant toujours au niveau des personnages qu’elle met en scène, dans une réalité à hauteur humaine où chacun d’entre nous peut se retrouver.
Les quinze nouvelles qui composent l’ouvrage suivent le même principe d’écriture : Apolline et Gabriel, les deux narrateurs, alternent leurs souvenirs dans les nouvelles et nous racontent une expérience de covoiturage, une rencontre avec quelqu’un ou quelques-uns qu’ils ne connaissent pas du tout. Le hasard, le contexte extérieur, la météo, la prédisposition mentale des uns et des autres va provoquer un événement ou des échanges sur eux, la vie voire la nature de la condition humaine.
Cela donne lieu à de belles rencontres avec des échanges riches en émotion. C’est parfois surprenant mais il faut dire que l’habitacle d’une voiture force la proximité et à l’occasion peut délier les langues. On aborde nombre de sujets qui nous touchent en plein cœur à commencer par l’amour et le rapport à l’autre qu’il soit charnel, spirituel ou simplement empathique. On décortique les mécanismes de la famille avec des pages pleines de bons sens, des souffrances aussi parfois à vif... Chaque passager apporte avec lui ses soucis, un sourire, une histoire qui va faire écho avec celle du conducteur bien souvent. Un lien d’ailleurs se crée entre le lecteur et Apolline et Gabriel. La dernière nouvelle clôt l’ensemble de manière magistrale.
Construction et déconstruction de soi, de nos habitudes, de nos certitudes... au fil des rencontres, ce sont des vies humaines dans toute leur complexité qui nous sont exposées avec simplicité, sans artifices stylistiques inutiles. La langue est ici belle, accessible, sereine je dirais même. L’auteure nous enveloppe dans un cocon et nous invite à partager ses rencontres tantôt poignantes, tantôt drôles, toujours marquantes en tout cas et éclairantes.
Un bien beau recueil que je vous invite à découvrir au plus vite si vous êtes amateur de nouvelles contemporaines. Vous ne serez pas déçus.
"Nous aurions pu être des princes" d'Anthony Veasna So
L’histoire : À Stockton, Californie, les temples bouddhistes et les épiceries cambodgiennes ont fleuri depuis l'arrivée massive de familles ayant fui leur pays et le régime génocidaire des Khmers rouges. Dans cette ville entre Asie et Amérique, on croise ainsi des bonzes, de vieilles tantes intrusives et des adolescents mortifiés par l'ennui, tout un monde d'histoires passées sous silence, de désirs naissants, de tiraillements identitaires et sexuels, où l'avenir tente de se construire sur les fondations d'un traumatisme profond et en dépit du poids des traditions.
La critique de Mr K : Escale en Terres d’Amérique aujourd’hui avec ce recueil de nouvelles doux-amer proposant un focus sur la diaspora cambodgienne de la côte ouest US. Neuf récits composent Nous aurions pu être des princes d’Anthony Veasna So, neuf récits qui font la part belle à cette communauté méconnue, réfugiée aux USA suite aux méfaits des khmers rouges et qui tente de se faire sa place au soleil en courant à son tour après le rêve américain. L’ouvrage se lit très bien, avec un plaisir renouvelé et ne nous épargne pas dans son évocation des affres de l’existence.
Les neuf récits nous font donc partagé le quotidien à priori banal de cambos (nom donné aux membres de la communauté par les narrateurs) : une femme et ses deux filles tiennent un bar à donuts et voient un mystérieux homme venir commander sans le manger un donut aux pommes, on fait la connaissance de l’entraîneur d’une équipe de badminton ancienne gloire reconvertie dans le commerce de détail de produits cambodgiens, deux cousins en pleine adolescence qui glandent et fument tout en refaisant le monde, un fils surdiplômé qui bosse au garage de son paternel, un jeune homme qui fait une retraite d’une semaine au wat du secteur en hommage à son père décédé, un after de mariage complètement débridé où les langues se lâchent, une relation intense entre deux hommes que tout semble opposer, la fin de vie douloureuse d’une vieille dame que son infirmière de petite nièce tente d’accompagner au mieux ou encore le témoignage d’une mère à son fils sur son arrivée sur le sol américain.
L’ouvrage met en lumière les relations intergénérationnelles avec en toile de fond, souvent évoqué, le génocide perpétré au pays par les khmers rouges. La plaie est encore béante, le chagrin immense et chacun baigne dedans entre les souvenirs des anciens, le devoir de mémoire, la transmission aux plus jeunes. C’est aussi durant ces pages de nombreuses références aux us et coutumes allant de la nourriture aux rites ancestraux que l’on continue à suivre, les croyances que l’on a transposées aux USA notamment en matière de vie après la mort avec la notion essentielle de réincarnation, le rôle central des moines, le devoir moral qui incombe aux vivants pour perpétuer le souvenir des défunts. Tout est abordé avec finesse, sans lourdeur par un auteur très moderne dans son approche de l’écriture de ses origines.
Gay et fêtard (il mourra d’ailleurs à 28 ans d’une overdose), Anthony Veasna So met beaucoup de lui dans ces nouvelles avec des personnages jeunes en roue libre. Ça jointe pas mal, ça glande, ça drague, ça couche beaucoup... mais aussi les protagonistes se questionnent sur leurs origines, la place que l’on doit se faire dans la famille, la société et le décalage parfois énorme entre les origines cambos et l’Amérique. L’homosexualité masculine est abordée frontalement avec des scènes explicites nombreuses, une quête des limites aussi dans son rapport à l’autre, à son corps, au bonheur… La mélancolie est prégnante globalement, on sent bien que la vie n’a pas été facile pour lui à travers ces pages. Je tablerais plus sur des difficultés à se définir, à s’engager plutôt que dans le fait de se faire accepter, il n’y a pas des traces d’homophobie dans ces textes, de rejet des proches. Il y a souvent un aspect initiatique dans ces nouvelles, des rites de passages plus ou moins forts qui vont amener le protagoniste principal à faire des choix, à s’engager d’une manière ou d’une autre sans que le résultat soit garanti.
Ces textes indépendants les uns des autres où l’on retrouve cependant certains personnages croisés ici ou là sont d’une sincérité à toute épreuve, cashs, sans concession. L’écriture très moderne, immersive à souhait nous offre une vision large d’une jeunesse qui se cherche entre traditions, identité et aspirations en devenir. Ce fut vraiment une très belle lecture que je conseille à tous les amateurs de nouvelles américaines magnifiées ici par un style vif et incisif.
"Un grand bruit de catastrophe" de Nicolas Delisle-L'Heureux
L’histoire : Voilà longtemps que Louise Fowley n’avait pas emprunté la route 385 pour rejoindre Val Grégoire, une petite ville au nord du nord de la forêt boréale. C’est là qu’elle a passé son enfance avec Marco Desfossés, le fils du despote local, et le clairvoyant Laurence Calvette. Ensemble, ils formaient un trio flamboyant. Jusqu’à l’événement. Aujourd’hui, vengeance en bandoulière, Louise est prête à relancer les dés, racheter ce qui peut l’être.
La critique de Mr K : C’est encore une superbe lecture que je vais vous présenter aujourd’hui avec Un grand bruit de catastrophe de Nicolas Delisle-L’Heureux, un ouvrage venu tout droit du Canada, paru aux éditions Les Avrils en ce début d’année. On est littéralement emporté par cette histoire d’amitié bouleversée par le destin dans un microcosme géographique frappé par un fatum implacable. Rajoutez là-dessus la langue si chantante qu’on ne trouve que de l’autre côté de l’Atlantique, une gestion parfaite des personnages et vous prenez une très belle claque littéraire.
Louise, Marco et Laurence se rencontrent à l’école de Val Grégoire. Entre eux c’est une évidence. Louise est la cheffe naturelle par son bagou et son charisme, Marco est le dernier né des caïds de la localité il est la force brute du groupe et Laurence est le plus discret, sans doute aussi le plus sensible. Chacun se débat avec sa vie à sa manière : l’une a des parents bigots extrêmement rigides, l’un veut sortir de sa condition et l’autre subit sa famille qui l’aliène. Une chose terrible va se dérouler et va les séparer définitivement. Louise va être éloignée de la ville et elle ne reviendra que bien plus tard. L’auteur nous invite à suivre successivement les trois protagonistes, croise les informations pour livrer un récit dense et marquant.
On s’attache immédiatement à ces trois personnages, trois jeunes un peu paumés dans une ville qui ne l’est pas moins. Nicolas Delisle-L'Heureux nous offre des portraits très justes, touchants et sans pathos des trois gamins (et que l’on va suivre aussi plus grands). La vie est rude là-bas. Pas que le climat, l’ambiance est pesante. Val Grégoire d’ailleurs est un personnage en soi avec ses coutumes, sa communauté reculée qui obéit parfois à ses propres règles pour le pire. La mairie s’hérite de père en fils, le magnat local règne un peu en despote, dépasse ses fonctions, il édifie littéralement la ville (dans les pas des pères fondateurs). Là dessus se greffe une population taciturne, encroûtée dans ses habitudes, avec en toile de fond un certain marasme culturel et économique. Et pourtant, c’est leur ville à ces trois jeunes, et ils l’aiment.
On rentre dans l’intimité familiale de Louise, Marco et Laurence avec son lot de révélations, de conditions de vie difficile, de conditionnement aussi. Nous ne sommes que le fruit de notre éducation, de nos gènes aussi (ici ou là dans le roman, la filiation est claire entre certains personnages), ces trois-là sont abîmés par la vie, marqués dans leur chair et leur esprit par la violence larvée qu’ils côtoient, l’isolement de Val Grégoire qui enferme les espoirs et les paysages froids et enclavés. Malgré les difficultés, chacun cherche cependant à changer, à évoluer, à conquérir une forme de liberté, d’émancipation, d’apaisement aussi vis à vis des adultes qui sont tout sauf des modèles ou des référents bienveillants. À ce propos, des scènes chocs m’ont littéralement retourné, on se dit parfois qu’on est bien peu de chose face aux autres, aux événements, aux actes déviants qui peuvent changer à tout jamais une vie. Cependant l’ensemble reste solaire, lumineux, porteur d’espoir à sa manière malgré une rudesse de l’existence.
La construction de l’ensemble est très réussie, maligne. Tout n’est pas dévoilé d’un coup, c’est au fil des différentes trames que les événements s’entremêlent, que les pièces du puzzle s’assemblent laissant alors voir une toile d’ensemble complexe et très bien construite. L’écriture est très inventive à sa manière aussi, il y a le ton québecois bien sûr mais pas que... In supplément d’âme, un attachement profond aux personnages et un rythme qui ne se dément jamais. Tout cela concourt à une addiction profonde et durable jusqu’à un dénouement parfait qui cloue littéralement sur place le lecteur.
Une sacrée découverte et un nouveau nom à retenir sur la scène littéraire. Un grand bruit de catastrophe est à lire absolument!
"La Vallée des Lazhars" de Soufiane Khaloua
L’histoire : La Vallée des Lazhars est l'histoire d'une jeunesse qui se heurte à des frontières de toutes sortes et qui tente de s'en affranchir, par la verve, le panache, la désobéissance – par une solution qui lui est une seconde nature, l'exil.
Un grand camion blanc parcourt une piste qui serpente au creux d'une vallée, à la frontière Est du Maroc. À son bord, Amir et son père. Cet été, ils rendent visite à leur famille après six ans d'absence. Amir est né en France, mais son père, ici, dans la vallée des Lazhars. Ils sont membres du clan Ayami. Le jeune homme a tout l'été pour retrouver une identité qui lui est un droit de naissance et dont il a pourtant du mal à s'emparer.
Une Renault 18 gravit une pente et fait une arrivée tonitruante dans la nuit. À son bord, Haroun, "cousin préféré" d'Amir, revient d'un exil de trois ans. Il vient assister au mariage de sa sœur Farah, fiancée à un membre du clan d'en face, les Hokbani, qui vouent aux Ayami une haine réciproque et immémoriale. Haroun apporte avec lui les histoires haletantes de ses aventures dans tout le Maghreb. Mais petit à petit, derrière ses récits luxuriants, Amir découvre une autre version, une réalité différente, intimement liée à la vallée et à ses secrets.
La critique de Mr K : Gros coup de cœur que cette lecture de La Vallée des Lazhars de Soufiane Khaloua, sorti en librairie début février aux éditions Agullo. Il est de ces romans qu’on ne peut relâcher avant la fin tant on est happé par l’histoire et sous le charme des protagonistes qui hantent ses pages. C’est beau, puissant et profond à la fois, le tout enveloppé dans une langue subtile et envoûtante.
Tout débute par un grand-père qui s’adresse à sa petite fille à qui il va raconter un passage de sa jeunesse, un été dans la vallée des Lazhars où réside sa famille restée au pays. Amir (c’est son nom) est né en France, il est de la deuxième génération d’immigrés, son père étant venu s’installer sur place. C’est à l’occasion du mariage de sa cousine qu’il va passer quelques semaines au bled avec son père. Il a dix neuf ans et ça fait un petit temps qu’il n’est pas descendu. Il a notamment hâte de retrouver son cousin Haroun avec qui il a fait les 400 coups. Une fois sur place, il va se rendre compte que tout ce qu’il percevait, imaginait sur les lieux, les personnes, la famille, est biaisé y compris l’image qu’il s’est faite d’Haroun.
Le personnage principal est de suite attachant par son décalage. Il ne se sent pas à sa place dans cette vallée où certains le considère comme un étranger. Il vit en France et n’est pas du pays malgré le sang qui coule dans ses veines. J’ai forcément pensé à mes anciens élèves du 93 à qui je demandais régulièrement en septembre comment s’était passé leur séjour au bled. Souvent ils revenaient blessés, déçus de l’accueil, ils me parlaient aussi de décalage. Dans ce roman, cela prend la forme de difficultés d’échanges avec la langue, des coutumes méconnues (comment dire bonjour lors d’une cérémonie, dans quel sens salue-t-on...), des comportements et réactions à adopter... Amir se prend plus d’une fois les pieds dans le tapis, se sent mis à l’écart, pas à sa place. Et pourtant, il l’aime cet endroit, il aime cet oncle râleur et cyclothymique, les paysages grandioses, les discussions passionnées avec Haroun et ses aventures picaresques dans l’Algérie voisine. Il y trouve les fondements de son identité d’Ayumi, cette haine immémoriale avec leurs voisins du versant d’en face, les Hokbani. Et puis, il y a cette jeune fille dont il tombe profondément amoureux et qui semble lui échapper. Elle est du clan d’en face et feint de l’ignorer.
L’immersion est totale, on accompagne Amir dans cette quête de soi. Véritable récit initiatique, le roman se fixe autour des notions de filiation, de la transmission des valeurs, des choses essentielles de l’existence. Loin d‘être parfait malgré une certaine naïveté, Amir en fera à plusieurs reprises l’amère expérience, lui qui n’appréhende que partiellement les réalités auxquelles il est confronté. Il est beaucoup question de frontières que l’on franchit ou pas, à commencer par la figure d’Haroun qualifié à de nombreuses reprises de démon. Né dans des conditions terribles, il porte sur ses épaules un poids, il représente aussi la jeunesse et sa fougue, une rupture avec les traditions. Après un exil de trois ans suite à une brouille dont on nous livrera les secrets en cours de roman, quand il revient les cartes sont rebattues, les certitudes fragiles s’écroulent et mettent en lumière l’animosité entre les deux clans malgré un mariage d’amour devant sceller leur rapprochement. Amir et Haroun entre confidences, expéditions et balades, jalousies nous invitent à découvrir les ressorts en jeu dans les relations familiales et à suivre leur propre construction. Chacun repartira en fin de roman irrémédiablement changé.
La Vallée des Lazhars nous embarque immédiatement, étendant son emprise au fil des pages qui se tournent toutes seules. On fait véritablement partie de la famille, on partage les conditions de vie difficiles dans la vallée, on ressent les tensions, les espoirs et l’on éprouve vraiment des sentiments mêlés au fil des révélations et péripéties contées par Amir. Et il s’en passe de belles durant cet été sous le soleil aride de l’est marocain : un mariage perturbé, un enterrement, une virée en roue libre en Algérie, des amours secrets, des pulsions incontrôlables et des écueils dans la tradition avec un conflit générationnel et des désobéissances qui vont changer à jamais certaines destinées. Le roman se termine avec le sentiment qu’on aurait bien continué encore un peu tant on se passionne pour ses trajectoires et qu’on s’attache à tous les personnages.
Porté par une écriture solaire, souple, accessible et enveloppante, on passe un vrai moment de lecture exceptionnel et magnétique. À découvrir absolument.
"Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c'était par amour ok" de Michelle Lapierre-Dallaire
L’histoire : J’ai eu peur de mon désir... Je me sentais aspirée vers le fond, vers une noirceur exquise. Je sentais que vivre, pour une fois, rivalisait avec l’intensité et l’ivresse de la mort.
À force de désir, d’émotion, de douleur, l’auteure de ces lignes a connu plusieurs morts, pour revivre avec une ardeur insolente.
Depuis l’adolescence, elle teste les contours de son corps, de son être et de sa liberté, sans demander la permission d’exister.
La révolte dans la peau, elle dresse un témoignage incisif et lucide sur la manière de vivre, la violence familiale, la maladie mentale, et les relations sexuelles. Comment assumer puis rejeter les agressions subies depuis l’enfance et l’adolescence pour ne plus jamais être le jouet des hommes.
La critique de Mr K : Dans la catégorie des premiers romans, Michelle Lapierre-Dallaire frappe un très grand coup avec Y avait-il des limites si oui je les ai franchies mais c’était par amour ok, un livre incandescent, brut de décoffrage. Véritable déflagration littéraire, ça heurte, ça fait mal, c’est même malaisant... mais c’est profond et essentiel dans son propos. C’est un roman qui vous prend aux tripes d’entrée de jeu, le genre d’ouvrage qui resserre son emprise, vous étouffe, vous transporte et vous déchiquette sans vergogne tout en nous rendant totalement accro. Une très très grosse claque pour ma part.
Le livre s’ouvre sur un "avertissement" annonçant que le roman aborde des sujets sensibles : "troubles de la santé mentale, suicide, agressions sexuelles, pédophilie, violence, troubles alimentaires, alcool et drogues". Il est clair que les âmes sensibles peuvent passer leur chemin, le propos est bien borderline, totalement barré, extrême. Pour autant pour les courageux, les amateurs de récits jusqu’au boutiste (et j’en fais partie), l’expérience est totalement enivrante, fascinante et au final totalement enthousiasmante malgré des situations rudes et un personnage totalement en roue libre.
L’auteure / narratrice a vécu des choses affreuses dès son plus jeune âge car à partir de ses cinq ans, elle a été régulièrement abusée par un beau père pédophile. La mère finit par se suicider bien plus tard mais aura laissé faire... Autant vous dire que ça vous détruit une personne, un psychisme, et le récit s'en fait l’écho à travers une structure générale chaotique (du moins en apparence) où Michelle Lapierre-Dallaire ne respecte pas la chronologie mais propose des "confessions" instantanées qui s’entrechoquent temporellement entre flash-back et présent, entre la jeune femme désaxée et la petite fille désorientée et exploitée.
La jeune adulte se livre totalement et a pour le moins une sexualité libérée, déviante diront les pudibonds. Elle poursuit à travers ses aventures d’un soir une forme de quête d’amour, de reconnaissance, tout ce qu’elle n’a jamais vraiment connu. C’est profondément mélancolique, désespérant même de voir ce comportement auto-destructeur, cette folie douce, ce désordre mental exposé à nu causé par une souffrance extrême et une perte de repères totale. Mais on s’attache à elle, on veut qu’elle s’en sorte, que cesse sa consommation inextinguible de sexe, de drogue. On l’aime nous et on aimerait tellement qu’elle aille mieux.
Le style d'écriture m’a fait pensé à du Despentes, c’est crû, c’est rude, c’est féministe. On est dans le frontal, le direct à l’estomac littéraire au service de personnages forts, de rébellion incandescente et de dénonciation de la perversité humaine notamment la misogynie qui a entouré l’héroïne durant la majeure partie de son existence. La langue oralisante, thrash et poétique à la fois m’a bien souvent laissé pantois et admiratif malgré des crispations et des nœuds au ventre. C’est aussi pour ce genre d’expérience que j’aime autant la lecture. Un authentique chef d’œuvre à mes yeux.
"A un étage près" de Jérôme Baccelli
L'histoire : Trois employés mis le même jour à la porte de leur entreprise se retrouvent dans un ascenseur avec le financier à l’origine de leur départ. Soudain l’appareil s’immobilise. Les portes s’ouvrent sur un étage recouvert de sable : une terra incognita. En un instant le monde auquel ils ont tout donné au mépris de leur propre vie se trouve effacé.
La critique Nelfesque : Une quatrième de couverture intrigante pour un ouvrage qui ne l'est pas moins. Sommes-nous ici en présence d'un roman contemporain ou fantastique ? Que nous réserve cette histoire "A un étage près" ?
Jérôme Baccelli nous offre un roman à la confluence du contemporain, de la philosophie et du surnaturel. Une critique acerbe et totalement justifiée du monde du travail dans certaines entreprises et dans le milieu de la finance en particulier. Un univers froid et sans place pour l'affect, des chiffres et profits pour unique étendard et un monde aseptisé fait de béton, de tours de verre et d'open-spaces.
On suit ici plusieurs personnages travaillant pour la même holding. Pour l'un c'est l'heure de la retraite, pour les autres celle de la porte sans ménagement, du RDV DRH énigmatique... On ne connaît rien d'eux si ce n'est qu'ils ont comme point commun cette haute tour d'une trentaine d'étages dans laquelle ils vont se retrouver coincés à la suite d'un incident d'ascenseur. Jusqu'ici, rien d'étrange ou incongru. Mais c'est lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent que l'histoire prend une toute autre tournure. Un étage inconnu ou abandonné s'ouvre à eux, un étage étrange où le sable s'est accumulé en formant des dunes, où rien ne bouge et rien ne vit. Mais a-t-il déjà été occupé ? A quoi doit-il son existence même ? Pourquoi est-il là et que peut-il devenir ?
Cet incident, cet étage hors du cadre de la vie "normal" va être leur point de ralliement, leur bouée d'ancrage, le lieu où ils vont apprendre à se connaître entre eux mais aussi eux-même, celui où ils vont s'ouvrir dans un monde si peu propice aux échanges. "A un étage près" est un ouvrage par lequel on se laisse porter, bercer et envoûter. Le lecteur navigue avec les personnages dans une sorte de brume surnaturelle, se questionne, ne sait pas où tout cela va le mener mais se laisse prendre la main avec confiance. D'une lecture aisée, on aborde pourtant des thèmes philosophiques tels que le sens de la vie, la mort, la place du travail dans notre existence, la beauté... Par petits pas, chaque personnage va avancer dans ses réflexions et ouvrir des portes vers d'autres possibles. Réinventer leur monde, réinventer le monde.
Lu au cœur de la nuit, l'écrin parfait pour cette parenthèse hors norme, "A un étage près" est une expérience à vivre, une fable du XXIème siècle laissant entrevoir tous les possibles. A découvrir !
"Le Fidèle Rouslan" de Gueorgui Vladimov
L’histoire : Sommes-nous une nation de chuchoteurs, d'ordures et de mouchards, ou sommes-nous un grand peuple ? - Gueorgui Vladimov
À travers le portrait de Rouslan, chien de garde dans un goulag, Gueorgui Vladimov livrait un brûlot, description aussi fascinante que glaçante de l'enfer concentrationnaire et, au-delà, de l'atroce absurdité du système soviétique. Écrit au début des années 1960, publié clandestinement en Allemagne en 1973 par une maison d'édition fondée par des réfugiés russes, puis en France en 1978 au Seuil, Le Fidèle Rouslan ne paraîtra en URSS qu'après la perestroïka.
La critique de Mr K : Lecture d’une œuvre rééditée chez Belfond aujourd’hui dans leur collection Vintage. Attribué à tort pendant un moment à Soljenitsyne, Le Fidèle Rouslan est l’œuvre de Gueorgui Vladimov, un autre dissident soviétique, plus méconnu et que je découvrais par le présent ouvrage. Par le prisme de Rouslan, chien de garde du goulag, il nous offre un regard distancié et totalement novateur sur l’URSS de l’époque, dénonçant au passage son absurdité et l’aliénation de l’humain qui était monnaie courante dans l’appareil répressif du régime.
Le récit débute après la mort de Staline, dans un camp de travail de Sibérie qui vient d’être démantelé. L’auteur nous met dans la peau de Rouslan, un berger allemand chargé de garder, surveiller les prisonniers voire poursuivre les fugitifs, les mordre, les tuer. Il ne comprend rien à ce qui se passe, lui qui a toujours vécu dans ce lieu clos où il est né et où il a grandi. Quand un chien ne sert plus, son maître se doit de l’abattre... celui de Rouslan décide de l’abandonner et celui-ci ne comprend pas que l’être qu’il vénère le plus puisse faire cela. Totalement perdu, il se retrouve dans un univers qu’il ne connaît pas.
Le point fort de ce roman réside dans le fait que l’auteur ne prête aucun sentiment et réaction humaine à son protagoniste principal. Pas d’anthropomorphisme donc, seulement un chien fidèle, obéissant, programmé et conditionné pour être ce qu’il est. C’est très bien ficelé avec des flash-back bien pensés et une hauteur de vue toujours placée au niveau de l’animal. C’est un peu désarçonnant au départ mais on s’y fait très vite et l’effet est terrible quand on commence à se confronter aux horreurs perpétuées à l’époque au nom de la sainte cause.
Le point de vue adopté évite de tomber dans le déballage frontal, le listing d’horreur. Il se dégage un portrait bien sombre des hommes qui sont loin d'avoir la candeur naturelle de l’animal, trahissent et pervertissent les plus beaux idéaux. La critique est acide à commencer par le système communiste qui a condamné des centaine des milliers de personnes aux travaux forcés durant des décennies. Par petits bouts, quelques évocations, des scènes parfois froides et brutales, on replonge dans une réalité terrible qui malheureusement n’a pas totalement disparue...
Ce roman, bien qu’écrit il y a cinquante ans, n’a pas vieilli tant son écriture semble intemporelle, provoquant une empathie totale envers Rouslan et une immersion saisissante dans une URSS loin des clichés véhiculés en occident. L’expérience est belle quoique rude et source de malaise. Dans son genre, cet ouvrage est une référence et il serait vraiment dommage de passer à côté.
"Poutine : L’ascension d’un dictateur" de Darryl Cunningham
L’histoire : De ses origines de petit voyou dans les cours d’immeubles sales et infestées de rats de la Leningrad de l'après-guerre jusqu’à sa place actuelle parmi les hommes les plus puissants du monde, en passant par son ascension dans les rangs du KGB, voici l’histoire de Vladimir Poutine.
La critique de Mr K : En 2020, j’avais découvert tout le talent de Darryl Cunningham avec son épatante L’ère de l’égoïsme, une BD documentaire complète et accessible sur les relations délétères entre l’économie, la politique et les masses. On change de sujet ici (même si on y retrouve quelques thématiques communes) avec cette biographie sans concession du maître du Kremlin. Une fois de plus, on a affaire à une œuvre intelligente, parlante et éclairante... mais pas des plus rassurantes !
Cette édition empruntée au CDI est une réédition de début 2022, juste après le début de l’agression russe sur ses voisins ukrainiens. Un avant propos dessiné de l’auteur a été rajouté afin de contextualiser pour les lecteurs actuels. Darryl Cunningham lance ensuite les hostilités en revenant sur les origines du jeune Vladimir Vladimirovitch Poutine. J’avoue avoir été un peu déçu par cette partie de sa vie très vite traitée, en à peine huit pages on en a fait le tour. Sans doute les sources ne sont pas fiables ou peut-être tout simplement, a-t-on très peu de choses à en dire...
Puis c’est l’entrée au sein du KGB et le début de l’ascension. Même si à partir de là, il y avait énormément d’éléments que je pouvais connaître, l’ensemble est bien mené, rafraîchit la mémoire et surtout remet tout cela en perspective avec les soubresauts de l’Histoire, notamment le début de la fin pour l’URSS qui va marquer à jamais le futur dictateur. Très pédagogique, on revient notamment sur la politique de réforme de Gorbatchev qui va précipiter les événements et installer Eltsine au pouvoir, l’homme qui va véritablement lancer la carrière purement politique de Poutine.
Au delà de la volonté de restaurer la Grande Russie, Poutine est avant tout un homme qui s’est enrichi sur le dos de son peuple et de son pays. Il est d’ailleurs sans doute un des hommes les plus riches du monde avec un nombre incalculable de liens financiers et économiques, des années de corruption organisée calquée sur les méthodes mafieuses. Il dirige un monde où on n’hésite pas à dégommer les opposants et les gens trop curieux. On se rappelle encore des meurtres de journalistes, d’hommes et de femmes politiques opposés à lui, même de professionnels de la justice (rappelons que Poutine lui-même a suivi un cursus de droit). La liste est longue, égrainée au fil des pages... toutes ces disparitions servent le maître du Kremlin même si officiellement on ne peut relier ces morts à Poutine.
Au fil du récit, on prend conscience de l’ampleur du système mis en place et la faiblesse de l’occident face à cette montée en puissance. Bien évidemment on pense à Trump et sa bêtise abyssale qui a fait couler son pays, son copinage coupable qui a laissé les coudées franches au roi du kremlin. Mais l’Europe n’est pas en reste et pendant ce temps là, Poutine étend son emprise, intervient fortement et illégalement sans personne pour s’opposer à lui : Tchétchénie, Syrie, Géorgie, Ukraine... le tout en enfermant la Russie dans un carcan totalitaire où l’on vit dans la peur, baigné dans une propagande aliénante où la démocratie n’est plus qu’un leurre et où les malheureux qui veulent changer les choses sont tracassés, stigmatisés, emprisonnés voire pire... Quelle tristesse quand comme moi on aime la culture russe, notamment ces grands écrivains et artistes qui ont pu m’apporter tant de joies et d’émerveillements.
Le contenu est dense, magnifié par les dessins minimalistes mais précis et très évocateurs d’un Darryl Cunningham soucieux de vérité historique et engagé dans la défense de la démocratie au sens large. Cette lecture bien que rude remet bien les idées en place et expose sans fard la terreur poutinienne et les lâchetés occidentales. Un petit bijou que je vous invite à découvrir tant il paraît essentiel à la vue des événements actuels. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas après cette lecture...
"Temps calme, pleine tempête" de Julien Decoin
L’histoire : Un père veut rejoindre sa femme sur une île, il est en compagnie de sa petite fille de 5 ans à laquelle il n’a pas pu consacrer autant de temps qu’il aurait voulu lors de ces premières années de paternité. Arrivés au port d’embarquement pour le dernier tronçon en ferry, tout se complique. Une foule attend. Des menaces planent. C’est la cohue. In extremis, le père et sa fille trouvent refuge dans un hôtel où tous les clients sont bientôt confinés.
Face à sa fillette, dans le huis clos de la chambre, le père ressent sa profonde tendresse pour elle, mais aussi ses regrets, et une forme de culpabilité. La relation ambiguë qu’il établit avec la jeune responsable de l’établissement ne fait que raviver son sentiment de faute. Au téléphone, l’épouse et mère patiente, puis s’inquiète. Ils sont si près. Ils sont si loin. Finalement, le narrateur prend le risque de s’aventurer en bateau, malgré une mer déchaînée. À quoi tient la vie ?
La critique de Mr K : Une bien chouette lecture que ma lecture de Temps calme, pleine tempête de Julien Decoin, paru chez Seuil en ce début d’année. Ce récit mettant en scène un père et sa fille de cinq ans m’a profondément touché et m’a embarqué immédiatement.
La narrateur doit rejoindre sa femme sur une île avec sa gamine de cinq ans, ils partent de la capitale vers la mer pour entamer ensuite la traversée. Malheureusement, le voyage ne se passe pas comme prévu, il n’y a plus de bateau et une mystérieuse épidémie condamne la population au confinement. Toute ressemblance avec des événements récents serait purement fortuite... Les voila tous les deux coincés à l’hôtel, tous les deux seuls au monde ou presque. Les conditions d’introspection pour le narrateur sont idéales...
J’ai adoré la relation père / fille, forcément pour moi jeune père d’une petite poule de trois ans, l’empathie ne pouvait que fonctionner, l’identification s’est faite automatiquement. Il y a cette tendresse unique, ce lien indéfectible qui transpire des pages malgré un regret perlé de la part du narrateur, son absence chronique lié à son métier, sa tendance à boire un peu plus que de raison (sans pour autant tomber dans l’alcoolisme), son inattention larvée qui lui font comprendre qu’il passe peut-être à côté de quelque chose.
Cet isolement forcé dans un hôtel va l’obliger à faire face à lui-même, au rapport qu’il entretient avec sa fille. La maman est loin, seulement présente au bout du fil lors de communications téléphoniques qui ponctuent les différents moments du récit. Le père et la fille se retrouvent à partager nombre de petits moments riches en symbolique, en émotions diverses. Lui l’homme parfois lointain doit rassurer cet être si fragile, si innocent. Ils s’amusent aussi, explorent, cohabitent au sens propre dans une chambre d’hôtel. C’est beau, c’est pur, ça touche en plein cœur.
On croise peu de monde dans cet ouvrage en dehors de la foule anonyme qui au départ s’amasse pour attraper le dernier bateau. L’auteur se focalise sur cette relation si forte. À partir du moment où l’action se concentre dans l’hôtel, apparaît un personnage féminin en la personne de la tenancière, une jeune femme sympathique et attirante avec qui le narrateur va nouer une relation ambiguë entre séduction, amitié et rapport client / prestataire. Là encore, l’auteur fait preuve de grande finesse avec une psychologie fine, une science du détail dans les réactions et les échanges qui rajoutent une dimension au héros, sa dimension d’homme, de mari aussi.
Il y a un aspect initiatique dans ce récit lent, langoureux, qui expose beaucoup, donne à réfléchir sur soi, sur son rapport avec ses proches. La langue accessible, simple et complexe dans ce qu’elle sous-entend vous enveloppe et vous transporte dans une expérience de lecture profonde et finalement apaisante malgré des péripéties parfois dramatiques. Un roman à découvrir.
"Thelma" de Caroline Bouffault
L’histoire : Certains ont des amis imaginaires ; d’autres, des tyrans intérieurs. Celui de Thelma s’appelle l’Entraîneur. Il règne sur son quotidien, lui enjoint de compter les calories et lui impose une discipline de fer. Soumise à sa loi, la lycéenne épuise son entourage et flirte avec l’abîme. Mais avec l’appui de son amie Violette, une issue se dessine : du marathon ou de la séduction de son professeur de sport, quel projet déraisonnable saura la tirer des griffes de l’Entraîneur ?
Combative et lucide, fragile et ironique, Thelma tâche de s’inventer un chemin parmi des adultes aussi désorientés que leurs cadets.
La critique de Mr K : Gros coup de cœur que cet ouvrage sorti début janvier chez la toute jeune et prometteuse maison d’édition Fugue. Dans Thelma de Caroline Bouffault, on rentre dans l’intimité d’une adolescente atteinte d’anorexie mentale, une maladie terrible qui lui pourrit la vie et celle des ses proches. À la fois vif et juste, voila un récit initiatique que je ne suis pas prêt d’oublier.
L’adolescence est souvent une phase difficile, une période de métamorphose qui met à mal les certitudes de tous dans une famille. Pour Thelma et les siens, c’est l’enfer. La jeune fille refuse de s’alimenter depuis plusieurs mois, elle vit dans la hantise de prendre du poids. Un être imaginaire (le fameux entraîneur évoqué en quatrième de couverture) la sermonne dès qu’elle s’offre un petite plaisir (vraiment tout petit) et elle est suivie de près par son médecin et un psychologue. Elle n’est pas loin de l’hospitalisation et flirte constamment avec la limite.
Rien pourtant ne semble la prédisposer à cette pathologie terrible, elle a une vie plutôt posée et tranquillisante. Deux parents à la maison, une petite sœur pas trop pénible (si si, ça existe), une meilleure amie fidèle et à l’école, ça ne se passe pas trop mal, même si elle n’est pas la plus populaire. Elle est douée, apprend vite, est perfectionniste et l’avenir lui est tout ouvert. Mais la maladie est bien là, sapant ses forces, fragilisant ses relations sociales et familiales.
Mais c’est sans compter son amie Violette qui la rebooste régulièrement, l’écoute, la comprend. Puis Thelma n’est pas une petite chose fragile, elle est combative, lucide, solaire même et peu à peu un projet un peu fou fait corps dans son esprit : celui de séduire le prof de sport du lycée qui souhaite la faire participer à son premier marathon, elle qui court régulièrement jusqu’à l’épuisement pour fuir le monde et sa souffrance, se recentrer. La thérapie par le sport, tel est le credo du prof, il la prend pour une personne et non comme une malade, et ça change tout.
L’univers de l’adolescente est superbement décrit, décortiqué dans cet ouvrage qui fait la part belle au réalisme, sans en rajouter, avec le juste dosage entre pensées intimes et tranches de vie. On passe d’un personnage à l’autre, multipliant les points de vue ce qui enrichit considérablement le propos. Thelma et sa maladie qui impacte tout le monde, de différentes manières et dont tous les aspects se complètent, proposant un tableau familial et social crédible et saisissant. On s’attache immédiatement à tous ses personnages ballottés par la vie mais que des liens très profonds unissent : Thelma qui veut s’en sortir et retrouver ce qu’elle a été, les parents désarçonnés et parfois à bout de nerfs face à la situation, la jeune Billie qui voudrait que sa sœur aille mieux... Les repères classiques sont bousculés, des révélations pas anodines livrent leurs vérités en fin d’ouvrage.
C’est remarquablement écrit, le récit vous happe immédiatement et ne relâche jamais son étreinte. L’addiction est profonde, l’empathie fonctionne à plein et le coup de cœur est immédiat. Caroline Bouffault réussit à décrire avec maestria l’adolescence dans toute sa complexité entre espoirs, grâce et rage de vivre. Elle aborde aussi de façon intelligible une maladie trop méconnue et pourtant dévastatrice avec une écriture très sensuelle / sensorielle où les souffrances physiques et psychiques se conjuguent avec l’éveil du désir, la quête d’identité et la prise de conscience du rapport aux autres.
Thelma est à lire absolument et à faire découvrir au plus grand nombre car ce roman restera dans vos cœurs à tout jamais...