"Cher connard" de Virginie Despentes
L’histoire : Cher connard,
J’ai lu ce que tu as publié sur ton compte Insta. Tu es comme un pigeon qui m’aurait chié sur l’épaule en passant. C’est salissant, et très désagréable. Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque. Gloire aux réseaux sociaux : tu l’as eu, ton quart d’heure de gloire. La preuve : je t’écris.
La critique de Mr K : Lire un Virginie Despentes est toujours un moment particulier dans ma vie de lecteur. J'adore cette auteure, sa langue, sa gouaille, son franc-parler et sa manière d'aborder certaines thématiques lourdes et difficiles de manière totalement inversée ou du moins différente du mode de pensée ambiant. Dans Cher connard, elle change de forme littéraire et sous l'aspect d'un échange épistolaire, deux personnages se heurtent, discutent, apprennent à se connaître et finalement passent au crible notre époque.
Oscar est un écrivain polytoxico engoncé dans sa solitude. Un jour de désœuvrement, il poste sur son réseau social un commentaire désobligeant pour ne pas dire insultant sur Rebecca, une actrice trash en pleine crise professionnelle et personnelle. La dame a du retour, lui répond vertement et s'en suit le début d'une correspondance entre deux personnes qui n'étaient pas forcément faites pour s'entendre. Au fil des messages, un lien se noue, au début ténu puis qui se développe, faisant le lien entre un passé commun, des expériences similaires ou approchantes et au final un certain mal de vivre.
Ce roman épistolaire est avant tout une excuse pour Virginie Despentes. À travers ces deux personnages haut en couleur, elle nous parle de nous, de l'évolution de la société, des mœurs, de nos pratiques. Évidemment ce n'est pas tendre, le miroir présenté met bien en avant les travers de notre époque avec ici plus particulièrement un focus sur les réseaux sociaux et l'aspect néfaste qu'ils peuvent revêtir à l'occasion avec ici tout particulièrement l'exemple du harcèlement d'une jeune femme qui a libéré sa parole dans le sillage du mouvement #Meetoo. Vous l'imaginez bien l'œuvre tourne beaucoup autour de la question du rapport entre les hommes et les femmes, rapports conflictuels mais pas que. Ainsi dans cet ouvrage Oscar et Rebecca vont voir leur relation profondément changer sans pour autant se rencontrer IRL. Avec ce lien de l'écriture ils vont creuser quelque part, effectuer une sorte d'expérience quasi psychanalytique, beaucoup changer, évoluer.
Pêle-mêle dans ce roman, Virginie Despentes revient aussi sur le confinement, la politique de santé suivie par le gouvernement, la montée de son autoritarisme, la psychose liée au Covid, les questions d'éducation, de la famille, de l'école, de l'équilibre précaire de beaucoup de personnes dans cette période difficile... On retrouve tout le talent de l'auteure pour brosser des portraits réalistes, sans fioritures, sans pathos, ni exagération. C'est la vraie vie et rien d'autre. Elle revient aussi assez longuement sur le féminicide, avec une théorie fort juste sur l'idée que finalement c'est accepté dans la société contrairement à d'autres crimes qui choquent davantage l'opinion. Ces passages sont iconoclastes mais m’ont profondément marqués. On touche une vérité qui dérange et une fois de plus Despentes met le doigt sur nos consciences bien trop bourgeoises parfois. Elle règle d'ailleurs aussi ses comptes au passage avec le féminisme bobo bien pensant mais bien souvent décalé de la réalité. Là encore la démonstration est impeccable.
Enfin c'est un très bel ouvrage sur l'addiction au sens large, l'addiction dans tous ses aspects, ses exigences, ses obligations et l'immense difficulté à en sortir. Nos deux personnages sont à un moment clé de leur vie où ils doivent choisir entre continuer sur la voie de l'autodestruction ou essayer de s'en sortir. Vous vous doutez qu'ils vont essayer de s'en sortir au contact l'un l'autre et au rythme de leur écriture. Le processus est superbement illustré, l'immersion totale, on ressent la souffrance, les doutes, les espoirs ainsi que l'impact que cela a sur leur vie, leur rapport avec les autres ou avec leur famille. J'ai lu ici ou là que certaines personnes ne se sentaient pas concernées par le propos, je pense que c'est se voiler la face car derrière ces addictions aux drogues dures (alcool, héroïne, crack…), on retrouve les mêmes symptômes que quelqu'un qui est dépendant aux écrans, au sexe ou à tout produit qui rend accro. Despentes touche juste, là où ça fait mal et encore une fois c'est effroyablement efficace.
J'ai lu Cher connard sans pouvoir m'arrêter tant j'ai été pris par le souffle, la portée des propos et la personnalité des deux protagonistes principaux. Bien qu'il soit sombre, cet ouvrage n'est pas exempt d'une certaine lumière. Certes l'époque est morose, les questions nombreuses ainsi que les dangers qui nous guettent mais Virginie Despentes ne se contente pas de ça, elle introduit ici ou là des éléments d'optimisme, des petites lumières qui illuminent l'existence et nous permettent d'avancer. L'écriture est toujours aussi belle, rythmée, poignante peut-être un petit peu moins trash mais toujours aussi jubilatoire et éclairante. Un bien beau roman que je vous invite à lire au plus vite.
Lus et chroniqués du même auteur au Capharnaüm Éclairé :
- Les chiennes savantes
- Les jolies choses
- King Kong theorie
- Apocalypse bébé
- Bye-bye Blondie
- Baise-moi
- Vernon Subutex
"Petit pays" de Gaël Faye - ADD-ON de Mr K
J'ai déjà lu et chroniqué ce roman le 30/12/12. Mr K vient de le terminer et de le chroniquer à son tour.
Afin que vous puissiez prendre connaissance de son avis, je vous mets dans ce présent billet le lien vers l'article originel où vous trouverez la critique de Mr K à la suite de la mienne.
Nous procédons ainsi pour les ouvrages déjà chroniqués au Capharnaüm Eclairé mais lus à nouveau par l'un de nous.
Pour "Petit pays", ça se passe par là.
"Le Rocher de Tanios" d'Amin Maalouf
L’histoire : "Le destin passe et repasse à travers nous, comme l'aiguille du cordonnier à travers le cuir qu'il façonne." Pour Tanios, enfant des montagnes libanaises, le destin se marque d'abord dans le mystère qui entoure sa naissance : fils de la trop belle Lamia, des murmures courent le pays sur l'identité de son vrai père.
Le destin passera de nouveau, dans ces années 1830 où l'Empire Ottoman, l’Égypte et l'Angleterre se disputent ce pays promis aux déchirements, le jour où l'assassinat d'un chef religieux contraindra Tanios à l'exil...
La critique de Mr K : Lecture d’un Goncourt aujourd’hui (celui de 1993) avec ma première incursion dans l’œuvre d’un écrivain pourtant réputé : Amin Maalouf. C’est Nelfe qui l’a exhumé de ma PAL dans notre traditionnel jeu de vidage de PAL pendant lequel l’autre doit sortir trois titres pour un choix de lecture imposé à l'autre. La quatrième de couverture de cet ouvrage et l’aura de son auteur ont très vite fait pencher mon choix. M’est avis que je relirai très vite du Maalouf tant ce livre m’a séduit et enivré.
Tout commence par une passade amoureuse qui voit Lamia, une des plus belles femmes du village de Kfaryabda tomber sous la coupe du Cheikh local. 9 mois plus tard, l’enfant naît et passe pour le fils de l’intendant. Des bruits courent bien sûr mais la vie suit son cours. Cependant la période n’est pas facile dans cette région du Liban entre les luttes d’influence au sein de l’Empire Ottoman, l’émergence d’une Egypte puissante et les puissances européennes qui veulent leur part de gâteau. Rajoutez à cela le poids des traditions et vous obtenez un récit hybride entre chronique familiale, roman d’aventure et conte, où se mêlent légende et réalité.
On retrouve tout d’abord toute une brochette de personnages attachants et profondément humains tant ils conjuguent aspiration à la vie et défauts rédhibitoires. Cette perfectibilité fait tout le sel d’une vie et le merveilleux conteur que se révèle être Amin Maalouf donne une densité incroyable à chacun des destins qu’il nous invite à découvrir. Rien ne nous est épargné dans ce roman entre la fidélité bafouée, la trahison, les alliances d’un jour, les rapports parents/enfants, les mariages arrangés entre puissants, les injustices d’un pouvoir autoritaire, l’exil pour les éléments séditieux, l’innocence des justes... C’est tout un tourbillon de sentiments qui nous emporte tout au long de la lecture et éprouve sérieusement le lecteur qui ne sait finalement jamais à quoi s’attendre d’un chapitre à l’autre. Les destins sont ici tortueux et bien souvent sévères, les facéties du fatum sont bien cruelles et les personnages n’en ressortent jamais indemnes. La famille, la vengeance, les lois du sang... autant de thématiques universelles qui se retrouvent traitées et illustrées à merveille dans ce livre.
Le Rocher de Tanios est aussi une belle immersion dans un Orient qui nous semble souvent mystérieux, bien trop souvent fantasmé sans être vraiment connu. On explore notamment les arcanes du pouvoir avec la hiérarchie qui la compose, les luttes intestines, les conflits religieux entre communautés (dans ce livre entre catholiques et protestants, rappelons que le Liban est une terre à majorité chrétienne à l’époque) mais aussi les grandes puissances qui tentent de se placer et d’influer sur les politiques régionales avec notamment le Royaume-Uni qui continue à constituer son réseau d’influence et possède le plus grand empire colonial de l’époque. C’est aussi au détour des péripéties la possibilité pour l’auteur de décrire le poids des traditions et l’organisation des sociétés de l’époque encore basées sur des lois non écrites et la féodalité. Cet aspect rapproche l’écrit du genre du conte avec derrière les actes et pensées de chacun, de vieilles sagesses populaires qui frappent parfois juste et bien, amenant à nous faire réfléchir sur l’être humain et son rapport aux autres et au pouvoir. On passe alors de la splendeur à la décadence, des espoirs déçus au bilan peu reluisant d’une vie parfois vaine. C’est très mélancolique mais aussi à certains moment des explosions de joie et d’espoir. C’est un peu nous tout au long de notre vie, c’est sacrément vivifiant et un véritable bonheur à lire.
En effet, l’écriture est une merveille de chaque instant, chaque phrase et paragraphe se lit comme on déguste un bon plat. Économie de mots rime ici avec saveur intense, ingrédients précieux et travaillés avec soin et le tout dans une accessibilité de tous les instants entre dialogues au cordeau, descriptions sensibles et envolées lyriques. La langue imagée pénètre l’esprit et le coeur, renverse nos certitudes, bouleverse nos habitudes de lecture et au final on ressort ébloui d’une telle expérience qui s’apparente à des auteurs comme Rushdie dans la manière d’aborder la matière humaine. Un grand livre, une grande lecture.
Pour quelques livres de plus...
Voici pour aujourd'hui, une petite série d'acquisitions dégotées au hasard de balades innocentes... Les titres ont donc des origines très diverses depuis une boîte à livre en passant par un vide-grenier ou un magasin d'occasion. Des petites tentations auxquelles, je n'ai pu résister une fois encore. Jugez plutôt du butin !
Une fois de plus, la variété est au rendez-vous entre classiques et contemporains, incontournables et certainement des plus dispensables. Chacun en tout cas m'a tapé dans l'oeil suffisamment pour que je l'adopte et qu'il aille rejoindre ses petits camarades dans ma PAL. Suivez le guide !
- Mille soleils splendides de Khaled Hosseine. Tout d'abord, j'aime beaucoup cette maison d'édition notamment parce qu'elle publie les ouvrages de mon grand amour littéraire nippon Haruki Murakami. De suite, j'ai donc lu la quatrième de couverture qui m'a irrémédiablement fait penser à du Yasmina Khadra (un autre auteur que j'adore) par rapport aux termes abordés : la violence faite aux femmes en terres orientales (ici l'Afghanistan), l'emprisonnement mental et le totalitarisme religieux. Ça sent la lecture rude et pas facile, tout ce que j'aime en quelque sorte.
- L'Amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez. Voici un ouvrage qui m'a toujours évité ou que j'ai évité inconsciemment car je ne l'ai jamais trouvé sur mon chemin de chineur. J'en attends beaucoup, surtout que chaque lecture de cet auteur m'a ravi par ses talents de conteur et les univers dépaysants qu'il nous amène à découvrir. Ici, direction les Caraïbes pour une histoire d'amour impossible teintée de poésie et de critique sociétale acerbe. Un bon futur moment de lecture à mon avis.
- En route d'Adam Rex. Un roman jeunesse dont a été tiré un métrage d'animation plutôt réussi que nous avons vu avec Nelfe. La terre a été envahie par de drôles d'extra-terrestres à huit pattes (les boovs) et ont enlevé la maman de l'héroïne. Ni une ni deux, elle part à sa recherche en compagnie de son chat lunatique et d'un alien déserteur. On nous promet un mix entre Pratchett et Adams, c'est tentant, non ?
- Le Téléphone sibérien de Clive Egleton. Un petit série noir des familles avec une histoire étrange d'un militaire enfermé dans un lieu mystérieux et soumis à une batterie de tests inhumains entre interrogatoires et lavages de cerveaux. Mais où est-il ? Et que va-t-il faire quand il va s'échapper ? Le pitch est tellement énorme que j'ai décidé d'adopter ce titre, qui lira verra !
- Histoires de voyages dans le temps, ouvrage collectif. Coup de foudre pour un ouvrage d'une collection qui a marqué ma jeunesse et m'a permis à l'époque de rentrer plus aisément dans la science-fiction avec notamment une compilation de récits sur les robots et les autres mondes. Ici, il s'agit de voyages dans le temps, une thématique que j'apprécie beaucoup et qui a donné de nombreux récits réussis. Gageons qui en sera de même avec cet ouvrage où l'on trouve notamment Matheson, Ballard, Brown, Heinlein et bien d'autres. Miam miam !
- Marcovaldo d'Italo Calvino. Une histoire bien barrée comme je les aime avec le héros éponyme, manoeuvre de chantier à qui il arrive toute une série d'expériences étranges qui finalement lui permettent d'échapper à la grisaille quotidienne. On est ici à la limite du conte et du surréalisme. Cet auteur a tellement de talent que je n'ai pas hésité une seconde !
- Vendredi de Robert A. Heinlein. Une agent très spécial rentre de mission auréolé une fois de plus de succès. Félicitations de rigueur et octroi d'un congé exceptionnel devrait la ravir mais Vendredi est tourmentée par des images de souvenirs atroces. Comment est-ce possible quand on sait que l'agent n'est qu'un robot très perfectionné ? Heinlein m'a tour à tour séduit et déçu, cet ouvrage m'attire tout de même de part le sujet qu'il traite et les bonnes critiques que j'ai pu en lire. Là encore, la lecture sera un test.
- Last exit to Brooklyn d'Hubert Selby Jr. Fin de la sélection avec un ouvrage bien thrash, critique délirante de la société américaine par l'équivalent US d'un Céline. Ce sera ma première incursion chez lui, ça faisait un bail que je souhaitais rencontrer cet auteur hors norme. Me voila au pied du mur !
De biens belles pioches que tous ces ouvrages qui vont contribuer à grosir ma PAL qui décidément a toujours autant de mal à baisser. Mais que voulez-vous, on est accro ou on ne l'est pas. Critiques à suivre dans les jours, semaines, mois et années à venir !
"Petit pays" de Gaël Faye
L'histoire : En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce "petit pays" d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français...
La critique Nelfesque : Voici un roman que j'avais remarqué lors de la Rentrée Littéraire 2016 et que j'ai tardé à me procurer. Je ne pouvais pas terminer cette année sans avoir lu "Petit pays" de Gaël Faye tant il a fait parler de lui (et il n'est pas seulement question du Prix Goncourt des Lycéens qu'il a remporté en fin d'année mais aussi de l'amour (et le mot n'est pas galvaudé) que ma copinaute faurelix porte à cet artiste). Il fallait que je le lise ! Et une fois ce présent ouvrage avalé en quelques heures, je ne peux que me joindre aux louanges et passer à mon tour en mode "propagation". Il FAUT lire ce roman. Vraiment !
Lecture très forte par son histoire, elle l'est aussi par le talent et la plume de son auteur. Nous suivons ici une tranche de vie, celle de Gabriel, qui, à 10 ans, vit au Burundi dans une impasse où la douceur de vivre et les jeux d'enfants ont toujours été son quotidien. Mais ça c'était avant que la guerre ne vienne bousculer son pays, ses amis, ses proches, sa vie...
De mère rwandaise et de père français, il est bien loin de ces considérations d'adultes et des conflits qui opposent tutsis et hutus. Pour lui, il n'y a pas de différence et il ne comprend pas comment des histoires d'ethnies peuvent faire changer les hommes autour de lui. Pourquoi elles font pleurer sa mère, pourquoi elles font peur à sa soeur, pourquoi ses amis vont s'échauffer peu à peu et parler de défendre leur impasse face à l'ennemi. Gabriel ne voit pas d'ennemis et, dans l'incompréhension, va être confronté à la montée des tensions et à l'horreur.
Par les yeux d'un enfant de 10 ans, Gaël Faye entraîne le lecteur entre sourires et larmes dans un pays et une région d'Afrique qui ont été mis à feu et à sang par la folie des hommes. Tour à tour, on s'émerveille de la naïveté de l'enfance et on est effrayé par les horreurs qui peuvent être perpétrées par l'homme. Dans nos petites vies relativement tranquilles, loin des guerres et des pertes humaines, les lecteurs français que nous sommes ont connaissance de ces événements mais ont un rapport distancié avec les faits. L'auteur vient ici nous confronter à la réalité avec force et violence. Jamais gratuitement, toujours avec justesse mais quand la théorie rencontre la réalité, les mots font mal et le jeune Gabriel et ses amis de l'impasse nous touchent en plein coeur.
"Petit pays" est un roman sur l'enfance, sur l'amitié, sur l'Afrique et sur la guerre. Sans être ostentatoire et avec simplicité, il met en lumière le caractère universel des sentiments et des émotions. Les mêmes larmes ici et ailleurs, les mêmes peurs face à l'indicible, les mêmes espoirs et la même souffrance. Là où chacun ne voudrait qu'un monde beau et bon ne naissent des hommes et de leur avidité que souffrance et destruction. Un roman d'une beauté saisissante.
J'ai lu ce livre dans le cadre d'une LC avec stefiebo, Meyko, Elle bouquine, Leelo lit tout, Metreya, Gin, Magiciennedoz, Mandorla et Fan2polar (dont certains ont déjà publié leurs avis). Si vous avez besoin d'en rajouter une couche pour vous convaincre d'ouvrir ce roman ou lire d'autres avis, faites un petit tour chez eux !
La critique de Mr K (edit du 26/03/22) : C’est à mon tour aujourd’hui de vous parler de Petit pays de Gaël Faye, un ouvrage qui a fait beaucoup parler de lui à sa sortie et qui m’avait jusque là échappé pour d’obscures raisons, avec en arrière plan une PAL absolument monstrueuse. Nelfe n’avait pas tari d’éloges à propos de ce titre et m’avait enjoint de le lire expressément dès sa fin de lecture. Bon, j’ai mis le temps et voila... Ce fut une lecture à la fois géniale et effroyable, un ouvrage très bien écrit. Ce roman nous prend en otage dès le premier chapitre et ne desserre jamais ses griffes.
Je ne vous ferai pas l’affront de résumer le livre, tout le monde le connaît ou presque. Le jeune narrateur voit ses parents se déchirer et une guerre civile bientôt doublée d’un génocide se prépare. Heureusement pour Gaby, il y a les copains, la bande de l’impasse avec qui il passe le plus clair de son temps. Mais ça aussi va être mis à mal par le principe de réalité, c’est la fin de l’enfance et l’immersion dans le monde ne se fera pas sans douleurs.
Le point de vue de l’enfant puis de l’adolescent est merveilleusement bien retranscrit dans ce récit qui prend son temps, épouse le rythme lent de la vie du narrateur. Il nous décrit avec un luxe de détails sa maison, les alentours, les gens qu’il peut croiser. Il fait part aussi de ses troubles et de ses sentiments. Les parents qui se séparent, c’est quelque chose d’inimaginable dans un premier temps, et pourtant l’inconcevable se produit et il faut s’adapter, vivre avec. On vit cet événement aux premières loges et on ne peut qu’éprouver du chagrin pour ce gamin en perte de repères.
Et puis, il y a cette menace sourde, l’horreur du génocide dont on sait qu’il va advenir et qu’il va forcément toucher de près ou de loin le jeune héros comme à peu près toutes familles du pays. L’auteur ne le traite pas vraiment frontalement. Il évoque les espoirs nés des premières élections démocratiques qui vont accoucher au final d’un coup d’État et des premières menaces puis les fameux massacres. Les gens changent, la société change et Gaby ne peut que le constater... Il finira par se rendre à l’évidence, ce pays il ne le reconnaît plus, ce n’est plus le sien.
Expéditions, discussions et conneries de gamins, échanges entre adultes écoutés derrière une porte, rencontres insolites et instructives (la fameuse voisine grecque qui lui fait découvrir l’amour des livres), les relations maîtres / domestiques mais aussi la vie de village, les barrages policiers, les tensions ethniques et une pléthore de sujets et de thèmes s’entremêlent dans cet ouvrage finalement assez bref (environ 200 pages) mais d’une densité émotionnelle impressionnante.
Que dire de plus, sinon que l’écriture de Gaël Faye est un plaisir de chaque mot, chaque phrase, chaque page. Ça coule tout seul, c’est évocateur en diable et provoque une addiction immédiate. Malgré un background terrible, une certaine appréhension qui monte crescendo avec comme point d’orgue la maman qui revient traumatisée au foyer (purée, ce passage...), on en redemande, on y revient, on ne peut écarter les yeux et au final, on se rend compte qu’on a lu un sacré bouquin. Un de ceux qu’il faut partager et discuter tant ils appartiennent au club très sélect des écritures essentielles. Un vrai petit bijou.
Acquisitions automnales Nelfesques
Il y a 2 semaines, Mr K vous parlait de son craquage d'automne. Vous vous imaginez bien que moi non plus je n'ai pas su résister. J'ai été plus sage que lui mais je rajoute tout de même + 14 à ma PAL... Ben oui, c'est ça quand on tombe sur des romans forts intéressants à tout petit prix et que l'on a très envie de lire. Perso, j'ai du mal à résister ! Voyez plutôt :
- "Une Place à prendre" de J. K. Rowling qui a fait beaucoup parlé de lui à sa sortie. Après Harry Potter, J. K. Rowling laisse de côté l'univers jeunesse et propose une comédie de moeurs teintée d'humour noir. J'ai eu envie d'essayer ! Espérons que j'accroche à ce roman de presque 700 pages...
- "Frankenstein" de Mary Shelley parce que c'est un classique que je n'ai pas encore lu.
- "Empereurs des ténèbres" de Ignacio Del Valle où il est question de seconde guerre mondiale à la mode thriller sur le front russe.
- "Complètement cramé" de Gilles Legardiner pour une lecture fun après un premier opus, "Demain j'arrête", que j'avais trouvé détente neurones.
- "Urkas !" de Nicolaï Lilin, le coup de poker du jour. Je ne connais ni l'ouvrage, ni l'auteur, mais la quatrième de couverture m'a fait frétiller les antennes ! Une plongée dans l'univers ultra-violent de la mafia sibérienne de Transnistrie, un récit de vie en forme de puzzle, un roman noir.
- "Bonjour chez vous !" de Nadine Monfils parce que "Les Vacances d'un serial killer" avait su me charmer.
- "Pike" de Benjamin Witmer, un roman noir comme je les aime et qui devrait bien me plaire. A suivre...
- "Fantasia chez les ploucs" de Charles Williams, un roman policier qui m'a l'air bien déjanté. Rien que le titre et la couv' posent l'ambiance !
- "Prenez soin du chien" de J. M. Erre qui était depuis longtemps dans ma wishlist. J'ai bien envie de faire rapidement connaissance avec ce microcosme ! "Entre l'érotomane scato du dessus, l'évaporé zoophile d'à côté et l'exhibitionniste d'en face, je commençais à me faire du soucis." Pas moi ! J'ai hâte !
Petit tour dans le bac à partitions et je repars avec la Sonate n°27 de Beethoven et l'Intermezzi Opus 117 de Brahms. Pour ceux qui l'ignorent, je fais du piano depuis l'âge de 8 ans. J'ai toujours un oeil sur les partitions quand on va chez Emmaüs. Malheureusement, ils n'en ont pas souvent et après mon passage, les pianistes qui me suivent n'ont généralement plus rien à se mettre sous la dent.
Petit bonus du jour : Nous sommes allés faire innocemment un petit tour dans un magasin de seconde main et je suis revenue avec ENCORE des bouquins... Je suis incorrigible, je sais.
- "Chroniques de l'asphalte" de Samuel Benchetrit, volumes 1, 2 et 3 : J'ai littéralement sauté au plafond en les trouvant ! Nous sommes allés voir hier soir au cinéma "Asphalte" de Benchetrit, librement adapté de deux nouvelles présentes dans ces chroniques. On a A-DO-RE ! On vous en reparle dans les prochains jours. De mon côté, je suis RAVIE de les avoir trouvées à 2.50€ pièce en broché (et Mr K est jaloux de ne pas les avoir trouvées avant moi mais faut pas le dire (la jalousie c'est mal... je ne sais pas si je vais les lui prêter...))
- "Spirales" et "Moka" de Tatiana de Rosnay, deux courts romans d'une auteure que j'aime beaucoup et qui a beaucoup de classe (oui je sais ça ça se voit pas dans ses pages mais dieu que c'est une belle femme !)
Tesfa a l'air de bien apprécier Benchetrit elle aussi (elle a décidément fort bon goût) et donne sa bénédiction à l'entrée de ces petits nouveaux dans ma PAL. Me voilà rassurée !
N'hésitez pas à me donner votre avis sur tel ou tel titre dans les commentaires si vous les avez lu. Pour l'heure, j'ai envie de tous les lire en même temps mais comme ça me parait difficile, cela me permettra de choisir par lequel commencer !
Premier craquage de 2015
Sous couvert d'accompagner Nelfe dans la découverte d'un magasin de tissu (le papa Noël lui a offert une machine à coudre dont elle vous parlera dans un futur post), j'avais en fait ourdi un plan lourd de conséquence pour ma PAL. Pourquoi ne pas profiter de la nouvelle année pour aller chiner quelque peu dans des brocantes de la région? Ce qui devait arriver arriva! J'ai une fois de plus cédé à la tentation, Nelfe dans une bien moindre mesure...
- Étoiles, Garde à vous de Robert A. Heinlein. J'ai adoré le film de Verhoeren Starship Trooper qui est tiré de ce roman, je m'attends à une belle dénonciation de l'autoritarisme militaire. Je suis en plein dedans et je ne suis pas du tout déçu. Chronique à suivre dans le mois (j'en ai dix autres déjà prêtes à poster!).
- Le Survivant de James Herbert. Le pitch est vraiment intrigant avec cet ultime rescapé d'un crash aérien cherchant à savoir pourquoi lui s'en est sorti et pas les autres... J'avais aimé La Trilogie des Rats du même auteur, gageons que celui-ci soit aussi réussi en terme de suspens.
- L'armure de vengeance de Serge Brussolo. Mon amour pour Brussolo n'est plus à prouver, il retourne ici au Moyen-âge avec une étrange armure mue par une volonté propre! Polar, fantastique, le tout mâtiné d'un background médiéval, la recette semble bonne!
- Cette nuit-là de Linwood Barclay. Recommandé par Michaël Connelly lui-même, à priori il s'agit d'un thriller page-turner efficace où il est question de la disparition de la famille d'une jeune fille partie fait le mur pour une soirée. À voir!
- Le Rocher de Tanios d'Amin Maalouf, prix Goncourt 1993 de mémoire. À priori un excellent livre entre aventure et intimisme. J'ai hâte de le lire!
- La Pentalogie de la Belgariade de David Eddings. À 50 centimes la pièce, difficile de résister surtout qu'il est précédé d'éloges très flatteurs chez tous les amateurs du genre fantasy peu représenté dans ma PAL (bon, on cherche les excuses qu'on peut!). Je pense les amener tous les cinq en Asie du sud-est d'ici peu, on aura une longue escale de 14h à Abu Dhabi sur le retour et des moments de farniente en prévision. À raison de 1kg au total, ça ne pèse pas trop lourd dans les bagages!
- La Pentalogie de la Mallorée de David Eddings. Vous l'avez compris, il y a un ou une grande fan d'Eddings qui a lâché son stock dans la région. Ce deuxième cycle fait suite à celui précédemment évoqué, vu le prix je décidai de doubler la mise. On est des oufs et on n'a peur de rien!
- Le DVD de Enter the Voïd de Gaspard Noë. Mon grand regret de 2010 en matière de cinéma: ne pas avoir pu aller le voir! Il parait qu'il est cultissime, j'aime le bonhomme, sa filmographie, sa technique et son esprit frondeur. Visionnage prévu ce vendredi avec Nelfe et mon plus vieil ami. Ca va dépoter!
- Mémé de Philippe Torreton. Vous vous rappelez? Nelfe m'accompagnait et elle aussi a craqué... Ce livre lui a fait de l'oeil dès sa sortie en librairie, le hasard lui a permis de l'acquérir à prix modique! Elle s'attend à beaucoup pleurer, rassurez-vous je serai là pour la consoler!
Bonne pioche donc que cette expédition de début d'année qui s'est avérée fructueuse en terme d'acquisitions et riche en promesses d'évasion. Y'a plus qu'à!
"La Joueuse de go" de Shan Sa
L'histoire: Depuis 1931, le dernier empereur de Chine règne sans pouvoir sur la Mandchourie occupée par l'armée japonaise. Alors que l'aristocratie tente d'oublier dans de vaines distractions la guerre et ses cruautés, une lycéenne de seize ans joue au go. Place des Mille Vents, ses mains infaillibles manipulent les pions. Mélancoliques mais fiévreuse, elle rêve d'un autre destin. "Le bonheur est un combat d'encerclement". Sur le damier, elle bat tous ses prétendants.
Mais la joueuse ignore encore son adversaire de demain: un officier japonais dur comme le métal, à peine plus âgé qu'elle, dévoué à l'utopie impérialiste. Ils s'affrontent, ils s'aiment, sans un geste, jusqu'au bout, tandis que la Chine vacille sous les coups de l'envahisseur, qui tue, pille, torture.
La critique de Mr K: Quand on accumule comme moi les livres dans une PAL (qui prend de plus en plus les allures d'une forteresse littéraire), il arrive qu'on passe pendant un certain temps à côté d'ouvrages vraiment extraordinaires et marquants. La Joueuse de go en faisait partie jusqu'à son exhumation il y a peu. Ce fut une lecture très rapide et enthousiasmante à souhait entre intimisme et toile de fond historique méconnue mais fascinante!
Par petits chapitres de quatre pages au plus, Shan Sa croise les regards et points de vue d'une jeune lycéenne chinoise et d'un jeune officier japonais. À travers cette partie de go (genre d'échecs à l'orientale en beaucoup plus complexe et surtout plus long... les parties peuvent durer des jours!), c'est un peu la guerre sino-japonaise qui se joue mais aussi la vie des deux protagonistes qui prend une tournure inattendue. Entre la jeune idéaliste libérée et l'adepte de l'ordre impérial, il y a un monde. Et pourtant, au fil des pages un rapprochement va s'effectuer malgré les différences culturelles. Deux destins que tout séparent vont se côtoyer au milieu du tumulte, de la méfiance réciproque et des expériences de vie malheureuses.
Ce livre est d'une beauté saisissante. L'écriture légère et aérienne, typique de la littérature asiatique, toute en finesse et nuance sert remarquablement le propos plus grave de la guerre, des exactions, de la rédemption et du pardon. Ces deux êtres tour à tour nous émeuvent et représentent bien plus que deux personnes qui se rencontrent et vont peut-être s'aimer. L'opposition des styles de vie et des schémas de pensée renforce la dramaturgie. La jeune fille s'éveille à la sensualité et à l'amour physique tandis que le jeune soldat doit s'aguérir malgré la peur et les doutes qui l'assaillent (beau condensé de la pensée japonaise de l'époque). On alterne la lecture en passant de l'un à l'autre à un rythme rapide malgré la lenteur, la mélancolie et la poésie qui se dégage de l'écriture si délicate de Shan Sa qui intercale de ci de là des extraits de poèmes classiques chinois (très très beaux choix soit dit en passant).
La fin, bien qu'attendue, vient cueillir le lecteur qui ne s'est pas rendu compte du temps passé. C'est bien simple, j'ai quasiment lu La Joueuse de go d'une traite, d'ailleurs je n'étais pas fier le lendemain matin avant de partir au travail! Un plaisir de lecture vraiment extraordinaire pour une histoire qui ne l'est pas moins. Malgré un schéma de base banal, les parallèles insinués avec la situation historique (très bonne reconstitution, instructive à souhait, sans lourdeur) donne une densité ébouriffante à l'ensemble. La résistance chinoise (incarnée ici par de très jeunes étudiants), la répression japonaise (des passages sont vraiment effroyables), tout y est pour se plonger dans cette période trouble, source d'horreur et de malheurs incommensurables. La tension est très bien rendue et ceci avec une économie de mots des plus louables!
Je suis ressorti rincé mais heureux de cette lecture qui pour moi s'apparente à un incontournable. Un livre qui trouvera une belle place dans mon panthéon personnel en attendant qu'il rejoigne le vôtre!
"Dansons sous les bombes" de Patrick Eudeline
L'histoire: On a tous rêvé devant l'an 2000 et il ne s'est rien passé. En fait, tout balbutie. Et nous sommes entrés dans une période de nostalgie comme l'histoire n'en a pas connu depuis... C'est une très vieille civilisation qui serre les boulons pour ne pas tomber en pièces, qui ne sait plus rêver qu'en maquillant virtuellement, en samplant les trésors passés. Nous vivons dans le manque du paradis perdu. Moi, j'appelle cela le rétro-futurisme.
Mon roman, c'est l'histoire de deux loosers, Julien et Coreen, qui se retrouvent de nos jours. Elle est une star oubliée des seventies, à qui un succès unique a laissé le goût du fruit défendu. Lui, le rock l'a mis sur le carreau, comme tant d'autres. Le temps les ronge. Ils vont faire ensemble un dernier disque, monter un coup électro en vue d'une rédemption virtuelle, conclure un pacte faustien. Mais le diable aura le mot de la fin. Évidemment!
La critique de Mr K: C'est avec un plaisir énorme que je suis tombé par hasard sur le présent volume chez l'abbé (un des fournisseurs officiels de ce blog!). Eudeline, j'adore! Ex de la mouvance punk-français des origines, rock critique respecté et auteur de roman à ses heures perdues. J'avais en son temps adoré"Ce siècle aura ta peau", c'est donc avec une certaine excitation que j'ai entamé la présente lecture...
Dans un premier temps, on suit la vie de deux écorchés de la vie par chapitres interposés. Julien ex toxico qui squatte sans état d'âme l'appartement d'une fille qui l'aime mais dont lui n'a plus rien à faire depuis longtemps. Il survit comme il peut, il promène son regard cynique sur le monde qui l'entoure, glande devant des conneries à la télé et bricole sur ses PC des musiques qui pour l'instant n'arrivent pas à le sortir de l'ornière dans laquelle il se complait. Coreen est une étoile du rock qui a connu son heure de gloire, ersatz de Janis Joplin qui n'arrive pas à repercer. Elle enregistre des reprises et des chœurs mais rien de bien sérieux depuis le seul et unique hit de sa carrière. Ces deux trajectoires vont se rencontrer (aux 2/3 du bouquin) et ca va faire des étincelles! Entre rencontre artistique et manipulation du milieu, il n'y a qu'un pas...
Patrick Eudeline est un as pour accrocher son lectorat. Écriture despentienne à souhait (ceux qui nous lisent régulièrement savent à quel point j'aime Virginie Despentes), on est face à un brûlot bien rock-and-roll. Écriture fantasmatique, imagée à l'extrême, teintée de références à des groupes, des personnages et des moments cultes de la grande histoire du rock. Le tout est crédible, notamment les deux personnages principaux, véritables victimes du système et de leurs rêves brisés. Ça se lit donc très bien et il ne m'a pas fallu longtemps pour en venir à bout. On rit beaucoup (les dialogues entre Julien et la nana chez qui il crèche valent leur pesant d'or, ça vole dans les tours!), on enrage aussi lorsque l'auteur décrit la réalité de ce milieu très particulier. C'est le petit plus de ce livre, l'incroyable plongée à laquelle nous invite l'auteur dans les rouages de l'industrie de la musique. Ça casse fort et les personnages dérouillent (un peu comme dans Les Jolies choses). La musique est avant tout un produit qui se vend et pour cela tous les moyens sont bons pour y arriver.
Une très bonne lecture que je conseille vivement à tous les amateurs de rock mais aussi d'écriture inhabituelle, échevelée et évocatrice à souhait. Rock is not dead!
"Apocalypse bébé" de Virginie Despentes
L'histoire: Apocalypse Bébé est un road movie électrique entre Paris et Barcelone où deux détectives aux personnalités diamétralement opposées se lancent sur les traces d'une adolescence déstructurée Valentine Gatlan, « adolescente nymphomane, défoncée à la coke et hyper active». Lucie, trentenaire, détective un peu désabusée, empotée et malgrè tout spécialisée dans les filatures d'adolescents, est chargée par la famille Gatlan de surveiller Valentine, adolescente fragile, au comportement autodestructeur et à la sexualité très débridée. La perdant de vue au cours d'une de ses filatures, elle se doit de la retrouver au plus vite. Manquant d'assurance et d'expérience, elle fait appel à une détective free-lance dit la « la hyène » lesbienne sulfureuse, violente, manipulatrice, habituée aux méthodes radicales. Toutes deux se plongent à corps perdu dans l'histoire tourmentée de l'adolescente.
La critique de Mr K: I love you Virginie! Tels avaient été mes derniers mots lors de ma critique de King Kong théorie, il y a quelques mois de cela. Ce livre le confirme, j'aime toujours autant cet auteur qui ici passe encore au cran supérieur nous livrant un livre aussi sulfureux qu'addictif. Le noir et le polar sied parfaitement à notre cherry bomb nationale. Ça fouette, ça "uppercute" et on en redemande! Mon côté maso est comblé et en redemande encore: vous l'avez compris, j'ai méchamment pris une claque avec cette lecture qui n'a eu qu'un défaut... trop courte!
Tout d'abord le genre. On a affaire à un polar drôlement bien ficelé avec sa dose de suspense et de personnages bien trempés. Le choix narratif est très efficace, on a un chapitre sur deux le point de vue de personnages secondaires à l'enquête principale: le père, la belle-doche, le cousin rebeu des quartiers, les potes d'extrême gauche... Tout pour que les pièces du puzzle (Valentine et sa psyché torturée) se révèlent petit à petit, mettant à jour peu à peu le parcours de cette gamine perdue. Les deux personnages principaux antinomiques à souhait se renvoient la balle continuellement créant un lien étrange, non dénoué d'humour (grande nouveauté despentienne!). On s'attache à la hyène, on trépigne face à la vacuité qui se dégage de Lucie... puis les repères deviennent flous et on se rend compte qu'on est balladé joyeusement par Despentes... la fin est effroyable! Pour soupoudrer le tout, rajoutez là dessus un petit air de romance lesbienne avec la découverte de l'amour avec une personne du même sexe (ça sent l'autobiographie), le tout sans en faire trop avec juste ce qu'il faut de beauté pour ne pas tomber dans la sensiblerie bon marché dont on nous abreuve à longueur de temps et vous obtenez un mélange détonnant!
Le style est une fois de plus frontal, hargneux, ironique et direct. Tout ce que j'aime chez l'auteur. Jamais prétentieux, le but est de cerner vite et clairement les protagonistes, les lieux et l'action. J'ai lu chez d'autres blogueurs que la vulgarité est de mise tout au long de l'oeuvre. Je m'inscris en faux face à cette assertion: certes on est dans le familier mais vulgarité rime souvent avec facilité. Ici ce n'est pas le cas, ce roman est un pur reflet de notre époque et l'on voit mal des gosses de cité ou des malfrats parler comme dans le XVIème arrondissement. Alors, sûr, c'est brut de décoffrage mais ça ancre cette oeuvre dans une réalité (peu reluisante je vous l'accorde). Pour résumer, ça se lit comme du petit lait et il est vraiment très difficile de décrocher.
Mais on n'est pas seulement face à un roman classique. Au détour des pages, c'est un portrait de notre société qui nous est révélé. Une fois de plus, c'est la femme, sa féminité, sa sexualité et son rapport à l'homme qui au coeur de l'oeuvre. On retrouve dans Apocalypse bébé les questions qui taraudent l'auteur. Les piques sont nombreuses et les réflexions à l'avenant, on retrouve le féminisme punk propre à l'auteur et son dégoût-déception des hommes. Mais derrière ces éclairs thrash jubilatoires et cyniques se cache une tendresse profonde qui n'échappera à personne. C'est aussi une critique féroce de la bonne société bourgeoise avec notamment le père (François) qui "laisse couler" face à une jeune fille en déséquilibre profond et finalement une gamine que personne ne recherche vraiment.
Une lecture enthousiasmante, un pied intégral, un souvenir littéraire vivace: un grand livre! Je persiste: I love you Virginie!