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Le Capharnaüm Éclairé
13 février 2024

"The Getaway" de Lamar Giles

 

L’histoire : Les crises économiques et sociales vous angoissent ? Les catastrophes écologiques vous effraient ? Karloff Country est LE havre de paix qu'il vous faut !

 

Jay, Zeke, Connie et Chelle ont la grande chance d'y habiter. En échange, tout ce qu'ils doivent faire, c'est y travailler. Leur principale mission ? Assouvir les désirs des clients. Sans aucune exception...

 

Et n'oubliez pas : "Service et joie, c'est la méthode Karloff !"

 

La critique de Mr K : Belle découverte que ce titre jeunesse proposant une dystopie glaçante qui réserve de nombreuses surprises au lecteur. The Getaway de Lamar Giles est typiquement le genre d’ouvrage idéal pour qu’un jeune lecteur découvre le genre sans pour autant prendre ses lecteurs pour des buses. L’auteur avance masqué et surprend au fil du déroulé, passant du rêve au cauchemar et dépassant les limites classiques du bien et du mal. Impossible de relâcher l’ouvrage qui malgré ses 480 pages se lit d’une traite !

 

Bienvenue à Karloff Country, l’enclave où il fait bon vivre et où les affres du monde extérieur ne vous atteignent pas. Dans ce parc d’attraction gigantesque où tout est fait pour vous procurer joie et tout ce que vous voulez, pas d’aléas climatiques catastrophiques, de pénuries alimentaires, de pandémies ou de tensions sociales de quelque sorte que ce soit. Avec ce qu’il faut de monnaie sonnante et trébuchante, à vous les amusements, les bons restaurants, la remise en forme et les logements luxueux. Les Aides (employés du parc) sont là pour vous fournir le meilleur des services et votre séjour sera inoubliable.

 

Jay, Zeke, Connie et Chelle, quatre afro-américains, ont la chance d’y habiter. Les trois premiers sont de jeunes Aides à qui le système Karloff a promis des études payées et prometteuses contre une période de travail dans le parc. L’un s’occupe du nettoyage, l’autre est mécano, la dernière vend des saucisses. Chelle quant à elle n’est ni plus ni moins que l’héritière de l’empire Karloff, cela ne l'a pas empêché d’intégrer la bande. Ces quatre là sont inséparables malgré leurs différences de caractères et leurs origines sociales. Quand l’un d’entre eux va disparaître sans laisser de traces et d’explication, leur monde bascule et les événements vont se précipiter mettant à mal toutes leurs certitudes.

 

On débute la lecture essentiellement par la vision de Jay, jeune homme ravi d’habiter dans cette oasis de paix et d’espoir au milieu d‘une terre ravagée. De cette dernière, on ne saura pas grand-chose, quelques évocations en sont faites, permettant de distiller une ambiance lourde et inquiétante, renforçant l’aspect utopique de Karloff Country. Jay vit bien sa vie d’Aide, c’est un naïf, un contemplatif à l’occasion. Il y trouve son compte, il est épanoui et se rapproche fortement de Chelles dont il est amoureux. La réciproque est vraie, les premiers émois sont souvent puissants et rien ne semble pouvoir les empêcher de succomber l’un à l’autre. Zeke, c’est le rebelle de la bande, il fréquente un étrange réseau social qui livre des informations inquiétantes sur Karloff et son lieu idyllique. Des gens disparaîtraient, des complots seraient en cours, le bien commun affiché cacherait des buts inavouables. Connie elle, est la plus vive de la bande, elle a son caractère et se plaît elle aussi à Karloff Country. Fruit d’une union sans lendemain, c’est plus dur pour Chelles dont on reproche les origines. Sa mère a couché avec un basketteur noir et Chelles est métis ce qui passe mal auprès de son grand-père, patriarche autoritaire qui dicte sa loi sur tout le parc.

 

Connie disparaissant, les cartes sont rebattues. Les tensions montent, des événements extérieurs remettent en cause l’équilibre du parc et d’étranges personnes arrivent au parc. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Ce ne sont plus des touristes ordinaires qui viennent s’amuser mais de riches caucasiens (pour la plupart) qui semblent être en terrain conquis. La vraie nature du parc nous apparaît alors et débute pour les différents protagonistes un chemin de croix réellement éprouvant dont ils ressortiront totalement changés. L’apparente simplicité de la trame et le côté archétypal des personnages volent en éclat, laissant apparaître un cauchemar éveillé où vices et déviances liés au pouvoir, à la survie et la lutte sociale / raciale se révèlent au grand jour. On tombe de Charybde en Scylla et c’est médusé, comme nos jeunes héros, que l’on parcourt la deuxième partie du roman qui ne laisse pas indemne.

 

La critique de la société est ici acerbe et profonde tout en restant largement accessible à un public jeune. Certaines références sont claires, on pense à 1984, Un bonheur insoutenable ou encore Get Out ou Soleil vert en films. Le contrôle par l’IA au service d’un pouvoir inique, la discrimination raciale et sociale, l’appât du gain qui légitime toutes les atrocités, l’addiction aux écrans, la raréfaction de la culture au profit des loisirs tout consommables, la destruction du vivant et la perte des illusions de la jeunesse sont au cœur d’un récit qui s’enfonce dans les ténèbres au fil des chapitres, la fin reste ouverte et porteuse d’espoir même si on se doute que rien n’est totalement réglé.

 

On sort un peu groggy de cette lecture assez épatante en soi, qui brosse de beaux portraits et offre une dystopie bien dérangée mais finalement pas si hors sol que ça quand on constate les évolutions récentes du monde. C’est écrit simplement, sans réel éclat stylistique mais c’est mené de main de maître à la mode page-turner. Franchement, une très bonne lecture à découvrir et faire découvrir avant de peut-être regarder la série qui est en train d’être produite, les droits ayant été achetés. Wait and see.

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