"Le Concert" de Muharem Bazdulj

L’histoire : Sarajevo, 23 septembre 1997. U2 est en plein dans sa tournée PopMart, et offre aux spectateurs ce soir-là un concert mythique ! Le premier show d'un groupe majeur en Bosnie depuis la fin de la guerre en 1995. Un pur moment de rock'n'roll. Tous les classiques font résonner le stade de la ville : Miss Sarajevo bien sûr, jusqu'à Sunday Bloody Sunday, et aussi New Year's Day, où Bono sollicite l'aide du public, car il avait perdu sa voix le matin même. Avant de ponctuer par son célèbre "Viva Sarajevo ! Fuck the past, kiss the future!".

Le roman de Muharem Bazdulj suit une dizaine de protagonistes le jour de ce show légendaire. De Marko, grand fan du groupe, qui connaît toutes leurs chansons par coeur. À Zeljko, supporter de foot, qui se rend au concert sans raison précise, juste pour être présent pour l'événement. Mirsad et Robert, eux, sont à la recherche d'alcool et drogues. Tin et Merima, les amoureux, trouvent dans les musiques de U2 un écho à leurs propres émotions.

La critique de Mr K : Littérature serbe au programme de la chronique du jour avec Le Concert de Muharem Bazdulj, auteur et journaliste plusieurs fois primé notamment par le prix du courage journalistique. Après la fin de la guerre, il devient auteur et en 2003 paraît cet ouvrage. On plonge avec délice auprès de multiples personnages au cœur d’un jour historique : celui où U2 vient jouer à Sarajevo. C’est le premier concert d’un groupe international après les événements tragiques d’un conflit fratricide qui a laissé beaucoup de traces. Cette chronique sociale est d’une rare force et emporte immédiatement l’adhésion du lecteur.

Sarajevo, le 23 septembre 1997. À travers des chapitres courts, nous suivons le quotidien, le voyage vers le stade et le concert en lui-même à travers le prisme de personnalités bien différentes mais qui chacune à leur manière incarne la Serbie nouvelle. Il y a la jeunesse et sa fougue qui a envie de faire la fête, de se libérer des carcans moraux de l’ex Yougoslavie et célébrer la liberté et la fraternité, des nostalgiques de l’ancien ordre qui veulent en découdre, des amoureux transis qui pour la première fois peuvent se retrouver seuls, des amateurs de sensations fortes en recherche d’alcool et diverses substances pour s’envoyer au septième ciel. Jeunes et moins jeunes se côtoient, se croisent, s’interpellent voire s’ignorent ou se confrontent. L’ensemble forme un tout cohérent mu par les forces du hasard, ce qui rend la lecture jubilatoire.

Multiples sont les émotions que l’on ressent durant cette lecture. L’intime côtoie l’universel avec des thématiques très diverses qui s’entremêlent au fil des pages : la guerre et ses souvenirs tenaces terribles, les pertes et les deuils qui ont touché nombre de familles, le poids des traditions et les obstacles aux aspirations amoureuses ou à la liberté. Mais l’ouvrage c’est aussi les forces de l’amour, de l’amitié, de l’entraide avec comme icône fédératrice le groupe U2 et ses différents membres. Après les présentations et parcours de chacun pour se rendre au concert, chacun va le vivre à sa manière, transcendé par l’événement et l’égrenage des chansons et hit du groupe.

En soi, je ne suis pas un grand amateur de U2 même si j’avoue m’être pas mal déhanché sur leurs tubes en boîte de nuit dans ma folle jeunesse -sic- mais on connaît leur engagement pour de nobles et grandes causes. Ce concert a une aura particulière, eux-mêmes d’ailleurs le qualifie comme un de leurs meilleurs souvenirs live et la force de l’ouvrage réside dans sa capacité à recréer cette ambiance unique, à partager les émotions des protagonistes tout en donnant une portée universelle à ce récit d’une journée et d’une soirée de concert.

Je me suis fait littéralement embarqué dès les premières pages et il est impossible de relâcher l’ouvrage avant la fin. L’écriture est vive, incisive, il y a une forme d’urgence et un sens de la caractérisation à la fois concis et profond qui font qu’on ne peut se défaire d’une envie de lire qui prend aux tripes. Très très belle lecture donc que je ne saurais que trop vous conseiller.