"Mauthausen" d'Iakovos Kambanellis
L’histoire : Mai 1945. Alors que Mauthausen vient d’être libéré par les Américains, Iakovos Kambanellis, 23 ans, est nommé représentant de la communauté grecque pour gérer le camp et recueillir les témoignages des déportés.
Par son réalisme, sa narration vive et précise, Mauthausen est un tableau hallucinant où alternent les tragiques années de camp, les souffrances endurées, l’inhumanité, la logique infernale des SS et les mois d’après la libération dans le chaos d’un monde disloqué où tout est joie, espoir et stupéfaction de réapprendre simplement à vivre.
Témoignant autant de l’expérience personnelle de l’auteur que de celle de ses codétenus, mêlant le malheur et la folie, le grotesque et l’absurde, Eros et Thanatos, Mauthausen laisse au lecteur une intense impression d’humanité tant il exprime une expérience aux limites de l’indicible, métamorphosée en chant de résistance et de vie exceptionnel.
La critique de Mr K : Terrible lecture que Mauthausen de Iakovos Kambanellis, titre qui est ressorti en ce mois de janvier dans sa version poche. L’auteur n’a que 23 ans quand il est déporté à Mauthausen où il survivra et restera même sur place après la libération du camp. Alternant ce moment unique entre deux mondes et des souvenirs de sa captivité sous le joug SS, l’ouvrage est une fenêtre implacable sur l’univers concentrationnaire et une ode à la Résistance.
Le livre débute par la libération, les prisonniers ont du mal à y croire tant cet enfer clos broie les esprits et les corps. Et pourtant, du jour au lendemain, les SS se sont enfuis devant l’imminence de l’arrivée des américains et l’auteur bascule dans l’allégresse. La liberté enfin ! La sécurité, le confort d’un matelas, la nourriture, la nature, la possibilité de se déplacer et de rêver à un monde meilleur. Le temps suspend son vol, on profite autant qu’on peut avant le départ, le retour chez soi.
On pourrait penser que Iakovos Kambanellis s’empresserait de partir au plus vite pour retourner dans sa patrie auprès des siens comme beaucoup d’autres. Ce ne sera pas le cas, il va rester deux mois supplémentaires comme représentant de la communauté grecque. Il va aider dans la gestion du camp, s’occuper des blessés trop atteints pour rentrer immédiatement et recueillir les nombreux témoignages qui serviront la justice plus tard et punir les responsables tombés aux mains des alliés. Le témoignage est rare et très intéressant, on parle rarement de l’après libération des camps. C’est très bien abordé ici avec un luxe de détails et une logique qui m’avait échappé jusqu’à présent.
On alterne avec des retours sur le quotidien à Mauthausen, dans la folie ambiante d’un Enfer sur Terre. Aboiement des SS qui tuent pour un rien ou pour un non, fatigue chronique, la faim, la soif, l’incurie humaine dans ce qu’elle a de plus abjecte mais aussi petits fragments d’humanité au quotidien, entraide entre détenus, soutien encore et toujours malgré les risques et les atrocités commises. Quelques anecdotes glacent le sang, la cruauté s’étale dans ces pages parfois à la limite du soutenable mais c'est tellement nécessaire. Quand je pense aux comparaisons malvenues, les références régulières à Hitler et sa politique d’extermination systématique à certains conflits contemporains... Rien n’est comparable à ce qui s’est passé dans les camps. La question n’est pas de hiérarchiser, l’horreur est humaine après tout mais ici on a vraiment affaire à une industrie de la mort pensée, huilée, exécutée.
On est ici dans le travail de mémoire tellement essentiel, bâton de relai qu’il faut transmettre. L’ouvrage n’a pas à rougir de la comparaison avec ceux de Primo Levi ou encore Imre Kertész. On ressort de cette autobiographie rincé par ce tableau hallucinant, cette plongée au plus près de l’horreur puis de l’espoir. On alterne les émotions contradictoires, on partage les souffrances endurées et on erre ensuite dans un monde à réinventer, sans dessus dessous et empli de stupeur. Il va falloir réapprendre à vivre pour l’auteur qui deviendra par la suite une figure culturelle tutélaire dans son pays. Une expérience de lecture hors norme et terriblement nécessaire que je vous invite à découvrir au plus vite tout en ayant le cœur bien accroché.